Mendel KRONENFELD – 46290

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Moses, Mendel, Kronenfeld naît le 21 mars 1911 à Kutach (Pologne), ou à Kuty (Russie), fils de Bers Kronenfeld et d’Ester Zwiebach.

Quand il vient en France, sa mère, veuve, est domiciliée à Vijnita (Roumanie).

Il fait ses études à la faculté de Droit et de Sciences de Caen (Calvados – 14), mais devient chimiste.

Mendel Kronenfel est naturalisé français par décret le 21 août 1937.

À la fin du premier trimestre 1938, il est domicilié 45, rue Neuve Saint-Jean à Caen.

Le 29 mars de cette année à Caen, Mendel Kronenfel épouse Lucie Colombe Lia Brehon, une française catholique fille d’un retraité de la Marine, née le 18 septembre 1903 à Lion-sur-Mer (14), couturière, domiciliée au 100, rue Saint-Jean à Caen. Les témoins sont  deux ingénieurs : Abraham Erdreich, domicilié également 45, rue Neuve Saint-Jean, et Moritz Scharf, au mariage duquel Mendel Kronenfel a été lui-même témoin un an plus tôt.

Il semble que Mendel Kronenfel s’installe alors chez son épouse : au moment de son arrestation, il est domicilié au 100, rue Saint-Jean.

Il est mobilisé en 1939-40.

Le 27 février 1942, son nom figure sur une liste de 34 Juifs domiciliés dans la région du Calvados et de la Manche transmise par le SS-Hauptsturmführer Müller au SS-Obersturmführer Dannecker, à Paris. La note accompagnant cette liste précise qu’il est prévu d’arrêter 100 hommes juifs âgés entre 18 et 65 ans aux alentours de Caen afin de les interner, sans que la date d’arrestation ni le camp d’internement ne soient mentionnés.

Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, Mendel Kronenfeld est arrêté à son domicile par la police française : il figure comme Juif sur une liste d’arrestations demandées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) 

[1]. Le soir, il est conduit à la Maison centrale de la Maladrerie à Caen.

Caen, la maison centrale de la Maladrerie dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Caen, la maison centrale de la Maladrerie dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 3 mai, remis aux autorités d’occupation, il est emmené au “petit lycée” où sont rassemblés les otages du Calvados et où ils passent la nuit.

Le 4 mai, Mendel Kronenfeld fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandise de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le lendemain, 5 mai en soirée.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, Mendel Kronenfeld est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Mendel Kronenfeld est enregistré à Auschwitz sous le numéro 46304 ; les cinquante otages déportés comme Juifs ont reçu les matricules de 46267 à 46316 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le n° 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Mendel Kronenfeld est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

À une date inconnue, il est admis au Block 20 (maladies contagieuses) de l’hôpital [2].

Le Block 20 en 1962. © archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.

Le Block 20 en 1962. © archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.

Mendel Kronenfeld meurt à Auschwitz le 14 août 1942, d’après les registres du camp ; tué par une injection de phénol dans le cœur (« szpila »), cinq semaines après l’arrivée de son convoi.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 26-04-1995).

Le 26 août 1987, à Caen, suite aux démarches de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005). De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés
de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005).
De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

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Inscrit sur le Mur des noms…

Le nom de Mendel Kronenfeld est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au fort du Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

[2] L’hôpital d’Auschwitz : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB) : hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”. Mais les “31000” et Charlotte Delbo ont connu et utilisé le terme “Revier” : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient «  révir  », car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001 ; notice de Claudine Cardon-Hamet page 124.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 361 et 409.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004 ; liste page 137.
- Yves Lecouturier, Shoah en Normandie, 1940-1944, éditions Cheminements, Le-Coudray-Macouard (Maine-et-Loire), mai 2004, pages 115-118, p. 148, liste p. 246.
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, résultat obtenu avec le moteur de recherche : document Gestapo LXV-9a.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 1, page 120* (registre de la morgue relevé par la Résistance) ; tome 2, page 650 (20469/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 9-09-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Jan (Jean) KRECIOCH – 45706

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jan (Jean) Krecioch naît le 26 mai 1893 à Chocznia (Pologne), fils de Tomasz Krecioch et de Ludwida Styla. Il conservera la nationalité polonaise.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 184, rue Émile-Heurteau (aujourd’hui rue des Pommiers), « troisième rangée » de la cité ouvrière de la Petit-Fin, à Homécourt (Meurthe-et-Moselle – 54). Il est voisin de Wladyslaw Bigos, Jean Trzeciak, et Victor Ziemkiewicz.

Avec son épouse, Maria, ils ont six enfants.

Homécourt. Cité ouvrière de la Petite Fin et l’usine sidérurgique en arrière plan. Carte postale. Collection particulière. D.R.

Homécourt. Cité ouvrière de la Petite Fin et l’usine sidérurgique
en arrière plan. Carte postale. Collection particulière. D.R.

Jean Krecioch est mineur de fer au puits du Fond de la Noue à Homécourt.

Homécourt. Puit de mine du Fond de la Noue. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Homécourt. Puit de mine du Fond de la Noue. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 2 mars 1942, il est arrêté à son domicile par les « autorités allemandes ».

À la suite du sabotage du transformateur électrique de l’usine d’Auboué dans la nuit du 4 au 5 février ; action de résistance qui déclenche une vague d’arrestations dans le département (70, dont plusieurs dizaines de futurs “45000”), Jean Krecioch est désigné comme otage, probablement en tant que « nationaliste polonais » ; à vérifier…

À une date restant à préciser, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Krecioch est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45706 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jean Krecioch est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

À une date restant à préciser, il est admis au Block 20 (maladies contagieuses) de l’hôpital d’Auschwitz.

Il meurt à Auschwitz le 29 août 1942, d’après les registres du camp 

[1]. Ce jour-là, sous prétexte d’enrayer une épidémie de typhus dans le camp principal, le nouveau médecin SS de la garnison, Kurt Uhlenbroock, ordonne d’effectuer une sélection dans les Blocks de l’hôpital, notamment le Block 20. 746 détenus atteints du typhus et convalescents sélectionnés dans la cour fermée séparant les Blocks 20 et 21 sont chargés dans deux grands camions bâchés qui les transportent par rotation jusqu’aux chambres à gaz de Birkenau. Il s’agit de la première grande opération d’extermination des détenus malades. La désinfection du Block 20 dure dix jours ; du 29 août au 8 septembre, le registre du Block ne comporte aucune inscription.

Le nom de Jean Krecioch est inscrit sur le Monument aux morts d’Homécourt (son nom est orthographié « Kreciok »).

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 19-03-1995).

Des treize déportés “45000” de la commune, seul Jacques Jung est revenu.

