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Collection André Lermite. Droits réservés.

« Marguerite, de Nantes… c’est tout ce que nous savions d’elle » (Ch. Delbo).

Marguerite Joubert nait le 25 février 1910 à Vallet, Loire-Atlantique [1], fille de Pierre Joubert, 34 ans, ouvrier-maçon puis employé d’assurance, et de Marguerite Potier, 24 ans, son épouse. Elle a deux frères : Pierre, né en 1905, et Emmanuel, né en 1913.

À douze ans, elle entre à l’École Primaire Supérieure de Nantes, pour devenir institutrice. Dans la même période, elle se découvre « souverainement libre grâce à (sa) faculté d’écrire », essentiellement de la poésie.

Elle fait ses études d’institutrice à l’école normale de Nantes, de 1926 à 1929, études interrompues par un séjour au sanatorium de Sainte-Feyre, entre 1927 et 1929.

En octobre 1930, Marguerite est envoyé sur un poste isolé à la campagne. Cette solitude lui convient, lui permettant de mener réflexion et correspondance.

Cependant, sa santé reste fragile : sujette à des bronchites chroniques, elle doit s’arrêter de travailler en 1932-1933.

Une fois enseignante, Marguerite Joubert adhère au Syndicat National des Instituteurs où elle rencontre André Lermite et Alphonse Braud, deux instituteurs militants originaires de Chantenay. Ils rejoignent tous les trois le Groupe des jeunes, une tendance syndicale minoritaire proche du parti communiste qui milite pour que le syndicat des instituteurs, affilié à la CGT, se rapproche des syndicats enseignants de l’autre grande confédération syndicale, la CGTU. Mais les oppositions sont fortes et la plupart des membres du Groupe des jeunes sont exclus de leur syndicat au début de 1935. Pourtant la montée du fascisme en France et en Europe pousse les militants à s’unir. Les syndicats enseignants opposés fusionnent à la fin de 1935, quelques mois avant la CGT et la CGTU. Les exclus retrouvent leur place dans les nouvelles structures syndicales unifiées.

Une période de deux ans d’intense activité s’ouvre alors pour Marguerite Joubert qui a été très présente lors des débats sur l’union syndicale. Elle prend des responsabilités dans la nouvelle fédération enseignante et dans le nouveau syndicat des instituteurs. Elle y a obtenu la création d’une Commission des jeunes où elle s’occupe de la défense des intérêts des instituteurs débutants et elle prend en charge la rubrique intitulée la « Page des jeunes » dans le bulletin syndical. Elle y multiplie les initiatives proposant enquête, entraide, sorties communes mais aussi information syndicale et lutte pour les salaires.

À partir de 1937 et plus encore de 1938, les crises politiques en Europe et la fin du Front populaire accentuent les tensions entre la majorité socialiste et la minorité communiste du syndicat. En décembre 1937, Marguerite Joubert est critiquée par son syndicat pour des propos qu’elle a tenus sur l’école lors d’une conférence du parti communiste. La question de la compatibilité de ses deux engagements est posée. Elle se défend dans deux articles publiés dans le bulletin en 1938 mais sa rubrique disparaît. Elle reste toutefois membre du syndicat jusqu’en 1939.

En 1937, après avoir enseigné dans plusieurs communes de Loire-Atlantique, elle obtient un poste à Bouaye, ce qui lui permet de se rapprocher de Nantes. L’école, située au 1, place Bois-Jacques, comporte deux classes. Marguerite est chargée de celle des petits. Pendant la semaine, elle partage avec l’autre institutrice un appartement dans une maison située derrière l’école.

Le 10 novembre 1938, à Chantenais (quartier de Nantes), Marguerite Joubert se marie avec André Lermite, le collègue avec lequel elle a milité sur le plan syndical et politique. Ils s’installent chez les parents de celui-ci, au 27 rue Buisson à Chantenay.

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Collection André Lermite – Droits réservés.

En août 1939, ils ont un fils : André.

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Marguerite et son fils.
Collection André Lermite. Droits réservés.

Mari et femme sont communistes.

La Résistance

Pendant la « drôle de guerre », ils participent à la rédaction et à la diffusion des écrits qui doivent éclairer l’opinion, puis, dès le début de l’occupation, expliquer la politique des nazis et la collusion du gouvernement de Pétain avec les Allemands.

L’arrestation de son mari, un “45000”

Le 11 juillet 1941, André Lermite est arrêté par la police française. Le 6 juillet 1942, il est déporté de Compiègne et meurt à Auschwitz le 15 novembre 1942. Selon des témoignages de ses camarades, il aurait été gazé. Sa femme ne le savait pas quand elle est arrivée elle-même à Auschwitz le 27 janvier 1943.

L’arrestation de Marguerite

Le 5 septembre 1942, Marguerite Lermite est arrêtée à son tour au Boulay, commune de Mouzeil, Loire-Inférieure, où elle était en vacances avec ses beaux-parents et son fils. Elle se sentait menacée et songeait à se cacher quand elle est tombée malade. Tenue au lit par une forte fièvre, elle n’a pu mettre son projet à exécution. Les policiers, des Français, arrivent dans la nuit et l’emmènent en voiture. Les grands-parents disent au petit, âgé de trois ans, que sa mère est partie dans une clinique.

Marguerite Lermite est d’abord hospitalisée à Nantes, puis internée à la Roche-sur-Yon, à Fontenay-le-Comte, et enfin transférée au fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis), où elle arrive une semaine avant le départ, c’est-à-dire le 15 janvier 1943, enregistrée sous le matricule 1446. Ce qui explique que ses compagne de déportation l’aient peu connue.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, Marguerite Lermite fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [2] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Marguerite Lermite y est enregistrée sous le matricule 31835. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil. Sa photo d’immatriculation faisait partie de celles qui n’étaient pas encore identifiées en novembre 2009 ; elle a été reconnue par comparaison avec un portrait civil d’avant guerre.

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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Marguerite Lermite meurt au camp de femmes de Birkenau le 18 mars 1943, selon l’acte de décès du camp. Aucune rescapée n’a pu témoigner sur sa mort, selon Ch. Delbo.

Le préfet avisé par les autorité allemande

Le 28 avril 1943, le préfet de la « Loire-Inférieure », avisé par les autorités d’occupation, a envoyé à l’inspecteur d’académie de Nantes la note suivante :

Nantes, le 28 avril 1943 Préfecture de la Loire-inférieure Cabinet Référence HB MF Le Préfet de la Loire-Inférieure à Monsieur l’Inspecteur d’académie, Nantes Objet : s s de Mme Lermite, née Joubert. La police allemande de sûreté m’a fait savoir, à la suite d’une information qu’elle a reçue, que Mme Lermite, Marguerite, née Joubert, institutrice à Bouaye, est décédée le 18 mars 1943 à 6 h 30, à la suite d’une entérite aigüe chez un sujet de faible constitution, à l’infirmerie du camp de concentration d’Auschwitz où elle était internée.

Le préfet : signé Dupard.

Pour copie conforme, L’inspecteur d’académie.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 178-179.
- Renaud Avez, professeur d’histoire-géographie au lycée Alcide d’Orbigny de Bouaye (Loire-Atlantique), projet pédagogique conduit avec Mesdames Dejust et Fradin, pour la classe de première STG 1 année 2009-2010, ayant débouché sur une exposition dans la bibliothèque municipale. Travail effectué en relation avec André Lermite, fils d’André et Marguerite Lermite.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 712 (15644/1943).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 15-05-2012)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Loire-Atlantique : département dénommé “Loire-Inférieure” jusqu’en mars 1957.

[2] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.