Édouard LECHEVALIER – 45747

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Édouard, Hippolyte, Georges, Lechevalier naît le 14 janvier 1889 à Nantes (Loire-Atlantique – 44), chez ses parents, Édouard, Hyacinthe, Lechevalier, 36 ans, employé au chemin de fer, et Marie Marion, son épouse, 29 ans, domiciliés boulevard Victor Hugo.

Le 17 juin 1915, Édouard Lechevalier est embauché par une compagnie de chemin de fer qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 

[1].

Militant communiste très connu, Édouard Lechevalier est secrétaire de la Section communiste de Cherbourg (Manche – 50) dès 1921 et élu la même année au premier Comité fédéral du Parti communiste de la Manche, et réélu en 1923.

Son activité politique lui vaut d’être inscrit au “carnet B” [2] par la Préfecture.

Cheminot “démissionnaire” (ou plutôt révoqué, pense l’auteur de la notice du “Maitron”), il travaille comme ouvrier serrurier aux usines Schneider de Cherbourg. Il devient secrétaire du Syndicat des Métaux de Cherbourg et est réélu en 1923 et en 1924.

Il est réintégré à la SNCF, comme ajusteur, au dépôt d’Achères (Yvelines – 78). En 1926, il est administrateur de la Caisse des Écoles d’Achères et devient conseiller municipal communiste en 1927. Élu Maire en 1929, il doit abandonner son mandat le 4 novembre 1930, pour divergences qualifiées de “déviationnisme” avec son parti (PC). À sa demande, il est muté à Cherbourg.

Au moment de son arrestation, Édouard Lechevalier est domicilié rue Laurent-Simon à Cherbourg. Il est célibataire, sans enfant.

Il est alors aide-monteur au dépôt SNCF de Cherbourg.

En février 1931, il est secrétaire de l’Union Locale CGT, mais doit démissionner pour raisons de santé en mars 1933, laissant sa fonction à Charles Mauger d’Octeville, qui sera déporté à Auschwitz avec lui.

Le Parti communiste le présente aux élections législatives en 1932 et 1936 et aux cantonales de 1934. Il devient l’un des principaux dirigeants CGT de la Manche, constamment réélu à la quasi-unanimité à la Commission administrative de l’Union locale, dont il devient secrétaire-adjoint pour 1938 et 1939.

Édouard Lechevalier est arrêté le 23 juin 1941, à son domicile, lors de la vague d’arrestation décidée par l’occupant au début de la guerre contre l’URSS [3] et incarcéré à la prison maritime de Cherbourg. Il est probablement transféré très rapidement au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise-60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le 28 octobre, son nom figure sur une liste de dix-huit otages établie par la Felkommandantur 722 de Saint-Lô.

Entre fin avril et fin juin 1942, Édouard Lechevalier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Édouard Lechevalier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45747 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différentsKommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage publié à ce jour ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Édouard Lechevalier.

Il meurt à Auschwitz le 31 juillet 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp ; trois semaines après l’arrivée de son convoi.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 23-03-1994).

Sources :

- Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron. 
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 366 et 410. 
- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’associationMémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Cl. Caron-Hamet page 129. 
- Archives de la Ville de de Nantes, site internet : registre des naissances du 4e canton, année 1889, acte n° 29, vue 6/133. 
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; doc. XLIII-22. 
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 701 (17735/1942). 
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (cote 0110LM0108).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-04-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] Le carnet B :

Dès sa création, à partir d’une instruction secrète de novembre 1912 visant le recensement des éléments antimilitaristes pour les neutraliser, il permet d’inscrire des personnes définies comme dangereuses pour l’ordre public (notamment les militants anarchistes). Après 1918, il liste les suspects français et étrangers susceptibles de divulguer aux puissances ennemies des renseignements concernant la défense nationale.

Révisé le 10 février 1922, selon les vœux du ministre de l’Intérieur, le carnet B vise également “certains individus notoirement acquis aux idées extrémistes », susceptibles d’entretenir des troubles violents par une propagande qui porte à « l’action directe ». Certains communistes et syndicalistes révolutionnaires répondent à ces critères. Un répertoire général est donc tenu au ministère de l’Intérieur, à partir du duplicata d’un folio mobile et d’une notice individuelle envoyés par les autorités préfectorales ou militaires. L’individu suspect se retrouve en fiche dans chaque brigade de gendarmerie et dans chaque préfecture dont dépend son domicile, ainsi que dans chaque état-major de corps d’armée dont dépend son affectation. Ces folios mobiles, transmis entre les différents centres de gendarmeries doivent permettre de suivre ses déplacements sans que l’intéressé en soit informé. Ordonnées par les préfets et les généraux commandant les corps d’armée qui doivent suivre “personnellement” l’examen des dossiers, les inscriptions au carnet B sont soumises, en cas de différend entre les deux parties civile et militaire, à la responsabilité commune des ministres de la Guerre et de l’Intérieur. Sur proposition des autorités compétentes, et après acceptation du ministre de l’Intérieur, le carnet B peut faire l’objet de révisions en ce qui concerne les individus qui se sont amendés ou n’étant plus susceptibles de fomenter ni d’exercer une action révolutionnaire à titre individuel ou collectif. Révision également nécessaire pour rayer les inscrits qui sont décédés, disparus ou partis dans d’autres pays depuis plus de deux ans.

L’article 10 du code d’instruction criminelle qui fonde la légalité d’un tel carnet donne au préfet toutes les attributions de police judiciaire du juge d’instruction, notamment le droit de faire des perquisitions et de remplir les formulaires de mandats de perquisition et d’amener. Une inscription au carnet B , signifiait que l’individu pouvait être mis en état d’arrestation, sur une simple décision du préfet remplissant un formulaire en blanc préalablement annexé à son dossier individuel. Même dans la période du Front populaire, le carnet B a vu l’inscription de grévistes : Maria Iverlend a été inscrite dans celui de la Somme, le 1er octobre 1936, avec comme motif : « extrémiste militante depuis de longues années. A pris une part très active dans la conduite du mouvement de grèves et occupation des usines juin-août 1936. Violente et exaltée. »

Traitées à part, les listes de personnes surveillées par les renseignements généraux dépassaient largement le nombre de celles inscrites au carnet B.

Dans son livre, Treff Lutetia Paris, Oskar Reile, major en 1940 dans le groupe de recherche du contre-espionnage de l’Abwehr, raconte comment le capitaine Wiegand, à la fin du mois de juin 1940, a « trouvé dans les locaux, 11 rue des Saussaies à Paris les archives et fichiers parfaitement en ordre de la Sûreté nationale ». En janvier 1943, sous l’impulsion d’Oberg, les archives du ministère de l’Intérieur seront déplacées à la Wilhem-strasse, à Berlin. Deux bureaux de la Gestapo recevront la mission de traiter les informations du fichier central concernant les individus pour l’un, les associations et les partis politiques pour l’autre. En 1945, les archives de la Sûreté nationale seront sous contrôle soviétique (restituées en 1992 au gouvernement français).

En l’état actuel des connaissances, à défaut de listes précises, il semble impossible de reconstituer le nombre des individus ayant été inscrits au carnet B ainsi que de connaître l’utilisation qu’en ont fait à la déclaration de guerre, les autorités françaises et après la défaite de 1940 son incidence sur le contrôle allemand de la population française et étrangère.

Le carnet B a été abrogé le 18 juillet 1947.

D’après Jean-Pierre Deschodt, Le carnet B après 1918, RIHM n° 82, Commission Française d’Histoire Militaire, en ligne sur le site de l’Institut de Stratégie et des Conflits – Commission Française d’Histoire Militaire.

[3] L’ “Aktion Theoderich :

L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre.

Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Pierre LEBRETON – 45744

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Pierre, Joseph, Auguste, Lebreton naît le 4 février 1899 au Mesnil-Vigot (Manche – 50), fils de Victor Le Breton et d’Élise Ledouit.

Le 18 mars 1918, à la mairie de Saint-Lô, Pierre Lebreton s’engage volontairement pour quatre ans au 1er dépôt des équipages de la Flotte comme aspirant-marin. Le 18 mars 1921, il est renvoyé dans ses foyers.

Le 19 juillet 1922, Pierre Lebreton est embauché comme cantonnier voie par la compagnie des chemins de fer de l’État, qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938

[1].

À une date restant à préciser, Pierre Lebreton se marie avec Margarette (Marguerite ?) Turgol. Ils n’ont pas d’enfant.

Le 13 août 1927, comme réserviste, Pierre Lebreton déclare habiter dans le Calvados, à Caen ou à Falaise.

En septembre 1936, il passe en domicile au recrutement de la Seine.

Au moment de son arrestation, Pierre Lebreton est domicilié au 6, rue des Acres à Vire (Calvados – 14).

Il est alors cantonnier S.E. à Vire, SNCF région Ouest.

Dans la nuit du 3 au 4 mai 1942, avec Jules Datin et François Poirier, il est arrêté à son domicile par la police militaire allemande (Feldgendarmerie) comme otage “communiste” à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) [2], et incarcéré à la gendarmerie de Vire. Il est rapidement transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Pierre Lebreton est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Pierre Lebreton est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45744 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Pierre Lebreton se déclare comme cheminot (Eisenbahner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Pierre Lebreton est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Il meurt le 17 août 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause probablement mensongère de sa mort « septicémie par anthrax de la nuque » (Sepsis bei Nackenkarbunkel) ; maladie du charbon, sous sa forme cutanée.

