Charles LELANDAIS – 45774

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Charles, Ernest, Yves, Lelandais naît le 15 mars 1909 à Plélan-le-Grand (Ille-et-Vilaine), chez ses parents, Charles Jude Lelandais, 35 ans, et Eugénie Augustine Dufour, 34 ans, son épouse, tous deux commerçants.

Sa mère décède prématurément, à une date restant à préciser. Le 8 août 1913 à Caen (Calvados – 14), son père – alors domicilié au 24, rue des Teinturiers – se remarie avec Marie Rosalie Lucie Chochon, née le 17 janvier 1885 à Saint-Pavace (Sarthe).

Début 1935, Charles Lelandais habite chez son père – alors mécanicien -, à Saint-Pierre-sur-Dives (14) et travaille comme plombier-fumiste.

Le 22 février 1935, à Caen (14), Charles Lelandais se marie avec Aimée Louise Henriette Lechartier, 22 ans, né le 4 août 1912 à Caen, modiste, qui habitait jusque-là chez ses parents – un employé de laboratoire et une commerçante -, domiciliés au 23, rue Saint-Sauveur.

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Charles Lelandais est domicilié au 122, rue de Geôle à Caen.

Pendant un temps, il est plombier chez Comby (?), puis devient artisan, affilié au syndicat CGT du bâtiment.

Militant communiste, il est secrétaire de la section de Caen.

Le 2 mai 1942, Charles Lelandais est arrêté par la police française ; il figure comme “communiste” sur une liste d’arrestations exigées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du deuxième déraillement d’un train de permissionnaires allemands à Moult-Argences (Airan) 

[1]. Il est détenu à la Maison centrale de la Maladrerie à Caen.

Caen, la maison centrale de la Maladrerie dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Caen, la maison centrale de la Maladrerie dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 3 mai, remis aux autorités d’occupation, il est emmené au “petit lycée” où sont rassemblés les otages du Calvados.

Le 4 mai au soir, il fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandise de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le lendemain, 5 mai en soirée.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, Charles Lelandais est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée. Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Charles Lelandais est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45774 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Charles Lelandais est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Le 17 ou 18 mars 1943, il fait partie des dix-sept “45000” rescapés de Birkenau conduits à Auschwitz-I (en tout, 24 survivants sur 600 !). Là, il est affecté aux Kommandos Terrasse et Strasskommando, extrêmement durs ; René Aondetto estime que « la quarantaine l’a sauvé ».

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, Charles Lelandais est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur des femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur
des femmes détenues – et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blockset Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Charles Lelandais est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” [2] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “Prominenten” polonais) transférés au KL Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin (matricule 94269).

En février 1945, Charles Lelandais est affecté au Kommando Heinkel (intégré au camp) avec Marceau Lannoy, d’Aubervilliers, et Maurice Le Gal, de Mondeville. Ils sont ensuite transférés à celui de Trebnitz.

Début mai, ils sont évacués dans une marche forcée vers Hambourg au cours de laquelle Charles Lelandais est libéré.

Il est rapatrié le 21 mai (centre 49, rapatrié n° 1209387).

Le 9 août 1946, au commissariat de police du 2e arrondissement de Caen, il témoigne de la disparition d’Étienne Cardin.

Le 13 octobre 1946 – comme secrétaire de la section locale de la FNDIRP – il participe à l’hommage public rendu à René Blin, dans la chaufferie de l’hôpital Clémenceau de Caen où ce dernier travaillait.

Il est homologué comme “Déporté politique” (21/2/1952).

Après la guerre, il travaille un temps comme employé pour les concerts de la salle Pleyel à Paris, selon André Montagne, de Caen.

Le 1er octobre 1967, son épouse, Aimée, décède à Bayeux, âgée de 55 ans.

Le 9 février 1973, Charles Lelandais raconte ses souvenirs à Roger Arnould, archiviste de la FNDIRP.

Le 26 mai suivant, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), il se marie avec Madeleine Anne.

Il décède décède à Bobigny (Seine-Saint-Denis) le 7 février 1982.

Le 26 août 1987, à Caen, à la demande de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.

Le nom de Charles Lelandais est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

[2] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, pages 70, 90, notice par Claudine Cardon-Hamet page 124.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 134, 242, 359, 361 et 411.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 130 (n° 139) et 138.
- Ouest-France, lundi 14 octobre 1946.
- Béatrice Poulle, conservateur aux Archives départementales du Calvados, Les cahiers de Mémoire : déportés du Calvados, textes publiés par le Conseil Général du Calvados, 1995, notes sur les souvenirs de Marcel Cimier, Les incompris, p. 93.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 6-09-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Pierre LEJOP – (45773 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Pierre, Eugène, Théophile, Lejop naît le 26 avril 1920 à Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), fils de Pierre, Marie, Lejop, 36 ans (né le 5 mai 1883), magasinier, et de Marie Basile, son épouse, qui ont un autre enfant, une fille.

Au moment de son arrestation, Pierre Lejop fils loge « en garni » (l’hôtel de Madame Dubreuil) au 41, rue Perceval à Paris 14e, entre la place Denfert-Rochereau et le cimetière du Montparnasse ; un immeuble aujourd’hui détruit. Il prend habituellement son repas du soir chez ses parents, au 4, rue Schoelcher. Il est célibataire.

Pierre Lejop est postier ambulant (rattaché à quel bureau ?), sans travail à partir de septembre 1940 (son père est alors au chômage depuis trois ou quatre ans).

Sportif, il participe à des meetings d’athlétisme comme adhérent de l’Union Sportive du 14e arrondissement.

En 1936, Pierre Lejop adhère aux Jeunesses Communistes (JC). Il est le secrétaire de l’union des JC du 14e arrondissement et secrétaire de la commission d’organisation de la région Paris-Ville de 1938 à 1940.

En novembre 1940, « Petit-Louis », un cadre clandestin qu’il connaît, prend contact avec lui. Après lui avoir demandé s’il a conservé ses opinions politiques, il lui remet des tracts et lui demande d’effectuer une enquête permanente sur les jeunes chômeurs des 6e, 12e, 13e, 14e et 15e arrondissements. Pierre Lejop lui remet un certain nombre de rapports sur l’état d’esprit des jeunes chômeurs. En décembre, « Petit-Louis » lui demande s’il accepte de servir de « boîte aux lettres », c’est-à-dire d’entreposer chez lui du matériel mis à la disposition d’autres militants. Par ce contact, chez lui ou lors de rendez-vous fixés dans la rue, Pierre Lejop reçoit « une certaine quantité de tracts, stencils, papillons gommés, bons pour café gratuits, etc. », au rythme d’un paquet par semaine environ. Un militant qu’il ne connaît que sous le nom d’Edmond prend en charge ce matériel, soit en venant chez lui, soit lors de rendez-vous dans la rue. Quand des paquets restent trop longtemps dans sa chambre d’hôtel, Pierre Lejop va « par crainte d’une perquisition » les déposer chez ses parents, rassurant son père en disant qu’il s’agit de « documentation concernant les jeunes chômeurs ».

Selon sa sœur, Pierre Lejop participe aux actions menées par la famille Deslandes.

À la suite de l’arrestation de Joseph L., qui a fréquenté avant-guerre la permanence des JC de la rue d’Enghien, trois inspecteurs de la brigade spéciale anticommuniste des Renseignements généraux (BS1) apprennent « qu’un individu âgé de 20 ans environ, responsable de la section du 14e arrondissement de l’ex-groupement des Jeunesses communistes ne serait pas étranger » à la diffusion de propagande clandestine. Ils acquièrent la certitude qu’il s’agirait de Pierre Lejop.

