L’affaire d’Auboué
Le 21 février 1942, le haut commandement militaire allemand édicte une circulaire annonçant : « Pour répondre à l’acte de sabotage d’Auboué (…), 70 communistes et juifs seront arrêtés en vue de déportation vers l’Est. » Parmi ces otages, plusieurs dizaines de futurs “45000”. Mais combien exactement ? Arrêtés depuis quand et dans quelles conditions ?
L’ouvrage de référence pour cette période est le livre de Jean-Claude et Yves Magrinelli, Antifascisme et Parti communiste en Meurthe-et-Moselle, 1920 – 1945, publié en 1985. Les auteurs ont interrogé, au début des années 1980, plusieurs résistants et résistants meurthois ayant échappé ou survécu à la répression.
Dans leur étude historique, les frères Magrinelli ont judicieusement combiné ces témoignages et de nombreuses archives. Au fil de la lecture, on trouve les noms de nombreux “45000” meurthois. Mais tous les “45000” du département n’y figurent pas et de nombreuses lacunes apparaissent.
Mais d’abord, rappelons l’événement.
Un coup porté à la production de guerre
Auboué est situé dans le Bassin de Briey d’où est extrait du minerai de fer traité dans des usines sidérurgiques situées à proximité des mines. Sous l’occupation, ralentir ou interrompre l’extraction et le traitement de ce minerai, c’est s’en prendre directement à la production d’acier nécessaire à la fabrication des machines de guerre allemandes.
Dans la nuit du 4 au 5 février 1942, le sabotage du transformateur électrique situé dans l’enceinte de l’usine d’Auboué est le premier grand coup porté à l’occupant en Meurthe-et-Moselle. L’action a été minutieusement préparée. Trois réunions ont rassemblé autour de Pierre Georges (colonel Fabien) les responsables des groupes de “voltigeurs”, nom que se sont donnés les résistants communistes armés meurthois.
En décembre 1941, une première prise de contact a lieu au café de Joseph Schneider.
En janvier 1942, une nouvelle réunion rassemble les responsables des groupes de “voltigeurs” aubouésiens, Gino Parentelli, responsable à l’organisation du Pays-Haut (nord de la Meurthe-et-Moselle) et Mario Tinelli, membre du triangle de direction régional du Parti communiste clandestin.
L’objet de la réunion est de choisir une cible pour porter le plus gros coup possible à l’économie allemande dans la région.
Plusieurs hypothèses se présentent : saboter le transformateur de l’usine d’Homécourt ou celui d’Auboué, ou la Socoxyl à Briey, usine ultra-moderne qui fabrique l’oxygène liquide nécessaire à la composition d’explosifs utilisés dans les mines. C’est le sabotage du transformateur électrique de l’usine d’Auboué, alimentant 17 mines du Bassin de Briey, qui est retenu. Maurice Henry, qui a travaillé à l’usine d’Auboué, en propose les modalités d’exécution : faute d’explosif, on videra les containers d’huile conductrice d’électricité pour provoquer un court-circuit et l’arrêt de la production électrique.
Le 2 février, une dernière réunion décide de la date du sabotage et de la composition des équipes devant le réaliser : un groupe d’action composé de Giovanni Pacci, Maurice Henry et Narcisse Ippolito, tous trois armés de revolvers, et un groupe de protection armé également et composé de Franco Fiorani, Henri Koziol, Pierre Georges et Gino Parentelli.
Le 4 février, vers 22 heures, les deux groupes empruntent la rue des Pompes à Auboué, puis le raidillon menant à la plateforme sur laquelle se trouve le transformateur.
Le groupe d’action accède au grillage de protection, puis assomme, bâillonne et ligote le gardien français de l’usine. Le grillage est ensuite cisaillé et les containers vidés de leur huile : des milliers de litres se répandent petit à petit sur le sol.
Le groupe d’action rejoint le groupe de protection placé en observation autour du grillage et les sept hommes empruntent le même chemin qu’à l’aller. Il est 23 heures, l’opération est terminée et s’est parfaitement déroulée.
Ce n’est qu’entre minuit et une heure du matin que les éclairs électriques font réagir la direction de l’usine. Il est déjà trop tard : l’usine, la mine d’Auboué et les mines d’alentour sont plongées dans le noir, la production s’arrête.