La mention “Mort en déportation” est portée sur les actes de décès (JO n° 226 du 29-09-1992).

Notes :

[2] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total, plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés, au Mont-Valérien (Hauts-de-Seine – 93) pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Claudine Cardon-Hamet page 128.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 362 et 410.
- Jean Quellien, sur le site non officiel de Beaucoudray, peut-être extrait de son livre Résistance et sabotages en Normandie, publié pour la première fois en 1992 aux éditions Charles Corlet.
- Claude Doktor, Le Calvados et Dives-sur-Mer sous l’Occupation, 1940-1944, La répression, éditions Charles Corlet, novembre 2000, Condé-sur-Noireau, page 206.
- Mémorial de la Shoah, Paris, Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLIII-91.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 701 (21418/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copie de l’acte de décès du camp.
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, page 883.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 26-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

Roland LEBEL – (45739 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Roland Lebel naît le 22 janvier 1920 au Havre (Seine-Inférieure / Seine-Maritime 

[1] – 76).

En 1941, à une date restant à préciser, Roland Lebel se marie avec Alice Homo, née au Havre le 31 mars 1920. Ils ont une fille, née vers la mi-novembre suivante.

Pendant un temps, ils habitent au 9, rue des Viviers, au Havre. Mais ils doivent quitter leur domicile qui a été sinistré (conséquence d’un bombardement ?). Au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 22, rue Saint-Julien, située entre l’église Notre-Dame et le quai de Southampton, dans le quartier Notre-Dame (le plus vieux de la ville, cartographié dès 1530).

Inscrit maritime, Roland Lebel est marin-pêcheur.

S’il est syndiqué, la police française déclare ne pas lui connaître d’activité politique.

Le 15 mai 1940, au cours de la Campagne de France, son frère est tué en combattant (« mort au Champ d’honneur »).

Sous l’occupation, Roland Lebel navigue pendant quelques mois à la petite pêche. À partir de janvier 1942, il trouve un emploi l’amenant à travailler « pour le compte de l’armée allemande ».

Le matin du 24 février 1942, alors qu’il attend au pont de la Barre le camion qui doit le conduire au travail sur le port, Roland Lebel est arrêté par la police allemande comme otage à la suite de l’attentat de la place de l’Arsenal [2].

Plusieurs interventions ont eu lieu en sa faveur : le préfet (le 21 mars), l’Inscription maritime (le 26 mars), le commissaire de police attestant que « les renseignements sont bons sous tous rapports » (31 mars). Mais ces démarches n’empêchent pas son incarcération à la prison de Rouen (quartier allemand de Bonne-Nouvelle).

Rouen, la prison Bonne-Nouvelle. Carte postale des années 1900.

Rouen, la prison Bonne-Nouvelle. Carte postale des années 1900.

En juin 1942, c’est le « brusque transfert » au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). À la fin du mois, Roland Lebel se trouve assigné au bâtiment C5, chambre 14.

Une deuxième intervention préfectorale a eu lieu le 3 août, alors que le départ pour Auschwitz date de près d’un mois.

Entre fin avril et fin juin 1942, Roland Lebel est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Roland Lebel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45739, selon les listes reconstituées. La photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Roland Lebel.Il meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942, alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [4]). Il a 22 ans.

Il est déclaré “Mort pour la France” (5-12-1947). La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 10-02-1994).

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] L’action de la place de l’Arsenal et la rafle de février 1942 : « Le 23 février 1942, place de l’Arsenal au Havre, les jeunes des premiers “Bataillons de la Jeunesse” incorporés dans l’O.S., attaquent à la grenade un détachement de l’armée allemande. L’O.S. est l’ Organisation Spéciale qui à partir de septembre 1940 est la structure militante chargée de la protection des colleurs d’affiches et desdistributeurs de tracts, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée. Il y a là Michel Muzard, Jean Hascouet et le groupe “Léon Lioust”. C’est une des premières attaques d’un détachement de l’armée allemande dans la France occupée. » Albert Ouzoulias, Les bataillons de la Jeunesse, Éditions Sociales, Paris 1967, p. 201, 202.

Claude-Paul Couture désigne comme auteur de l’attentat « le groupe Chatel de la 2e Cie FTP », En Seine-Maritime de 1939 à 1945, CRDP de Rouen, 1986, p. 15., « sans avoir connu la raison exacte de son arrestation ». En représailles à cette action, il y aura de nombreuses arrestations d’otages et vingt seront fusillés le 31 mars suivant.

AVIS

De nouveau, un attentat a été commis au Havre contre l’armée allemande et cela contre une colonne en route.

Jusqu’à présent, le coupable n’a pas été découvert.

Si, dans un délai de douze jours, c’est-à-dire jusqu’au 6 mars 1942 à midi, le coupable n’est pas retrouvé, trente communistes et juifs, parmi lesquels le coupable doit être recherché, seront fusillés sur l’ordre du Militaerbefehlshaber in Frankreich.

Pour éviter cette sanction, la population est invitée à coopérer de toutes ses forces à la recherche et à l’arrestation du coupable.

Der Chef des Militaerbefehlshaber in Frankreich

Von der Lippe, Generalleutnant

Journal de Rouen du 25 février 1942.

AVIS

Le 23 février 1942, au Havre, on a jeté un engin explosif sur une colonne de route de la Kriegsmarine. Deux soldats allemands ont été blessés. Jusqu’à aujourd’hui, malgré ma demande à la population havraise, les auteurs de cette attaque si lâche sont restés inconnus.

En suite, le vom Frankreich a ordonné, comme je l’ai menacé l’autre jour, la fusillade de communistes et juifs – dont appartiennent les malfaiteurs – pour expier cette nouvelle attaque.

La fusillade a été exécutée aujourd’hui.

Saint-Germain-en-Laye, le 31 mars 1942

Der Chef des Militaerverwaltung Bezirkes A.

Gez : Von der Lippe, Generalleutnant

Journal de Rouen des 4 et 5 avril 1942.

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

[4] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail”. Cette opération a commencé en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13. Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 376 et 410.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie réalisée à Rouen en 2000, citant : Claude-Paul Couture, chercheur, “En Seine-Maritime de 1939 à 1945”, CRDP Rouen,1992, pages 15 et suivantes – Liste établie par Louis Eudier (45523), du Havre, en 1973 – Acte de décès du 7 février 1947 – Archives municipales du Havre (Madame S. Barot, Conservateur, 18/6/1992) – Récit « Lacoudure » : L’inexorable destin d’otage.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 700 (31478/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-04-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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Jules LE TROADEC – 45766

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jules, Joseph, Marie, Le Troadec naît le 27 janvier 1895 à Bourbriac (Côtes-d’Armor 

[1]. – 22), fils de Jean-François Le Troadec, 35 ans, et de Marie-Josephe Le Biannic, 29 ans (tous deux seront décédés au moment de sa déportation). Jules a – au moins – un frère : Jean(-Marie ?).

Jules Le Troadec a une formation d’ouvrier forgeron.

En 1912, il arrive au Havre (Seine-Maritime [2] – 76) et y travaille comme ouvrier métallurgiste.

De la classe 1915, il est mobilisé en 1914 (première guerre mondiale). Il participe à la Campagne de France de 1914 à 1917, puis part comme volontaire en Orient. En 1919, il est rapatrié comme grand malade (paludisme et dysenterie).

Jules Le Troadec réside au Havre de 1919 à 1922, puis part travailler à Paris, toujours comme “métallo”, jusqu’en 1927.

Le 25 septembre 1925, le Tribunal correctionnel de Douai (Nord) le juge pour provocation publique de militaires à la désobéissance dans un but anarchiste et le condamne à six mois d’emprisonnement et 100 francs d’amende, faits relevés le 10 juillet précédent (à Avesnes ?).

À partir de 1927 et jusqu’à son arrestation, Jules Le Troadec est domicilié au 22, rue Saint-Jacques, au Havre. Pendant un temps, il vit en concubinage avec Louise Marrec, née le 8 août 1890 au Havre, qui tient un crèmerie (qu’elle devra abandonner en 1939).

Jules Le Troadec est alors docker sur le port. Il est l’un des dirigeants du Syndicat des Dockers du Havre.

En 1931, le tribunal de simple police de Bolbec le condamne à 1 franc d’amende pour tenue de réunion sur la voie publique.

Cette même année, il est inscrit sur le carnet B [3], sur une liste d’anarchistes, comme « militant syndicaliste révolutionnaire ».

Ancien combattant de la première guerre mondiale, il est membre de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC). Militant communiste actif, le PCF le présente comme candidat aux élections législatives de 1936 et comme candidat au Conseil d’arrondissement dans la circonscription du Havre lors des élections cantonales d’octobre 1937. Au début de la guerre civile Espagnole, Jules Le Troadec a en charge le recrutement de volontaires et la centralisation des souscriptions de soutien. Puis, il s’engagedans les Brigades internationales pour défendre la République contre la rébellion du général Franco soutenue militairement par Hitler et Mussolini. Affecté au bataillon Henri-Vuillemin de la 13e Brigade, il se bat de décembre 1936 au 18 août 1937. Une semaine plus tard, il est rapatrié pour raison de santé.

