Louis LAURENT – 45733

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Louis Eugène François Marie Laurent naît le 9 mai 1912 à Ploufragan, commune limitrophe de Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord / Côtes-d’Armor), fils de François Laurent, 31 ans, jardinier, et de Virginie Bellec, 25 ans, son épouse, domiciliés au lieu-dit Courtchamp. À sa naissance, Louis a déjà une sœur, Marie, née le 6 octobre 1908, et un frère, François, né le 2 février 1911.

Le 20 août 1914, rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale, leur père rejoint le 247e régiment d’Infanterie, partant “en campagne” huit jours plus tard. Le 14 octobre 1915, il est nommé caporal. Le 2 septembre 1916, il est cité à l’ordre de son régiment : « Excellent caporal, dévoué et très brave. S’est parfaitement conduit dans les journées du 28, 29 et 30 juin 1916, en assurant, malgré un violent bombardement, son service d’agent de liaison près de son chef de bataillon ». Il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze. Le 16 août 1917, il est tué à l’ennemi à Bézonvaux (Meuse), “mort pour la France”. Le 20 novembre suivant, sa veuve reçoit un secours de 150 francs.

Le 6 mai 1919, Louis Laurent est adopté par la Nation (“pupille”) par jugement du Tribunal civil de Saint-Brieuc.

Le 12 novembre 1920 à Saint-Brieuc, leur mère, Virginie (32 ans), se remarie avec François Marie Le Mevel, 23 ans, ajusteur aux Chemins de fer de l’État, domicilié au 2 place d’Orléans à Saint-Brieuc ; elle vit déjà à cette adresse.

Changeant d’affectation au cours de l’été 1927, François Le Mevel vient s’installer dans la proche banlieue sud de Paris. En 1937, il se déclarera comme électeur domicilié au 196 avenue de Paris à Chatillon (Seine / Hauts-de-Seine – 92).

Au printemps 1936, Louis Laurent habite au 173 route de Montrouge à Malakoff (92).

Tourneur sur métaux, il travaille de manière irrégulière et pointe à plusieurs reprises au chômage.

À partir de 1937, il vit maritalement avec mademoiselle Catherine Marie G.

Du 27 juin au 11 juillet 1939, il travaille aux Établissements Edmond Ragonot (moteurs électriques), 13 route de Montrouge à Malakoff, puis du 26 juillet au 11 septembre, à la Compagnie Alsthom, 363 rue Lecourbe (Paris 15e).

Peu après, Louis Laurent est rappelé au 44e bataillon de chasseurs, restant « neuf mois dans les premières lignes et aux avant-postes », peut-être blessé.

Du 20 novembre au au 18 décembre 1940, il est employé par l’entreprise électrique C.G.L., au 100 rue de la Convention (Paris 15e).

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 59 avenue Pierre Larousse à Malakoff.

Le 17 janvier 1941, Louis Laurent est arrêté par la police française (des agents du commissariat de police de la circonscription de Vanves ?) alors qu’il participe à une manifestation devant la mairie de Malakoff « ayant pour but de réclamer une augmentation de la ration de charbon ». « Une perquisition effectuée à son domicile, à cette époque » (sic), amène la découverte du tract communiste Peuple de France, un appel signé de Maurice Thorez et Jacques Duclos, dont il dira « qu’on

[lui] avait glissé au-dessous de [sa] porte », et un exemplaire clandestin de La Tribune des Cheminots de décembre 1940. Inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939, Louis Laurent est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e) sous mandat de dépôt. « Trois semaines après », le parquet de la Seine déciderait sa mise en liberté provisoire (?). Mais celle-ci n’advient pas.

Le 9 février 1941, le nom de Louis Laurent est inscrit sur une liste de douze militants de la Seine déjà appréhendés qui sont placés en internement administratif par le préfet de police en application du décret du 18 novembre 1939 et « astreints à résider dans l’établissement de Clairvaux (Aube) », en l’occurrence dans un quartier réservé de la Maison centrale ; huit de ces internés seront déportés avec lui. Louis Laurent y est enregistré sous le matricule n° 222.

Clairvaux. La Maison centrale après-guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Clairvaux. La Maison centrale après-guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 30 mars suivant, il écrit au ministre de l’Intérieur pour solliciter sa libération effective.

Le 18 juillet, après avoir questionné le commissariat de police de Vanves qui le présente « comme un militant communiste provocateur, ayant une morale suspecte… », les services de la préfecture concluent en répondant au ministère : « La libération de Laurent ne saurait être envisagée actuellement. »

Le 26 septembre 1941, il est parmi les cinquante détenus administratifs de Clairvaux transférés au camp de Gaillon (Eure), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle.

Le château de Gaillon, au-dessus du village. Les internés sont assignés au pavillon Colbert, le grand bâtiment isolé à droite (lequel a perdu sa toiture après la guerre) Carte postale des années 1950.  Collection Mémoire Vive.

Le château de Gaillon, au-dessus du village.
Les internés sont assignés au pavillon Colbert, le grand bâtiment isolé à droite (lequel a perdu sa toiture après la guerre)
Carte postale des années 1950. Collection Mémoire Vive.

Le 5 mars 1942, Louis Laurent fait partie d’un groupe de seize internés transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central dont l’ombre se profile sur le sol. Le renfoncement à droite dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central dont l’ombre se profile sur le sol.
Le renfoncement à droite dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Entre fin avril et fin juin 1942, Louis Laurent est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, il est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45733 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Louis Laurent est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

En effet, à une date restant à préciser, il est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I.

Louis Laurent meurt à Auschwitz le 18 décembre 1942, d’après un registre du camp (à vérifier…) ; son prénom est germanisé en « Ludwig ».

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 370 et 410.
- Conseil départemental des Côtes-d’Armor, site internet, archives en ligne : registres des naissance de Ploufragan, année 1897, acte n° 16 (vue 82/199), année 1912, acte n° 27 (vue 16/35) ; registre de recensement de population année 1911 (vue 72/90) ; registres matricules du recrutement militaire, bureau de recrutement de Saint-Brieuc, classe 1900, matricule n° 1450 (vue 621/709) ; registre des mariages de Saint-Brieuc, année 1920, acte n° 24 (vue 25/190).
- Conseil départemental des Hauts-de-Seine, site internet, archives en ligne : registre de recensement de population de Malakoff, année 1936 (vue 84/236).
- Archives de Paris, site internet : liste électorale de 1938 (D4M2 509).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel au cabinet du préfet de police (1 W 734-27519).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, site internet (en anglais), moteur de recherche des détenus.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 19-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

 

Antoine LAURENT – 45732

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Antoine, Paul, Camille, LAURENT naît le 15 décembre 1902 à Charmes (Vosges), fils d’Arthur Laurent, 26 ans, chauffeur, et de Marie Pauly, son épouse, 19 ans, domiciliés faubourg de Nancy.

Au moment de son arrestation, il est domicilié à l’École normale de Commercy

[1] (Meuse). Il est jardinier.

Commercy. L’École Normale avec le Monument aux instituteurs.  Carte postale des années 1920. Collection Mémoire Vive.

Commercy. Cour de l’’École Normale donnant sur le rue, avec le Monument aux instituteurs.
Carte postale des années 1920. Collection Mémoire Vive.

En 1923, Antoine Laurent adhère au Parti communiste et devient secrétaire de la section communiste de Commercy.

En 1937, il est candidat aux élections cantonales dans sa commune. Le 5 décembre de la même année, il est élu membre du comité régional communiste.