Par cette première action d’envergure, les groupes communistes portent la guerre ouverte au cœur du complexe industriel travaillant à plein régime pour l’effort de guerre hitlérien.
Gino Parentelli, “voltigeur” du groupe de protection, a témoigné du déroulement de cette action au début des années 1980.
Cependant, aucun des participants au sabotage n’est resté, ni revenu sur le terrain pour constater l’ampleur et la gravité des dégâts. Selon certains rapports du sous-préfet de Briey et du préfet régional, le court-circuit évoqué semble ne pas endommager durablement le transformateur, ni interrompre longtemps la production électrique.
Sur une note non datée conservée au Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, il est indiqué « que l’attentat a avorté », puis on trouve les considérations suivantes, pour justifier un appel à la mansuétude des Allemands : « … les conséquences de l’attentat sont nulles pour le Grand Reich : a) Les transformateurs n’ont pas cessé de fonctionner grâce à la présence du gardien installé d’après les instructions de l’administration française (circulaire du 23 janvier) b) La machine à extraire n’est pas détruite ; elle n’a motivé qu’un arrêt de 2 jours, sans qu’il en résulte la moindre diminution des envois de minerai, tous les wagons arrivés étant repartis en temps voulu. »
Un courrier du 9 février 1942 adressé au préfet par le sous-préfet de Briey mentionne la circulaire du 23 janvier sans vraiment en préciser la teneur : « … c’est grâce à ces instructions que l’attentat d’Auboué ne s’est pas transformé en catastrophe : la cabine dans laquelle se trouve le gardien a été en effet installée d’après ces instructions par la Direction des usines d’Auboué ».
Cet acte de résistance mené jusqu’à son aboutissement conserve un sens politique fort : il représente une menace intolérable au cœur de la production de guerre de l’occupant, ainsi qu’en témoignent la rapidité et l’ampleur de la répression.
Enquête et représailles
Enquête et arrestations de représailles commencent dès le 5 février 1942 à Auboué et dans le Pays-Haut. Elles sont opérées dans une sorte de compétition confuse entre les polices française et allemande, mais c’est l’autorité d’occupation qui a le dernier mot en dictant sa loi à l’administration française.
Dans un rapport du 7 février, le préfet de la région de Nancy indique qu’il avait « obtenu des autorités allemandes qu’elles laissent à la Police française le soin de mener elle-même l’enquête. J’avais prescrit, dès le 5 au matin, de nombreuses perquisitions dans les milieux suspects de la région d’Auboué [fusion_builder_container hundred_percent= »yes » overflow= »visible »][fusion_builder_row][fusion_builder_column type= »1_1″ background_position= »left top » background_color= » » border_size= » » border_color= » » border_style= »solid » spacing= »yes » background_image= » » background_repeat= »no-repeat » padding= » » margin_top= »0px » margin_bottom= »0px » class= » » id= » » animation_type= » » animation_speed= »0.3″ animation_direction= »left » hide_on_mobile= »no » center_content= »no » min_height= »none »][qui] avaient abouti à l’arrestation de 6 militants au domicile desquels des tracts avaient été découverts.
Hier soir, 6 février, à 22h45, le sous-préfet de Briey me téléphonait que l’Officier de la Geheimfeldpolizei qui avait mené l’enquête concurremment avec la police française, lui demandait, par ordre supérieur, de désigner 20 otages choisis parmi les militants communistes de la Région, pour répondre du sabotage effectué la veille à Auboué. Le sous-préfet, après 1 h 1/2 de conférence à la Kreiskommandantur, avait refusé de désigner lui-même ces 20 personnes arguant de ce que le fichier du Service des Renseignements généraux se trouvait à la Préfecture de Nancy et de ce qu’il ne disposait pas lui-même des documents lui permettant de faire cette désignation. Je décidais de me mettre immédiatement en rapport avec les autorités de la Feldkommandantur de Nancy pour essayer de savoir les raisons qui motivent ce changement aux dispositions arrêtées la veille, d’accord avec elles.