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Insigne de l’Association 
des volontaires pour 
l’Espagne républicaine, ayant 
appartenu à Christophe Le Meur. 
Produit entre la mi-1938 et la mi-1939. 
Coll. André Le Breton.

En 1938, il est élu conseiller d’arrondissement du 4e canton du Havre. Il est notamment en relation avec Charles Domurado, qui habite le même quartier.

Selon le commissaire principal, chef du service des Renseignements généraux du Havre en 1942 : « Depuis de nombreuses années, Le Troadec [est] au Havre un dirigeant et un militant communiste notoirement connu. Au sein du parti communiste local, il [est] très écouté et on peut même dire qu’il [est], jusqu’en septembre 1939, l’un des chefs responsables du district communiste havrais ».

En 1939, à la suite de la déclaration de guerre, Jules Le Troadec est d’abord “affecté spécial” auxTréfileries et Laminoirs du Havre, au 10, rue de Nancy, où il participe à la fabrication de « bennes automatiques ». Radié de cette affectation en mai 1940, il est « placé dans un camp du midi de la Francepar l’autorité militaire » en même temps que Marcel Toulouzan [4]. Il est libéré (démobilisé) le 9 septembre 1940.

Entre temps, le 21 janvier, il a été déchu de son mandat électif par arrêté du préfet de Seine-Maritime.

Dès son retour, Jules Le Troadec est actif au sein du Parti communiste clandestin. En contact avec Marcel Lariven, Ernest Gourichon, Antoine et Renée Girault (agent de laison), Charles Domurado, Marcel et Marie Toulouzan, il distribue des tracts, « des journaux essentiellement », appose des graffitis à la peinture et au goudron sur les murs et les trottoirs de la ville. Il colle également des “papillons” dans son entreprise et partout où il passe, notamment au bureau de chômage où se fait le recrutement des travailleurs volontaires pour l’Allemagne. Comme autres militants clandestins, il connaît également Émile Bertin, Louis Eudier, Émile Famery, Serge Guingan (décédé sous l’occupation), Marcel Larriven, Émile Mutel, André Duroméa et Pierre Naze (ces quatre derniers Résistants seront membres de la commission d’homologation des FFI-FTPF du Havre après la guerre).

Des tracts anti-allemands circulant dans son quartier, Jules Le Troadec est arrêté comme « communiste notoire », interrogé au commissariat central du Havre, puis relâché.

Dès sa démobilisation, il a obtenu un emploi de forgeron monteur (ou frappeur) à l’atelier de carrosserie Le Troadec, au 28, rue Franklin, au Havre, tenu par son frère, Jean-Marie Le Troadec, et Pierre Coulon. Leur garage travaille pour la Wehrmacht, accueillant des véhicules militaires en réparation. Jules Le Troadec effectue des sabotages sur certaines machines, vidangeant l’huile des carters de moteurs et desponts arrières puis y versant du sable, faisant disparaître des crochets pour remorque. En juin, 1941, la détérioration d’un moteur vaudra aux gérants du garage une importante amende de la part de « la direction des autorités allemandes des [ces] ateliers », ainsi que sa remise en état à leurs propres frais.

Le 23 juin 1941, Jules Le Troadec est de nouveau saisi, sur son lieu de travail, cette fois par la police allemande, probablement dans le cadre de l’Aktion Theoderich [5].

Il est détenu dans les Maisons d’arrêt du Havre et de Rouen, puis interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [6] (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Dès le 8 décembre 1941, Jules Le Troadec figure sur une liste de 28 communistes à « transférer vers l’Est », établie par la Feldkommandantur de Rouen.

Sa compagne, Louise Marrec, change de domicile pour aller habiter d’abord au 73, rue de l’ancien hôpital, puis au 12, rue de l’Abbé-Herval. Elle vit en faisant des ménages.

Entre fin avril et fin juin 1942, Jules Le Troadec est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Les deux wagons à bestiaux 
du Mémorial de Margny-les-Compiègne, 
installés sur une voie de la gare de marchandise 
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

À la mi-juillet, son épouse recevra la carte la carte-formulaire envoyée par l’administration militaire duFrontstalag 122 pour informer les familles du départ de leur parent vers un autre camp.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures et repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jules Le Troadec est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45766. Ce matricule sera tatoué sur son bras gauche quelques mois plus tard. Sa photo n’a pas été retrouvée.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Jules Le Troadec est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

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Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». 
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre » 
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Là, il est affecté au Kommando de “la Forge”, où sa force est appréciée (« Petit, mais râblé, costaud » se souvient Robert Gaillard). Il est pris dans une sélection, mais son kapo polonais (Vorarbeiter) intervient exceptionnellement auprès du médecin SS pour conserver ce bon travailleur.

Quand la résistance intérieure au camp s’organise, avec un groupe français dirigé par Roger Abada(45157), Eugène Garnier (45571) et Roger Pélissou (45957), il est chargé d’organiser l’action au sein duKommando Werkestatter.

Maréchal-ferrant, Jules Le Troadec travaille à côté de la porcherie, où les cochons sont nourris avec des résidus alimentaires. Grâce aux détenus qui y sont affectés, il “organise” des vivres qui sont redistribués.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz, essentiellement des “45000”, reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis.

À la mi-août 1943, Jules Le Troadec est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

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Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres 
partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blockset Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Jules Le Troadec est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 28 août 1944, il est dans le petit groupe de trente-et-un détenus dont vingt-neuf “45000” transférés auKL [7] Flossenbürg (Haut-Palatinat bavarois, proche de la frontière tchèque) et enregistrés dans ce camp le 31 août (matricule 19887).

Le 29 octobre, Jules Le Troadec est parmi les onze “45000” transférés à Wansleben (Kommando de Buchenwald), une ancienne mine de potasse transformée en usine souterraine de construction d’avions ; enregistrés le 1er novembre (matricule n° 93419).

Le 12 avril 1945, il est dans une des colonnes de détenus évacués de ce camp à marche forcée vers le nord de Halle (Dessau). Il y est libéré le 13 ou le 14 du même mois par les troupes américaines. Il est rapatrié par Sarrebourg le 24 mai et rentre au Havre deux jours plus tard.

Jules Le Troadec retrouve un emploi de docker sur le port (« commis de quai »).

Le 26 octobre 1946 au Havre, il se marie avec Louise Marrec. Ils ont deux enfants.

Après guerre, il est élu Conseiller d’arrondissement au Havre.

Le 29 juin 1950, Jules Le Troadec rempli un formulaire de demande d’attribution du titre de Déporté Résistant.

Le 28 avril 1955, le ministère des Anciens combattants et victimes de la guerre décide de rejeter sa demande et ne lui délivre que la carte de Déporté Politique (n° 1103.14852).

Le 16 octobre 1959, le Conseil d’État confirme cette décision de refus.

Jules Le Troadec meurt accidentellement (asphyxie par le gaz) le 3 février 1961.

Il est homologué comme “Déporté politique”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 346 et 347, 358, 376 et 410. 
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie réalisée à Rouen en 2000, citant : récit de Jules Le Troadec dans L’Avenir du Havre du 12 juin 1945 – Biographie résumée d’Eugène Kerbaul – Archives municipales du Havre (Madame S. Barot, Conservateur, communication 20/7/1989). – Louis Eudier (45523), Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945, imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (1977 ?), p. 76, 105 et 106, listes à la fin du livre. 
- Dossiers des brigades internationales dans les archives du Komintern, fonds du Centre russe pour la conservation des archives en histoire politique et sociale (RGASPI), Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), campus de l’Université de Paris X-Nanterre, microfilms acquis par la BDIC et l’AVER-ACER, bobines cotes Mfm 880/23 (545.6.1288), 880/48 (545.2.290). 
- Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “carnet B”, BA 1774 (…). 
- Site Gallica, Bibliothèque Nationale de France, L’Humanité n° 14167 du samedi 2 octobre 1937, page 4, “vingt-et-unième liste (suite)…”. 
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; doc. XLIII-56. 
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Jules Le Troadec, cote 21.p.563.177, recherches de Ginette Petiot (message 12-2013). 
- Archives départementales de Seine-Maritime, copies de documents transmises à Ginette Petiot (message 01-2014).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-01-2014)

Cette notice biographique doit- être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Côtes-d’Armor : département dénommé “Côtes-du-Nord” jusqu’en février 1990