Antoine Laurent est arrêté entre le 22 et le 24 juin 1941, probablement dans le cadre de l’Aktion Theoderich [2], et interné dans les jours suivants au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Dans un wagon, les détenus de la Meuse se sont rassemblés autour de Charles Dugny. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Antoine Laurent est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45732 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Antoine Laurent est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est assigné au Block 16 avec d’autres “45000”.

Antoine Laurent meurt à Auschwitz le 12 avril 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). Il aura tenu neuf mois…

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Commercy, place de la République.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. 4-01-1994).

Notes :

[1] L’École normale de Commercy a été installée en 1854 dans les bâtiments datant du milieu du XVIIIe siècle de l’ancien prieuré de Notre-Dame-de-Breuil.

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 369 et 409.
- Notice in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, CD-rom, version 1990-1997, citant : Arch. Dép. Meurthe-et-Moselle – La Voix de l’Est, 25 septembre 1937.
-Archives départementales des Vosges, archives en ligne :état civil de Charmes, registre des naissances de l’année 1902, acte 79 (10NUM81618/4E92/25, vue 19/25).
- Archives départementales de la Côte-d’Or, Dijon (1630, article 252).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) : registre du Block 16.
- Site Mémorial GenWeb, 54-Commercy, relevé de Gérard Clément (2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 3-08-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Constant LAUNAY – 45731

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Constant, Marie, Joseph, Launay naît le 17 janvier 1898 à Guipry (Ille-et-Vilaine – 35), chez ses parents, Sébastien Launay, 34 ans, cultivateur, et Anne-Marie Rigaud, son épouse, 30 ans, cultivatrice, venus de Guéméné-Penfao, en Loire-Atlantique, pour habiter la ferme de la Corvaiserie (ils seront décédés en 1920). Constant à trois sœurs, Marie, Octavie, Jeanne et Françoise, et deux frères, Émile (né le 21 août 1893) et Sébastien (né le 3 janvier 1895).

De 1913 à 1917, Constant Launay est employé comme ouvrier agricole. Pendant un temps, il est domicilié à Saint-Ganton, près de Pipriac (35) ; chez un tuteur ?

La guerre est déclarée début août 1914. Le 15 octobre 1915, à la côte 193, en Champagne, son frère Émile – incorporé fin novembre 1913 comme dragon de 2e classe au 22e régiment de dragons – est  grièvement blessé au bras gauche par un éclat d’obus ; il en restera handicapé. Le 20 septembre 1916, son frère Sébastien, soldat de 2e classe au 94e R.I., est tué à l’ennemi devant Rancourt (Somme).

Le 2 mai 1917, Constant Launay est incorporé comme soldat de 2e classe au 70e régiment d’infanterie. Le 12 juin suivant, il passe au 118e R.I. Le 18 décembre, il part au front avec son unité. La 18 octobre 1918

[date à vérifier…], touché par les gaz de combat, il n’est pas évacué. Le 8 décembre, il est cité à l’ordre du régiment : « Intoxiqué assez fortement par un obus à gaz, est resté à sa pièce [probablement une mitrailleuse] et a continué d’en assurer le service, malgré la gêne produite par son intoxication ». Pour cette action, il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze.

La Croix de guerre 1914-1918 avec étoile de bronze. © MV

La Croix de guerre 1914-1918
avec étoile de bronze.
© MV

Le 23 novembre 1919, Constant Launay est nommé caporal.  Le 13 juin 1920, il est renvoyé dans ses foyers et se retire à Saint-Ganton, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 21 septembre 1920, Constant Launay entre aux Chemins de fer de l’État comme homme d’équipe à Cormeilles-en-Parisis (Seine-et-Oise). Trois mois plus tard, il est muté à Serquigny (Eure) et y entre au cadre permanent en septembre 1921.

Le 4 novembre 1922, à Serquigny, il épouse Louise Jan, née le 24 décembre 1906 dans cette commune, manœuvre. Ils auront trois enfants : André, né en 1923, Irène, née le 7 mars 1924, et Lucienne, née en 1925.

Son frère Émile décède le 24 mars 1924 à Levaré (Mayenne).

Muté au dépôt des Batignolles, à Paris 17e, Constant Launay accède au grade de manœuvre en novembre 1925. À partir de 1937, il y travaille comme conducteur de locotracteur.

Paris. Le dépôt SNCF des Batignolles (réseau Ouest) en 1965. Une loco 040 TA en manœuvre. Photo Siegenthaler. Collection Mémoire Vive.

Paris. Le dépôt SNCF des Batignolles (réseau Ouest) en 1965.
Une loco 040 TA en manœuvre. Photo Siegenthaler.
Collection Mémoire Vive.

En 1935, il est inscrit sur les listes électorales de Clichy-la-Garenne [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92), domicilié au 1, rue Valiton. En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, la famille habite au 7 bis, rue de Neuilly à Clichy.

Militant communiste, il est peut-être secrétaire-adjoint du Syndicat des cheminots pour Paris-Nord.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.  Collection Mémoire Vive.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.
Collection Mémoire Vive.

Après la déclaration de guerre de septembre 1939, il est mobilisé comme affecté spécial à la SNCF (sur son poste de travail ?)

« Suspect d’activité en faveur du parti dissous », Constant Launay fait l’objet d’une visite domiciliaire (perquisition) le 23 octobre 1940, opération au cours de laquelle la police découvre et saisi des listes de souscriptions organisées en faveur des Jeunesses communistes. Ces listes auraient été remises par un inconnu, à Asnières, à son fils André, âgé de 18 ans, pour les remettre à sa sœur Irène, âgée de 17 ans. Les adolescents sont relâchés après admonestation. Appréhendé, Constant Launay est écroué pendant un temps à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e) ; puis libéré….

Quoi qu’il en soit, les Renseignements généraux considèrent Constant Launay comme un « propagandiste très actif ».

Le 1er novembre, il fait partie d’un groupe d’une cinquantaine de cyclistes, la plupart âgés d’une vingtaine d’année, garçons et filles, venant de la place de la Défense par Nanterre et Rueil, et qui, attirant l’attention sur eux « en chantant des hymnes révolutionnaires et en distribuant des tracts », se font interpeller par des agents de Seine-et-Oise. Cinq d’entre eux, trouvés porteurs d’une importante quantité de tracts séditieux sont arrêtés et inculpés. Un de ceux-ci déclare que sur le lieu de rassemblement se trouvait un individu qui lui avait donné une musette pleine de tracts. Selon le rapport du préfet de Seine-et-Oise, « la place Voltaire à Asnière et le rond-Point de la Défense seraient, tous les dimanches matins entre 7h30 et 9h, des points fréquemment choisis par les jeunesses communistes pour s’assembler ». Il conseille donc au préfet de police de Paris et à la direction des renseignements généraux de « surveiller chaque lieu où s’assemblent les sociétés cyclistes et touristiques dont les membres sont connus pour leur sympathie à l’égard du parti communiste ». Constant Launay figure en première place sur la liste des vingt-cinq autres personnes dont l’identité a été relevée. On y trouve également son épouse, Louise, et sa fille Irène.