Je demandais au Docteur Roller, Oberkriegssverwaltungsrat de la Feldkommandantur 591, de bien vouloir passer à mon bureau.Cet officier se présenta quelques instants plus tard. Il m’apprit :
1°) Que le Militärbefehlshaber en France avait décidé, à la suite de l’attentat d’Auboué, de faire fusiller une quinzaine d’otages pris parmi les condamnés à mort, aux travaux forcés ou à une peine de longue durée, actuellement détenus par ordre des autorités d’occupation.
2°) Que le Commandement suprême en France avait donné l’ordre au Bezirk de Dijon de faire arrêter, avant 4 heures le 7 février, 20 autres otages pris parmi les communistes ou sympathisants communistes d’Auboué.
Le Docteur Roller me précisa que ces 20 otages n’étaient pas, à sa connaissance, arrêtés pour être fusillés, mais pour être interrogés et fournir des renseignements sur l’attentat. Le but de cette seconde mesure était d’impressionner la population en vue de prévenir le retour de semblables attentats criminels. J’estimais qu’il était préférable d’indiquer à la Geheimfeldpolizei les noms d’un certain nombre d’individus connus pour leurs opinions communistes plutôt que de laisser la police allemande procéder à des arrestations purement arbitraires. J’ai transmis, vers une heure du matin, au Sous-Préfet de Briey, en présence de l’Oberkriegsverwaltungsrat Roller, une liste de 20 noms comportant 11 ressortissants italiens choisis parmi les ouvriers notoirement communistes d’Auboué et des localités avoisinantes.
(…) J’exprimais, par ailleurs, au Chef de l’Administration de la Feldkommandantur 591, mes craintes sur les conséquences qui pourraient résulter de l’arrestation massive d’otages sans rapport avec les auteurs de l’acte criminel. L’Officier allemand me répondit qu’il partageait mon avis mais qu’il ne pouvait qu’exécuter l’ordre de ses chefs.
J’ai appris, dans les premières heures de la matinée d’aujourd’hui, 7 février, que cette fois encore, les mesures d’exécution avaient été différentes de ce qui avait été convenu entre les autorités allemandes et moi-même.
Le Sous-Préfet de Briey m’a rendu compte que, sur les 20 sympathisants communistes dont les noms avaient été fournis, dans la nuit, à la police allemande, dix seulement avaient pu être trouvés à leur domicile ; les autres travaillent en Moselle depuis quelque temps ou se sont enfuis (3 au moins) quand ils ont appris les perquisitions.
L’Officier de la Geheimfeldpolizei qui avait procédé aux arrestations a décidé, pour compléter le chiffre de 20, d’appréhender, d’une part 6 ouvriers sympathisants communistes dont il indiqua lui-même les noms, et d’autre part, 4 notables du pays, à savoir : MM. Subit, premier adjoint au Maire d’Auboué ; Marconnet, cultivateur, conseiller municipal ; Gauthier, pharmacien ; Reygnier, instituteur.
Le Sous-Préfet protesta avec énergie contre cette mesure arbitraire et le policier allemand répondit qu’il ne voulait pas revenir sur sa décision et qu’il avait à compléter la liste de 20 noms.
J’ajoute que le même officier a donné l’ordre à la Gendarmerie française de procéder elle-même à l’arrestation d’une partie des otages. Le Colonel Roller m’avait appris, dans la nuit, à mon cabinet, que les 20 personnes arrêtées devaient être transférées aujourd’hui même à Nancy pour interrogatoire. Je n’ai pas encore eu de précision sur ce dernier point.
J’interviens aujourd’hui même auprès du Colonel Von Bock, Commandant de la Feldkommandantur 591, pour protester contre la façon de procéder de la Geheimfeldpolizei qui n’a tenu aucunement compte des dispositions arrêtées d’accord avec l’Oberkriegsverwaltungsrat. Je vais tenter d’obtenir, en premier lieu, la libération des 4 notables dont l’arrestation ne manquera pas de produire une très vive émotion dans la Région.
Par ailleurs, l’enquête à laquelle la 15e Brigade de Police mobile procédait pour rechercher les coupables de l’attentat se trouve en partie arrêtée par suite du transfert à Nancy de la plupart des individus susceptibles de donner des renseignements utiles. (…) ».