[2] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[3] Le carnet B : Dès sa création, à partir d’une instruction secrète de novembre 1912 visant le recensement des éléments antimilitaristes pour les neutraliser, il permet d’inscrire des personnes définies comme dangereuses pour l’ordre public (notamment les militants anarchistes). Après 1918, il liste les suspects français et étrangers susceptibles de divulguer aux puissances ennemies des renseignements concernant la défense nationale. Révisé le 10 février 1922, selon les vœux du ministre de l’Intérieur, le carnet B vise également “certains individus notoirement acquis aux idées extrémistes », susceptibles d’entretenir des troubles violents par une propagande qui porte à « l’action directe ». Certains communistes et syndicalistes révolutionnaires répondent à ces critères. Un répertoire général est donc tenu au ministère de l’Intérieur, à partir du duplicata d’un folio mobile et d’une notice individuelle envoyés par les autorités préfectorales ou militaires. L’individu suspect se retrouve en fiche dans chaque brigade de gendarmerie et dans chaque préfecture dont dépend son domicile, ainsi que dans chaque état-major de corps d’armée dont dépend son affectation. Ces folios mobiles, transmis entre les différents centres de gendarmeries doivent permettre de suivre ses déplacements sans que l’intéressé en soit informé. Ordonnées par les préfets et les généraux commandant les corps d’armée qui doivent suivre « personnellement » l’examen des dossiers, les inscriptions au carnet B sont soumises, en cas de différend entre les deux parties civile et militaire, à la responsabilité commune des ministres de la Guerre et de l’Intérieur. Sur proposition des autorités compétentes, et après acceptation du ministre de l’Intérieur, le carnet B peut faire l’objet de révisions en ce qui concerne les individus qui se sont amendés ou n’étant plus susceptibles de fomenter ni d’exercer une action révolutionnaire à titre individuel ou collectif. Révision également nécessaire pour rayer les inscrits qui sont décédés, disparus ou partis dans d’autres pays depuis plus de deux ans. L’article 10 du code d’instruction criminelle qui fonde la légalité d’un tel carnet donne au préfet toutes les attributions de police judiciaire du juge d’instruction, notamment le droit de faire des perquisitions et de remplir les formulaires de mandats de perquisition et d’amener. Une inscription au carnet B , signifiait que l’individu pouvait être mis en état d’arrestation, sur une simple décision du préfet remplissant un formulaire en blanc préalablement annexé à son dossier individuel. Même dans la période du Front populaire, le carnet B a vu l’inscription de grévistes : Maria Iverlend a été inscrite dans celui de la Somme, le 1er octobre 1936, avec comme motif : « extrêmiste militante depuis de longues années. A pris une part très active dans la conduite du mouvement de grèves et occupation des usines juin-août 1936. Violente et exaltée. » Traitées à part, les listes de personnes surveillées par les renseignements généraux dépassaient largement le nombre de celles inscrites au carnet B. Dans son livre, Treff Lutetia Paris, Oskar Reile, major en 1940 dans le groupe de recherche du contre-espionnage de l’Abwehr, raconte comment le capitaine Wiegand, à la fin du mois de juin 1940, a « trouvé dans les locaux, 11 rue des Saussaies à Paris les archives et fichiers parfaitement en ordre de la Sûreté nationale ». En janvier 1943, sous l’impulsion d’Oberg, les archives du ministère de l’Intérieur seront déplacées à la Wilhem-strasse, à Berlin. Deux bureaux de la Gestapo recevront la mission de traiter les informations du fichier central concernant les individus pour l’un, les associations et les partis politiques pour l’autre. En 1945, les archives de la Sûreté nationale seront sous contrôle soviétique (restituées en 1992 au gouvernement français). En l’état actuel des connaissances, à défaut de listes précises, il semble impossible de reconstituer le nombre des individus ayant été inscrits au carnet B ainsi que de connaître l’utilisation qu’en ont fait à la déclaration de guerre, les autorités françaises et après la défaite de 1940 son incidence sur le contrôle allemand de la population française et étrangère. Le carnet B a été abrogé le 18 juillet 1947. D’après Jean-Pierre Deschodt, Le carnet B après 1918RIHM n° 82, Commission Française d’Histoire Militaire, en ligne sur WWW.STRATISC.ORG le site de la stratégie dans l’histoire.

[4] Marcel Toulouzan sera fusillé le 4 février 1944 à Rouen (75) pour l’attentat au cinéma Sélect du Havre.

[5] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, administré par la Wehrmacht et réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich”.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942

[6] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine-Saint-Denis – 93).

[7] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Jean-Louis LE MOUËL – (45781 ?)

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En juillet 1932…
Collection Bénédicte Le Mouël-Bakhouche.
Droits réservés.

Jean, Louis, Le Mouël naît le 7 janvier 1909 à Plouay (Morbihan – 56), fils de Louis Le Mouel, 49 ans, retraité, et de Marie Jaouen, son épouse, 41 ans, ménagère.

Après avoir obtenu son Certificat d’études primaires, le 20 juin 1921, à 12 ans et demi, Jean Louis Le Mouël prolonge sa scolarité d’un an en suivant le Cours complémentaire, puis entre en apprentissage comme charron.

Encore jeune, il arrive dans la capitale où sa spécialité – le travail du bois – lui permet de trouver un emploi aux usines Renault de Boulogne-Billancourt.

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Boulogne-Billancourt. Place Jules-Guesde.
Carte postale écrite le 16 novembre 1942. Coll. Mémoire Vive.
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Jean Louis Le Mouël est à gauche, portant chapeau.
Collection Bénédicte Le Mouël-Bakhouche.
Droits réservés.

Le 11 juillet 1928, à la mairie du 15e arrondissement de Paris, Jean Louis Le Mouël, charron, épouse Marie Le Blevec, née en Bretagne le 13 novembre 1907, cuisinière. À l’époque, la loi les considère encore comme mineurs. Ils auront deux enfants : un fils, Gilbert, né le 29 février 1929 à Paris 15e, et une fille, Gisèle, née le 30 juillet 1931 à Paris 12e.

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Jean-Louis tenant Gisèle dans ses bras, Marie et Gilbert,
le 10 juillet 1932. Collection Bénédicte Le Mouël-Bakhouche.
Droits réservés.

Pendant un temps, la famille est domiciliée à Fontenay-sous-Bois 

[1] (Seine / Val-de-Marne – 94), d’abord avenue Victor-Hugo, puis au 35, boulevard de Verdun. Le père loue un petit jardin ouvrier à Montreuil, commune voisine, où il emmène ses enfants.

Jean Louis Le Mouël adhère au Parti communiste. Son épouse ne partage pas ses convictions ; ses propres parents non plus.

Militant syndical à la CGT, il est engagé dans les événement du Front populaire, désignant les Croix de Feu comme adversaires.

Dans cette période (mai-juin 1936 et/ou novembre 1938 ?), il participe à l’occupation de son entreprise. Licencié, il est inscrit sur les « listes noires » du patronat. Après une courte période de chômage (?), il suit une formation d’ajusteur de précision. Son nouveau CAP lui permet de “brouiller les pistes” et de se faire oublier : il retrouve du travail chez Morane-Saulnier, constructeur aéronautique à Puteaux.

Après la fin juillet 1937, peut-être pour se rapprocher de son emploi, la famille déménage au 181, rue de Verdun à Suresnes [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92), dans d’anciennes étables transformés en appartements, bruyants et insalubres.

À la suite de la déclaration de guerre du 3 septembre 1939, Jean Louis Le Mouël est mobilisé comme « affecté spécial » dans son entreprise qui produit pour la Défense nationale.

Sous l’occupation, il change d’employeur : l’usine d’aviation Morane-Saulnier où il travaille est alors étroitement contrôlée par l’armée allemande et la Gestapo [2]. Jean Louis Le Mouël est embauché par l’entreprise Saurer [3] de Suresnes qui fabrique des camions. Mais cette usine produira bientôt elle aussi pour l’occupant et sous son contrôle.

Jean Louis Le Mouël est actif dans la clandestinité : il reçoit ou transmet des paquets à des intermédiaires, il sort le soir pour rentrer à la nuit ; avec une « imprimette » à caractères mobiles, il fabrique des « papillons » qu’il colle à l’extérieur, notamment aux arrêts d’autobus. À plusieurs reprises, et malgré la vive opposition de son épouse, il se fait assister par son fils Gilbert, 12 ans, qui dissimule pinceau et pot de colle sous sa pèlerine.

Le 25 avril 1941, dans la matinée, Jean Louis Le Mouël est arrêté pour propagande et distribution de tracts, dans la même période que d’autres membres de son groupe. Selon une rumeur non vérifiée, ils auraient été dénoncés par la femme de l’un d’entre eux désireuse de se venger d’un mari volage.

Le jour de son arrestation, Marie, son épouse, évite que leurs enfants soient présents, craignant sans doute qu’ils trahissent involontairement leur père en répondant naïvement à une question des policiers. Elle obtient que sa fille, Gisèle, sorte sous prétexte d’aller chercher du pain, et celle-ci intercepte – au niveau de la rue des Bas-Rogers – son frère qui revient de sa matinée d’école. La perquisition des policiers ne leur permet pas de trouver l’ « imprimette » qui est cachée sous le charbon de la cave, située à l’autre bout de la cour.

Le lendemain, Gilbert se rend au commissariat de Puteaux (92) pour porter un peu de nourriture à son père. Il le découvre souffrant, avec des traces de coups sur le visage.

Le 29 avril, inculpé d’infraction au décret du 26-09-1939, Jean Louis Le Mouël est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Son épouse et son fils peuvent lui rendre visite au parloir. Quand les gardiens leur tournent le dos lors de leurs rondes, et alors que sa mère fait le guet, Gilbert parvient à tendre une baguette de pain à son père à travers les croisillons qui les séparent. Celle-ci contient également de l’argent permettant d’acheter de la nourriture complémentaire à la « cantine » de la prison. L’opération sera réitérée lors d’autres visites.