Le 6 décembre, Constant Launay est appréhendé – en même temps qu’Alexandre Antonini – par des agents du commissariat de Clichy lors d’une vague d’arrestations visant 69 hommes dans le département de la Seine, internés administrativement en application du décret-loi du 18 novembre 1939 (prorogé par la loi du 3 septembre 1940. D’abord regroupés à la caserne des Tourelles, 141 boulevard Mortier (Paris 20e), ils sont conduits – le jour même – au camp français d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé deux mois plus tôt dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement. Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement.
Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Le 15 mars 1942, le directeur du camp transmet au préfet de Seine-et-Oise trente-sept notices sur des détenus devant être exclus des listes d’otages. Constant Launay est du nombre au motif qu’il a adressé au directeur, le 4 février (1941 ?) une déclaration disant notamment : « je suis entièrement d’accord avec les déclarations du Maréchal Pétain ». Il s’agit probablement d’une ruse : tout dépend des paroles prises en compte…

Le 9 mai, après dix-sept mois à Aincourt, Constant Launay est parmi les quinze internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La 13 mai, le cabinet du préfet de Seine-et-Oise transmet au préfet de police, direction des Renseignements généraux, à Paris, une demande de libération formulée par Madame Launay. Les RG ne rendront leur rapport que le 4 août suivant : « Étant donné la durée de détention de Launay, il semble qu’une démarche pourrait être tentée auprès des autorités allemandes en vue d’obtenir sa libération. » Avis qui sera confirmé par la direction générale des Renseignements généraux le 4 mai 1943…

Entre temps, entre fin avril et fin juin 1942, Constant Launay a été sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Constant Launay est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45731 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Constant Launay se déclare alors comme cheminot (Eisenbahner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Constant Launay.

Il meurt à Auschwitz le 10 août 1942, selon le registre d’appel quotidien et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; un mois après l’arrivée de son convoi, le même jour que dix-neuf autres “45000”. La cause mensongère indiquée pour sa mort est « arrêt du cœur par pneumonie » ; « Herzschwäche bei Pneumonie ».Après leur retour de déportation, les rescapés du convoi qui attestent de son décès sont Georges Brumm, de Montreuil-sous-Bois (93), et Étienne Pessot, de Cachan (94).

Déclaré “Mort pour la France”, Constant Launay est homologué comme “Déporté politique”.

Après la guerre, la cellule du PCF des cheminots de Clichy porte son nom.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 8-12-1993).

Notes :

[1] Clichy-la-Garenne : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :

- Marie-Louise Goergen, notice in Dictionnaire biographique des militants cheminots, citant : Arch. PPo, SNCF S25 – Arch. SNCF de Béziers – Notes de Georges Ribeill – État civil.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 381 et 409.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Témoignage de René Petitjean, de Clichy – Archives municipales de Clichy – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national et dossier statut).
- Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (AD 35), site internet du Conseil général, archives en ligne ; état civil de Guipry, registre des naissances de l’année 1898 (10 NUM 35129 190), acte n° 7 (vue 3/18) ; registres des matricules militaires, bureau de Rennes, classe 1918, vol. 2, n° de 501 à 1000 (1 R 2234), matricule 726 (vue 398/923).
- Archives communales de Clichy : listes électorales, archives de la section locale de la FNDIRP.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397), communistes fonctionnaires internés…, liste des fonctionnaires internés administrativement le 6 décembre 1940, par application de la loi du 3-09-1940 (BA 2214) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 530-13858).
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux ; centre de séjour surveillé d’Aincourt, cotes 1W76, 1W80, 1W130 (dossier individuel) ; police de Seine-et-Oise, cote 300W46 ; et recherches parallèles de Claude Delesque.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 698 (19231/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre d’appel avec la liste des détenus décédés ; copie de l’acte de décès du camp.
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne, de A à Q (0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 869-870.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 27-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Mohamed LATTAB – 45730

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Mohamed Lattab naît le 16 juillet 1907 au village de Tala Khelil, sur la commune d’Aït Mahmoud, Beni Douala, wilaya de Tizi-Ouzou (Algérie), fils de Mezian Lattab et de Fatma Larbi, son épouse.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 16, rue Bourgon à Paris 13e.

À Auschwitz, il se déclarera comme jardinier (Gärtner).

À des dates et pour un motif restant à préciser, il est arrêté puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Mohamed Lattab est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45730 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Mohamed Lattab est probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

En effet, pendant un temps, il est affecté à la tannerie (Lederfabrik).

Il meurt à Auschwitz le 5 mars 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 372 et 409.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 687, orthographié « Laltab ».
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copies de deux documents : acte de décès (13544/1943) et page du registre de la tannerie.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 4-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

 

Read More

Smiel (Samuel), dit Marcel, LATMAN – 46292

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Smiel ou Miel (Samuel), dit Marcel, Latman naît le 15 novembre 1902 à Tarutino (Roumanie).

Marcel Latman est ingénieur chimiste.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 70, rue Saint-Pierre à Caen (Calvados).

Le 27 février 1942, son nom figure sur une liste de 34 Juifs domiciliés dans la région du Calvados et de la Manche transmise par le SS-Hauptsturmführer Müller au SS-Obersturmführer Dannecker, à Paris. La note accompagnant cette liste précise qu’il est prévu d’arrêter 100 hommes juifs âgés entre 18 et 65 ans aux alentours de Caen afin de les interner, sans que la la date d’arrestation ni le camp d’internement ne soient mentionnés.

Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, Marcel Latman est arrêté à son domicile par la police française : il figure comme Juif sur une liste d’arrestations demandées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) 

[1]. Le soir, il est conduit à la Maison centrale de la Maladrerie à Caen.

Caen, la maison centrale de la Maladrerie dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Caen, la maison centrale de la Maladrerie dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 3 mai, remis aux autorités d’occupation, il est emmené au “petit lycée” où sont rassemblés les otages du Calvados et où ils passent la nuit.

Le 4 mai, Marcel Latman fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandises de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le lendemain, 5 mai en soirée.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre début mai et fin juin 1942, Marcel Latman est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Marcel Latman est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46292 ; les cinquante otages déportés comme Juifs ont reçu les matricules de 46267 à 46316 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le n° 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Latman.Il meurt le 10 août 1942 à Auschwitz, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; un mois après son arrivée [2].

Le 26 août 1987, à Caen, suite aux démarches de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005). De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés
de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés
depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005).
De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

JPEG - 46.4 ko
Inscrit sur le Mur des noms du Mémorial de la Shoah,
au 17 rue Geoffroy-l’Asnier à Paris 4e,
parmi les déportés de l’année 1942.

Le nom de Smuel Latman est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au fort du Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

[2] La surmortalité des détenus juifs ayant intégré le complexe d’Auschwitz-Birkenau : Quarante jours après l’arrivée des “45000” – soit le 18 août 1942 au matin – sur les cinquante déportés juifs enregistrés comme tels dans le camp, 34 ont perdu la vie, soit 68 % de leur groupe. À la même date, les 142 déportés décédés appartenant aux autres catégories d’otages du convoi représentent 13 % de leur effectif. Cette disproportion statistique rend compte de la persécution antisémite interne au camp, notamment sous forme de violences ciblées perpétrées par des cadres détenus polonais ou allemands (kapos, sur les chantiers, chefs de Block).

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Claudine Cardon-Hamet page 124.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 361 et 409.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 137.
- Yves Lecouturier, Shoah en Normandie, 1940-1944, éditions Cheminements, Le-Coudray-Macouard (Maine-et-Loire), mai 2004, pages 115-118, p. 148, liste p. 246.
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, résultat obtenu avec le moteur de recherche : document Gestapo LXV-9a.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 695 (19434/1942), son prénom orthographié « Smiel » ; sur une autre archive du camp, son prénom a été orthographié « Imicl » (probablement une mauvaise transcription).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 9-09-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Jean LANNOY – 45726

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jean, Honoré, Désiré, Lannoy naît le 5 juin 1892 à Paris 12e arrondissement, au 159 rue de Charenton, fils de Désiré Lannoy, 27 ans, serrurier, et de Marie Leyes, son épouse, 20 ans, pelletière, domiciliés au 27, rue Louis-Braille.