Deux des ses fils sont partis vers l’Angleterre. L’aîné, Wladeck Kreciok, né en 1920, a servi sur le contre-torpilleur polonais « Orkan » (« Ouragan », précédemment HMS Myrmidon) qui escortait des convois maritimes entre l’Écosse et le port russe de Mourmansk). Torpillé par un sous-marin allemand le 8 octobre 1943 dans la Mer de Barents, le bateau a coulé en quelques minutes. Wladeck Kreciok a disparu en mer parmi 178 marins polonais et 20 marins anglais (44 survivants).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74, 127 et 128, 368 et 409.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 117.
- Raymond Falsetti, amicale des familles de déportés d’Homécourt (dossier de l’exposition de 2005, courrier 03-2009).
- Association Mémoire du Pays de l’Orne, bulletin Pagus Orniensis n° 10, page 27.
- Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle, Nancy, fiches du centre de séjour surveillé d’Écrouves (ordre 927 W) ; recherches de Daniel et Jean-Marie Dusselier.
- Auschwitz, camp de concentration et d’extermination (version française), ouvrage collectif sous la direction de Franciszek Piper et Teresa Swiebocka, éd. du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim 1993-1998, p. 175
- Auschwitz 1940-1945, Les problèmes fondamentaux de l’histoire du camp, ouvrage collectif sous la direction de Wacław Długoborski et Franciszek Piper, éd. du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim, version française 2011, volume II, pages 391 et 409-410.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 644.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de G à K (26 p 841), acte n° 25678/1942.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus, Biuro Informacji o Byłych Więźniach ; liste de la morgue (« Leihenshalle »).
- Site Mémorial GenWeb, relevé de Philippe Dezerville (01-2005), prénom orthographié « Jan ».

 

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 3-05-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France :

Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

S’agissant de Jean Krecioch, c’est le mois de juillet 1943 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

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Julius KRAEMER – 46289

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Julius Kraemer (ou Krämer) naît le 18 février 1897 à Nieder-Weisel, limitrophe de Buzbach, en Hesse (Allemagne).

À une date restant à préciser, il se marie avec Irma Schwartz, née le 5 mars 1904 à Nieder-Weisel. Ils ont un fils, Kurt, né le 3 septembre 1926 à Nieder-Weisel.

Sous l’occupation, la famille habite le petit village de Mesnil-Eudes, au sud de Lisieux (Calvados – 14), Julius Kramer se déclare comme agriculteur.

Le 1er mai 1942, il est arrêté à Lisieux, comme otage juif à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) 

[1] et conduit le 2 mai à la Maison centrale de la Maladrerie à Caen.

Caen, la maison centrale de la Maladrerie dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Caen, la maison centrale de la Maladrerie dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, remis aux autorités d’occupation, il est au “petit lycée” où sont rassemblés les otages du Calvados. Le soir même, il fait partie du groupe de détenus transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le lendemain, 5 mai, en soirée.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, Julius Krämer est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Julius Krämer est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46289 ; les cinquante otages déportés comme Juifs ont reçu les matricules de 46267 à 46316 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Julius Krämer est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. En effet, avant son décès, Julius Krämer y est admis au Block 20 (maladies contagieuses) de l’hôpital.

Il meurt à Auschwitz le 7 août 1942 – un mois après l’arrivée de son convoi – selon trois registres du camp.

Son épouse, Irma, et son fils Kurt, écolier, sont arrêtés comme Juifs le 14 juillet 1942 et déportés du camp de Pithiviers (Loiret) vers Auschwitz dans le convoi du 31 juillet 1942 (n° 13).Le 26 août 1987, à Caen, est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942, à la demande de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267).

Le nom de Julius Kraemer est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

Julius Kraemer est inscrit sur une des dalles, année 1942, du Mur des Noms au sein du Mémorial de la Shoah, au 17 rue Geoffroy-l’Asnier à Paris 4e.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005). De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés
de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005).
De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

Kraemer-Julius

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

Sources :

- Son nom (orthographié « KRAMER ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’associationMémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Claudine Cardon-Hamet page 126.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 362 et 409.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 136 et 138.
- Yves Lecouturier, Shoah en Normandie, 1940-1944, éditions Cheminements, , Le-Coudray-Macouard (Maine-et-Loire), mai 2004, pages 115-118, liste p. 245-246.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrits, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 636 (18676/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 3-08-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Jacob KIRSNER ou KIRZNER – (46288 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jacob Kirzner naît le 22 mai 1897 (ou 1899) à Zebludowa (Pologne).

À une date restant à préciser, il se marie avec Krejla ou Keyla Ruddt ou Rudzy, née le 7 juillet 1899 à Gródeck (Galicie orientale, alors dans l’empire d’Autriche-Hongrie). Ils ont sept enfants : d’abord Elka (Eliane), née le 26 décembre 1923, et Sarah, née le 26 février 1925, toutes deux à Grodeck. Puis la famille arrive en France : Eva, naît le 23 avril 1931 à Caen, comme Maurice, né le 19 juillet 1936, Odette, née le 23 août 1937, et les jumelles Annie et Lydia/Lucie, nées le 3 mars 1938.

En 1936, et jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 23, place Saint-Sauveur à Caen (Calvados). Jacob Kirzner et son épouse sont commerçants. En 1936, ils ont encore la nationalité polonaise ; cette-année-là, ils hébergent une domestique polonaise.

Le 27 février 1942, les noms de Jacob et Keijla Kirzner figurent sur une liste de 34 Juifs domiciliés dans la région du Calvados et de la Manche transmise par le SS-Hauptsturmführer Müller au SS-Obersturmführer Dannecker, à Paris. La note accompagnant cette liste précise qu’il est prévu d’arrêter 100 hommes juifs âgés entre 18 et 65 ans aux alentours de Caen afin de les interner, sans que la la date d’arrestation ni le camp d’internement ne soient mentionnés.

Début mai 1942, Jacob Kirzner est arrêté comme otage juif à la suite du déraillement d’un train de permissionnaires allemands à Moult-Argences (Airan) 

[1]. Le 4 ou le 9 mai au soir, il fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandises de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, Jacob Kirzner est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jacob Kirzner est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46288, selon les listes reconstituées, les cinquante otages déportés comme Juifs ayant reçu les matricules de 46267 à 46316 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jacob Kirzner.Il meurt à Auschwitz le 20 août 1942 [2], selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; un mois et demi après l’arrivée de son convoi.

Le 14 juillet 1942, ses deux filles aînées, Sarah et Elyane (Eliane) sont victimes d’une rafle visant dix Juifs du Calvados, dont sept femmes. Dès le lendemain, Krejla Kirzner écrit au préfet : « La plus jeune de mes filles est surtout de santé délicate. Étant mère des sept enfants, l’aînée m’aidait beaucoup dans les soins du ménage. ». Les jeunes filles sont déportées du camp de Pithiviers vers Auschwitz dans le convoi du 3 août 1942 (n° 14).