En juin 1941, Gilbert, qui va à l’école dans le haut de Suresnes, obtient son Certificat d’études.

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)

Le 18 août, la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine condamne Jean Louis Le Mouël à 10 mois d’emprisonnement.

Le 23 août, il est transféré à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (94), où sa famille vient également le voir, usant des mêmes stratagèmes pour le ravitailler.

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Mais une radiographie fait apparaître que Marie a une « tache au poumon ». Elle a contracté la tuberculose et il lui faut aller se faire soigner dans un sanatorium, à Hauteville, dans l’Ain.

L’Assistance Publique prend en charge les enfants et les envoie en « préventorium » [4] : Gilbert à la Queue-en-Brie et Gisèle à Glaye, dans l’Orne. La famille est dispersée.

Jean Louis Le Mouël est libérable le 14 décembre 1941, mais le directeur de la prison de Fresnes rappelle à la direction des Renseignements généraux que « le commandant des forces militaires allemandes en France a ordonné que la libération des Français de sexe masculin arrêtés pour activité communiste ou anarchiste ne pourra être effectuée sans son accord ». D’ailleurs, le 19 décembre, le préfet de police transmettra un rapport de ses services à l’état-major d’administration militaire allemande.

Le jour même (14 décembre), le préfet de police signe un arrêté ordonnant l’internement administratif Jean Le Mouël. Pendant un temps, celui-ci est détenu au dépôt de la préfecture de police (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité). Il s’y trouve en même temps qu’Yvan Hanlet : la famille de Jean Louis Le Mouël conserve un portrait dessiné à la date du 24 mars – probablement le sien – avec la mention du nom de son camarade.

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Sans qu’il puisse y avoir de certitude absolue,
il est permis de penser qu’il s’agit d’un portrait
de Jean Louis Le Mouel par Yvan Hanlet.
Droits réservés.

Le 26 mars 1942, le préfet de police signe de nouveau un arrêté d’internement administratif à son encontre.

Le 16 avril, Jean Louis Le Mouël fait partie d’un groupe de détenus enregistrés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir), où il reçoit le matricule n° 89.

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943. © Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943.
© Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Le 10 mai 1942, il fait partie des 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Jean-Louis Le Mouël est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Son épouse sera avisée de son transfert vers un autre camp par la carte-formulaire envoyée à certaines famille par l’administration militaire du camp le 16 juillet. Elle en informera ses enfants.

Le 8 juillet, Jean-Louis Le Mouël est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45781, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jean-Louis Le Mouël.Il meurt le 27 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [5].

Après la libération, quand les premiers prisonniers de guerre, requis du S.T.O. et déportés reviennent par la Gare de l’Est, Marie Le Mouël s’y rend plusieurs fois à la recherche de son mari.

La gare de l’Est à Paris, point d’arrivée de nombreux rapatriés d’Allemagne, dont des déportés rescapés. Des familles y ont guetté en vain le retour de leur proche. Carte postale d’après guerre. Collection Mémoire Vive.

La gare de l’Est à Paris, point d’arrivée de nombreux rapatriés d’Allemagne, dont des déportés rescapés.
Des familles y ont guetté en vain le retour de leur proche.
Carte postale d’après guerre. Collection Mémoire Vive.

Elle multiplie les démarches administratives pour connaître son sort, jusqu’à ce que l’administration lui notifie officiellement, par présomption, sa disparition. Il semble qu’elle puisse ensuite en obtenir confirmation par le témoignage d’un rescapé, coiffeur de métier et habitant Saint-Cloud, qui l’aurait connu.

Entre temps, l’Assistance Publique a placé les deux enfants ensemble dans des familles à Salies-de-Béarn (Pyrénées-Atlantiques).

Jean Louis Le Mouël est homogué au titre de la Résistance Intérieure Française pour son appartenance au Front national, avec le grade fictif de sergent (6-07-1949). Le titre de Déporté Résistant lui est refusé et son épouse n’obtient pour lui que la carte de Déporté politique.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 17-08-1994).

Marie Le Mouël, son épouse, décède en 1998, n’ayant jamais « refait sa vie ».

Dans les années 1990, son fils Gilbert entre en contact avec l‘amicale d’Auschwitz et André Montagne par l’intermédiaire de sa propre fille, Bénédicte.

Notes :

[1] Fontenay-sous-Bois et Suresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert effectif en janvier 1968).

[2] Morane-Saulnier. L’entreprise fabriqua des avions pour l’occupant, dont le Fieseler Fi 156.

[3] Saurer, entreprise suisse fondée en 1863 et produisant des camions au début du 20e sicle. En 1910, sa filiale française, Automobiles Industriels Saurer, rachète l’usine de Darracq-Serpollet à Suresnes, 67 avenue de Verdun. En crise dans les années 1950, l’entreprise sera rachetée par Unic, autre fabricant de camions.

[4] Un préventorium était un établissement pour des patients supposés infectés par la tuberculose, mais n’ayant pas encore la forme active de la maladie. Nombreux au début du 20e siècle, ils étaient conçus pour isoler ces patients aussi bien des individus non-infectés que des malades présentant des symptômes visibles ; la tuberculose est une maladie très contagieuse. (source : Wikipedia)

[5] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Jean-Louis Le Mouël, c’est le 31 décembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 384 et 410.
- Gilbert Le Mouël, Informations complémentaires concernant mon père…, quatre pages dactylographiées, Yerres, 13 mars 1993 ; document transmis par….
- Bénédicte Le Mouël-Bakhouche, petite-fille de Jean-Louis Le Mouël (fille de Gilbert), nombreuses corrections, photographies et documents (messages 03-2012).
- Archives Départementales du Val-de-Marne, Créteil : Maison d’arrêt de Fresnes, dossier des détenus “libérés” du 1er au 19-12-1941 (511w27).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes (7413).
- Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 742-28106).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 834 (37766/1942), « Mouel Le ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 3-10-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Alain LE LAY – (45776 ?)

Alain, Jacques, Le Lay naît le 22 septembre 1909 à Plobannalec (Lesconil, Finistère – 29), fils de Jacques Le Lay, 26 ans, marin-pêcheur, et de Marie Anne Larnicol, 22 ans, dentelière (trois nommés Larnicol, tués en 1914-1918, sont inscrits sur le Monument aux morts de Plobannalec-Lesconil…). Alain a – au moins – un frère, Jacques, né le 3 octobre 1919.

En 1931, la famille vit toujours à Plobannalec, au hameau de Menez-Veil.

Alors qu’il est élève-maître à l’École Normale de Quimper, Alain Le Lay en est exclu pour avoir participé à une grève contre la préparation militaire.

Au moment de son arrestation, il habite au 12, rue Laënnec à Concarneau (29). Il est célibataire.

Concarneau. Carte postale “voyagée” en 1961, collection mémoire Vive.

Concarneau. Carte postale “voyagée” en 1961, collection mémoire Vive.

Militant communiste, Alain Le Lay est secrétaire de la Région bretonne Finistère-Morbihan de 1934 à septembre 1939. Entre 1936 et septembre 1939, il est également secrétaire de la section du Parti communiste de Concarneau-ville.

Après sa démobilisation, il joue un rôle important dans la Résistance : contacté par Robert Ballanger, il réorganise le Parti communiste, devenu clandestin, dans toute la Bretagne. Il est en liaison avec Paris par l’intermédiaire de Venise Gosnat, dont le nom de guerre est “Père Georges”. Il anime l’Organisation spéciale, puis le Front national 

[1] de la région.

Le 11 juin 1941 [2], Alain Le Lay est arrêté à Auray (29), à la même date que Victor Louarn et Esprit Jourdain, tous trois ayant la même activité militante. Il est conduit à la prison de Brest (Le Bouguen), puis transféré le 30 avril 1942 au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, Alain Le Lay est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Alain Le Lay est enregistré à Auschwitz ; peut-être sous le numéro 45776, ou le 46246, selon les listes reconstituées (les photos des détenus portant ces matricules n’ont pas été retrouvées).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Alain Le Lay est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Pendant un temps, Germain Houard, de Chartres, est assigné avec lui au Block 10, puis il le perd de vue à la suite d’un changement de Block.

Alain Le Lay meurt d’épuisement à Birkenau le 4 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). Victor Louarn, de Concarneau, est témoin de sa disparition ; ultérieurement, il estimera que celle-ci a lieu à la fin du mois.

Après son retour de déportation, Victor Louarn apprend le décès d’Alain Le Lay à son frère Jacques. En janvier 1951, celui-ci écrit au procureur de la République de Quimper afin qu’un jugement soit rendu pour établir officiellement le décès d’Alain.

Le 23 mai 1951, le tribunal civil de Quimper déclare par jugement que le décès d’Alain Le Lay est survenu le 1er mars 1943 en Allemagne (sic). Le 23 janvier 1988, le procureur de la République de Quimper décide de rectifier la date et le lieu du décès, en reprenant l’acte de décès du camp.

Après la guerre, à une date restant à préciser, le Conseil municipal de Concarneau donne son nom à une avenue de la ville.

