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Auschwitz-I, le 3 février 1943
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Noémie Lesterp naît le 2 juillet 1889 Saint-Sormin-la-Marche (Haute-Vienne – 87), fille d’un maçon ; sa mère fait des journées. Noémie est élevée à La Rochelle (Charente-Maritime – 17) où sa sœur cadette, Rachel, naît le 8 janvier 1895. Toutes deux quittent l’école communale très tôt (Rachel avant d’avoir son certificat d’études) et apprennent le métier de couturière.

À une date restant à préciser, Noémie se marie avec Louis, Ernest, Durand, né le 16 janvier 1887 à La Rochelle.

Comme bien des jeunes Rochelais, Louis Durand était attiré vers le grand large. Son incorporation dans la Marine nationale lors de son service militaire (pendant la première guerre mondiale) lui a donné accès à ces voyages et un métier : mécanicien. Après sa démobilisation, en 1919, il opte pour la marine marchande, en plein essor à cette époque. Ses compétences et ses connaissances à bord lui permettent de gravir les échelons : il passe officier mécanicien.

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Port de la Pallice-Rochelle, bassin à flot, quai nord.
Carte postale “voyagée” en avril 1940.
Collection Mémoire Vive.

Comme Louis gagne bien sa vie, Noémie cesse de travailler. Ils habitent au 59, rue Saint-Louis, à La Rochelle.

S’intéressant aux hommes et à leur condition à bord, Louis Durand devient secrétaire du syndicat CGT des officiers de la marine marchande.

Les Durand sont également communistes. Noémie commence à militer pendant la guerre d’Espagne.

À une date restant à préciser, Rachel, la sœur de Noémie, épouse un garçon de café, Fernandez. Mais celui-ci décède en 1936, la laissant veuve. Travaillant dans une grande maison de confection pour hommes de La Rochelle, Rachel ne participe pas à l’activité politique de sa sœur.

Louis et Noémie Durand restent actifs quand le Parti communiste est interdit, puis sous l’occupation.

Dans des conditions restant à préciser, Louis Durand est arrêté le 6 août 1941 et interné au bagne de Saint-Martin-de-Ré (17). Puis il est transféré au camp français de Beau-Désert à Mérignac, dans la banlieue ouest de Bordeaux (Gironde – 33).

Le 21 octobre 1941, à Bordeaux, à l’angle du boulevard Georges V et de la rue de l’Ormeau-mort, un groupe de résistance communiste dirigé par Philippe Rebière et formé de trois hommes circulant à vélo abat un officier allemand qui se trouve être Hans Reimers, conseiller d’administration militaire de la Feldkommandantur 529, chef du service de recrutement des travailleurs français. Cet attentat venant s’ajouter à celui de Nantes, Adolf Hitler et son chef d’état-major, le maréchal Keitel, exigent des représailles massives.

Le 22, le délégué du ministre de l’Intérieur à Paris ordonne aux préfets de communiquer aux autorités allemandes des listes d’internés administratifs. Une liste des communistes internés à Mérignac est fournie par la direction du camp, précisant pour chacun sa fonction au sein du parti, rédigée selon les fiches de police et de nouveaux interrogatoires. La liste définitive des otages est établie “sur dossier” par le capitaine SS Herbert Hagen, responsable du Sipo-SD pour toute la côte atlantique et agent actif de la “solution finale” depuis ses origines, qui y incorpore des résistants appartenant à des réseaux gaullistes (les enquêteurs sont alors encore indécis sur l’appartenance politique des auteurs de l’attentat).

Le 24 octobre 1941, Louis Durand (n° 18) est au nombre des cinquante otages fusillés au camp militaire de Souge (champ de manœuvre) sur la commune de Martignas-sur-Jalle (33) ; quinze étaient détenus par les autorités allemandes au Fort du Hâ et trente-cinq étaient internés administratifs au camp de Mérignac*. Parmi ces otages se trouvent également Robert, mari de Georgette Bret (31747), Jean, le mari de Germaine Cantelaube, et Laurent, le mari de Marie-Thérèse Puyooü (31720). Les cinquante corps sont inhumés sur place, dans une fosse commune interdite d’accès aux familles. Publié la veille, l’avis d’exécution n’indique pas le nom des victimes, décision récente de l’administration allemande après l’émotion suscitée par la publication de la listes des fusillés de Nantes et Châteaubriant.