Jean Lannoy travaille dans les champs à partir de l’âge de treize ans et apprend à conduire les chevaux, les bœufs et n’importe quelle machine agricole.Le 29 novembre 1913, il est incorporé comme soldat de deuxième classe au 2e régiment d’infanterie coloniale. Huit mois plus tard, le 1er août 1914, Raymond Poincaré, chef du gouvernement français décrète le début de la mobilisation générale pour le lendemain. Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Le 29 septembre, le conseil de guerre de la 11 région militaire condamne Jean Lannoy à deux mois d’emprisonnement pour rébellion envers les agents de la force publique. Le 1er octobre, le fantassin passe au 1er R.I.C. Le 10 novembre 1915, il manque aux appels, et est porté déserteur quatre jours plus tard. Ayant été arrêté par la gendarmerie et ramené le 26 novembre, il est rayé des contrôles de la désertion. Le 18 janvier 1916, le conseil de guerre de la 10e région le condamne à quatre ans de travaux  publics pour désertion à l’intérieur en temps de guerre. Mais cette peine est suspendue par décision du général commandant de région, et il est élargi de la prison militaire de Rennes (?) et dirigé sur le dépôt du 1er régiment colonial le 29 janvier. Le 18 septembre 1916, Jean Lannoy manque de nouveau aux appels et est porté déserteur après deux jours. Le 26 septembre, ayant été arrêté et ramené au corps par la gendarmerie, il est rayé des contrôles de la désertion. Le 19 décembre, il passe au 2e R.I.C. Le 9 avril 1917, il est de nouveau porté déserteur, mais n’est ramené par la gendarmerie que le 9 octobre suivant. Le 3 février 1918, il est écroué à la prévôté de la 15e division d’infanterie coloniale. Le 7 mars, le conseil de guerre de la 10e région le condamne à cinq ans de travaux publics pour le même motif et, quinze jours plus tard, il est écroué au dépôt de détenus militaires de Collioure (Pyrénées-Orientales). Le 18 août 1918, le conseil de guerre de la 8e région le condamne à cinq ans de travaux  publics pour tentative d’évasion et « bris de prison » (sic). Le général commandant la 10e région révoque les suspensions aux jugements des 18 janvier et 8 décembre 1916. Cependant, Jean Lannoy est amnistié le 29 avril 1921 en application de la loi du 24 octobre 1919.

Entre temps il est également poursuivit par la justice civile… Le 31 décembre 1914, le tribunal de Cherbourg (Manche) le condamne à six mois d’emprisonnement pour vol. Le 7 octobre 1918, le tribunal correctionnel de Briey (Meurthe-et-Moselle – 54) le condamne à huit jours d’emprisonnement pour vol. Le 30 novembre 1918 (?), le tribunal correctionnel de Nancy (54) le condamne par défaut à quinze jours de prison pour vol (le “corps” est avisé). Le 1er mars 1922, la 13e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne par défaut à six mois d’emprisonnement pour abus de confiance.

Le 30 septembre 1922, Jean Lannoy est démobilisé et trouve domicile au 89, rue Rochechouart, à Paris 19e ; sans surprise, le certificat de bonne conduite lui est refusé.

Il est célibataire. Il se déclare comme chiffonnier.

Le 13 mai 1925, le tribunal correctionnel de Meaux (Seine-et-Marne) le condamne à six mois d’emprisonnement pour vol. Le 24 juin suivant, la 13e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne, par jugement contradictoire, à quatre mois d’emprisonnement pour abus de confiance. Le 15 novembre 1926, la cour d’appel de Paris le condamne à huit mois d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction de séjour suite à un jugement du tribunal de Meaux le 6 octobre 1926 pour vol commis le 15 septembre précédent. À une date restant à préciser, la cour d’appel de Paris le condamne à six mois d’emprisonnement suite à un jugement de la 10e chambre correctionnelle de la Seine en date du 29 février 1928 pour vol. Le 1er mars 1929, la 13e chambre correctionnelle le condamne par défaut à dix-huit mois d’emprisonnement pour abus de confiance commis en 1927. Le 8 juillet 1933, la 14e chambre le condamne à trois mois d’emprisonnement pour vol et infraction à interdiction de séjour.

Conséquence probable des poursuites judiciaires qu’il subit, sa vie est très bousculée et il déménage souvent. En janvier 1926, il habite à Barcy, au nord de Meaux. En mai 1930, il est hébergé dans le village d’Écharcon (Seine-et-Oise /  Essonne). En décembre 1931, il donne comme adresse le 208, rue du Château des Rentiers, à Paris 13e, et, en octobre 1934, le 45, rue Mouffetard, à Paris 5e. En janvier 1937, il dit habiter boulevard Jean Jaurès, à Fresnes (Seine / Val-de-Marne). À la fin du mois, on le retrouve au 20, rue Maître Albert, dans le 5e arrondissement.

Le 4 septembre 1939, il est rappelé à l’activité militaire, mais ne rejoint pas son unité : le 24 octobre, il est déclaré comme insoumis.

Au moment de son arrestation, Jean Lannoy est domicilié au 16, rue de Pali-Kao à Paris 20e.

Le 19 septembre 1941, Jean Lannoy est interné administrativement à la demande de la direction de la police judiciaire comme dangereux pour la sécurité publique en raison de ses antécédents : dix condamnations, dont sept pour vol ou complicité, les trois autres pour abus de confiance, infraction à un arrêté d’interdiction de séjour et insoumission. Il est écroué au dépôt de la préfecture de police, assigné à la grande salle.

Le 23 octobre, il écrit au préfet de police afin de solliciter « une place pour aller travailler dans une ferme », demande justifiée par le fait que : « Je n’ai jamais fait parti de politique

[sic] Donc je ne vois pas pourquoi je suis consigné parmi eux […] étant seul et indigent, vu que je n’ai personne pour me venir en aide… ».

Le 10 novembre, il est conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 20 décembre, le directeur de la police judiciaire répond au préfet de police qui l’a sollicité pour avis à la suite du courrier reçu : « … j’estime que Lannoy, délinquant d’habitude, […] ne peut faire l’objet d’aucune mesure de bienveillance ».

Le 22 mai 1942, Jean Lannoy fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
TransportAquarelle
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.Le 8 juillet 1942, Jean Lannoy est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45726 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jean Lannoy est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

En effet, à une date restant à préciser, il est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I.

Jean Lannoy meurt le 19 septembre 1942 à Auschwitz, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [1]). Il a cinquante ans.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 23-03-1994).

Notes :

[1] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 374 et 409.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (liste établie à partir des registres des morts d’Auschwitz ; fichier central des Archives ; son acte de décès a été établi le 1er juillet 1947, mais aucune démarche familiale pour son homologation comme déporté n’a été faite) – Liste partielle du convoi établie par le Musée d’Auschwitz.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 12e arrondissement à la date du 7-06-1892 (V4E 6734), acte n°1446 (vue 22/31).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 0037-24459) ; registre des consignés provisoires au Dépôt, mai 1941-mars 1942 (C C 2-1, n° 646).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 3.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 691 (31941/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8-01-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Émile LAROSIÈRE – 45729

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Émile, Paul, Larosière naît le 26 janvier 1922 à Saint-Denis 

[1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), fils de Paul Larosière, 34 ans, monteur-mécanicien, et Lucie Gouin, 21 ans, son épouse.