Le 24 mars 1941, dans la soirée, « ayant tout lieu de supposer que du matériel clandestin se

[trouve] au domicile de ses parents », les policiers s’y présentent afin d’effectuer une perquisition. Sur un buffet, ils aperçoivent effectivement « une certaine quantité de tracts de divers modèles ». Le père remet alors « spontanément » plusieurs centaines de tracts se trouvant dans une armoire, « ainsi que divers documents relatifs à l’activité clandestine de son fils et apportés par lui ». Vers 19 h 30, alors que les inspecteurs sont encore dans les lieux, Pierre Lejop arrive chez ses parents pour y dîner. Fouillé, il est trouvé porteur de cinq stencils recto-verso utilisés (bulletin « Vivre »), d’un exemplaire ronéotypé de L’Avant-Garde, journal des JC, n° 37, daté du 1er mars 1941, de deux projets manuscrits de tracts à ronéotyper (« Du pain ! du pain ! » et « Jeunes chômeurs, alerte ! »), d’une feuille de projet de papillons intitulés « À bas la guerre impérialiste » avec la mention « Modèle pour le stencil – 60 000 – recto et verso », ainsi qu’un questionnaire biographique complété que lui a demandé « Petit-Louis ».

Les policiers l’accompagnent alors à sa chambre d’hôtel « aux fins de vérification de domicile ». Le garçon leur remet encore spontanément, tirés de l’armoire, « deux brochures communistes [Le Capital, Histoire du PC], six paquets de bons donnant droit à des consommations gratuites pour les adhérents aux Comités de chômeurs, un couteau à cran d’arrêt [un Laguiole] et un morceau de craie [rouge “indélébile”] destiné aux inscriptions murales ». La perquisition achevant cette visite n’amène la découverte d’aucun autre document. Interrogé, Pierre Lejop fils admet rapidement participer depuis plusieurs mois à la propagande communiste clandestine.

Père et fils sont conduits dans les locaux de la brigade spéciale, à la préfecture de police, pour y être interrogés.

Le 25 mars, après interrogatoires et au vu du rapport des inspecteurs, considérant que l’activité de Pierre Lejop fils « avait pour but la diffusion des mots d’ordre de la IIIe Internationale communiste ou d’organismes s’y rattachant, par la détention à son domicile et sur lui de documents destinés à cette propagande », le commissaire André Cougoule, chef de la brigade spéciale, officier de police judiciaire, l’inculpe d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939.

En ce qui concerne son père, « attendu qu’il a sciemment conservé à son domicile des documents appartenant à son fils et dont il connaissait la nature », il l’inculpe de complicité par aide et assistance. Le policier les envoie tous les deux au Dépôt, à disposition du procureur de la République.

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)

Le 21 mai 1941, dans son rapport hebdomadaire sur le communisme en France, transmit à l’Office central de sécurité du Reich (ReichssicherheithauptamtRSHA) à Berlin, le service (Amt)  IV A 1 du SD de Paris rendra compte : « Parmi les affaires que nous avons eu à connaître, certaines méritent une mention particulière : 27.3.41 : Arrestation de deux communistes particulièrement actifs qui cherchaient à ameuter les chômeurs de la Région Parisienne. L’un d’eux, Lejop Pierre, est un ancien secrétaire de la Jeunesse communiste de la région Paris-ville. Chez la personne arrêtée, on a saisi de nombreuses publications, des tracts, de la craie pour écrire sur les murs, etc. »

Le 2 avril 1941, les deux hommes comparaissent devant la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine. Pierre Lejop fils est condamné à dix mois d’emprisonnement. Il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Le 15 avril, il est conduit à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne). Le 18 juin, il est transféré à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines).

EAu deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

À l’expiration de sa peine, il n’est pas libéré. Le 13 février 1942, il est parmi les 24 « militants communistes » – pour moitié de futurs “45000” – transférés au dépôt de la préfecture de police de Paris (au sous-sol de la Conciergerie, île de la Cité).

Le 26 mars 1942, la préfecture de police de Paris ordonne son internement administratif et, le 16 avril, il fait partie d’un groupe de détenus transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir), où il est enregistré sous le matricule n° 88 ; baraques 3 et 8.

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943. © Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Entrée du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943.
© Musée de la Résistance Nationale, Champigny, fonds de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Le 10 mai 1942, Pierre Lejop fait partie des 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; il y est enregistré sous le matricule 5743.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Pierre Lejop est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Pierre Lejop est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45773, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Pierre Lejop.Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [1]). Il a 22 ans.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 16-07-1994).

Notes :

[1] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme « inaptes au travail » (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 372 et 411.
- Cl Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : – Témoignage de sa sœur, Madame Grenet (25/1-7/2/1972) ; elle le décrit : 1m70, mince, brun) – Témoignage enregistré d’André Deslandes – Témoignage (téléphone) de Madame Dubreuil, qui a un temps logé P. Le Jop – Article de M. Cottard, Revue d’Histoire du 14e, n° 29, p.71 (2/1989) – Liste partielle du convoi établie par le Musée d’Auschwitz.
- La Gestapo contre le Parti communiste, rapport sur l’activité du PCF, décembre 1940-juin 1941, messidor-éditions sociales, collection problèmes-histoire, Paris, novembre 1984, p. 128.
- Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 28 mars au 5 juin 1941 (D1u6-5855).
-  Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : carton Occupation allemande – camps d’internement… (BA 2374) ; dossiers de la BS1 (GB 54), n° 194, « affaire Lejop », 26 mars 1941.
- Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 708 (31922/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 12-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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Gabriel, dit “Gaby”, LEJARD – 45772

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Gabriel, Jean, Léon, Lejard, naît le 5 juillet 1901 à Barges (Côte-d’Or – 21) de Auguste Lejard, 31 ans, “pensionné”, et de Jeanne Chevalier, 25 ans, sans profession, couple de libres penseurs.

Sa mère est bonne à tout faire. Son père, employé à la Compagnie PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) deschemins de fer, a eu les deux jambes sectionnées dans un accident du travail avant ses 26 ans et devient épicier à Barges. Il est élu conseiller municipal de cette commune sur la liste socialiste sans adhérer au parti. Le couple a deux autres fils, Ernest né en 1894 et Albert né le 20 mars 1895, mort sur le front d’Alsace le 18 juin 1915, et une fille Andrée, née en 1903.

Après avoir été élève de l’école primaire, Gabriel Lejard entre en 1913 à l’école pratique de Dijon (21), mais en est retiré dès 1916. Ajusteur à Dijon, puis, en 1917, à Lyon, il fréquente un milieu révolutionnaire composé de nombreux “affectés spéciaux” parisiens (période de guerre). En février 1918, il adhère aux Jeunesses socialistes et à la CGT. Rapidement, il est déçu par les JS et adhère au groupe libertaire. À cette époque, il accumule les lectures, celles en particulier des journaux, tel La Vague. Au début de 1918, à Lyon, il participe aux grèves contre la guerre. Après l’armistice, il milite activement dans le courant syndicaliste révolutionnaire pour l’adhésion à la IIIe Internationale.

En août 1919, Gabriel Lejard part travailler à Alger où il prend conscience de la réalité coloniale. Membre du bureau du syndicat des Métaux d’Alger, il prend part à une grève des métaux en mars-avril 1920, passe en correctionnelle et est rapatrié en France après huit mois de présence.

De retour à Lyon, il participe à la grève générale de mai 1920, et est alors licencié de l’usine d’automobiles Rochet-Schneider où il travaille.

En novembre 1920, il revient à Dijon et est embauché à la fabrique de motocyclettes Terrot.

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Dijon. L’usine Terrot.
Carte postale oblitérée en 1930. Coll. Mémoire Vive.

Le 6 avril 1921, il est incorporé au 1er régiment d’artillerie hippo(mobile). Le 1er novembre, il passe au 37e régiment d’artillerie. Le 20 janvier 1922, il passe au 8e bataillon d’ouvriers. Un mois plus tard, le 16 février, il passe au 121e escadron du Train auto. Lors de l’occupation de la Ruhr (les « pays rhénans ») en 1923, il fraternise avec les mineurs. Le 15 mai 1923, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

De retour chez Terrot en 1923, il adhère au syndicat CGTU de la métallurgie dijonnaise. À cette date, Gabriel Lejard est encore libertaire, mais il évolue vers le communisme.