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Concarneau, dans le cimetière communal.

Alain Le Lay est déclaré “Mort en déportation” (JORF n° 0198 du 27 août 2013).

Son père, Jacques Le Lay, communiste également et membre de la CGTU, était aussi un résistant.

Notes :

[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

[2] Arrestation le 11 juin 1941, ou…  Article paru dans L’Humanité du 18 octobre 2003 : « (Pierre Guéguin) démobilisé le 31 juillet de la même année, est arrêté, le 2 juillet 1941, par les gendarmes de Concarneau, après la rupture du pacte germano-soviétique et l’attaque des troupes nazies contre l’URSS, en même temps qu’Alain Le Lay “qui mourra à Auschwitz” ». ET la date de novembre 1941, citée par Alain Guivarc’h sur Mémorial GenWeb.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 364 et 410.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : Eugène Kerbaul, Résistant, interné à Châteaubriant et Voves d’où il s’est évadé, auteur d’un Dictionnaire biographique des militants ouvriers du Finistère, 1918-1945 (1640 hommes et femmes).
- Site Mémorial GenWeb : Finistère, Concarneau, relevé d’Alain Guivarc’h (01-2003).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 11-03-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Maurice LE GAL – 45767

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Maurice, François, Le Mignan naît le 26 janvier 1898 à l’hospice civil de Lorient (Morbihan – 56), fils de Marie Françoise Le Mignan, 20 ans 1/2, célibataire, domestique, demeurant à Plouhinec. Le 31 janvier 1908, l’enfant de dix ans est reconnu et légitimé par le mariage à Riantec de sa mère, alors agricultrice au lieu dit Kerverne sur cette commune, avec Toussaint Le Gal, 35 ans, manœuvre, alors domicilié à Kerentrech-Lorient.

À partir de 1893, celui-ci s’était engagé volontairement, à plusieurs reprises, dans l’infanterie de marine, partant combattre au Tonkin et en Annam.

En mars 1898, la nouvelle famille habite au lieu-dit Talhouët à Riantec, section de Locmiquélic. L’année suivante, ils habitent rue de la Côte-d’Alger à Lorient. Au premier semestre 1909, son frère Julien Corentin naît à Lorient.

À la mi-juillet 1909, ils habitent au 3 (grande) place Saint-Gilles à Caen (Calvados – 14). Toussaint Le Gal devient éclusier, employé de l’administration des Ponts-et-Chaussées.

Peu avant la Première Guerre mondiale, la famille habite au cours Montalivet à Caen-Est, sur la rive droite de l’Orne.

Le 21 septembre 1916, à la mairie de Caen, Maurice Le Gal – âgé de 18 ans et demi – s’engage volontairement pour quatre ans comme matelot de 3e classe au 1er Dépôt des équipages de la Flotte (Marine nationale). Le 22 mai 1917, il passe matelot de 2e classe breveté électricien. Le 1er octobre 1918, il passe quartier-maître électricien. Le 16 février 1920, il est « renvoyé dans ses foyers en congé illimité sans solde et sans frais de route », et se retire chez ses parents dans le quartier du Nouveau Monde à Mondeville, au nord-est de Caen, son père étant alors éclusier au pont de Calix, sur le canal de Caen à la mer (celui-ci père y sera encore en poste en 1936).

Caen. Le pont de Calix dans les premières années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Caen. Le pont de Calix dans les premières années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 25 avril 1922, à Démouville (14), Maurice Le Gal se marie avec Fernande Berthe Eugénie Binet, née le 5 février 1895, 27 ans. Ils auront un enfant.

Contremaître électricien (chef de quart) à l’Union Électrique de l’Ouest (la Centrale thermique de Caen), Maurice Le Gal est responsable du Syndicat de l’Électricité à Caen (CGT).

À partir de la mi-juillet 1937 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 33, rue Anatole-France à Mondeville, agglomération de Caen.

Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, Maurice Le Gal est arrêté par la police française ; il figure comme “communiste” sur une liste d’arrestations exigées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du deuxième déraillement d’un train de permissionnaires allemands à Moult-Argences (Airan) 

[1].

Le 3 mai, remis aux autorités d’occupation, il est emmené au “petit lycée” de Caen où sont rassemblés les otages du Calvados. Le 4 mai au soir, il fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandises de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le lendemain, 5 mai, en soirée.

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Maurice Le Gal est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée. Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Maurice Le Gal est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45767 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Maurice Le Gal est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

En correspondance avec son métier, il est affecté au Kommando Elektriker, avec André Montagne et Jean-Antoine Cortichiatto, dit “Napoléon”, et assigné au Block 15 A.

Fin août-début septembre, avec A. Montagne, ils installent à Birkenau une ligne destinée à alimenter en énergie électrique le chantier de construction d’un nouveau bâtiment : ils apprendront plus tard qu’il s’agit du Krematorium III.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, Maurice Le Gal est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I.
Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Pour le partage des colis, Maurice Le Gal fait équipe avec Eugène Baudoin, Marcel Cimier et Roger Pourvendier.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Maurice Le Gal est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” [2] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “Prominenten” polonais) transférés au KL Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin. Maurice Le Gal y est enregistré sous le matricule 94267. À leur arrivée, et jusqu’au 25 septembre, les trente sont affectés au Block 66.

En février 1945, Maurice Le Gal affecté au Kommando Heinkel, avec Marceau Lannoy, d’Aubervilliers, et Charles Lelandais, de Caen, puis à celui de Trebnitz.

Au début du mois de mai 1945, lors de l’évacuation à marche forcée de ce dernier camp, Maurice Le Gal meurt sur la route en direction de Hambourg (nord de l’Allemagne).

En France, par un jugement rendu le 22 octobre 1947 par le Tribunal civil de Caen, il est déclaré “mort pour la France” le 31 décembre 1944.

Le 26 août 1987, à Caen, suite aux démarches de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.

Le nom de Maurice Le Gal est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total, plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au fort du Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

[2] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, pages 70, 81, 82, notice par Claudine Cardon-Hamet page 127.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 362 et 410.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 130 (n° 38) et 138 et 138.
- Journal de Marcel Cimier, Les incompris, publié en 1995 par les archives départementales et le conseil général du Calvados dans un recueil de témoignages rassemblés par Béatrice Poule dans la collection Cahiers de Mémoire sous le titre Déportés du Calvados (pages 82-115) ; note page 93.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 9-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Robert LEFRANC – (45765 ?)

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Robert, Charles, Lefranc naît le 27 juin 1898 à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime 

[1] – 76), au domicile de ses parents, Vincent Lefranc, 29 ans, employé aux tramways, et Clémence Cavoret, son épouse, 25 ans, employée (receveuse) aux Postes et Télégraphes, demeurant au 104, rue Lafayette. Le couple aura huit enfants.

Assez tôt, Robert Lefranc est matelot pour l’armateur Blanmagesais, 43 rue Fontanelle à Rouen.

Le 17 avril 1917, il est incorporé au 1er dépôt des équipages de la Flotte, arrivant au corps une semaine plus tard comme matelot de 3e classe. Le 16 avril 1917, il est nommé apprenti marin sans spécialité. Il part en campagne contre l’Allemagne et ses alliés du 4 juillet suivant au 23 octobre 1919. Le 16 avril 1920, après trois années de service, il est renvoyé dans ses foyers et se retire à Saint-Nicolas d’Aliermont, près de Dieppe (76).

Le 20 septembre 1920 à Saint-Nicolas-d’Arliermont, près de Dieppe (76), Robert Lefranc se marie avec Denise Decaux, née le 15 mai 1901 à Dampierre-Saint-Nicolas. Ils auront un fils, Gabriel, né en 1922.

Au printemps 1926 et jusqu’en mars 1938, ils habitent au Bout-d’Amont à Saint-Nicolas-d’Aliermont.

En 1926, Robert Lefranc est ajusteur aux Chantiers de Normandie et Denise est horlogère dans l’usine de la Société Duverdrey et Bloquel à Saint-Nicolas-d’Aliermont (réveils Bayard, entre autres).

De mai 1935 à mai 1940, Robert Lefranc est conseiller municipal communiste de Saint-Nicolas-d’Aliermont, où il est secrétaire de la cellule locale du PCF. En 1937, il est candidat battu aux élections cantonales sur le canton d’Envermeu.

Il vient alors travailler aux chantiers Corue, à Dieppe, où il est considéré comme meneur, organisant des grèves. La police française le désigne comme ouvrier d’usine. Son acte de décès indique comme profession “horloger”.

Robert Lefranc est secrétaire du Syndicat des Métaux de Dieppe.

Pendant un dizaine de mois avant la guerre, il travaille aux Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, chantier naval installé au Trait. Il loge alors à Duclair, peut-être chez sa mère, alors veuve, domiciliée Route de Rouen, et rentre chaque fin de semaine à son domicile de Dieppe. La police de Duclair ne constate aucune activité politique de sa part.

À la mi-juin 1939, il emménage avec sa famille au 84, rue d’Écosse, à Dieppe.

Le 8 mars 1940, rayé de l’ “affectation spéciale” par mesure disciplinaire, il est réintégré dans sa subdivision d’origine et dirigé sur le dépôt d’infanterie 33 à Cherbourg.