Paul Larosière, le père, rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914, et alors passé au 10e régiment d’infanterie, avait été blessé le 20 juillet 1915 aux avant-postes du Bois d’Ailly (Meuse) par un éclat d’obus lui ayant occasionné une plaie pénétrante à la main gauche. À compter du 19 octobre suivant et jusqu’au 19 juillet 1919, il avait été détaché à l’usine Charles Rau, Société des forges et Ateliers de la Fournaise, boulevard Anatole France à Saint-Denis, fabriquant des obus pour le ministère de la Guerre [2]. Démobilisé, il a habité au 29 route de la Révolte à Saint-Denis, ainsi que son épouse.

Émile a un frère cadet, André, né en 1924 à Saint-Denis.

En 1931, la famille habite au 21 rue de Montfort à Bobigny.

Au moment de son arrestation, Émile Larosière habite chez ses parents au 76, rue du Pré-Souverain à Bobigny [1] (93). Il est célibataire (il a vingt ans).

Le 18 novembre 1940, des agent du commissariat de police de la circonscription de Pantin, ayant constaté – « à la suite de surveillances » – qu’Émile Larosière « se réunissait avec des camarades aux Six Routes, à Bobigny, où ils étaient soupçonnés de se livrer à une propagande communiste », décident de procéder à une perquisition à son domicile. Dans son portefeuille, ils trouvent un tract « d’inspiration communiste ». Le 22 novembre, Émile Larosière est remis à la police judiciaire (?). Inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939, il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Quelques militants clandestins seront arrêtés après lui (à vérifier…).

Le lendemain, 23 novembre, la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne à deux mois de prison. Il est libéré à l’expiration de sa peine.Le 22 janvier 1942, la police rédige un projet de notice dont le destinataire ne peut être une autorité française…Le 28 avril suivant, Émile Larosière est arrêté à son domicile lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine – avec le concours de la police française – et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin ayant précédemment fait l’objet d’une procédure policière ou judiciaire et ayant été libérés, soit après avoir bénéficié d’un non-lieu, d’un acquittement ou d’un sursis, soit après avoir fini de purger une courte peine, parmi lesquels beaucoup de jeunes gens.

Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Émile Larosière est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Émile Larosière est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45729 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau – Émile Larosière est dans la moitié des membres du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers utilisant certains ouvriers qualifiés.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est admis au Block 20 (maladies contagieuses) de l’hôpital d’Auschwitz-I [3].

Émile Larosière meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après certains registres du camp, alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [4]). Il a 20 ans.

Son nom est inscrit sur la plaque en « hommage aux héros de la résistance », apposée dans le hall de la mairie de Bobigny, parmi dix-huit Balbyniens, dont Pierre Cambouliu, Henri Nozières et Paul Varenne ; plaque située sous une autre dédiée à la mémoire deux employés municipaux de Bobigny, Henri Nozières et Marius Barbier, de Saint-Ouen ; cinq hommes également déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Son père décède le 24 mai 1952 à Paris 13e.

En 1963, sa mère, veuve, dépose une demande de carte définitive de déporté politique.

La mention “mort en déportation” est portée sur les actes de décès d’Émile Larosière (J.O. du ?-1993).

Notes :

[1] Saint-Denis et Bobigny : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’usine Charles Rau de Saint-Denis. En 1924, elle est reprise par la Société nouvelle pour l’automobile Amilcar, constructeur de voiturettes de sport et de véhicules de tourisme.

[2] L’hôpital d’Auschwitz : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
Mais les « 31000 » et Charlotte Delbo – qui ont connu l’hôpital de Birkenau – ont utilisé le terme « Revier » : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-Isélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 384 et 409.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : registre de main courante du commissariat de circonscription de Pantin (C B 89-56) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1w 2190-11557).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 693 (31806/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 93-Bobigny, relevé de Frédéric Charlatte (11-2007).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 29-05-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

André LANVERT – (45734 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

André Lanvert naît le 28 janvier 1913 à Grenay ou Bully-Grenay, du nom de la gare SNCF desservant ces deux communes de l’agglomération de Lens (Pas-de-Calais), fils de Gustave Lanvert, 31 ans,  mineur à la Compagnie de Béthune, et Lucienne Durin, 24 ans, son épouse, domiciliés dans la cité n° 5  (tous deux venus du village minier de Bézenet, Allier, seront décédés au moment du mariage de leur fils en 1938). André a, au moins, une sœur, Eugénie, Marie, née le 17 septembre 1908 à Grenay, où la famille habite la cité n° 5, dans le quartier ouest en 1911.

Il est possible que la famille Lanvert ait fui les combats et l’occupation allemande au début de la Première Guerre mondiale.

André Lanvert est employé de bureau. Pendant un temps, il travaille aux usines UNIC de Suresnes

[1] (Seine / Hauts-de-Seine) ;  il est un des dirigeants de la cellule d’entreprise du parti communiste.

Le 31 décembre 1938, à la mairie de Charenton (Seine / Val-de-Marne), il se marie avec Jeanne Darmes, née le 14 août 1914 à Paris 12e, dactylographe.

À partir de ce mariage, le couple est domicilié au 17, rue de la Roquette à Paris 11e.

Le 3 mars 1928, à Charenton, sa sœur, Eugénie, Marie, se marie avec René, Louis, Dorot, né le 23 février 1904 à Paris 13e.

« Au début des hostilités », André Lanvert est mobilisé au 150e régiment d’Infanterie. Il n’est pas fait prisonnier. Mais c’est ce qui arrive à son beau-frère, René Dorot qui avait été mobilisé comme soldat de 2e classe à la 22e section de commis et ouvriers d’administration (COA). C’est probablement dans ces circonstances que sa sœur vient habiter chez eux. Elle travaille alors aussi comme employée de bureau.

 Après sa démobilisation, André Lanvert reprend son activité militante. Est-ce alors qu’il travaille aux Entrepôts de Grenelle, rue Bordelaise, à Charenton ?
En décembre 1940, la police française ouvre une enquête à la suite d’une tentative de reconstitution, sous le couvert d’un “Comité Populaire”, d’une cellule communiste aux usines Unic à Suresnes, qui « abouti à l’identification de trois ouvriers de cette entreprise […] inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939, mais laissés en liberté provisoire. Les perquisitions opérées et les enquêtes effectuées lors de cette affaire ont amené la découverte d’un “centre” clandestin d’édition, de confection et de diffusion de tracts, placards et papillons communistes, dont l’activité s’exerçait plus particulièrement dans la région de Charenton, de Maisons-Alfort et d’Alfortville ». Lucien Tourte et Félix Vinet, de Maisons-Alfort, déportés avec André Lanvert, sont arrêtés le 26 décembre. Les perquisitions opérées permettent de saisir un important matériel : « deux machines à ronéotyper, trois machines à écrire, plusieurs stencils ayant servi à la confection de tracts, une centaine de stencils vierges, plusieurs milliers de tracts ronéotypés prêts à être distribués ainsi qu’un stock de papier blanc, de l’encre à ronéotyper et de la peinture noire utilisée pour les inscriptions murales ».Deux jours plus tard, le 28 décembre, André Lanvert est appréhendé par les agents du commissariat de police de la circonscription de Puteaux, en même temps que son épouse et sa sœur Marie. En tout, huit « individus qui avaient pris une part active au fonctionnement de cet organisme clandestin » sont conduits dans les locaux de la préfecture de police (île de la Cité), puis – tous ou certains ? – écroués au Dépôt (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice).