En février 1924, il habite au 35, rue Pasteur, à Dijon. En octobre 1925, il est au 15, rue de la Verrerie et, en avril 1931, au 76, rue de la Vannerie. Plus tard, il emménagera au 10 rue du Creux-d’Enfer.

En 1934, il est secrétaire adjoint de son syndicat. En 1935, il adhère au Parti communiste et participe à toutes les manifestations antifascistes de 1934-1935 à Dijon. Le syndicat l’envoie à l’usine Cheveau dematériel électrique pour y organiser une section syndicale ; il perd ainsi la prime d’ancienneté et la semaine de congés payés dont il bénéficiait chez Terrot. Mais, en juin 1936, l’usine Cheveau est la première à être occupée à Dijon par les ouvriers, et la direction cède à leurs revendications en vingt-quatre heures. G. Lejard dirige l’extension du mouvement à tous les établissements de la métallurgie dijonnaise, prend très souvent la parole dans les meetings et les usines occupées, s’occupe de la création de nouvelles sections syndicales.

En 1937, il devient secrétaire général du syndicat des Métaux de Dijon et membre de la commission administrative de l’Union départementale de la Côte-d’Or.

Il est l’un des principaux organisateurs de la grève du 30 novembre 1938 pour la défense des acquis du Front populaire. Il passe alors trois fois en correctionnelle pour entraves à la liberté du travail, et n’est réembauché que sur intervention de l’inspecteur du Travail.

À partir du 20 février 1939, il est employé comme ajusteur aux établissements Roux Léger, rue Auguste-Brûlé à Dijon.

Après la déclaration de guerre, exclu de la Commission administrative de l’Union départementale, il reste secrétaire général du syndicat des métaux et continue à militer malgré les pressions constantes de la préfecture. Finalement, le syndicat est dissout et, quand il se reconstitue en décembre 1939, sa nouvelle direction refuse le retour de G. Lejard.

Le 28 décembre 1939, la police municipale de Dijon effectue à son domicile une perquisition qui se révèle infructueuse.

Le 28 mars 1940, Gabriel Lejard fait l’objet d’un rapport de surveillance ; les mesures d’internement ne lui sont pas appliquées « en raison de bons renseignements recueillis sur son compte. »

Ayant été rayé de l’“affectation spéciale”, il est affecté au dépôt d’artillerie n° 8 le 2 février 1940, arrivant au corps le 16 mai. Après la défaite, il est démobilisé le 1er août. .

De retour dans Dijon occupée, il adhère immédiatement aux groupes clandestins formés par les cheminots et les métallurgistes pour confectionner de faux papiers, récupérer des armes.

Le 22 février 1941, après la réception d’une lettre anonyme de dénonciation, le Préfet demande une enquête à son sujet. Le rapport de l’inspecteur de police rédigé le 25 mars indique que les « investigations n’ont pu montrer de façon certaine que Lejard manifestait ses opinions communistes par paroles,distribution de tracts ou par réunions avec des anciens camarades du parti communiste », mais ajoute « toutefois la surveillance continue à s’exercer ». Un nouveau rapport daté du 4 juin indique cependant que Gabriel Lejard « a conservé des amitiés auprès des adhérents 

[du syndicat], qui étaient également inscrits au parti communiste » et que les « surveillances seront continuées ».

Il est alors domicilié au 10, rue du Creux d’Enfer à Dijon.

Le 22 juin 1941, Gabriel Lejard est arrêté par les Allemands [1]. Il est rapidement transféré au camp de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 –Polizeihaftlager). Il y est détenu plus d’un an.

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Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne,
futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Les 14 déportés de Côte-d’Or se regroupent dans le même wagon. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Gabriel Lejard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45772 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différentsKommandos.

Gabriel Lejard est affecté un moment à la sablière, aux côtés de Roger Kinsbourg (46287), ancien maire-adjoint de Metz replié à Chenove (21) qui lui dit : « Gaby, je suis perdu. Si tu rentres, indique bien à ma famille comment je suis mort. » ; R. Kinsbourg meurt le 27 juillet.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Gabriel Lejard est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

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Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Là, Gabriel Lejard est assigné au Block 17 et de nouveau affecté à une sablière (Krisgrube), puis dans unKommando de terrassement. En octobre, il est aux côtés de Paul Charton – son dernier camarade proche – quand celui-ci est sélectionné pour la chambre à gaz à cause d’une cheville enflée [2]. Il côtoie égalementPierre Longhi, ancien maire-adjoint de Montreuil (93). En novembre, il reste seul de la cinquantaine de Français entrés avec lui au Block 17.

Affecté à des Kommandos qui ne lui permettent pas d’augmenter sa ration alimentaire par le troc, Gaby Lejard bénéficie de la solidarité organisée par Yannick Mahé, qui dépose des pains à la portée de sa colonne de détenus.

Le 22 octobre, dans un courrier à caractère urgent, le Préfet délégué de la Côte- d’Or demande au Commissaire central de Dijon que celui-ci lui fasse connaître si l’intéressé a été libéré et, dans la négative, de lui préciser quelles sont les personnes à charge, leur situation matérielle et son avis sur l’opportunité de leur attribuer une aide financière.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, Gabriel Lejard est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

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Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient
les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues –
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage
de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blockset Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Gabriel Lejard est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 29 août, il est parmi les trente “45000” [3] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “Prominenten” polonais) transférés au KL [4] Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin. À leur arrivée, et jusqu’au 25 septembre, les trente sont affectés au Block 66.

Début octobre, Gabriel Lejard est parmi les huit “45000” transférés avec d’autres détenus à Kochendorf dans le Bade-Würtemberg (Kommando de Natzweiler-Struthof), dans une ancienne mine de sel aménagée en usine souterraine pour la construction des V2.

Fin mars 1945, les mêmes hommes sont dans une colonne de 1500 détenus évacués à marche forcée jusqu’à Augsbourg, puis en train de wagons découverts jusqu’au KL Dachau, où 200 survivants arrivent le 8 avril. Le camp est libéré par l’armée américaine le 29 avril.

Le 16 mai, Gabriel Lejard est rapatrié avec Louis Eudier (45523), du Havre (connu avant-guerre dans des congrès de métallos CGT), dans des camions de l’armée Leclerc qui rentrent en France via Strasbourg.

Sa fille Jeanine, née le 31 août 1927, qui a commencé à l’accompagner dans la lutte clandestine, entre en 1942 dans les Forces Unies de la Jeunesse Patriotiques, puis aux FTPF. Elle adhère au Parti Communiste. Elle devient agent de liaison régional puis national FTPF et est promue au grade de lieutenant. Recherchée après différentes missions, elle est envoyée dans la région bordelaise.

Arrêtée le 2 juin 1944 dans un hôtel de la rue de Châlon à Paris, lors d’une mission dans la capitale, elle ne livre pas un mot malgré la torture. Elle est transférée au Fort du Hâ, à Bordeaux.

Le 9 août, elle est déportée depuis Bordeaux dans le convoi appelé “Le train fantôme”, du fait de son parcours exceptionnellement chaotique, contournant le Massif Central par le Sud et passant à Dijon le 23 août. Le transport arrive finalement le 28 août au KL Dachau où restent les 548 hommes, tandis que les 64 femmes sont conduites au KL Ravensbrück le 30 août. Enregistrée dans la série matricule 62400, Jeanine Lejard y décède le 15 avril 1945, à quelques jours de la libération du camp. Elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume et son nom est donné à une caserne (?) de Dijon. En 1998, une plaque commémorative est apposée sur la façade de la maison où elle a vécu avec ses parents, au 10 rue du Creux-d’Enfer.

À son retour, Gabriel Lejard est réintégré à la Commission administrative de l’Union départementale CGT et reprend immédiatement la direction du syndicat des Métaux. Nommé membre du secrétariat fédéral du PCF, il abandonne cette charge en janvier 1946 lorsqu’il devint secrétaire général de l’UD-CGT, fonction qu’il exerce encore en 1970.