Le préfet de région écrit noir sur blanc qu’il transmet – en toute connaissance de cause – une liste d’« otages » aux Allemands ; pourtant, les informations transmises par les renseignements généraux ne se révélant pas à jour pour un tiers de ces hommes, quelle est la crédibilité, politique ou policière, du fichage des « suspects » ?
Un serviteur zélé de l’État français
Pour montrer jusqu’où va le dévouement de ce zélé serviteur de l’État Français, il convient de citer un extrait du rapport émis le 9 février par le préfet de Briey dans lequel celui-ci relate la conversation au cours de laquelle le Kreiskommandant lui a demandé « de lui donner sur-le-champ vingt noms d’habitants d’Auboué et des environs pour les arrêter, communistes ou non. Il verrait là une preuve de collaboration, parce qu’ainsi on ne commettrait pas d’erreur et parce que je devais connaître les personnes capables de faire du communisme ou du gaullisme ». Ainsi, l’officier allemand n’exige pas qu’on lui livre exclusivement des communistes…
Jean-Claude et Yves Magrinelli citent vingt-et-un noms d’hommes arrêtés au mois de février 1942. Ils les désignent comme les « otages déportés après les sabotage du transformateur d’Auboué… » bien que figure parmi eux un machiniste d’origine italienne mort au camp français d’Écrouves le 26 février 1942, tous les autres font effectivement partie des déportés le 6 juillet 1942. Cette liste pourrait être la simple transcription d’un document des archives départementales.
Pourtant d’autres documents de la préfecture indiquent bien que 75 personnes, arrêtées au cours du mois de février 1942 sont transférées comme otages au camp allemand de Compiègne.
« Les personnes (environ 75) arrêtées le mois dernier par les autorités d’occupation à la suite de l’attentat d’Auboué, ont été transférées au camp de Compiègne.Les autorités allemandes n’ont pas pu me donner d’information sur le sort qui leur est réservé. Cependant, il a été sursis à l’exécution des 20 otages qui devaient être fusillés le 10 mars. Le 14 mars, une supplique dont le texte a été diffusé par les directeurs d’établissement industriels a été signée par tout le personnel de ces établissements et transmise aux autorités allemandes. J’espère que le Haut Commandement allemand a renoncé à ces exécutions d’otages.Enfin, je viens d’être avisé qu’à la suite de l’intervention ultime faite par Monsieur le Maréchal PÉTAIN, Monsieur le Feldmarechal KEITEL venait de répondre que, devant la réprobation unanime manifestée par les ouvriers de la région de Briey contre l’attentat d’Auboué, le Führer avait décidé que l’exécution n’aurait pas lieu ».
Plus tard, dans son rapport du 1er novembre 1942, le préfet constate que les 75 otages emmenés à Compiègne en mars 1942 « … n’ont pas été libérés, bien qu’aucune charge n’ait été retenue contre eux. Ils ont, depuis lors, quitté Compiègne pour une destination inconnue.
Mes démarches en vue de connaître le nouveau lieu d’internement sont demeurées vaines. À des demandes de libération individuelle, j’ai reçu la réponse suivante : « Nous ne pouvons donner avis favorable à la libération de (X). (X) était précédemment communiste.
Il est prouvé que, suivant les ordres du comité exécutif du Komintern et les ordonnances du 6e Congrès mondial des dirigeants du Parti, les communistes sortis de prison sont invités à reprendre leur activité, même après leur libération.
Pour ces raisons, la libération d’un communiste ne peut pas être envisagée par mesure de sûreté ». D’autres recours en grâce sont donc inutiles. Dans certains cas, il ne s’agit pas de communistes mais de syndicalistes… ».
Il semble que ces personnes aient été transférées depuis la prison Charles III de Nancy vers le Frontstalag 122 de Royallieu à Compiègne vers les 5 et 6 mars 1942 : l’ont-elles été toutes ensemble ou y eut-il plusieurs convois ?
Quant à l’autre liste de vingt otages (une fois soustrait l’homme décédé à Écrouves) relevée par J.-Cl. et Y. Magrinelli, correspond-elle à la liste définitivement arrêtée de ceux qui auraient dû être fusillés le 10 mars si les auteurs du sabotage n’étaient pas découverts ?