Le 17 octobre, la persécution antisémite frappe la mère et de ses cinq autres enfants, dont les deux plus jeunes n’ont de quatre ans, transférés le jour même avec une escorte de gendarmes français au camp de la Muette à Drancy (Seine-Saint-Denis). Déportés le 4 novembre 1942 à Auschwitz (convoi n° 40), tous sont immédiatement dirigés vers les chambres à gaz.

transportaquarelle

Le 26 août 1987, à Caen, suite aux démarches de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005). De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés
de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés
depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005).
De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

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Inscrit sur le Mur des noms.

Le nom de Jacob Kirzner est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au fort du Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

[2] La surmortalité des détenus juifs ayant intégré le complexe d’Auschwitz-Birkenau : Quarante jours après l’arrivée des “45000” – soit le 18 août 1942 au matin – sur les cinquante déportés juifs enregistrés comme tels dans le camp, 34 ont perdu la vie, soit 68 % de leur groupe. À la même date, les 142 déportés décédés appartenant aux autres catégories d’otages du convoi représentent 13 % de leur effectif. Cette disproportion statistique rend compte de la persécution antisémite interne au camp, notamment sous forme de violences ciblées perpétrées par des cadres détenus polonais ou allemands (kapos, sur les chantiers, chefs de Block).

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice de Claudine Cardon-Hamet page 124.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 145 et 146, 361 et 409.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004 ; liste page 137.
- Yves Lecouturier, Shoah en Normandie, 1940-1944, éditions Cheminements, Le-Coudray-Macouard (Maine-et-Loire), mai 2004, pages 115-118, 125, 130, 160, liste p. 245.
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, résultat obtenu avec le moteur de recherche : document Gestapo LXV-9a.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 569 (23171/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8-09-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Roger (Alexandre) KINSBOURG – 46287

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Roger Kinsbourg naît le 22 août 1890 à Remiremont (Vosges), d’Anatole Kinsbourg, 32 ans, docteur en médecine (dont le père est également médecin), et de Aline Weil, 24 ans, domiciliés au 24, place de l’Église.

Mobilisé pendant la guerre de 1914-1918, il est blessé à Verdun.

Le 24 juin 1920, il se marie une première fois à Strasbourg (Bas-Rhin).

Le 8 février 1933, à Spada (Meuse), il épouse Alice Weiss en secondes noces.

Il est « directeur particulier d’assurances ».

À des dates restant à préciser, il est élu maire-adjoint de Metz (Moselle) et désigné vice-président du Souvenir Français de la Moselle.

En 1938, il se réfugie à Chenove, au Sud de Dijon (Côte-d’Or – 21), ayant domicile au 7, rue Charles Poisot (les Allemands écrivent « Karl-Ponsot »).

Le 2 juillet 1941, il est arrêté à son domicile par la gestapo suite à une dénonciation d’origine indéterminée le qualifiant de communiste et d’israélite ; deux tracts communistes ainsi qu’un sabre sont trouvés au cours de la perquisition. Il est incarcéré le 2 juillet, en même temps que Paul Charton (45357). Le 3 juillet, son nom et son adresse figurent sur une liste de « militants communistes arrêtés, jusqu’à ce jour, par les autorités allemandes » établie par la 11e brigade régionale de Police judiciaire à destination du préfet.

Roger Kinsbourg est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le 20 août, Mme Kinsbourg, sa mère, ne sachant ce qu’il est devenu, écrit au Maréchal Pétain.

Le 25 août , le directeur de cabinet du Maréchal Pétain adresse un courrier au préfet de Côte-d’Or pour s’enquérir du sort de Roger Kinsbourg, sa famille étant sans nouvelles. En marge de ce courrier, le préfet annote en rouge qu’une enquête est prescrite et que l’intéressé est israélite.

Le 1er septembre, dans son rapport au commissaire principal de la 11e brigade régionale de la police judiciaire de Côte-d’Or, le commissaire de police rend compte que « Mr le Feldkommandant ayant été informé de ce que R. Kinsbourg se livrait à une activité communiste assez intense, fit effectuer une perquisition au cours de laquelle il fut découvert plusieurs tracts communistes qui motivèrent son arrestation immédiate et son internement à Compiègne. »

Le 3 septembre, le préfet communique ces renseignements au directeur de cabinet du maréchal Pétain et précise également qu’ayant eu des nouvelles de Roger Kinsbourg interné à Compiègne, celui-ci a un moral très bas. Le même jour, il s’adresse au Feldkommandant de Dijon, expliquant que Monsieur Kinsbourg, propriétaire à Chenove, n’a jamais eu d’activité communiste, qu’il aurait même combattu les partis politiques se réclamant des Internationales, qu’il remettait à la police française les tracts communistes qu’il recevait et qu’ « aucun fait précis et grave » n’a pu lui être imputé.

Le 15 septembre, le préfet régional reçoit de la part de l’Ambassadeur de France, Délégué Général du gouvernement Français dans les territoires occupés (de Brinon 

[1]), la copie d’une lettre de Madame Kinsbourg au Chef de l’État français pour solliciter la libération de son fils. Le 18 septembre, le préfet informe l’Ambassadeur des démarches déjà effectuées.

Le 26 janvier 1942, le préfet écrit à nouveau au Feldkommandant pour connaître la suite réservée à sa lettre du 3 septembre 1941.

Le 21 avril, de Brinon s’adresse à nouveau au Préfet pour demander des nouvelles, lequel répond une semaine plus tard qu’il ne lui a pas été possible d’obtenir une réponse des autorités allemandes.

Le 16 mai, le maire de Chenove sollicite auprès du préfet régional une intervention en vue de la libération de Roger Kinsbourg, affirmant que ce dernier « n’est pas communiste », qu’il « jouit de l’estime générale de la population de Chenove pour laquelle il a rendu de grands services dans la période difficile d’après juin 1940 » et que « son absence se fait sentir pour la bonne marche d’une exploitation de culture maraîchère d’un hectare environ ».

Le 26 mai, le préfet lui répond que toutes ses interventions sont restées vaines et qu’il ne renouvellera pas les démarches.

Entre fin avril et fin juin 1942, Roger Kinsbourg est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). D’après les listes reconstituées, il est considéré comme otage juif.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied  sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Les 14 déportés de Côte d’Or se regroupent dans le même wagon. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Roger Kinsbourg est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46287 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau. Roger Kinsbourg est affecté un moment à la sablière, aux côtés de Gabriel Lejard. Il dit à celui-ci : « Gaby, je suis perdu. Si tu rentres, indique bien à ma famille comment je suis mort. »Le 13 juillet, après l’appel du soir, Roger Kinsbourg est probablement dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Il meurt le 19 (ou le 27) juillet 1942, d’après les registres du camp.

Le 22 octobre 1942, dans un courrier à caractère urgent adressé au maire de Chenove, le préfet délégué de la Côte-d’Or demande de lui faire connaître si l’intéressé a été libéré et, dans la négative, de lui préciser quelles sont les personnes à charge, leur situation matérielle et son avis sur l’opportunité de leur attribuer une aide financière. Le maire répond que l’intéressé est toujours arrêté, mais que sa situation financière permet à sa famille de vivre honorablement pendant son absence.