JPEG - 126.7 ko
Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)

Trois jours plus tard, le 29 avril, la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine condamne André Lanvert à trois mois de prison, peine couvrant la durée de sa détention préventive. Il est libéré le lendemain, après avoir dû signer une déclaration selon laquelle il désapprouve « formellement l’action communiste clandestine sous toutes ses formes » et s’engage « sur l’honneur à ne [se] livrer dans l’avenir, directement ou par personnes interposées, à aucune activité communiste ».

Il trouve aussitôt un emploi à la scierie Mourer, rue de l’Hérault, à Charenton.

Le 24 octobre, à 7h55, alors qu’André Lanvert est déjà parti à son travail, le commissaire de police du quartier de la Roquette, accompagné de deux gardiens en civil, se rend à son domicile afin d’y effectuer une « minutieuse perquisition », laquelle n’amène la découverte d’aucun « objet suspect ».

Le 28 avril 1942, André Lanvert arrêté une seconde fois, à son domicile, comme otage, lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine – avec le concours de la police française – et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin ayant été précédemment l’objet de poursuites judiciaires puis relaxés, sans avoir subi de condamnation ou après avoir purgé leur peine. Les hommes arrêtés sont d’abord rassemblés au camp allemand du fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), puis rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le 6 mai suivant, Madame Lanvert, qui n’a aucune nouvelle de son mari depuis cette arrestation, écrit au préfet de police pour lui demander de « restituer à [sa] famille son unique soutien », leur fils d’un an étant malade depuis quatre jours.

Entre fin avril et fin juin 1942, André Lanvert est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne – sur la commune de Margny – et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, André Lanvert est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45734, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – André Lanvert est dans la moitié des membres du convoi qui reste dans ce camp en construction choisi pour mettre en œuvre la “solution finale” (contexte plus meurtrier).

Selon Aimé Oboeuf, de Vincennes, qui le connaît d’avant la guerre, André Lanvert obtient de se faire affecter à un Kommando d’assèchement des marais afin d’obtenir une double ration de pain – pour travail difficile – qu’il peut alors échanger contre des cigarettes dont il ne peut se passer. Mais il s’épuise rapidement, atteint de dysenterie.

André Lanvert meurt à Birkenau, le 13 septembre 1942 d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp [2] ; Aimé Obœuf l’a vu mort.

Le 10 juin 1945, Jeanne Lanvert écrit au « service des déportés politiques » : « Monsieur, Mon mari, déporté politique arrêté chez lui le 28 avril 1942, transféré le 29 à Compiègne, déporté le 6 juillet 42 pour une destination inconnue de moi, ayant toujours été sans nouvelles, serait décédé au camp de Bergenau [sic] au mois d’octobre 42 d’après le récit que m’a fait un de ses camarades qui était parti le même jour de Compiègne et qui était encore avec lui à Bergenau lors de sa mort. Ce Monsieur, Aimé Obœuf, 79 rue de France à Vincennes, de retour depuis 3 semaines, est un camarade de mon mari et je le connais aussi depuis avant la guerre, et son récit sobre, en me disant que mon mari est mort de la dysenterie, ne peut me laisser aucun espoir, puisqu’il affirme l’avoir vu mort et [est] prêt à témoigner au cas où l’on ne trouverait aucune trace.
Je vous serais reconnaissante de bien vouloir me donner les démarches à faire. Je ne sais ce que je dois faire dans ce cas. J’ai un enfant et je travaille. J’habite actuellement chez ma sœur, où vous voudrez bien me répondre : Mme Lanvert, 10 rue de l’Hérault, Charenton (Seine). » Le 26 juin 1945, le chef du 2e bureau de la sous-direction des fichiers et statistique, de la direction de la captivité au ministère des prisonniers, déportés et réfugiés, lui répond que ses services ne possèdent aucun document officiel permettant d’annoncer le décès de son mari. Il lui demande de leur « transmettre les témoignages écrits, signés des déclarants, et légalisés par le commissaire de police ou le maire de la commune, certifiant sur l’honneur le décès de la personne ci-dessus et en relatant les circonstances ».

Le 13 mars 1946, Aimé Oboeuf, de Vincennes, signe une déclaration à en-tête de l’Amicale d’Auschwitz / Fédération nationale des déportés et internés patriotes par laquelle il certifie qu’André Lanvert est décédé au camp d’Auschwitz à la date de ; « fin novembre 1942 ». Le lendemain, 14 mars, Pierre Montjault, de Maisons-Alfort, signe une autre déclaration attestant qu’André Lanvert est décédé « fin novembre 1942 à Birkenau ».

Jeanne Lanvert, décède à Charenton le 8 juin 1946, âgée de seulement de 31 ans. Son fils Gérard, 5 ans, est alors pris en charge par ses oncle et tante, René et Eugénie Marie Dorot, née Lanvert, qui habitent alors toujours au 17, rue de la Roquette. Le 1er octobre suivant, un conseil de famille désigne René Dorot comme tuteur datif de l’enfant mineur.

Le 10 décembre suivant, l’officier de l’état civil au ministère des anciens combattants et victimes de guerre dresse l’acte de décès officiel d’André Lanvert « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus [témoignages de P. Monjault et A. Oboeuf] » présenté le même jour et en fixant la date au 30 novembre 1942.

Le 21 janvier 1948, le ministère demande au maire du 11e arrondissement de faire porter la mention « mort pour la France » en marge de l’acte de décès d’André Lanvert.

Le 24 septembre 1952, René Dorot remplit un formulaire à en-tête du ministère des anciens combattants et victimes de guerre pour demander l’attribution du titre de déporté politique à André Lanvert à titre posthume.

Mais cet oncle décède à Nohanent (Puy-de-Dôme) le 8 juillet 1954. Un deuxième conseil de famille, réuni le 28 septembre suivant, désigne à l’unanimité sa veuve, tante de l’enfant, comme tutrice dative. Celle-ci reprend les démarches administratives. Le 22 août 1956, le ministère des anciens combattants et victimes de la guerre lui envoie la carte de déporté politique n° 1.1012.1534.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès d’André Lanvert  (J.O. du 9-12-1994).
Sources :
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 371 et 409 ; notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier individuel d’André Lanvert (21 P 472 672)., recherches de Ginette Petiot (messages 06-2016 et 01-2017)
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais ; cartons des RG (77w1650), dossier individuel (76382).
- Aimé Oboeuf, entretien réalisé par Claudine Ducastel et Gilbert Lazaroo (4-10-1997), transcription de Renée Joly.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 692 (30372/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 1-01-2017)Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Suresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant André Lanvert, c’est le 30 novembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Moïse LANOUE – (45728 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Moïse, Lucien, Alexis, Lanoue naît le 28 novembre 1911 à Vierzon-Forges (Cher)

[1], fils de Jules Augustin Lanoue, dit Battoir, 29 ans, journalier, et de Marie Alice Laubier, 29 ans, son épouse. Moïse a un frère plus âgé, Raymond Henri Jean, né le 7 septembre 1907 à Vierzon-Villages.