Toutes les dates d’arrestation des futurs “45000” n’apparaissent pas à la lecture de cet ouvrage.
Arrestations des “45000” meurthois
Le préfet de Région prescrit « dès le 5 au matin, de nombreuses perquisitions dans les milieux suspects de la région d’Auboué [qui] avaient abouti à l’arrestation de 6 militants au domicile desquels des tracts avaient été découverts » (peut-être tous arrêtés au « café Schneider »…). Ces six personnes ont dû logiquement être déférées devant la justice française.
Mais Serge Schneider, 17 ans, fils de Joseph Schneider – qui doit être du nombre car la police allemande a saisi des tracts communistes dans sa chambre – fait pourtant partie des hommes envoyés à Compiègne avant d’en être extradé pour comparaître le 6 mai devant le Tribunal militaire d’Amiens où il est condamné à trois mois de prison. Après avoir purgé sa peine, il est renvoyé à Compiègne puis déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943.
À l’aube du 7 février, il y a l’arrestation des vingt otages. Dix ont été désignés par le préfet et six « communistes » l’ont été par l’officier allemand chargé des arrestations.
Quatre notables locaux sont nommés, mais l’on peut penser qu’une intervention politique a réussi à obtenir leur libération : ont-ils alors été remplacés ? Ces différentes listes existent-elles encore ? Combien de futurs “45000” sur chacune d’elles ?
À partir du 20 février 1942, une autre vague d’arrestations menées par la Feldgendarmerie semble résulter de la circulaire citée en début d’article et signée de Hans Speidel, officier attaché à Von Stulpnagel, chef des troupes d’occupation en France : il s’agit de compléter le contingent de 70 otages annoncé.
La note du préfet du 1er novembre mentionne 75 otages emmenés à Compiègne en mars 1942. Parmi eux, combien furent effectivement déportés le 6 juillet 1942 ?
Combien, restés au Frontstalag 122, sont partis plus tard ; comme – peut-être – Charles Harmand, né à Joeuf le 24 novembre 1893, déporté au KL Sachsenhausen (matr.59309) dans le convoi du 24 janvier 1943 ?
Nous ne disposons pas d’une liste définitive des transférés de mars 1942.
Des hommes déjà internés dans des camps français ou au Frontstalag 122 pouvaient être désignés comme otages en représailles d’une action de résistance commise ultérieurement dans leur département. Or, quatorze militants de Meurthe-et-Moselle ont été arrêtés entre le 22 et le 25 juin 1941 par les Allemands – parallèlement à l’invasion de l’Union soviétique – et rapidement transférés au Frontstalag 122, parmi lesquels : Louis Burtin, de Dombasle-sur-Meurthe, Clément Coudert, de Neuves-Maisons, Georges Grandemanche, de Saint-Nicolas-du-Port, et Charles Jung, d’Homécourt.
Au cours de ce même été 1941 et ensuite, police et gendarmerie française ont elles-mêmes arrêté et interné – notamment au camp d’Écrouves – des suspects d’activité communiste tel Lucien Pierson, de Frouard, qui y fut interné du 19 août au 3 septembre.
Fin janvier 1942, le sous-préfet de Briey préconise l’internement à Écrouves de Jean Pérot, d’Homécourt, suite à une distribution de tracts dans son secteur d’habitation.
Les futurs “45000” internés par l’administration française avant le 5 février 1942 ont-ils tous été libérés ou quelques-uns ont-ils été directement transférés à Compiègne ?
La question reste donc posée : parmi les soixante-quatre “45000” meurthois aujourd’hui recensés, lesquels ont été désignés en représailles du sabotage d’Auboué ? Et combien en étant arrêtés à la suite de celui-ci ?
Pierre Labate Article paru dans le bulletin de Mémoire Vive n° 38 de novembre 2009
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Attentat et répression en Côte d’Or
Une répression renforcée par la collaboration entre Vichy et l’occupant
Parmi les “45000”, on compte quatorze Côte-d’Oriens qui furent décimés dès les premiers mois de leur déportation : fin octobre 42, on ne comptait que deux survivants qui revinrent d’Auschwitz.