Le nom de Roger Kinsbourg est inscrit sur le monument aux morts de Chenove.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 11-01-1995).

Son nom est inscrit sur le Mur des Noms du Mémorial de la Shoah.

Notes :

[1] (De) Brinon : ancien journaliste et “ultra” de la collaboration, Fernand (de) Brinon était Délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités militaires allemandes d’occupation. Quand des requêtes étaient formulées par les familles des détenus auprès de l’administration française, la Délégation générale les transmettait à la Commission d’armistice (bipartite), après enquête de la police ou de la gendarmerie pour s’assurer des conditions d’arrestation et de l’honorabilité du détenu. Une lettre était ensuite adressée aux familles sous couvert de l’organisme qui en avait fait la demande : elle leur annonçait que l’intervention avait eu lieu et leur faisait part de la réponse fournie par les autorités allemandes. Ainsi, un très grand nombre de fiches de la Délégation générale portent le nom de “45000” ; surtout après le départ du convoi, le 6 juillet 1942, et l’absence de nouvelles résultant de leur traitement “NN” à leur arrivée (cf. Kazimierz Smolen). La plupart de ces fiches se trouvent dans les dossiers d’état civil des déportés conservés au BAVCC (anciennement archives du secrétariat d’État aux Anciens Combattants).

Sources :

- Son nom (orthographié « KINSPOURG ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 65, 119 et 120, 356, 363 et 409.
- État civil de la mairie de Remiremont.
- Archives départementales de Côte-d’Or, cote 1630 W, articles 252 et 259, et cotes 6J61 à 62 : fiches individuelles des déportés de Côte-d’Or, don de Pierre Gounand, historien
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 567 (16807/1942).
- Dominique Simonnet, site internet Mémorial GenWeb, 2007.
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 03-05-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Louis KILLIAN – 45705

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Louis Killian naît le 24 février 1920 à Châlons-sur-Marne (Marne – 51).

Au moment de son arrestation, il est domicilié à Saint-Memmie (51) ; son adresse reste à préciser (au 76 Grande-Rue ?).

À des dates et pour un motif restant à préciser, il est arrêté puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Louis Killian est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45705 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Louis Killian.

Par deux fois, il passe devant le service de radiologie.

Il meurt à Auschwitz le 26 avril 1943, selon une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, et où est inscrit le matricule n° 45705 (ce local de regroupement temporaire des cadavres est situé au sous-sol du Block 28) Il est parmi les derniers “45000” à mourir avant la “quarantaine” qui offrira un répit aux survivants. Il a 23 ans.

Notes :

[1] Châlons-sur-Marne : la ville retrouve définitivement son toponyme médiéval de Châlons-en-Champagne le 29 décembre 1997.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 366 et 409.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach).

MÉMOIRE VIVE

( dernière mise à jour, le 26-11-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Albert KEYSER ou KAISER – (45704 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Albert Kaiser naît le 28 décembre 1900 à Paris 3e, fils d’Albert Auguste Kaiser, 21 ans, mouleur en cuivre, et de Valérie Rogier, 20 ans, employée, domiciliés ensemble au 98, rue du Temple ; le nouveau-né est présenté à l’état civil par son père. Pupille de l’Assistance publique de la Seine dès 1901, Albert Kaiser est hébergé par un couple d’agriculteurs au lieu dit la Berthaudrie à Morlac (Cher – 18) en 1906. En 1911, il y est rejoint par un autre enfant assisté. Puis il est placé à Vesdun.

Il commence à travailler comme charcutier.

Le 13 mars 1918, à Bourges, il s’engage volontairement dans la marine pour la durée de la guerre. Le jour même, il arrive au 3e dépôt des équipages de la Flotte à Lorient. Un an plus tard, le 8 mars 1919, il est renvoyé dans ses foyers sur sa demande, en attendant l’appel normal de sa classe. Le 25 avril 1921, il est rappelé sous les drapeaux au 148e régiment d’infanterie. Le 24 avril 1922, il est libéré du service actif, titulaire d’un certificat de bonne conduite, et se retire au 27, rue Benjamin-Constant à Saint-Amand-Montrond (18).

Après la guerre, il modifie l’orthographe de son patronyme – sans doute considéré comme trop proche du titre de l’ex-empereur d’Allemagne Guillaume II – et déclare se nommer « Keyser ».
Le 7 octobre 1922, à Saint-Amand-Montrond, il se marie avec Marie-Louise Burlaud, née le 7 mai 1898 à Braize (Allier). Ils auront trois enfants dont deux fils, Jacques, né le 7 mai 1923, et Robert, né en 1928, tous deux à Saint-Amand-Montrond. En 1926, Ils habitent au 6, rue du 14 juillet, et hébergent Louise Burlaud, née en 1902, ouvrière (chez Erlich ?).
Devenu ouvrier pelletier chez Chapal à Saint-Amand, Albert Keyser anime le syndicat local unitaire des Cuirs et Peaux. Son épouse Marie-Louise est gérante de coopérative.En 1924, Albert Keyser adhère au Parti communiste et devient trésorier du rayon communiste de Saint-Amand de 1925 à 1929. En 1930, il entre au bureau régional du Parti communiste.
Mais l’essentiel de son activité est consacré au syndicalisme. En mars 1930, quand P. Hervier – jugé trop modéré par les jeunes militants du Parti communiste – demande à être dégagé de ses responsabilités en raison de son âge, Keyser le remplace comme secrétaire général de la 17e Union régionale unitaire et applique la tactique « classe contre classe ».
En mai 1930, la grande grève de la céramique qui éclate est sa première expérience ; avec J. Picot et Charles Tillon, secrétaire de la Fédération unitaire de la céramique, il tente de politiser la grève et de dénoncer la collusion « flagrante entre les confédérés et l’aristocratie vierzonnaise ». Malgré quatre mois de lutte, cette grève est un échec et les confédérés en sortent renforcés. Keyser mène la lutte contre la minorité de la CGTU ; les dirigeants exclus les uns après les autres créent un syndicat autonome à Vierzon ou rejoignent la CGT.
En 1930, Albert Keyser vient avec sa famille habiter à Bourges, où est désigné comme permanent (« employé ») du syndicat unitaire à la Bourse du travail. En 1931, et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 19, rue Charlet, dans une petite maison basse adossée au ruisseau du Faux Pallouet.Au meeting du 12 février 1934 à Bourges, Keyser demande aux manifestants de siffler le représentant du Parti radical qui doit renoncer à prendre la parole (La Dépêche, 13 février 1934). Claude Jamet, professeur à Bourges, présente Albert Keyser comme le représentant de la “nouvelle génération” communiste, « tout d’une pièce, le regard franc, la conscience en paix, presque un scout, mais aussi peu “éloquent” que possible » (journal, à la date du 29 novembre 1934, p. 30).La CGT, très faible dans le Cher jusqu’en 1930, se renforce. Le congrès du 8 décembre 1935 permet de mesurer les progrès réalisés par les confédérés (congrès de réunification des Unions départementales). Les “unitaires” sont mis en minorité sur les trois principaux points de l’ordre du jour. La Bourse du Travail confédérée devient le siège de l’Union départementale. L’Union départementale n’a pas de secrétaire permanent, l’UD confédérée n’en a pas et Keyser, permanent unitaire, pourrait obtenir ce poste. Mais un militant investi « d’un mandat politique rétribué ne pourra faire partie de la commission administrative » : Keyser est là encore visé. Le bureau de l’UD comprend huit ex-confédérés pour quatre ex-unitaires. Pichon, instituteur et militant du groupe Jeune République est secrétaire, Amichot de la SFIO, secrétaire adjoint, Keyser n’est que secrétaire à la propagande.Sous le gouvernement du Front populaire, l’influence du Parti communiste se renforçant, l’UD a une direction collective avec trois secrétaires : Pichon, Amichot et Keyser qui redevient permanent.