Mobilisé à la 5e compagnie du 10e bataillon de chasseurs à pied le 3 août 1914, leur père est tué à l’ennemi le 6 juin 1915, lors de la première offensive d’Artois, devant (Aix-)Noulette (Pas-de-Calais), lors d’une tentative de progression dans le Bois Carré, au cours de laquelle 70 hommes sont tués ou disparaissent.

En 1921, la famille est domiciliée quai du Bassin, toujours à Vierzon-Forges. La mère, devenue chef de famille, travaille comme journalière à la Pointerie, usine voisine. Elle héberge sa propre mère, Solange Laubier, 62 ans. Raymond, 13 ans et demi, travaille déjà comme employé de bureau. En 1926, ils habitent rue Étienne-Dolet, quai de l’Étang. Marie-Alice est journalière à la Pointerie, Raymond est devenu ciseleur et Moïse travaille comme commis épicier.

Vierzon-Forges. La Pointerie. Carte postale des années 1910.

Vierzon-Forges. La Pointerie. Carte postale des années 1910.

En 1936, Moïse Lanoue vit désormais seul avec sa mère. Elle est devenue empaqueteuse à la Pointerie. Lui est simple journalier.

C’est un militant communiste.

Le 1er mai 1942, Moïse Lanoue est arrêté ; probablement à la suite d’une manifestation au cours de laquelle Marcel Charrier a pris la parole (trente autres personnes sont interpellées dont Maurice Trouvé). Moïse Lanoue est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Moïse Lanoue est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45728 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Moïse Lanoue.

Il meurt à Auschwitz le 23 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2].

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du X-1993).

À Vierzon, son nom est inscrit sur la haute stèle dédiée aux Victimes vierzonnaises de la barbarie nazie 1939-1945 du Mémorial de la Résistance et Déportation, inauguré en 2011 au 10 avenue du Général-de-Gaulle, près de la médiathèque Paul Éluard.

Notes :

[1] Le 1er septembre 1791, la paroisse Notre-Dame de Vierzon est divisée en deux : Vierzon-Ville, occupant le centre de la ville actuelle sur la rive droite du Cher, et Vierzon-Villages (au pluriel) entourant la précédente de tous cotés. Dans les années suivantes, ces paroisses deviennent deux communes, puis fusionnent provisoirement sous le nom de Vierzon, avant d’être à nouveau scindées le 22 mars 1796. Par la loi du 4 avril 1908, la section des Forges est distraite de la partie Est de Vierzon-Villages et érigée en commune distincte sous le nom de Vierzon-Forges. Par arrêté préfectoral du 8 avril 1937, les communes de Vierzon-Villages, Vierzon-Bourgneuf (sur la rive gauche du Cher) et Vierzon-Forges sont réunies à celle de Vierzon-Ville, sous le nom unifié de Vierzon.

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant Moïse Lanoue, c’est le mois de septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 363 et 409.
- Archives départementales du Cher, site internet du département : archives numérisées en ligne.
- Association des amis du musée de la Résistance et de la Déportation de Bourges, article dans La Nouvelle République du 31 janvier 2005.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 692 (37164/1942).
- Site Mémorial GenWeb, relevé d’Alain Girod (n° 80755), 10-2016.
- http://www.mortsdanslescamps.com/fr…

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 12-10-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Marceau LANNOY – 45727

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Marceau Lannoy naît le 16 août 1922 à Auchel (Pas-de-Calais), dans une famille de mineurs, fils de Marceau Lannoy, né à Liévin le 12 juin 1902, et de Léone Cordonnier, son épouse, née en 1903 ; son grand-père a échappé à la catastrophe de Courrières du 10 mars 1906 (un coup de grisou ayant tué 1099 mineurs). Marceau a un frère, Jules, né en 1924, et une sœur, Hélène, née en 1933.

Entre 1933 et 1936, pour échapper à la mine, la famille part s’installer près de la capitale, au 225, avenue Jean-Jaurès à Aubervilliers 

[1] (Seine-Saint-Denis) ; ancienne route de Flandre (peut-être vers l’angle de la rue de Montfort, devenue rue Hélène-Cochonnec). Ils hébergent également Louis D., un neveu du chef de famille, né en 1913. Dans le même immeuble vivent d’autres membres de la famille Lannoy, anciens mineurs.

JPEG - 188.5 ko
Extrait d’un plan d’Aubervilliers daté de 1931.
Collection Mémoire Vive.

Marceau Lannoy père travaille chez Billard, entreprise de travaux publics, et sa mère chez Unt et Palmer à la Courneuve.

Le père de famille est adhérent au Parti communiste.

Après avoir obtenu le certificat d’études primaires en 1936, Marceau Lannoy fils continue sa scolarité au cours complémentaire.

Sportif, il est inscrit à l’U.S.O.A. (Union sportive ouvrière d’Aubervilliers ?), où il fait partie de l’équipe de football. Sans argent pour leurs déplacements, les joueurs vont parfois à pied jusqu’à Gonesse pour disputer un match. Le siège du club se trouve dans un local syndical, en face du marché couvert et à côté de la mairie d’Aubervilliers.

En 1937, des footballeurs de son équipe, membres des Jeunesses communistes, incitent Marceau Lannoy à adhérer ; il a 15 ans. Deux ans après, il est secrétaire des Jeunesses communistes d’Aubervilliers dont le siège est situé rue du Landy.

Quand, les organisations communistes sont dissoutes en 1939, Marceau Lannoy participe à l’activité clandestine.

Au moment de l’invasion allemande, l’encadrement de son usine lui donne pour consigne de rejoindre – par ses propres moyens – Toulouse, ville où celle-ci doit se replier. Arrivé sur place après les pérégrinations de l’Exode, il se retrouve seul et rentre à Aubervillers quelques mois plus tard, vers la mi-octobre. Il reprend l’activité clandestine, imprimant et distribuant dans le quartier du Mont-Fort des tracts dont le texte est fourni par Roger Brasini, responsable régional de la JC. La machine (à gélatine ?) utilisée pour l’impression est dissimulée dans la cabane du jardin paternel situé près des fossés du fort d’Aubervilliers. Le travail se fait de nuit, à la lueur d’une lampe de poche. Pour distribuer ce “matériel” sur Aubervilliers, les rencontres ont lieu le long du canal de l’Ourcq, entre la Villette et le pont du Landy.

Le 5 octobre 1940, son père est arrêté lors de la grande vague d’arrestations ciblées organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain contre des hommes connus avant guerre pour être des responsables communistes (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant. Il est interné au centre de séjour surveillé d’Aincourt.

Le “sana” d’Aincourt transformé en camp. Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante

Le “sana” d’Aincourt transformé en camp. Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante

À la suite de cette arrestation, pour remplacer le salaire de son père, Marceau Lannoy fils entre comme ajusteur à la Manufacture d’Estampage du Nord-Est, une usine métallurgique située à Pantin, de l’autre côté de l’avenue Jean-Jaurès, où il fabrique des maillons de chenilles pour les chars d’assaut.

Avec son frère, ils font en vélo le chemin jusqu’à Aincourt pour porter à leur père les colis que leur mère a préparé.

Le 10 janvier 1941, Marceau Lannoy fils est arrêté avec sept autres camarades dont Raymond Rivoal après qu’une jeune fille de son groupe de Résistance ait parlé. Au cours de son interrogatoire au commissariat d’Aubervilliers où il est gardé pendant trois jours, il est lui-même torturé (un doigt brisé dans une fenêtre). Le jour même, inculpé d’infraction au décret du 26-09-1939, il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

JPEG - 124 ko
Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)

Le 19 juin, les huit inculpés comparaissent devant la chambre des mineurs (15e) du Tribunal correctionnel de la Seine ; un père et quatre mères ont été convoqués à l’audience comme civilement responsables, dont celle de Marceau Lannoy. Celui-ci est condamné à un an d’emprisonnement, comme responsable de son groupe, mais fait appel auprès du procureur de la République.