Le samedi 5 juin 1948, dans le journal communiste L’Avenir de la Côte-d’Or, il signe un article « En souvenir de mes camarades de misère, et pour rafraîchir la mémoire à ceux qui ont déjà oublié ». Il y présente les clichés anthropométriques retrouvés de cinq de ses treize camarades du département, prises le 8 juillet 1942 : Jean Bouscand, Adrien Burghard, Louis Chaussard, Julien Faradon et Ernest Repiquet. « Photos qui resteront le dernier souvenir de nos camarades pour leurs familles et nous, et devant lesquelles nous nous recueillerons et prendrons l’engagement de continuer la lutte pour laquelle ils sont tombés, contre les survivances du fascisme et les menaces qui pèsent sur l’indépendance de la France. »

Il témoigne à Valenciennes, au procès de deux kapos, un Français et un Polonais, « qui maltraitaient les déportés dans les mines de sel de Kochendorf », et qui sont condamnés à mort et fusillés (date ?).

Il obtient la carte de déporté Résistant (n° 1-016-02288) et est fait officier de la Légion d’honneur en 1983.

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Droits réservés.

Gabriel Lejard décède le 2 novembre 1988. Il est inhumé au cimetière de Barges (21).

Le 19 novembre 2004, le Conseil municipal de Dijon inaugure (?) le square Gabriel Lejard, situé à proximité de son ancien domicile.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 11, 73, 119 et 120, 129, 133, 150, 153, 155, 173, 214 et 215, 242, 248, 262, 306 et 307, 318, 345, 348 et 349, 358, 363 et 411.
- Louis Eudier (45523), Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945, imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (1977 ?), page 124.
- P. Lévêque, notice in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Éditions de l’Atelier/ Éditions Ouvrières, version CD-rom 3.61, 1990-1997, citant :L’Avenir de la Côte-d’Or, 21 juillet 1945 – Interview de Gabriel Lejard.
- Albert Ouzoulias, Les bataillons de la jeunesse, éditions sociales, réédition 1997, pages 223 et 224.
- Jérôme Hamel, Thomas Fontaine, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, Éditions Tirésias, Paris 2004, I.261, tome 3, pages 55, 56 et ?.
- Dijon, notre ville, magazine d’informations municipales, n° 165, novembre 2004.
- État civil de la mairie de Barges (Côte-d’Or).
- Archives départementales de Côte-d’Or, site internet, archives en ligne : recensement de Barges, 1896-1936 ; fonds : cote 1630 W, article 252 : « arrestations par les autorités d’occupation en raison de leur passé et activité politique », et article 244, cotes 6J61 à 62 : fiches individuelles des déportés de Côte-d’Or, don de Pierre Gounand, historien ; registre des matricules militaires, bureau de recrutement de Dijon, classe 1921 (cote R2568-0038), n° 33 (vue 38/578).
- Ministère de la Défense, site SGA / Mémoire des hommes, morts pour la France 1914-1918.
- Site de l’Amicale des vétérans du PCF de Côte-d’Or.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le le 20-05-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-Isélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

[3] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon(45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung(45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux(45756), Maurice Legal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais(45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin(45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté(45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean(45976) et Germain Pierron (45985).

[4] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Émile LEHMANN – (46246 ?)

© Collection Aurélien Gachon.

© Collection Aurélien Gachon.

Émile Lehmann naît le 18 janvier 1895 à Paris 13e (75), fils de Charles Jacques Lehmann, natif du Haut-Rhin, 50 ans, couvreur, et d’Émilie Louise Pelletier, sa seconde épouse, 31 ans, journalière, domiciliés au 8, rue du Tage.

 Le 16 janvier 1904, sa mère, devenue brocheuse, décède à l’âge de 40 ans au domicile familial, alors au 73, rue Jeanne-d’Arc ; Émile a tout juste 9 ans. Le 8 juillet 1911, son père se remarie avec Léonie Désirée Avenelle, 44 ans, confectionneuse, vivant déjà avec lui. Mais, le 13 septembre 1912, celle-ci décède à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière. Le 13 avril 1913, son père, devenu marchand ambulant, trois fois veuf, décède à l’âge de 69 ans en son domicile (déclaration de Louise Lehmann, femme Mavie, 27 ans, sa fille) ; âgé de 18 ans, Émile devient pupille de l’Assistance publique de la Seine.

Après son apprentissage, Émile Lehmann est embauché comme fumiste à la Compagnie générale de construction de fours (CGCF), rue de la Grange-aux-Belles à Montrouge (Seine / Hauts-de-Seine).

Au moment de son “conseil de révision” (classe 1915), il habite à Ardentes (Indre) ; peut-être dans la famille de sa mère.

Le 10 ou 20 septembre 1915, Émile Lehmann est incorporé au 4e régiment d’infanterie. Le 1er février 1916, il « part aux armées ». Le 17 juin suivant, en première ligne à la Haute Chevauchée, cote 285, il est déclaré malade, ayant contracté une bronchite « imputable aux opérations militaires du front. » Le 23 juillet 1917, il passe au 3e R.I. Le 18 octobre suivant, il est affecté comme élève mitrailleur à l’école de tir aérien de Cazeaux (ETAC), au bord d’un lac près d’Arcachon (Gironde). Le 2 janvier 1918, il passe à l’école d’aviation militaire du Crotoy (Somme), puis, le 2 mars, à l’école (?) de Cernon (Marne ?). Le 23 avril, il retourne au 3e R.I. Le 14 septembre 1919, mis en congé de démobilisation, titulaire d’un “certificat de bonne conduite”, il se retire au 16, passage National à Paris 13e.

Il a une fille, Éliane, née le 18 mars 1928 à Paris 10e.

Le 5 octobre 1931, Émile Lehmann entre au service de la municipalité de Colombes

[1] (Seine / Hauts-de-Seine) en qualité de paveur auxiliaire. Il sera titularisé en 1937.

En janvier 1932, il habite au 13 ou 14, avenue Andréa Ségard, à Colombes.

À partir d’avril 1935 et jusqu’au moment de son arrestation, Émile Lehmann est domicilié au 15 bis, rue Clara-Lemoine à Colombes. En 1936, il vit avec Léontine Marie Faure, née le 2 mai 1906 à Saint-Pardoux-la-Rivière (Dordogne).

Il adhère au Parti communiste à la suite de l’élection d’une municipalité PC à la tête de la commune en 1935, militant au sein de la section locale « jusqu’à la dissolution des organisations relevant de la IIIe Internationale », selon la police. Il est également membre de la CGT.

Le 28 novembre 1939 à Colombes, Émile Lehmann épouse Léontine Marie Faure.

Resté militant communiste dans l’illégalité, il refuse de partir en zone Sud (Dordogne) où sa famille, alsacienne d’origine, est installée.

Après son arrestation (en juillet 1943), les Renseignements Généraux diront de lui  : « Dans son entourage, Lehmann ne fait l’objet d’aucune remarque particulière. Il est considéré comme un ouvrier moyen, assidu au travail, et il n’aurait plus attiré l’attention au point de vue politique depuis la dissolution du parti communiste ».

Le 25 juin 1941, Émile Lehmann est arrêté à son domicile par la services du commissariat de police de la circonscription de Colombes. Le même jour, 92 militants ouvriers sont arrêtés dans le département de la Seine. Émile Lehmann est « interné administrativement par arrêté de M. le Préfet de Police, en date du 26 juin 1941, en application du décret du du 18 novembre 1939, à la demande du Commissariat de police de la circonscription de Colombes, qui le soupçonnait, en raison de son activité antérieure, de se livrer à la propagande communiste clandestine. Il a été ensuite, sur leur demande, mis à la disposition des Autorités Allemandes… » [3] à l’Hôtel Matignon. Il apparaît clairement qu’Emmanuel Lehmann n’a été inscrit sur une liste d’arrestations par le commissaire de Colombes qu’au motif d’un vague soupçon (un vieux fichier d’adhérents ?), probablement afin de remplir un quota.

Les hommes arrêtés sont transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule n° 280 et assigné au bâtiment A2, Émile Lehmann fait partie des militants qui inaugurent ce camp de police.