Sous l’occupation, Robert Lefranc trouve un emploi à Palluel (76), « pour le compte des autorités d’occupation », selon la police.

Le 17 juillet 1941, il est arrêté à Duclair par un Feldgendarmerie accompagné d’un agent de la sureté, se faisant « encore remarquer » [sic], et d’abord conduit à son domicile de Dieppe.

Il est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [2] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Affecté au bâtiment 8, chambre 10, il fait équipe avec René Maquenhen, Doury, de Petit-Quevilly, et Gillot, de Basse Charente, pour le partage de la nourriture et des colis.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Robert Lefranc est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Sa mère recevra la carte formulaire envoyée à la mi-juillet par l’administration militaire allemande du Frontstalag 122 pour prévenir certaines familles de la déportation de leur parent.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Robert Lefranc est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45765, selon les listes reconstituées. La photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Robert Lefranc.

Il meurt à Auschwitz le 9 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Déclaré “Mort pour la France”, son nom figure sur le Monument aux Morts de Dieppe. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 17-05-1994).

Son nom est parmi ceux des 218 militant.e.s inscrit.e.s sur plusieurs plaques apposées dans la cour du siège de la fédération du PCF, 33 place du Général de Gaulle à Rouen, avec un extrait d’un poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) : « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’espoir et le désespoir. » et sous une statue en haut-relief dont l’auteur reste à préciser.

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

    Une des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre, au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

Une des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre, au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

À une date restant à préciser, le Conseil municipal de Saint-Nicolas-d’Aliermont donne son nom à la rue principale de l’agglomération.

Denise Lefranc décède à Dieppe le 24 août 1987.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transféré au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 375 et 410.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Basse-Normandie (2000), citant : liste établie par la CGT, p.6 – Charles Pieters, adjoint au maire de Dieppe (FNDIRP), 10/8/1979 – Henri Ayache, maire de Saint-Nicolas, lettre du 17/6/1992 – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (acte de naissance, acte de décès transcrit en 1947).
- Louis Eudier (45523), Notre combat de classe et de patriotes (1939-1945), imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (2-1973 ?), page 125 et listes à la fin du livre.
- Archives départementales de la Seine-Maritime (AD 76), site internet, archives en ligne : registre des naissances de Rouen, année 1898 (4E 13855), vue 151/197, acte n° 1136.
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département, cabinet du préfet 1940-1946, individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels « Le » (51 W 418), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 302 (33476/1942), « Franc Le ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 26-12-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Marcel LE FÈVRE – 45764

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Collection de l’Association de Recherche
pour la Mémoire de la Résistance
en Eure-et-Loir (ARMREL).
Droits réservés.

Marcel, Louis, Le Fèvre 

[1] naît le 3 janvier 1895 à Levallois-Perret [2] (Seine / Hauts-de-Seine – 92), chez ses parents, Auguste Le Fèvre, 25 ans, peintre en bâtiment, et Anna Thillmany, 26 ans, blanchisseuse, domiciliés au 112, rue Victor-Hugo ; le couple se marie à Puteaux (72) le 6 novembre 1899.

Pendant un temps (en 1911), Marcel habite avec ses parents au 31, rue du Landy, à Clichy (92), et commence à travailler comme peintre en bâtiment, chez un autre artisan que son père (Lacroix).

Le 10 septembre 1914, à la mairie de Clichy, il s’engage pour la durée de la guerre, rejoignant le 111e régiment d’infanterie trois jours plus tard. Le 10 janvier 1915, il passe au 2e régiment de tirailleurs algériens. Le 5 avril 1917, il est nommé caporal. Le 17 avril 1917, dans le secteur du Godat, région de Reims, il est blessé par éclat d’obus au bras et à la jambe gauches. Il est évacué vers l’arrière, soigné puis envoyé en convalescence. Il reçoit la Croix de guerre.

Le 26 mars 1918, à Clichy (92), Marcel Le Fèvre se marie avec Augustine Mélanie Walter, née le 17 octobre 1895 à Clichy, brocheuse, habitant jusque-là chez ses parents, au 31, rue du Landy.

Le 2 mai 1918, la commission de réforme du Rhône central le propose pour changement d’arme vers l’artillerie lourde à tracteurs pour « fatigabilité à la marche par cal gros et douloureux consécutif à fracture de la jambe au tiers contractée au cours des opérations ». Le 26 ou 28 mai suivant, dans le secteur de Domart (Somme), il est commotionné et intoxiqué par des gaz de combat (Ypérite). Il est évacué. Le 29 mai 1918, il est nommé sergent (ou maréchal des logis). Le 12 mars suivant, il passe au 54e régiment d’infanterie. Il retourne au front le 3 juillet 1918. Démobilisé et mis en congé le 1er septembre 1919, il se retire à Saint-Rémy-sur-Avre (Eure-et-Loir), titulaire d’une certificat de bonne conduite.

Le 23 juin 1919, Gisèle Marcelle Victoire, première enfant de Marcel et Augustine Le Fèvre, naît à Clichy. Fin septembre cette année, ils habitent toujours au 31, rue du Landy.

En juin 1921, ils habitent au château de Maison-Rouge, aux Alleux (Ardennes – 08) [3]. En janvier 1926, ils habitent au Chesne (08).

À la mi-novembre 1926, ils ont déménagé pour la rue de la Gare à Saint-Rémy-sur-Avre (Eure-et-Loir). Marcel Le Fèvre est établi comme artisan peintre en bâtiment.

Son fils André naît en 1928 à Saint-Rémy.

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Saint-Rémy-sur-Avre après-guerre.
Cartes postales recadrées. Collection Mémoire Vive.

Au printemps 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Marcel Le Fèvre est domicilié avec sa famille place de l’Église à Saint-Rémy-sur-Avre.

Il est militant du Parti communiste.

Le 3 ou le 4 juillet 1941, Marcel Le Fèvre est arrêté comme communiste et conduit à la Maison d’arrêt de Chartres. Il est probablement rapidement transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) [4].

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Marcel Le Fèvre est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45764 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Le Fèvre.

Il meurt à Auschwitz le 19 août 1942, selon plusieurs registres tenus par l’administration SS du camp [5], alors qu’a lieu une grande sélection des inaptes au travail à la suite de laquelle 146 des 45000 sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [6]). La cause mentionnée pour son décès – tout en pouvant être mensongère – est crédible : typhus exanthématique (Fleckfieber), maladie propagé par les poux dans un contexte de surpopulation des Blocks, et d’hygiène inaccessible.

Germain Houard, de Chartres, qui a probablement suivi le même parcours, Président de la FNDIRP départementale jusqu’à son suicide en 1965, a témoigné du sort de Marcel Le Fèvre.

Sa veuve, Augustine, a une carte FDR (?) 101016593.

Le nom de Marcel Le Fèvre (« assassiné par les Allemands ») est inscrit sur le Monument aux morts de Saint-Rémy-sur-Avre, au croisement de la rue E.-Raymond et de l’avenue du Pré-de-l’Église.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 9-04-1994).

Notes :

[1] Son patronyme est parfois noté Lefevre, en un mot.

[2] Levallois-Perret : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] Par arrêté du 30 novembre 2015 et à compter du 1er janvier 2016, Les Alleux fusionne avec Le Chesne et Louvergny pour créer la commune nouvelle de Bairon-et-ses-Environs.

[4] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[5] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Marcel Le Fevre, c’est le 15 septembre 1943 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

[6] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 150 et 153, 363 et 408.
- Archives départementales des Hauts-de-Seine (AD 92), site internet du conseil général, archives en ligne : registre des naissances de Levallois-Perret, année 1895 (E NUM LEV N1895), acte n° 13 (vue 5/301).
- ARMREL/Sentinelles de la Mémoire, informations tirées du fonds déposé aux Archives Départementales par la FNDIRP (cote 27J6), transmises avec l’autorisation de Roger Pinot, président de la FNDIRP 28 – Entretien avec Richard Philippe, ancien résistant du Réseau Hunter (24-01-2008) – Opération Sentinelles (9-01-2008).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 284 (21832/1942), « Fevre Le ».
- Site Mémorial GenWeb, 28 – Eure-et-Loir, Saint-Rémy-sur-Avre, relevé de Patrick Caulé (2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-11-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Marcel LE DRET – (45757 ?)

Droits réservés.

Droits réservés.

Marcel Le Dret naît le 22 mai 1897 au Havre (Seine-Maritime 

[1] – 76), chez ses parents, Christophe Le Dret, 29 ans, marin, et Anne Guillou, 22 ans, son épouse, domiciliés au 41, quai de Saône. Son nom est parfois orthographié « Ledret » par erreur.

De la classe 1917, il est mobilisé au cours de la Première Guerre mondiale, matricule 4262 au registre du bureau de recrutement militaire de la subdivision de Brest. Mais, suite à un quiproquo, il est également inscrit au bureau du Havre. Appelé à l’activité militaire le 10 janvier 1916 dans le 28e régiment d’infanterie, il manque à l’appel et est déclaré insoumis le 17 mars. Ce n’est que le 12 février 1926 qu’il est rayé des contrôles de l’insoumission pour avoir « fait l’objet d’une double inscription ».