Aux élections législatives de 1936, Keyser est candidat dans la circonscription d’Issoudun dans l’Indre, obtenant 14,7 % des suffrages des électeurs inscrits.

Le 28 août 1939, rappelé à l’activité par mesure de prémobilisation, il rejoint le dépôt d’infanterie n° 53. Le 7 décembre, il est affecté aux Forces aériennes terrestres, à la 202e batterie du 406e DCA. Le 27 février 1940, il est affecté au dépôt d’infanterie n° 421 à Romainville (Seine / Seine-Saint-Denis). Fin mai 1940 – avant la débâcle -, il est démobilisé en raison de sa situation familiale et peut rejoindre Bourges.

Il est alors embauché en qualité de conducteur de camion au service de nettoiement de la Société Berruya.

Albert Keyser devient un des dirigeants clandestins du PCF du Cher.

Le 15 décembre 1940, la police française opère une perquisition à son domicile, comme chez une dizaine d’autres militants du département.

Le 22 juin 1941, Albert Keyser est arrêté lors de la grande rafle des communistes du Cher

[1], qui sont rassemblés à la Maison d’arrêt de Bourges, puis internés quelques jours plus tard au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le 24 octobre suivant, la Feldkommandantur 668, à Bourges, transmet à l’état-major du chef du district militaire A, à Saint-Germain-en-Laye, une liste de 44 otages (Geiselnahme) dont certains viennent d’être arrêtés dans le Cher et internés à Royallieu. Albert Keyser est le 7e sur cette liste, et son fils Jacques – dont le patronyme est bien orthographié Kaiser – est le 37e.

Le 11 mai 1942, son épouse écrit au Préfet du Cher pour lui faire savoir que son mari « ne milite plus depuis 4 ans » et souligner ses problèmes de santé : « J’ai en charge deux enfants de 5 et 13 ans et de ce fait je suis dans l’impossibilité de travailler. L’absence de mon mari nous réduit à la misère ».

Entre fin avril et fin juin 1942, Albert Keyser est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Albert Keyser est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45704, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; au cours duquel Albert Keyser se déclare comme conducteur (Kraftwagenführer), et sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Albert Keyser.

Il meurt à Auschwitz le 2 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). La cause très probablement mensongère indiquée pour sa mort est « œdème pulmonaire avec arrêt du cœur » (Lungenöden bel Herzschwäche).

Son fils Jacques est également arrêté, puis déporté en Allemagne (on ne le trouve pas dans le Mémorial de la FMD…) ; après la guerre, il travaille comme employé à la SNIAS de Bourges et milite au Parti communiste.

Sa veuve, Marie-Louise, décède à Bourges le 9 février 1975. Son fils Jacques décède en avril 1975 (avant 52 ans).

Son nom est inscrit parmi 149 sur la plaque « Honneur à nos morts tombés pour que vive la France » apposée sur un mur extérieur sdu siège de la fédération du Cher de PCF à Bourges, 45, rue Théophile-Lamy.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès d’Albert Kaiser (J.O. du X-1994).

Notes :

[1] L’ “Aktion Theoderich :

L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre.

Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

 

Sources :

- Claude Pennetier, notice in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, CD-rom, version 1990-1997, citant : Arch. Dép. Cher, 25 M 127-128, 25 M 95-96 – Arch. Dép. Indre, 3 M 1424-1431 – L’Émancipateur – Le Syndiqué du Cher – Claude Jamet, Notre Front populaire, journal d’un militant 1934-1939 – S. Courtois, thèse, op. cit. ?, annexe n° 18.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 362 et 409.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registres des naissance du 3e arrondissement, année 1900 (VA4 8210) acte n° 1473 dressé le 30/12 (vue 31/31).
- Archives départementales du Cher, site internet, archives en ligne : registres matricules du recrutement militaire, bureau de Bourges, classe 1920, n°1-500 (2R 768), n° 298 (vue 351/592).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : courrier de la FK 668 du 24-10-1941 avec la liste de 44 otages (XLIV-66).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 564, son nom est orthographié « Keyser ».
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministère des anciens combattants et victimes de guerre par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de G à K (26 p 841), acte n° 26833/1942.
- site Memorial GenWeb, relevé n° 58355 de Claude Richard (07-2011).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 3-05-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Joseph KERMEN – 45703

Joseph Kermen en mai 1941. Collection P. Labate. Droits Réservés.

Joseph Kermen en mai 1941.
Collection P. Labate. Droits Réservés.

Joseph, Marie, Kermen naît le 22 juin 1908, au hameau de Ker An Bley (ou Ker Ar Blec’h), sur la commune de Bulat-Pestivien (Côtes-d’Armor 

[1] – 22), dans une famille de paysans modestes (sa mère, Brigitte Le Naour, ne parle que le Breton).

En décembre 1912, la famille s’installe au Peulven, une ferme à l’écart du village de Callac (22).

Lors de le Grande guerre, Joseph voit disparaître deux de ses frères aînés, Pierre et Théophile, et deux de ses beaux-frères, Yves Corrio et Guillaume Cazoulat, tués sur le front. Pierre, mobilisé au 411e régiment d’infanterie, tué le 6 janvier 1916, dans la tranchée de Posen, en Champagne. Théophile, mobilisé au 88e régiment d’infanterie, gazé, mort le 2 février 1917, à l’ambulance de Mourmelon-le-Petit.

Avec le benjamin de la famille – Yves – Joseph Kermen reçoit une formation de mécanicien. Tous deux sont envoyés dans le Pas-de-Calais (62) pour subvenir aux besoins d’une de leurs sœurs, Nathalie, dont le mari est mourant.Alors qu’il n’a même pas 16 ans, Joseph Kermen est embauché comme ajusteur par une usine de construction de machines à Béthune, puis par la Compagnie des mines de Bruay-en-Artois (62). Il s’initie à la musique dans une fanfare où il joue du cornet.