Le 23 août, Léontine Lehmann écrit au préfet de police pour demander la mise en liberté de son mari, en son nom et en celui de sa fille, expliquant : « … l’an dernier, mon mari a écrit au maire de Colombes qu’il reniait pour toujours la IIIe Internationale. Au reste, mon mari avait depuis plusieurs années rompu toutes relations avec les communistes ». Le 2 septembre, le chef du 1er bureau du cabinet du préfet de police écrit au commissaire de police de Colombes pour lui demander de « faire connaître à l’intéressée que sa demande ne peut être favorablement accueillie dans les circonstances actuelles ». Le 5 septembre, Madame Lehmann signe ce courrier avec la mention « Reçu communication ».

En octobre, un “blanc” des RG indique interné « À la demande [du commissaire de Colombes] duquel il était connu comme un élément actif de la propagande clandestine communiste ».

D’autres notes le désigneront comme un « meneur particulièrement actif ».

Le 5 mai 1942, le directeur des affaires départementales de la préfecture de la Seine, en charge du personnel communal à la sous-direction des communes, écrit au préfet de police, service des affaires de Sûreté générale, pour le questionner sur les faits qui ont motivé l’incarcération d’Émile Lehmann, « paveur communal », en vue d’examiner sa situation administrative. Le 28 mai, une note interne de RG indique que celui-ci a été interné « à la demande du Commissaire de police de la circonscription de Colombes qui le considérait comme un élément actif de la propagande clandestine communiste ». Le 8 juin, sans faire mention de l’intervention du commissaire, l’administration de la préfecture de police répond à celle de la Seine qu’Émile Lehmann a été interné « parce que considéré comme un élément actif de la propagande clandestine communiste à Colombes ».

Entre fin avril et fin juin 1942, Émile Lehmann est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Durant le trajet en France, Émile Lehmann lance un message depuis son wagon annonçant son départ « pour une destination inconnue ».

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Émile Lehman est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46246, selon les listes reconstituées (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Émile Lehmann.

 

Il meurt à Auschwitz le 21 septembre 1942, l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Au printemps 1943, Léontine Lehmann écrit directement au maréchal Pétain pour lui signaler l’arrestation de son mari et solliciter une mesure de grâce en sa faveur. Le 29 mars, la délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés – faisant une erreur de destinataire ! – écrit au préfet du Pas-de-Calais, à Arras, afin de connaître les motifs de l’arrestation d’Émile Lehmann et si ce sont les autorités allemandes ou françaises qui l’ont effectuée. Le 3 avril, la préfecture du Pas-de-Calais transmet la demande d’informations au préfet de police, à Paris. C’est à cette occasion que l’on voit paraître, dans un rapport des RG du 29 avril 1943, une version explicite des motifs «… [le] Commissaire […] le soupçonnait, en raison de son activité antérieure, de se livrer à la propagande communiste clandestine ». Néanmoins, dans un rapport du 25 juillet, le « Commissaire » – individu responsable – devient le « Commissariat » – institution abstraite. Entre temps, le 7 mai, le directeur de cabinet du préfet a répondu au chef du secrétariat particulier du maréchal de France, chef de l’État que « le nommé Lehmann Émile […] a été interné administrativement en tant que suspect de se livrer à la propagande communiste clandestine et mis ensuite à la disposition des autorités allemandes, sur leur demande ». Début août, une note du directeur-adjoint chargé de la sous-direction administrative du cabinet du préfet indique « qu’il n’est pas possible d’émettre un avis sur la libération du nommé Lehmann, celui-ci ayant été pris en charge par les Autorités allemandes ».

Déclaré “Mort pour la France” (25-9-1950), Émile Lehmann est homologué comme “Déporté politique”.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-06-1994).

Notes :

[1] Colombes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Dossier de Brinon : ancien journaliste et “ultra” de la collaboration, Fernand (de) Brinon était Délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités militaires allemandes d’occupation. Quand des requêtes étaient formulées par les familles des détenus auprès de l’administration française, la Délégation générale les transmettait à la Commission d’armistice (bipartite), après enquête de la police ou de la gendarmerie pour s’assurer des conditions d’arrestation et de l’honorabilité du détenu. Une lettre était ensuite adressée aux familles sous couvert de l’organisme qui en avait fait la demande : elle leur annonçait que l’intervention avait eu lieu et leur faisait part de la réponse fournie par les autorités allemandes. Ainsi, un très grand nombre de fiches de la Délégation générale portent le nom de “45000” ; surtout après le départ du convoi, le 6 juillet 1942, et l’absence de nouvelles résultant de leur statut particulier. La plupart de ces fiches se trouvent dans les dossiers d’état civil des déportés conservés au BAVCC (anciennement archives du secrétariat d’État aux Anciens Combattants).

[3] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée – au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich – plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht, réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich” et qui ouvre en tant que camp de police. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 381 et 411.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Communication téléphonique avec M. Pinallie, son neveu (4/1992) – Questionnaire rempli par sa fille, Eliane Gachon (6/1993) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national).
- Archives départementales de Paris, site internet, archives en ligne : extrait du registre des naissances du 13e arrondissement à la date du 18-01-1895 (registre V4E 9508), acte n° 175 (vue 7/31).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397) ; archives du cabinet du préfet, dossier de Lehmann Émile (1W721-26731).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 : relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 705 (32118/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 6-10-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Lucien LEHMANN – 46293

Lucien, Léopold, Lehmann (parfois orthographié Lehman) naît le 16 juillet 1895 à Sedan (Ardennes), chez ses parents, Meier Lehmann, 34 ans, négociant en métaux, et Clémence Weil, 29 ans, son épouse, domiciliés au 49 bis avenue Philippoteaux, à proximité du pont traversant la Meuse en direction de la gare.
Sedan. L’avenue Philippoteaux vue depuis le pont dans les les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Sedan. L’avenue Philippoteaux vue depuis le pont dans les les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

En 1914, Lucien Lehmann habite au 35 rue Boudet à Bordeaux (Gironde), y travaillant comme employé de commerce (en formation ?).
De la classe 1914, il n’est pas mobilisé à la déclaration de guerre, début août, en raison d’une vue très défectueuse. Le 10 septembre 1915, il rejoint 76e le régiment d’infanterie comme soldat de 2e classe. Le 25 février 1916, il est classé “service auxiliaire” sur avis rendu par la commission de réforme de Rodez. Le 20 mai suivant, celle-ci confirme ce classement « pour myopie élevée avec lésions ». Le 7 juillet, Lucien Lehmann passe à la 20e section de secrétaires d’état-major. Le 11 novembre 1917, il est nommé caporal. Le 6 avril 1919, il est placé en “sursis d’appel” au titre d’agent commercial chez son père, rue de Wadelincourt à Sedan, dans une petite zone industrielle en bord de Meuse, à proximité de leur domicile de l’autre côté du pont. Le 23 août 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation.
Le 17 novembre 1919, à Paris 4e, Lucien Lehmann, devenu à son tour négociant en métaux, domicilié au 50 ter, avenue Philippoteaux à Sedan (voisin de ses parents), se marie avec Simone Marianne Ach, 23 ans, née le 10 juillet 1896 dans cet arrondissement. Les témoins des mariés sont Léon Lehmann, « métallurgiste », et Simon Ach, joailler. Les jeunes époux reviennent s’installer chez Lucien à Sedan.
En 1921, naît leur fille Geneviève et, en 1925, leur fille Francine, toutes deux à Sedan.
En 1936, la famille habite au 61 avenue Philippoteaux à Sedan ; leur foyer héberge une domestique de 37 ans.
Le 30 octobre 1939, Lucien Lehmann est rappelé à l’activité militaire dans l’“affectation spéciale” à la Maison Lehmann de Sedan pour la « récupération de ferraille ». Le 11 septembre 1940, il est démobilisé par le centre de démobilisation de Dives-sur-Mer (Calvados – 14), sur la côte normande où son épouse et leurs deux filles se sont réfugiées (ou se réfugieront…).
Au moment de son arrestation, Lucien Lehman, désigné comme employé de bureau, est domicilié avenue de la Marne à Cabourg (14), commune voisine.
Le 1er mai 1942, il est arrêté chez lui par la police française. Figurant comme Juif sur une liste d’arrestations demandées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) 
[1], il est conduit à la gendarmerie de Dives-sur-Mer.
Le 4 mai, il fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandise de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), Frontstalag 122 – Polizeihaftlager. Ils y arrivent le 5 mai, en soirée. Lucien Lehman y est enregistré sous le matricule 5293.
La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). Selon les listes reconstituées du convoi, Lucien Lehman est déporté comme otage juif.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le docteur Abraham Drucker, de Caen, resté à Compiègne, signale la présence de Lucien Lehman dans le convoi (lettre du 15 février 1946).