Un attentat à la bombe a lieu le 10 janvier 1942 vers 21 heures 40 au Soldatenheim (foyer des soldats allemands) place du théâtre à Dijon : trois engins sont projetés à travers les vitrines à quelques secondes d’intervalle. Deux bombes éclatent, ne provoquant que des bris de verres et de bouteilles. Il n’y aura pas de victime. Une de ces bombes était une bouteille chargée d’explosif. Celle qui n’a pas éclaté est analysée par les enquêteurs.
L’organisation de la répression
L’enquête débute dès le soir de l’attentat grâce à une étroite collaboration entre les services de police française (police spéciale, de sûreté, judiciaire), la brigade de gendarmerie et la Geheime Feldpolitzei (police secrète de la Wehrmacht), la Feldgendarmerie, les officiers de la Kreiskommandantur : des patrouilles mixtes parcourent la ville, six inspecteurs bloquent la gare, des barrages sont établis dans tout le département et aux abords de la ligne de démarcation (celle-ci passant à proximité du sud de la Côte d’Or).
Le lendemain, soixante gradés et agents français accompagnés d’autant de militaires allemands cernent le quartier et effectuent des perquisitions méthodiques dans tous les immeubles environnant les lieux de l’attentat, les bateaux circulant sur les canaux et la Saône sont visités. Des inspecteurs se rendent dans diverses usines pour déterminer si les matériaux constituant les bombes ont été fabriqués dans ces établissements. La recherche de suspects s’oriente d’abord en direction d’un individu chaussé de sabots, qu’un soldat allemand avait entendu courir le soir de l’attentat, et qui sera retrouvé dans un grenier du quartier. Puis les soupçons se portent sur les milieux communistes. L’emploi du temps de nombreuses personnes est vérifié. Pour aider à retrouver le(s) coupable(s), un appel à la population, est placardé dans toute la ville. Dès le 11 janvier, c’est le jeune communiste Lucien Dupont qui est recherché comme le principal suspect.
Une première vague d’arrestations
L’enquête établit que des pièces composant les bombes proviennent de l’usine Lipton (pièces de moteur, matériel d’injection Diesel). D’après le rapport du commissaire divisionnaire, le directeur fournit une liste de 26 ouvriers ayant « manifesté en plusieurs occasions leurs idées communistes ». Ils sont arrêtés le 11 janvier et gardés à la disposition des autorités d’occupation. Ils sont interrogés et des perquisitions ont lieu à leur domicile. Vingt-et-un sont remis en liberté le 18 janvier.
Serge Guillerme – “ex-affilié” au PC – reconnaît avoir soudé deux pièces et Pierre Dubost – jeune communiste – reconnaît avoir participé à la confection des bombes : ils sont maintenus en détention.
Julien Faradon, Henri Poillot et André Renard sont également maintenus en détention en raison de leur ex-affiliation au parti communiste.
Eugène Bonnardin, ex-syndiqué CGT, chef d’équipe à l’usine Lipton, arrêté le 11 janvier et libéré le 18 à 4 heures, reprend son travail. Il est de nouveau arrêté le 19 janvier à 11 heures par la police allemande et incarcéré. Il aurait été considéré comme responsable moral des évènements du 10 janvier, certains travaux liés à l’attentat ayant été exécutés par des jeunes ouvriers placés sous sa surveillance. Les futurs 45000 sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne en février 1942.
De plus un duplicateur destiné à l’impression de tracts a été trouvé lors de la perquisition effectuée chez P. Dubost , cet appareil lui ayant été fourni par un jeune communiste déjà emprisonné, Léon Soye : une autre enquête est donc menée en parallèle avec celle de l’attentat. Elle aboutit notamment à l’arrestation de quatre jeunes normaliens et d’un jeune instituteur et d’un jeune ébéniste.
- René Laforge, normalien, 19 ans
- René Romenteau, normalien, 20 ans
La police découvre au domicile de l’un des normaliens une documentation concernant la fabrication d’explosifs.