Le 23 août 1923, au Havre, Marcel Le Dret se marie avec Jeanne Mahé, née le 24 juillet 1900 à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Ils ont cinq enfants : Jean, né le 25 juillet 1923, Marcel Aimé, dit “Mémé”, né le 24 août 1925, tous deux au Havre, ensuite René, né le 9 octobre 1928, Marc, né le 12 juin 1930, et Micheline, née le 3 août 1940, tous trois à Grand-Quevilly (76), au sud-ouest de l’agglomération de Rouen, dans la boucle de la Seine.

Au moment de son arrestation, Marcel Le Dret est domicilié au 226, rue Alfred-de-Musset, à Grand-Quevilly.

Marcel Le Dret est métallurgiste aux Chantiers de Normandie à Grand-Quevilly.

Les Chantiers de Normandie (date de prise de vue inconnue). Recueil de photographies offert par les militants de Seine-Inf. à Maurice Thorez pour son cinquantième anniversaire (1950). Archives municipales d’Ivry-sur-Seine, fonds Thorez-Vermeersch, don des héritiers. Tous droits réservés.     Les Chantiers de Normandie (date de prise de vue inconnue).     Recueil de photographies offert par les militants de Seine-Inférieure à Maurice Thorez pour son cinquantième anniversaire (1950).     Archives municipales d’Ivry-sur-Seine, fonds Thorez-Vermeersch, don des héritiers. Tous droits réservés.

Les Chantiers de Normandie (date de prise de vue inconnue).
Recueil de photographies offert par les militants de Seine-Inférieure à Maurice Thorez pour son cinquantième anniversaire (1950).
Archives municipales d’Ivry-sur-Seine, fonds Thorez-Vermeersch, don des héritiers. Tous droits réservés.

Membre du Parti communiste, dirigeant la cellule de son entreprise aux côtés d’Eugène Vauchel, Marcel Le Dret est l’un des dirigeants du Syndicat des Métaux dans sa ville.

Un congrès des Métaux en 1938. Marcel Le Dret est le deuxième dans la rangée de droite en partant du bas. © Collection Marc Le Dret.

Un congrès des Métaux en 1938. Marcel Le Dret est le deuxième dans la rangée de droite en partant du bas.
© Collection Marc Le Dret.

Après les grèves de 1936, il est licencié, puis finalement réintégré.

Au premier plan, Marcel Le Dret portant drapeau au cours d’une manifestation. © Collection Marc Le Dret.

Au premier plan, Marcel Le Dret portant drapeau au cours d’une manifestation.
© Collection Marc Le Dret.

Sa famille est proche de celle de Louis Jouvin : Pierre Jouvin joue avec leurs garçons, Madame Ledret fera traduire pour Yvonne les lettres de Louis Jouvin arrivant d’Auschwitz à partir de l’été 1943.

Le 10 novembre 1939, le commissaire de police de Grand-Quevilly adresse au préfet de la Seine-Inférieure un rapport sur les menées communistes dans les principales usines de première catégorie. Pour les Chantiers de Normandie, il désigne Désiré Marchand et Marcel Le Dret – mobilisés dans leur entreprise comme “affectés spéciaux” – comme ouvriers présumés communistes.

Le 14 décembre suivant, Marcel Le Dret est arrêté sur dénonciation pour distribution de tracts aux Chantiers de Normandie. Il est écroué, mais la procédure judiciaire se clôt par un non lieu, « les témoins à charge s’étant rétractés ».

Sous l’occupation, il est employé en qualité de charpentier par les autorités allemandes à Boos, au sud-est de Rouen, où se trouve un aérodrome.

Le 3 octobre 1940, il fait l’objet d’une notice individuelle établie par le commissariat central de Caen, qui note : « Élément suspect à tous égard. À surveiller ».

Le 31 mars 1941, un inspecteur principal adresse au commissaire divisionnaire de police spéciale de Rouen un rapport sur l’ « Activité communiste dans le canton de Grand-Couronne », selon lequel ce parti, « un des plus importants et des mieux organisés n’a de cesse, malgré sa dissolution, son son activité clandestine dans les localités de Petit-Quevilly, Grand-Quevilly, Petit-Couronne et Grand-Couronne ». Parmi les éléments communistes désignés, un chapitre concerne Marcel Le Dret : « Il quitte son domicile le matin de très bonne heure et rentre chez lui très tard le soir, ce qui lui permet de pouvoir faire sa propagande par tracts en changeant très souvent son itinéraire de parcours… ». L’analyse de l’activité clandestine se conclu ainsi : « …les éléments communistes du parti dissous s’emploient par tous les moyens et sous toutes les formes clandestines à entraver l’action gouvernementale du maréchal Pétain. C’est ainsi que les chefs de l’ancien parti ont le mot d’ordre de faire une propagande “Degaulliste” [sic] en la développant sous des formes ou des actes les plus divers ».

Le 4 août suivant, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans uncamp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens ». Parmi eux, Marcel Le Dret…

En octobre 1941, son fils Jean s’engage comme travailleur volontaire en Allemagne.

Le 22 octobre, Marcel Le Dret est arrêté lors de la grande rafle des adhérents communistes et syndicalistes de l’agglomération rouennaise [2].

À une date restant à préciser, il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule n° 1894.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

 Depuis ce camp, il écrit trente-cinq lettres à sa famille.

D’après une signature portée sur un menu du repas de Noël 1941, Marcel Le Dret serait alors assigné au bâtiment A2, chambre 8, avec Émile Billoquet, Jean Binard, Michel Bouchard, Honoré Brieu, Albert Champin, Émile Fromentin et Julien Villette. Lors de ce réveillon, il chante en breton dans la chorale, faisant bien rire ses camarades.

Entre fin avril et fin juin 1942, Marcel Le Dret est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Marcel Le Dret est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 45757, selon les listes reconstituées.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Le Dret.

Il meurt à Auschwitz le 3 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Après le départ de son mari pour Compiègne, Jeanne Le Dret a élevé ses trois plus jeunes enfants avec l’aide de son second fils, “Mémé” – l’ainé, Jean, ayant été contraint de partir en Allemagne pour le service du travail obligatoire (STO). Après la déportation du père, la famille a continué à militer, participant à diverses actions et manifestations et actions, et à se battre contre l’occupant, cachant une arme derrière une armoire, accrochée au mur, et, occasionnellement, des explosifs dans le four de la cuisinière.

Le 24 août 1943, jour anniversaire de ses 18 ans, Mémé Le Dret prévoit de rejoindre son copain Albert Lacour, “Bébert”, au maquis de Barneville dans l’Eure, avec une jeune camarade communiste de Grand-Quevilly, Mireille, fille de Maurice Guillot, militant communiste déporté à Auschwitz. Quand ils arrivent près du bois de la Fromagerie, les forces d’occupation y sont rassemblées pour donner l’assaut. Les jeunes gens échappent in extremis à la souricière en se faisant passer pour un couple d’amoureux passant par hasard. Albert Lacour sera tué le jour même dans les combats. En 1944, Mémé Le Dret s’engagera dans le Bataillon de Normandie. Il décédera en 1957, à 32 ans.

Son frère Marc, né en 1930, épousera Véronique, fille de Roland Tihi, résistant FFI. Il décédera le 31 mai 1988.

À Grand-Quevilly, le nom de Marcel Le Dret est inscrit parmi les morts en déportation sous la plaque de la rue des Martyrs de la Résistance.

© Photo de Marc Le Dret, petit-fils de Marcel Le Dret.

© Photo de Marc Le Dret, petit-fils de Marcel Le Dret.

Marcel Le Dret est homologué comme “Déporté politique” (26-6-1963, carte n° 1176 0020).

Jeanne Le Dret, sa veuve, décède en janvier 1994.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Marcel Le Dret (J.O. du 9-04-1994).

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste). Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. En effet, tous les hommes appréhendés furent remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. 44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.

(*) 150 selon “30 ans de luttes“, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

 

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 375 et 410.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Seine-Maritime (2000), citant : listes établies par Louis Jouvin (45697), du Grand-Quevilly – Liste établie par la CGT, p. 6 – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen – Mairie du Petit-Quevilly : acte de décès n° 37 ; registre 54, dossier n° 34696 (18 /3/1947).
- Louis Eudier 45523), listes à la fin de son livre Notre combat de classe et de patriotes (1939-1945), imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (2-1973 ?).
- Archives départementales de Seine-Maritime (AD 76), site internet, archives en ligne : registre des naissances du Havre pour le 1er semestre 1897, cote AE 13045, acte n° 1724 (vue 444/624) ; registre matricule du recrutement militaire, bureau du Havre, classe 1917 (cote 1 R 3425), matricule 2118.
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946 (cote à vérifier, 51 W…), recherches conduites avec Catherine Voranger.
- Catherine Voranger, petit-fille de Louis Jouvin : témoignage de Pierre Jouvin messages (02-2013) ; copie d’un rapport de police ayant été conservé par Louis Jouvin, message (04-2013) ; témoignage de Marc Le Dret, petit-fils de Marcel Le Dret recueilli le 20-11-2015).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 238 (34124/1942), « Dret Le ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 18-01-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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