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Lucien Lehman est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46293 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

 Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Lucien Lehman.

Il meurt à Auschwitz le 10 août 1942, selon plusieurs registres tenus par l’administration SS du camp ; un mois après l’arrivée de son convoi, le même jour que dix-neuf autres “45000”.

Sa veuve, Simone Lehmann, décède le 13 juin 1961 à Montbéliard (Doubs).

Le 26 août 1987, à la demande de David Badache, rescapé caennais du convoi, est inaugurée une stèle apposée par la municipalité de Caen sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.

Le nom de Lucien Lehman est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen côté avenue Albert Sorel afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005). De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés
de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005).
De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

Inscrit sur le Mur des noms…

Inscrit sur le Mur des noms…

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés, au Mont-Valérien (Seine / Hauts-de-Seine) pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, page 52, notice par Claudine Cardon-Hamet, page 122.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 361 et 411.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 136 et 138.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre d’appel avec la liste des détenus décédés (Verstorben Häftlinge).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 706 (19310/1942), orthographié « Lehmann ».
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 136 et 138.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 25-09-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Raymond LEGRAND – 45771

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Raymond, Hervé, Legrand, naît le 22 décembre 1900 à Paris 14e arrondissement – à la maternité de Port-Royal – fils de Marie Legrand, 25 ans, lingère, domiciliée au 9, passage de l’Industrie, et de « père non dénommé ». Il semble avoir une sœur ou une cousine, « L. », née vers 1891 (à vérifier…).

Raymond Legrand poursuit des études secondaires.

En 1919, après la fin de la guerre, il s’engage dans l’armée pour trois ans. Affecté au 58e régiment d’infanterie, il devient sergent sur une auto-mitrailleuse (il est titulaire du permis de conduire).

Démobilisé, Raymond Legrand trouve un emploi de comptable dans une entreprise de 35 employés, installée au 27, rue Lafitte à Paris.

Entre 1924 et 1927, il est adhérent à la CGTU.

À partir du 12 décembre 1927, il loge au 39, boulevard Ornano (Paris 18e).

En 1928, il est comptable chez un marchand de pneumatiques rue d’Amsterdam à Paris 9e. Il est alors membre de la Chambre syndicale unitaire des comptables, teneurs de livres et employés aux écritures de la Seine.

Cette même année, il est également membre du 8e rayon de la région parisienne du Parti communiste.

Le 5 août, à Ivry-sur-Seine, il est appréhendé lors d’une manifestation de rue organisée par la section locale du PC, puis relâché après vérification de domicile, sans aucune suite judiciaire.

À l’automne 1934, il habite au 66, rue du Vertbois (Paris 3e). Il est célibataire.

En 1928, il commence à s’intéresser à la politique du Parti communiste. Pendant un temps, il appartient à l’Union socialiste républicaine, qu’il quitte lors de l’avènement du Front Populaire en 1936 (?). Participant aux grèves et aux manifestations, il adhère en Parti communiste en juillet, inscrit à la cellule 301, peut-être par l’entremise d’André Mercier, député de Paris et désigné comme un ami. Raymond Legrand est membre du bureau de sa cellule pendant cinq mois. Pendant un mois, il suit les cours de l’école des cadres organisée par la section communiste du 3e arrondissement.

En novembre 1936, Raymond Legrand s’engage – au titre du PC – dans les Brigades internationales pour défendre la République espagnole contre la rébellion du général Franco soutenue militairement par Hitler et Mussolini. Chef de peloton au sein de la 14e brigade – dans la 2e compagnie de mitrailleuses ? -, Raymond Legrand participe aux batailles de Grenade, Cordoue. Le 2 décembre, il rentre en France en permission.

Il est de retour en Espagne pour participer aux combats dans le secteur de Caspe, sur la rive droite de l’Ebre (16-17 mars 1938), lors de l’offensive d’Aragon menée par l’armée “nationaliste”. C’est probablement lors de cette dernière bataille qu’il est blessé « à la face » : le 28 mai 1938, il signe une biographie de militant depuis l’hôpital de Vic, ville située entre Barcelone et la frontière. Le 1er juillet suivant, il est secrétaire général de la « troyka » de la caserne du camp de « récupération » d’Olot, ville encore plus proche de la frontière et où a été évacué la base des brigades internationales. Il y est également chargé de l’« agit-prop » radio.

En 1937, il a adhéré au Secours rouge international à Demia et, en janvier 1938, au Parti communiste espagnol.

Le 21 septembre 1938, le gouvernement républicain de Juan Negrín se soumet à la décision de la Société des Nations et dissout les Brigades internationales. Deux jours plus tard, les brigadistes livrent leur dernier combat. Ils sont ensuite progressivement regroupés : le 27 octobre 1938, les volontaires des armées du Centre et du Levant sont rassemblés à Valence, tandis que ceux qui sont engagés en Catalogne sont réunis à Barcelone.

Considéré comme un « bon antifasciste », Raymond Legrand est rapatrié en France en octobre 1938 ; il se rend alors au 16, de la rue de Notre-Dame-de-Nazareth à Paris 3e.

Insigne de l’Association des volontaires pour l’Espagne républicaine, ayant appartenu à Christophe Le Meur. Produit entre la mi-1938 et la mi-1939. Coll. André Le Breton.

Insigne de l’Association des volontaires
pour l’Espagne républicaine,
ayant appartenu à Christophe Le Meur.
Produit entre la mi-1938 et la mi-1939.
Coll. André Le Breton.

Le 26 juillet 1939, il dépose au Parquet du tribunal de 1ère instance de la Seine une déclaration de son intention de publier un hebdomadaire intitulé Catalunya (La Catalogne). Il déclare alors travailler comme chauffeur.

Le 24 décembre 1941, peu après 6 heures du matin, dans le cadre d’une vague d’arrestations organisées par la police française contre 33 anciens membres des brigades internationales (dont Jean Cazorla, Maurice Fontès…) en application du décret du 8 novembre 1939, Raymond Legrand est arrêté à son domicile par des agents du commissariat des Arts et Métiers. Deux jours plus tard, il est interné administrativement à la caserne des Tourelles, 141 boulevard Mortier (Paris 20e).

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre. Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ». Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre.
Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ».
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 5 mai 1942, Raymond Legrand fait partie des 24 internés des Tourelles, pour moitié anciens Brigadistes, que vient chercher une escorte de Feldgendarmes afin de les conduire à la gare du Nord, où ils rejoignent 13 communistes extraits du dépôt et 14 « internés administratifs de la police judiciaire ». Un train amène tous les détenus au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Raymond Legrand est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45771 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Raymond Legrand est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est assigné au Block 16 avec d’autres “45000”.

Raymond Legrand meurt à Auschwitz le 1er septembre 1942 selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « insuffisance (du muscle) cardiaque » (Herzmuskelinsuffizienz).

En France, après le retour des premiers déportés, il est porté « disparu » pendant un certain temps.

Raymond Legrand est homologué comme “Déporté politique”.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-06-1994).