- Jean Schellnenberger, normalien, 19 ans
- Pierre Vieillard, normalien, 20 ans
Répression de l’activité clandestine communiste
Cette deuxième enquête établit des liens entre Lucien Dupont et une cellule communiste dijonnaise (dont plusieurs membres sont successivement arrêtés le 31décembre 41 et en janvier 42) qui sera finalement démantelée. Dans son rapport au commissaire divisionnaire en date du 26 janvier 1942, le commissaire de police judiciaire, J. Marsac, écrit : « l’arrestation de 16 membres de ce parti, et la désagrégation du groupe important dirigé par Dupont Lucien ainsi que la dissolution de la cellule « 1er mai » peut autoriser à penser que le parti communiste a reçu un coup très dur à Dijon et doit être partiellement désorganisé ».
Lucien Dupont, responsable des JC en Côte-d’Or, qui animait l’activité clandestine en lien avec ses camarades, notamment les jeunes normaliens, L. Soye et P. Dubost, avait échappé à une première arrestation en octobre 1941. Il était également responsable interrégional des FTP en 1942. D’après l’enquête, il aurait demandé à ses camarades leur participation à la fabrication des bombes, il est donc considéré comme l’auteur de l’attentat. Il était également soupçonné d’avoir tiré sur le lieutenant allemand Winicker le 28 décembre 1941 à Dijon en le blessant grièvement. Au terme d’une traque incessante, il est finalement arrêté à Pantin le 15 octobre 1942. Il sera accusé de plusieurs crimes commis en Côte-d’Or et en Saône-et-Loire.
- Lucien Dupont
À travers ces évènements, la collaboration entre Vichy et les autorités d’occupation apparaît de façon évidente, les services de police français et allemands ayant travaillé main dans la main, notamment par le moyen d’équipes mixtes. Par exemple, pour les perquisitions, « toutes les équipes ont été doublées à la demande des autorités d’occupation par deux gendarmes allemands ».
Cette affaire illustre également la politique de représailles systématique menée par l’occupant, qui, en l’occurrence, cible les milieux communistes (exécutions, déportations). Enfin, cet attentat sera également l’occasion d’intensifier la répression anticommuniste par de nombreuses arrestations ; répression à laquelle le commissaire de police judiciaire Jacques Marsac s’emploiera très activement en Côte-d’Or.
Evelyne Bouly, petite-fille d’Édouard Til (46147)
Sources :
Archives départementales de la Côte-d’Or, cote 1630 W, articles 168, 244 et 256.
DUPONT LAUTHELIER Christiane, Lucien Dupont, la trop courte vie d’un homme en résistance, éditée par l’Amicale des vétérans du PCF de la Côte-d’Or, 2008, plaquette de 183 pages.
Les quatorze “45000” de Côte-d’Or
Jean BOUSCAND, 49 ans, Paul CHARTON, 30 ans, Louis CHAUSSARD, 53 ans, Roger KINSBOURG, 52 ans, Gabriel LEJARD, 41 ans (rescapé), Jean MAHON, 37 ans, et Ernest REPIQUET, 46 ans : arrêtés au cours de l’ « Aktion Theoderich » faisant suite à l’attaque de l’Union Soviétique le 22 juin 1941.
Adrien BURGHARD, 45 ans, Roger JOSSELIN, 22 ans et Armand SAGLIER, 41 ans (rescapé) : arrêtés à diverses dates, en raison de leurs opinions et/ou activités communistes.
Julien FARADON, 30 ans, Henri POILLOT, 41 ans et André RENARD, 34 ans, ex-affiliés au PC, et Eugène BONNARDIN, 38 ans, ex-délégué CGT : arrêtés en janvier 1942 à la suite d’un attentat.
Fusillés ou déportés
Les quatre jeunes normaliens ainsi que Robert Creux, 21 ans, ébéniste, jeune communiste, seront fusillés à Dijon le 7 mars 1942, en représailles de cet attentat ainsi que d’autres commis en Saône-et-Loire.
Seront également fusillés à Dijon : Pierre Dubost, 18 ans, ouvrier chez Lipton, le 6 juillet 1942. Léon Soye, 24 ans, préparateur en pharmacie, le 1er août.
E. Bonnardin, J. Faradon, H. Poillot et A. Renard seront déportés le 6 juillet 1942. Ils ne reviendront pas d’Auschwitz.
- Julien Faradon
- Auschwitz, le 8 juillet 1942
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Lucien Dupont, 21 ans, sera fusillé au Mont Valérien le 26 février 1943.