Il rencontre Jeanne Lefèvre, une fille des corons, elle-même orpheline d’un père, Olivier, tué sur le front le 11 janvier 1915. Un enfant est en route : ils se marient. Elle n’a que 15 ans (elle lui a menti sur son âge !). Leur fils Claude naît le 22 mars 1928.

En 1930, ils arrivent à Paris pour s’installer dans le 18e ; ils changeront plusieurs fois de domicile dans le même arrondissement. Enfin, ils accèdent à un appartement HBM dans l’immeuble à gradins conçu par Henry Sauvage au-dessus de la piscine de la rue des Amiraux (au n° 13).

Le 14 janvier 1931, embauché à la Société des transports en commun de la Région parisienne (STCRP), Joseph travaille finalement comme ajusteur aux ateliers de réparation d’autobus du dépôt des Poissonniers.

Bus Renault de 1936 photographié dans les années 1970. Carte postale. Collection P. Labate.

Bus Renault de 1936, à plateforme arrière, photographié dans les années 1970.
Carte postale. Collection P. Labate.

C’est un militant du Parti communiste et de la CGT.

 Le 30 août 1936, à la Fête de L’Humanité dans la clairière des Trente Marronniers à Garches.  Joseph Kermen est à droite, avec sa fille  Arlette. © Pierre Labate. Droits Réservés.

Le 30 août 1936, à la Fête de L’Humanité dans la clairière des Trente Marronniers à Garches.
Joseph Kermen est à droite, avec sa fille Arlette.
© Pierre Labate. Droits Réservés.

Le 15 février 1939, bien après la fin du gouvernement de Front populaire, il manifeste avec une cinquantaine de collègues dans la cour de son dépôt, puis dans la rue, en criant « Nos quarante heures » et « Augmentez nos salaires », ce qui lui vaut un jour de mise à pied.

Il a pour ami proche et collègue de travail Marius Defruit, natif du Pas-de-Calais et ayant son âge, qui entrera dans la clandestinité, sera arrêté aux abords du camp de Voves le 11 mai 1942 et mourra à Mauthausen le 4 mai 1945. Ensemble, ils font partie de l’Harmonie des travailleurs des transports de Paris.

1937 : Jeanne et Joseph Kermen avec leurs proches amis, “Nono” et Marius Defruit (à droite). Collection Pierre Labate. Droits Réservés.

1937 : Jeanne et Joseph Kermen avec leurs proches amis, “Nono” et Marius Defruit (à droite).
Collection Pierre Labate. Droits Réservés.

Au deuxième rang, au milieu de ses camarades de l’harmonie, son cornet à piston à la main. © Pierre Labate.

Au deuxième rang, au milieu de ses camarades de l’harmonie, son cornet à piston à la main.
© Pierre Labate.

Mobilisé en septembre 1939, Joseph Kermen est affecté à un régiment du “Train” (le train des équipages : transports routiers militaires).

Pendant la “drôle de guerre” (manœuvres ?) ; Joseph Kermen est le quatrième à partir de la gauche. Collection P. Labate. Droits Réservés.

Pendant la “drôle de guerre” (manœuvres ?) ; Joseph Kermen est le quatrième à partir de la gauche.
Collection P. Labate. Droits Réservés.

N’ayant pas été fait prisonnier, il peut reprendre son travail. Il est alors affecté à différents dépôts du Nord de Paris.

Il reprend l’action militante au sein du Parti communiste clandestin.

En avril 1941, il est mis sous surveillance par les brigades spéciales des renseignements généraux, après que des inspecteurs de Rennes, venus enquêter sur une distribution de tracts à Callac – où la famille se retrouve régulièrement à l’occasion des vacances – aient appris de la gendarmerie locale les fortes convictions politiques qui les animent, son frère et lui. Leur dossier commun est ouvert à Paris par les Renseignements généraux le 6 mai.

Les inspecteurs qui filent son frère Yves constatent que lui et Joseph « assistent tous les dimanches matins à des rendez-vous Boulevard Ornano, en compagnie d’un nommé Sandler (et d’) une dizaine d’individus », « il semble que ces réunions improvisées en plein air soient le rendez-vous de membres d’une cellule communiste reconstituée… ».

Le 7 mai 1941, anniversaire d’Arlette (7 ans) : cette partie de campagne familiale et amicale est probablement aussi une réunion clandestine de militants. Deuxième à partir de la gauche, Joseph, puis Marius Defruit et Claude Kermen. Collection P. Labate. Droits Réservés.

Le 7 mai 1941, anniversaire d’Arlette (7 ans) : cette partie de campagne familiale et amicale est probablement aussi une réunion clandestine de militants.
Deuxième à partir de la gauche, Joseph, puis Marius Defruit et Claude Kermen.
Collection P. Labate. Droits Réservés.

Les filatures et perquisitions dans le vestiaire d’atelier et au domicile de Joseph Kermen se révèlent infructueuses. Mais, en août 1941, il est dénoncé à deux reprises par un collègue de travail – d’abord dans une lettre anonyme, puis dans une confidence qui remonte au sein de l’encadrement de l’entreprise – pour avoir déposé des tracts intitulés La défense des travailleurs de la STCRP dans les autobus stationnant dans la cour du dépôt Clichy.

Le soir du 18 ou 19 novembre 1941, il est finalement arrêté chez lui au retour du travail, devant sa femme et ses deux enfants, Claude et Arlette, par des inspecteurs des Brigades spéciales et conduit au dépôt de la préfecture de police (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité).

Dès le lendemain, il est révoqué de son emploi à la STCRP. Deux jours plus tard, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif. Le document précise que Joseph Kermen « est astreint à résider dans l’Etablissement de Rouillé ». Cependant, pour un motif inconnu, il reste au dépôt comme interné pendant un mois et demi.

Le 3 janvier 1941, il fait partie d’un groupe de 50 détenus de la Seine – 38 internés politiques et 12 “indésirables” (droit commun) – transférés au “centre d’internement administratif” de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; ils sont conduits en car, sous escorte, jusqu’à la gare d’Austerlitz où les attend un wagon de voyageurs réservé (10 compartiments) : départ 7h55, arrivée 18h51.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 16 janvier, Joseph Kermen est nommé vaguemestre du camp de Rouillé, avec un service de quinze jours durant lequel il est responsable de la distribution quotidienne des colis et des lettres « à 600 gars ». En dehors de ses périodes de service, il suit les cours dispensés par le comité des détenus.

Le 7 avril, une note de la G.F.F. Sonderkommando signale que Joseph Kermen va tenter « une évasion pour se joindre aux terroristes de Paris ». Le commandant du camp est informé par téléphone et prié « d’exercer une surveillance spéciale ».