Une plaque honore sa mémoire au cimetière du Père-Lachaise, ainsi que sur l’immeuble où il a habité, au 66 rue du Vertbois.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 370 et 411.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 14e arrondissement à la date du 25-12-1900 (V4E 9770), acte n° 10416 (vue 23/28).
- Dossiers des brigades internationales dans les archives du Komintern, fonds du Centre russe pour la conservation des archives en histoire politique et sociale (RGASPI), Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), campus de l’Université de Paris X-Nanterre, microfilms acquis par la BDIC et l’AVER-ACER, bobines cotes Mfm 880/22 (545.6.1275), 880/48 (545.2.290).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, internés dans différents camps… (BA 1837) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 978-45964).
- François Tanniou, sur le site Plaques Commémoratives (aujourd’hui désactivé), citant : Ministère de la Défense, bureau Résistance.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 705.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre du Block 16.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 26651/1942.
- Philippe Apeloig, Enfants de Paris, 1939-1945, éditions Gallimard, 2018, page 143 : photo de la plaque commémorative.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

 

Roger LEGENDRE – (45768 ?)

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Droits réservés.

Roger, René, Auguste, Legendre naît le 25 ou 26 juillet 1902 à Tours (Indre-et-Loire – 37), chez ses parents, René Legendre, 35 ans, menuisier, et Augustine Mirebeaux, son épouse, 25 ans, couturière, domiciliés au 22 rue d’Entraigues. Les témoins pour l’enregistrement du nouveau-né à l’état civil sont deux autres menuisiers.

Son père décède avant qu’il se marie. Sa mère se remarie et s’installe avec son nouvel époux, A. Duchiron, à la Riche, à l’ouest de l’agglomération de Tours, entre le Cher et la Loire.

Le 12 juin 1926, à Tours, Roger Legendre – alors chauffeur – se marie avec Marcelle Landereau, née à Tours le 29 septembre 1899, papetière, dont les deux parents sont décédés. Le couple habite alors à la Riche.

Au moment de son arrestation, Roger Legendre est domicilié à Joué-les-Tours (37), peut-être au lieu dit la Gloriette ; son adresse reste à préciser.

Sa profession reste à préciser.

À des dates et pour un motif restant à préciser, Roger Legendre est arrêté puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 –Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central.  Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)  Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Roger Legendre est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45768 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Roger Legendre.

Il meurt à Auschwitz le 27 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Le nom de Roger Legendre est inscrit sur le Monument aux morts de Joué-les-Tours et sur la stèle “À la mémoire des Jocondiens morts en déportation 1940-1945” – “Résistants, politiques, juifs déportés au nom des lois de l’Allemagne nazie et de celles de de la France de Vichy”, installée dans le square de la Résistance aux Moriers, à l’angle de la rue des Martyrs et de l’avenue du Général de Gaulle dévoilée le 9 mai 2011.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 17-05-1994).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 364 et 411.
- Archives départementales d’Indre-et-Loire, site internet du Conseil départemental, archives en ligne ; registre des naissances de Tours, année 1902 (6NUM8/261/350), acte n° 758 (vue 57/374) ; registre des mariages de Tours, année 1926 (6NUM8/261/475), acte n° 233 (vue 118/311).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 705 (33024/1942).
- Site Mémorial GenWeb, relevé de Thierry Montambaux (2000-2002) et relevé de Claude Richard mis en ligne en juin 2011.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 26-06-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

 

Charles LEGAC – 45770

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Charles, André, Legac naît le 28 novembre 1910 au 34, cité des Fleurs à Paris 17e, fils d’Élisa Legac, 20 ans, journalière, domiciliée 39, rue Louis-Blanc à Courbevoie (Seine / Hauts-de-Seine), et de père non dénommé. Le 19 janvier 1911, sa mère le reconnaît à la mairie du Petit-Quevilly (Seine-Inférieure / Seine-Maritime

[1] – 76), à l’ouest de Rouen, dans la boucle de la Seine, où elle est alors domiciliée dans la petite rue Galilée, dans la cité Lefevre.

Le 9 juin 1934 au Petit-Quevilly, Charles Legac se marie avec Lucienne, Angèle, France, Barbier. Ils auront une fille, Françoise.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 23, rue Thiers, au Petit-Quevilly.

Charles Legac est employé de bureau.

Il est un temps secrétaire de la section communiste du Petit-Quevilly.

Il est également secrétaire du Comité local du Front populaire.

Le 22 décembre 1940, après l’interdiction du Parti communiste puis l’invasion allemande, le commissaire de police du Petit-Quevilly l’inscrit sur une « liste des individus se livrant à une propagande en faveur des partis dissous » ; il est « fortement soupçonné » d’avoir participé à au moins une distribution de tracts clandestins.

Dans la nuit du 21 au 22 octobre 1941, Charles Legac est arrêté à son domicile lors de la grande rafle de Rouen et de sa banlieue [2].

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

On peut penser que – comme les autres otages – il est transféré le 30 octobre de la caserne Hatry de Rouen au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise ), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Charles Legac est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45770. Sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Charles Legac est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

En effet, à deux reprises, à des dates restant à préciser, il est admis au Block 20 de l’hôpital d’Auschwitz-I, réservés aux malades contagieux.

Il meurt à Auschwitz le 23 novembre 1942, selon une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, et où est inscrit le matricule n° 45770.

En septembre 1946, l’état civil français le déclare décédé à la date du 5 octobre 1942 [4].

Il a été déclaré “Mort pour la France” (3/6/1947).

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Dans le cimetière communal
de Petit Quevilly.
Photo Mémoire Vive. D.R.
Stèle en hommage aux Déportés apposée sur le monument aux morts de Petit Quevilly situé dans le cimetière communal. Photo Mémoire Vive. D.R.

Stèle en hommage aux Déportés apposée sur le monument
aux morts de Petit Quevilly situé dans le cimetière communal.
Photo Mémoire Vive. D.R.

Son nom est également parmi ceux des 218 militant.e.s inscrit.e.s sur plusieurs plaques apposées dans la cour du siège de la fédération du PCF, 33 place du Général-de-Gaulle à Rouen, avec un extrait d’un poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) : « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’espoir et le désespoir. », et sous une statue en haut-relief dont l’auteur reste à préciser.

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

    Une des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre, au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

Une des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre, au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

À une date restant à préciser, le conseil municipal de Petit-Quevilly donne le nom de Charles Legac à une rue de la commune.

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Cliché Mémoire Vive. D.R.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 17-05-1994).

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – dans un large périmètre autour de Rouen a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste). Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. Tous les hommes appréhendés furent, en effet, remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. 44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.

(*) 150 selon 30 ans de luttes, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine-Saint-Denis – 93).

[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil : dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

 

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 376 et 410.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie réalisée à Rouen en 2000, citant : liste établie par Louis Jouvin (45697), du Grand-Quevilly – Témoignage de Robert Gaillard (45565), du Petit-Quevilly – Questionnaire de Lucien Ducastel (45491), du Petit-Quevilly (20/1/1988) – Mairie du Petit-Quevilly : acte de décès (17/9/1946), formule 3bis, n° acte 41, n° du registre 25, dossier n° 19097.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 25-11-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Henri LEFEVRE – (45762 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Henri, Léopold, Lefèvre naît le 17 juin 1894 à Levallois-Perret

[1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92), chez ses parents, Louis Léopold Lefevre, 31 ans, serrurier, et Émilie Pierre, 37 ans, journalière, son épouse, domiciliés au 33, rue Victor-Hugo. La famille compte déjà Thomas, 13 ans, Eugénie, 9 ans 1/2, et Louis, 3 ans. Leur frère cadet, Georges Louis Léopold, naît le 12 mars 1899 à Clichy, alors qu’ils sont domiciliés au 1, rue du Bois.

En 1911, la famille est installée au 3, rue Trezel à Levallois, hébergeant également Louis Le Rouillé, 15 ans, né à Marigny (?).

Habitant chez ses parents, Henri Lefevre commence à travailler comme électricien.