Du 12 au 20 février, Marceau Lannoy est conduit à l’infirmerie centrale de Fresnes [1] (Seine / Val-de-Marne) pour un examen de santé (soupçon de tuberculose ?).

Le 11 juillet, il est transféré à la Maison d’arrêt de Fresnes.

La maison d’arrêt de Fresnes après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La maison d’arrêt de Fresnes après guerre.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

À l’expiration de sa peine, Marceau Lannoy n’est pas libéré : le 10 octobre, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif.

Le 10 novembre, il fait partie d’un groupe de 58 militants communistes transférés au « centre de séjour surveillé » (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Dans sa chambrée, il fait partie d’un groupe de quatre pour le partage des colis avec les jeunes Roger Pélissou et Georges Guinchan. Il commence à apprendre l’allemand dans le cadre des cours organisés par les détenus politiques ; ce qui lui sera d’une aide précieuse plus tard. Il participe aux compétitions sportives qui opposent prisonniers politiques et droit commun : il gagne toujours les épreuves de course, de saut en hauteur et en longueur.

À cette époque, sa mère meurt d’une crise cardiaque en allant vers un abri lors d’une alerte aérienne à Aubervilliers. On lui refuse de se rendre à l’enterrement.

Le 22 mai 1942, Marceau Lannoy fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central.  Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)  Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, Marceau Lannoy est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche » – « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Le 8 juillet 1942, Marceau Lannoy est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45727 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Marceau Lannoy est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

Ayant appris que les hivers de Haute-Silésie sont très rudes, il s’est déclaré comme forgeron – malgré son ignorance du métier – et se retrouve au Kommando de la Forge avec Eugène Charles et Jules Le Troadec, hommes de métier, et Ferdinand Bigaré, Raymond Boudou et Gabriel Lacassagne. Il aide notamment à ferrer des chevaux. Ils sont assignés au Block 16A.

Atteint de dysenterie, Marceau Lannoy écoute les conseils de ses camarades et mâche « la valeur d’une bûche entière » de charbon de bois, ce qui arrête aussitôt la maladie. Dans un entrepôt proche de la forge, il dérobe des pommes de terre pour assurer sa survie.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis ; Marceau Lannoy, lui, n’en a jamais reçu.

Les 20 et 23 juillet, le nom de Marceau Lannoy est inscrit sur un registre de l’hôpital d’Auschwitz (Block20).

À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11. Marceau Lannoy chante souvent pour distraire ses camarades.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, qui découvre leur situation, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine après quatre mois d’un régime qui leur a permis de retrouver quelques forces.

Courant avril 1944, après un accident causé par un cheval qui lui fait quitter la forge, Marceau Lannoy est conduit à pied à Birkenau, avec Francis Joly, Daniel Nagliouck, Albert Rossé et Gustave Rémy (un “123000”). Ils sont assignés au Block 10 du sous-camp des hommes (BIId) et doivent travailler au Kommando 301 B Zerlegebetrieb, composé d’environ mille hommes – dont beaucoup de prisonniers russes – chargé de démonter et récupérer les matériaux d’avions militaires abattus, allemands ou alliés, pour l’entreprise LwB.Rorück.

L’aire de démontage est située au sud de Birkenau, de part et d’autre d’une voie annexe de la ligne de chemin de fer permettant d’acheminer les carcasses d’avions dans un sens et les pièces démontées dans l’autre. Ils sont surveillés par deux capitaines et des sous-officiers de la Lutwaffe. Une fois par mois, certains touchent une petite prime en monnaie : le nom de Marceau Lannoy est inscrit sur les listes établies à cette occasion le 29 juin, le 27 août. Comme cet atelier est classé dans les Kommandos de force, ils reçoivent également une ration supplémentaire de nourriture.

Le 3 août 1944, Marceau Lannoy est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert (selon Claudine Cardon-Hamet).

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” [2] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “proheminenten” polonais) transférés au KL Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin.

Avec Maurice Le Gal et Charles Lelandais, Marceau Lannoy est rapidement transférés au petit Kommando de Trebnitz, affecté à des travaux de terrassement, de pose de conduites d’eau. Violemment frappé au visage par un kapo “droit-commun”, il perd de nombreuses dents.

En février 1945, devant l’avancée soviétique, il est affecté à l’usine d’aviation Heinkel. Là, il participe au sabotage : avec un maillet en bois, il fend les rivets en aluminium destinés aux ailes des avions.

Au début mai, ils se retrouvent dans une colonne d’évacuation en direction de Hambourg. M. Le Gal succombe, mais Ch. Lelandais et Marceau Lannoy sont pris en charge par l’armée américaine après la fuite de leur escorte dans la forêt de Schwerin. Ils sont emmené dans un hôpital de campagne à Hambourg, puis transférés en avion à Liège (Belgique) pour quelques jours. Avec un groupe d’une centaine de français, Marceau Lannoy est transporté dans une forteresse volante aménagée sommairement jusqu’à l’aérodrome du Bourget et – de là – au centre de rapatriement de l’hôtel Lutétia, à Paris.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Dans un entretient de juillet 1992, Marceau Lannoy estime qu’il a eu durant toute sa déportation « un moral en acier inoxydable ».

Il est homologué comme sergent dans la Résistance intérieure française, mais (en janvier 1997) n’est pourtant pas reconnu comme Déporté Résistant.

Ayant pris sa retraite près de Chinon, il est très actif dans les associations locales pour la mémoire de la Résistance et de la déportation.

Marceau Lannoy décède le 2 août 2008 à Chinon (Indre-et-Loire).

Le 30 août suivant, lors de la cérémonie commémorant la Libération de la ville, Jean-Pierre Duval, maire, lui rend un hommage public.

Sources :
- Marceau Lannoy, témoignage recueilli par Claudine Ducastel et Gilbert Lazaroo le 18-01-1997 (transcription par Renée Joly).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 184, 190…. 358, 389 et 409
- Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 10.
- Archives communales d’Aubervilliers, recensement de population de 1936.
- Archives de Paris, archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 5 juin au 22 septembre 1941 (D1u6-5857).
- Archives Départementales du Val-de-Marne (AD 94), Créteil ; archives de la prison de Fresnes, dossier des détenus “libérés” du 1er au 15-10-1941 (511w23) ; maison de correction, registre d’écrou 152 (2742w 19), n° 9172.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 108.
- Archives départementales de la Vienne ; camp de Rouillé (109W75).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais) ; cartons “occupation allemande” (BA 2373 ?).
- Gustave Rémy, ouvrier aux établissements Kiener à Éloyes (Vosges), en zone interdite, envoyé à Terniz (Autriche) en novembre 1942 au titre du STO, arrêté par la Gestapo après avoir envoyé à son frère prisonnier de guerre une lettre exprimant son dégoût de travailler pour le Reich, enregistré à Auschwitz à la fin mai 1942 (matricule “123000”), passé par la “quarantaine” du Block 11 ; récit dactylographié envoyé à Renée Joly en septembre 1992.
- Bureau d’information sur les anciens prisonniers, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne (message 03-2010).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-08-2012)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Aubervilliers et Fresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).

Go to Top