Son frère, Yves Kermen (avec qui il était resté en contact jusqu’à son arrestation), responsable d’un groupe de combat des Bataillons de la jeunesse, est condamné à mort au procès de la Maison de la Chimie et fusillé au Mont-Valérien le 17 avril 1942. L’épouse de celui-ci, Jeanne, née Lebars, est internée administrativement dans différents camps à partir de juin 1942.

Le 3 mai, Joseph Kermen reçoit une visite de sa propre épouse, Jeanne (Lefevre). Mais « voilà trois semaines, on pouvait encore passer sept heures avec les siens quand ils venaient vous voir ; (alors) que maintenant on est séparé par deux grillages à une distance d’au moins un mètre. (…) c’est plutôt un supplice. » Il ne semble pas que celle-ci lui annonce la mort de son frère. Mais il apprend néanmoins celle-ci à Rouillé et en est profondément affecté.

Le 22 mai 1942, Joseph Kermen fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule 5932, il est assigné au bâtiment C5, chambrée 3.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Joseph Kermen laisse tomber du convoi un message (perdu depuis) qui sera acheminé jusqu’à sa famille. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif. Selon Fernand Devaux, Joseph souffre déjà de dysenterie.

Le 8 juillet 1942, Joseph Kermen est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45703 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Joseph Kermen est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Il est assigné au Block 17a.

Deux jours plus tard, le 15 juillet, toujours malade, Joseph Kermen est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I, en même temps qu’Hippolyte Perreau.

Il meurt dans ce Block le 17 juillet 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi le 23 juillet par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; la cause déclarée est une « entérite suite à une faiblesse corporelle générale » (Darmkatarrh bei Körperschwäche). L’état civil français a enregistré son décès à la date du 12 juillet (probablement une erreur de transcription ; voir sources).

Sa mère, Brigitte, décède le 7 décembre sans que ses proches l’aient informée du sort de ses deux fils : fusillade pour Yves et déportation pour Joseph.

À une date restant à préciser, sa famille apprend par la Croix-Rouge que Joseph Kermen a été déporté à Auschwitz. Le 1er février 1945, sa sœur Yvonne, ayant appris deux jours plus tôt par la radio la libération du camp, adresse une demande de renseignements au « ministre des prisonniers et déportés ».

La femme et les enfants de Joseph Kermen, qui espèrent toujours son retour, vont guetter l’arrivée des déportés à la gare de l’Est.

La gare de l’Est à Paris, point d’arrivée de nombreux rapatriés d’Allemagne, dont des déportés rescapés. Des familles y ont guetté en vain le retour de leur proche. Carte postale d’après guerre. Collection Mémoire Vive.

La gare de l’Est à Paris, point d’arrivée de nombreux rapatriés d’Allemagne, dont des déportés rescapés.
Des familles y ont guetté en vain le retour de leur proche.
Carte postale d’après guerre. Collection Mémoire Vive.

Ils ne connaîtront son sort qu’après le retour de certains “45000”, dont Fernand Devaux, à une date qui reste à préciser.

Le 8 mai 1946, une cérémonie est organisée pour dévoiler une plaque apposée à l’extérieur de l’entrée du dépôt d’hydrocarbures du 59 avenue Michelet à Saint-Ouen (93) sous le sigle de la CMP (Chemin de fer Métropolitain de Paris) [2] ; devenu Unité opérationnelle véhicules auxiliaires, entité véhicules de service (2025). Le nom de Joseph Kermen y figure – au titre du dépôt des Poissonniers – parmi les 32 agents des quatre dépôts d’autobus Michelet, Épinay, Gonesse et Poissonniers : « À nos camarades morts pour la France, victimes de la barbarie nazie 1939-1945 ». On y trouve également son ami Marius Defruit, Joseph Biffe (45246) et Gaston Gaudy (45579).

Les noms de Joseph Kermen et Marius Defruit sont également inscrits sur la plaque commémorative de l’Atelier central du réseau routier de la rue Championnet (Paris 18e) dédiée aux agents de l’atelier central et de l’ex-dépôt des Poissonniers morts pour la France au cours des deux guerres mondiales.

Plaque commémorative de l’Atelier central de la rue Championnet (novembre 1997). Photo P. Labate. Droits Réservés.

Plaque commémorative de l’Atelier central de la rue Championnet (novembre 1997).
Photo P. Labate. Droits Réservés.

Au même endroit… Photo P. Labate. Droits réservés.

Au même endroit…
Photo P. Labate. Droits réservés.

En 1953, la Fédération des anciens combattants et victimes de guerre de la RATP, puis en janvier 1970, l’association fraternelle des déportés, internés et familles de disparus de la RATP, tentent en vain d’obtenir que les noms d’agents victimes de l’occupation – dont ceux de Marius Defruit et Joseph Kermen – soient donnés aux rues intérieures de l’atelier central.

Ses enfants, Claude et Arlette, sont déclarés “Pupilles de la Nation” en février 1948. Claude est embauché à la RATP, et travaillera à l’Atelier central de Championnet.

Joseph Kermen est homologué comme “Déporté politique” en 1955.

À une date restant à préciser le conseil municipal de Callac dénomme rue des Quatre frères Kermen, morts pour la France, un ancien chemin menant à la ferme familiale.

Maxime et Ulysse Labate, arrières-petits-fils de Joseph, à Callac en 1997. Photo P. Labate.

Maxime et Ulysse Labate, arrières-petits-fils de Joseph,
à Callac en 1997. Photo P. Labate.

Ulysse Labate, de passage en mai 1922. Photo Morgane.

Ulysse Labate, de passage en mai 2022.
Photo Morgane.

Par arrêté du ministre des anciens combattants et victimes de guerre en date du 10 novembre 1994, il est décidé d’apposer la mention « Mort en déportation » sur l’acte de décès de Joseph Kermen (J.O. n° 9 du 11 janvier 1995, page 517).

Notes :

[1] Côtes-d’Armor : département dénommé “Côtes-du-Nord” jusqu’en février 1990.

[2] STCRP-CMP-RATP : Le 1er janvier 1942, le Conseil des Transports Parisiens, émanation du gouvernement de Vichy, impose la gestion par la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (CMP) du réseau de surface – les bus – précédemment exploité par la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP), fusion de fait d’entreprises privées qui prélude la gestion des transports parisiens par un exploitant unique.