Noémie Durand reçoit néanmoins la lettre d’adieux de Louis qu’elle lira à Annette Épaud et à son fils Claude.

Noémie n’interrompt pas ses activités : en 1942, elle a une responsabilité au Front national [1] à l’échelon du département, faisant des liaisons pour les FTP (Francs-tireurs et partisans) dans toute la Charente, s’occupant de l’impression de tracts et de journaux clandestins. Parallèlement, elle héberge sa mère, Madame Lesterp, âgée de soixante-douze ans.

De son côté, sa sœur Rachel accepte de servir de “boîte à lettres” pour les lettres et les colis clandestin. Elle héberge également les combattants que Noémie lui adresse ou s’occupe de leur trouver un gîte.

Le 28 juillet 1942, la police française cerne la maison de Noémie à La Rochelle. Elle y trouve aussi Rachel, venue au chevet de leur mère, gravement malade. Et la police est encore sur place quand leur frère arrive pour prendre des nouvelles. Tous sont arrêtés.

Leur mère est relâchée au bout de dix jours et meurt folle l’année suivante. Le frère – déjà interné au camp de Gurs en 1940 – est interné au fort du Hâ (que devient-il ?).

Une fois vide, la maison est réquisitionnée par la Gestapo pour y loger une Allemande.

Le jour de leur arrestation, Noémie et Rachel sont interrogées à la prison militaire de Lafond, à La Rochelle, puis emprisonnées au fort du Hâ à Bordeaux.

Le 16 octobre 1942, elles sont parmi les 70 hommes et femmes – dont 33 futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Rachel Fernandez y est enregistrée sous le matricule n° 947, Noémie Durand sous le n° 949.

Le 22 janvier 1943, Rachel Fernandez est parmi les cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Noémie Durand fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint le lendemain, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié sur les deux nuits et la journée passées à Royallieu et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation. Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours arrivés à leur destinataire).

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été rangées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Noémie Durand y est enregistrée sous le matricule 31727, Rachel Fernandez y est enregistrée sous le matricule 31723. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Noémie et Rachel ont été retrouvées, puis identifiées – avec une incertitude – par des rescapées à l’été 1947).

Dès le début, Noémie Durand (54 ans) a les jambes très enflées et ne peut marcher qu’avec l’aide des camarades. Elle est prise à la « course » [2] le 10 février et jetée au Block 25, avec d’autres femmes aussi faibles ou âgées.

Le 12 février, les “31000” qui ont échappé à cette sélection punitive sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où se trouvent quelques compagnes prises à la “course” du 10 février. C’est ainsi que quelques jours plus tard, à l’appel du soir, elles voient Noémie emportée à la chambre à gaz dans le même camion qu’Annette Épaud, avec les cadavres et les moribondes. Les deux chantent ensemble La Marseillaise.

Noémie Durand meurt – gazée – à Birkenau le 22 février 1943, d’après l’acte de décès du camp.

Depuis qu’elles sont au Block 26, les “31000” partent tous les jours dans les Kommandos de travail.

La sœur de Noémie est bientôt atteinte par la dysenterie et admise au Revier [3].

Rachel Fernandez meurt à Birkenau le 10 mars 1943.

Leur famille reçoit un avis de décès le 8 juin 1945, quand le ministère des prisonniers est en possession de la liste que les rescapées ont établi à leur retour.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 105-106.
- Serge Klarsfed, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, pages 29-33.
- Claude Épaud, fils d’Annette : messages et conversation téléphonique (05-2010).
- Commission d’Histoire du Comité du Souvenir des Fusillés de Souge.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 247 (10496/1943) pour Noémie Durand, page 283 (12240/1943), pour Rachel Fernandez.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 27-04-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

[2] La course (par Charlotte Delbo) :

Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage.

Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.

Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. « En arrivant à la porte, il faudra courir. » L’ordre se transmettait des premiers rangs.

Oui, II fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté.

Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.

Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire.

La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)

[3] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.