La loi du 21 mars 1948 crée l’Office Régional des Transports Parisiens, nouvelle autorité de tutelle du réseau, et la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP), établissement public à caractère industriel et commercial, qui se voit chargée de l’exploitation des réseaux de transport publics souterrains et de surface de Paris et de sa banlieue. (source Wikipedia)

Sources :

– Son nom (orthographié « KESMEN ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60 ; la date indiquée pour son décès est le 12 juillet 1942 (peut-être une erreur de transcription…).
V Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 90, 373 et 409
V Archives de la RATP : dossier administratif individuel.
V Archives familiales (lettres, photographies…).
V Lettre de Maurice Huon à Yvonne, sœur de Joseph, relatant le témoignage de Fernand Devaux (27 août 1946).
V Concernant sa vie jusqu’à son arrestation : témoignages de différents membres de sa famille de Bretagne et de sa belle-famille du Pas-de-Calais (1997).
V Concernant son arrestation : témoignages écrit de sa fille Arlette et oral de Honorine Defruit, veuve de Marius Defruit.
V Archives de la Préfecture de police (Seine / Paris) : occupation allemande – camps d’internement… (BA 2374) ; dossier individuel des RG.
V Archives départementales de la Vienne (AD 86) : camp de Rouillé (109W75).
V Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 106.
V Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, page 283.
V Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : fichier central, dossier individuel.
V Service International de Recherches (ITS) de la Croix-Rouge, Bad Arolsen, Allemagne.
V Jean-Marie Dubois, Malka Marcovich, Les bus de la honte, éditions Tallandier, 2016, pages 144, 145, 146 et 189.
V Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), registre des entrées-sorties du Block 20, page 029-262.
V Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 562 (n° 15573/1942).
V Noël Gérôme, Le Deuil en hommage, monuments et plaques commémoratives de la RATP, Creaphis 1995, pages 16, 24-25, 27, 50-53, 122-115.

Pierre Labate et MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 27-03-2025)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Joseph KERHERVÉ – 45702

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Joseph Kerhervé naît le 6 juin 1904 à Lohuec (Côtes-du-Nord / Côtes-d’Armor 

[1]), de François Kerhervé, 38 ans, laboureur, et de Maria Jaouen, son épouse, 32 ans.

Le 10 mai 1929 à Plourach, il épouse Marie Lachater. Ils n’ont pas d’enfant.

Au moment de son arrestation, Joseph Kerhervé est domicilié au 80, rue d’Amiens à Pierrefitte-sur-Seine [2] (Seine / Seine-Saint-Denis).

Dans les années 1930, il travaille comme “journalier” à l’Usine à gaz de Paris, située au Landy, à Saint-Denis [2].

Militant communiste et syndical, il est secrétaire du groupe syndical du Landy.

En mai 1938, il est membre du conseil d’administration du syndicat CGT du Gaz de Paris (section ouvriers).

Au début de l’occupation, il est l’un des responsables du syndicat clandestin de l’usine du Landy.

Le 16 avril 1941 (mandat de dépôt), Joseph Kerhervé est arrêté pour avoir distribué des tracts à Sarcelles au mois de février précédent et réalisé des collectes en faveur des communistes victimes de la répression allemande et vichyste. Il est d’abord écroué à la Maison d’arrêt de Pontoise.

Le 28 mai 1941, le Tribunal correctionnel de Pontoise le condamne à huit mois de prison et 50 francs d’amende, mais il fait appel. Le 2 juillet, il est transféré à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e) et le 4 juillet à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne).

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 28 juillet, la 10e chambre de la Cour d’appel de Paris confirme la sentence.

À l’expiration de sa peine, Joseph Kerhervé n’est pas libéré, mais interné administrativement : le 16 octobre 1941, il est conduit au dépôt de la Préfecture de police de Paris (sous-sol de la Conciergerie, au 3, quai de l’Horloge sur l’île de la Cité). Le 10 novembre, il fait partie d’un groupe de 58 militants communistes transféré au « centre de séjour surveillé » (CSS) de Rouillé (Vienne).

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

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Le 22 mai 1942, Joseph Kerhervé fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Il suit notamment les cours de français et de mathématiques dispensés par l’organisation des détenus.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Joseph Kerhervé est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Joseph Kerhervé jette un message depuis son wagon. Il y écrit son espérance que lui et ses compagnons sont envoyés travailler en Allemagne en échange de la libération de prisonniers de guerre (comme s’ils étaient déportés dans le cadre de “la relève”).

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Joseph Kerhervé est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45702 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Joseph Kerhervé est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Joseph Kerhervé meurt à l’ “hôpital” des détenus d’Auschwitz-I (Block 21a) le 15 août 1942, selon plusieurs registres tenus par l’administration SS du camp.

Le 1er octobre 1945, un représentant de la FNDIRP écrit à son épouse que l’Amicale d’Auschwitz lui a transmis le témoignage de deux rescapés, Lucien Tourte, de Maisons-Alfort et un dénommé Guingnau (Georges Guinchan ?), de Paris 13e, attestant du décès de Joseph Kerhervé.

Celui-ci est homologué comme sergent dans la Résistance intérieure au titre du Front national [3].

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Pierrefitte-sur-Seine, situé dans le cimetière communal.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 9-12-1994).

Notes :

[1] Côtes-d’Armor : département dénommé “Côtes-du-Nord” jusqu’en février 1990.

[2] Pierrefitte-sur-Seine et Saint-Denis  : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

Sources :

- Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 31, page 360 (archives de la fédération CGT de l’Énergie, Le Gazier de Paris, mai-juin 38, avril 1946. Notes de G. Gaudy).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 385 et 409.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : FNDIRP Sarcelles et Pierrefitte, 6/11/1989.
- Archives départementales des Côtes-d’Armor, archives en ligne, état civil de Lohuec, registre des naissances de l’année 1904, acte n°14 (vue 8/43).
- Archives Départementales du Val-de-Marne, dossiers individuels des détenus “sortants” du 16 au 30 octobre 1941, cote 511w24 : (extrait de registres d’écrou ; extrait des minutes du greffe de la Cour d’appel, lettre du directeur de la Santé).
- Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” : BA 2374 (camps d’internement…).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : liste XLI-42 (n°105).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre d’appel avec la liste des détenus décédés (Verstorben Häftlinge) ; registre de la morgue relevé par la Résistance (matr. 45702).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 1, page 120* ; tome 2, page 562 (20906/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 93-Pierrefitte-sur-Seine, relevé d’Alain Claudeville (10-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 25-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Aron KATZ – 46286

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Aron Katz, né le 14 juillet 1910 à Ankara (Turquie)

Au moment de son arrestation, il est peut-être domicilié au 21, rue de la Villette à Paris 19e.

Le 6 mars 1941, les services de police français effectuent une perquisition infructueuse au domicile d’un suspect communiste portant ce nom (à vérifier…). Après son arrestation, il donne comme adresse Jérusalem, là où probablement réside sa famille.

À des dates et pour un motif restant à préciser – très probablement comme otage juif -, il est arrêté puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). Il est sur la liste (reconstituée) des hommes déportés comme otages juifs.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Aron Katz est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46286 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Aron Katz.

Il meurt à Auschwitz le 31 juillet 1942, selon plusieurs registres tenus par l’administration SS du camp ; trois semaines après l’arrivée de son convoi.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005). De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés
de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005).
De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

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Gravé sur le Mur des noms.

Sources :

- Son nom (prénom orthographié « Saron ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, page 408.
- Archives de la préfecture de police de Paris, carton “Parti communiste” BA 2447 (dissolution du PC).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 554 (17755/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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