Incorporé le 2 septembre 1914 comme canonnier de 2e classe au 5e régiment d’artillerie à pied, il rejoint son unité le 18 septembre. Le 5 septembre, un tribunal militaire de Paris l’a condamné à une peine de prison avec sursis pour vol. Le 9 mars 1916 à Béthincourt, sur la rive gauche de la Meuse, au cours de la bataille de Verdun, lors d’une offensive allemande au nord du Mort-Homme, Henri Lefevre est fait prisonnier. Il est interné dans un Stalag [2] à Meschede (Rhénanie-du-Nord/Westphalie). Le 1er septembre 1917, l’armée le considère comme « passé dans la réserve de l’armée active ». Le 26 décembre 1919, il est rapatrié d’Allemagne. Deux jours plus tard, il arrive au DTI. Le 18 février 1919, il passe au 13e RAC. Le 3 septembre suivant, il est démobilisé et se retire au 3, rue Trézel. Plus tard, il adhérera à l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC).

Le 29 mars 1919, à Levallois-Perret, Henri Lefèvre épouse Marie Raymond, née le 25 février 1891 à Châteauneuf-la-Forêt (Haute-Vienne), veuve d’un premier mariage dont elle a une fille, Marie-Louise Valade, âgée de 4 ans et demi. Un an plus tard, le couple a un premier enfant, Albert.

Henri Lefèvre est métallurgiste (rectifieur).

En mai 1921, il habite avec sa famille au 129, rue Gravel à Levallois. Son deuxième fils, Raymond, naît en 1924.

En octobre 1925, la famille est installée dans une maison mitoyenne d’un étage au 155, de la Cité Jardin à Gennevilliers [1] (92), qui vient d’être édifiée dans l’ancien parc du château de Richelieu par l’Office public d’habitation à bon marché de la Seine.

La cité jardin de Gennevilliers dans les années 1920-1930 ; probablement la future rue Chevreul. Carte postale.

La cité jardin de Gennevilliers dans les années 1920-1930 ; probablement la future rue Chevreul.
Carte postale.

Leur fille Jacqueline naît en 1930. En 1931, les Lefèvre hébergent la mère d’Henri, Marie-Louise, ainsi qu’une nièce, Renée Jean-Pierre, née en 1914 à Paris et manœuvre à Levallois. Marie Lefèvre est alors manœuvre chez Carbone.

Début 1931 et jusqu’à son arrestation, Henri Lefèvre est perceur aux établissements Chausson, fabrique de radiateurs pour véhicules automobiles, à Asnières-sur-Seine [1] (92). Il est adhérent à l’Union syndicale des travailleurs de la Métallurgie, voiture-aviation, maréchalerie et parties similaires de la région parisienne et secrétaire du Comité intersyndical de Gennevilliers.

D’autre part, il est membre du 7e rayon de la région parisienne et assiste régulièrement aux réunions organisées, parfois à son domicile, par les groupements dont il fait partie. Il est également membre du Secours populaire de France. En janvier 1931, il fait l’objet d’un rapport de la direction des Renseignements généraux adressé au préfet de police.

En 1936, le même pavillon familial a reçu pour nouvelle adresse le 34, rue Chevreul. Marie Valade est alors employée comme bonne. L’aîné des garçons, Albert, 16 ans, est entré comme tôlier chez Chausson. Renée Jean-Pierre habite toujours avec eux, travaillant chez Hydra à Levallois.

Après la déclaration de guerre, Henri Lefèvre est affecté spécial comme ouvrier perceur-rectifieur à l’arsenal de Puteaux.

Communiste, « vieux syndicaliste (qui) a vécu toutes les luttes ouvrières », il « rejoint le combat clandestin dès août 1940 ».

Sous l’occupation, la police française le considère comme un « agitateur communiste notoire ; se (livrant) à une active propagande clandestine ».

Le 5 octobre 1940, Henri Lefèvre est appréhendé par la police française lors de la grande vague d’arrestations organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain contre des hommes connus avant guerre pour être des responsables communistes (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant. Le préfet de police a signé l’ordonnance de son internement administratif, en application du décret du 18 novembre 1919. Après avoir été regroupés en différents lieux, 182 militants sont conduits le jour-même en internement administratif au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé à cette occasion dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

© AD 78.

© AD 78.

Le 26 février 1941, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Henri Lefèvre, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, n’exprime pas son avis mais constate que cet interné est « un « communiste certain dont l’internement n’a pas modifié les opinions », ajoutant à sa décharge : « père de 4 enfants ».

L’administration du camp lit systématiquement la correspondance des détenus et y relève toutes les informations concernant leur état d’esprit à titre individuel ou collectif. Le 12 juillet 1941, après l’invasion de l’URSS par le Reich, le directeur du CSS d’Aincourt adresse un rapport au préfet de Seine-et-Oise avec plusieurs extraits des lettres interceptées en lui faisant « connaître que, depuis la guerre germano-soviétique, [il] communique tous les matins, à Laurent Darnar, la presse parisienne. Ce dernier fait un extrait succinct et objectif des informations que[le directeur fait] afficher ensuite à l’intérieur du Centre. Ce procédé représente l’avantage de [lui] éviter toute critique personnelle dans la rédaction de ce communiqué et a fini de discréditer complètement l’interné Laurent Darnar aux yeux de ses anciens camarades… ». Le 26 juillet, le préfet de Seine-et-Oise écrit à Joseph Darnand, ministre secrétaire d’État à l’Intérieur, pour lui transmettre « les réactions suscitées par ce communiqué ». Henri Lefevre, de Gennevilliers, a écrit : « …nous avons appris aujourd’hui que la France demandait l’armistice en Syrie. Il aurait été préférable de ne jamais faire cette guerre, cela eût évité de perdre des vies humaines. Quant aux communiqués allemands, la semaine dernière, il paraît qu’ils avançaient et, depuis deux ou trois jours, il paraît qu’ils n’avancent plus. Je crois que c’est un recul stratégique qu’ils opèrent ».

Le 6 septembre, Henri Lefevre est parmi les 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 9 février 1942, il est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Henri Lefèvre est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45762, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Henri Lefèvre.

Il meurt à Auschwitz le 20 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause certainement mensongère de sa mort « valvulopathie cardiaque » (Herzklappenfehler).

Au deuxième semestre 1952, Marie Lefèvre, en tant que conjointe, remplit un formulaire du ministère des anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) pour demander l’attribution du titre de déporté politique à son mari à titre posthume. Elle habite alors toujours rue Chevreul à Gennevilliers. Mais début 1953, elle s’installe à Saint-Léger-du Bois (Oise)

Henri Lefèvre est homologué comme “Déporté politique”. La notice délivrée en Mairie en rappelle « le dévouement et l’abnégation ».

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Gennevilliers, situé dans le cimetière communal.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 9-04-1994).

Notes :

[1] Levallois-PerretGennevilliers et Asnières : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes industrielles de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Stalag : abréviation de Stammlager, « camp ordinaire », venant du terme Kriegsgefangenen-Mannschafts-Stammlager, « camp ordinaire de prisonniers de guerre », est un camp de prisonniers destiné aux soldats et sous-officiers, les officiers étant détenus dans des Oflags. (source Wikipedia)

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 382 et 410.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier individuel) – Archives municipales de Gennevilliers (liste des déportés, nom des rues).
- Archives départementales des Hauts-de-Seine (AD 92) : registre des naissances de Levallois-Perret, année 1895, acte n° 454 (vue 80/90).
- Archives de Paris : registres matricules du recrutement militaire, 2e bureau de la Seine, classe 1914 (D4R1-1796), n° 4854.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : archives du cabinet du préfet, dossier individuel (1 W 1200-61330).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 704 (23421/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 23421/1942.
- Site Mémorial GenWeb, 92-Gennevilliers, relevé de Sylvain Aimé (2000-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-05-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Henri LEFEVRE – 45763

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Henri Victor Lefèvre naît le 16 janvier 1918 à Saint-Ouen (Seine / Seine-Saint-Denis – 93)

[1], chez ses parents, Albert Lefèvre, 40 ans, journalier, et Claire Louise Houille, 36 ans, son épouse, journalière, domiciliés au 123 boulevard Victor-Hugo. Lors de la présentation du nouveau-né à l’état civil, les témoins sont deux chiffonniers de Saint-Ouen.

Henri Lefèvre travaille comme ajusteur (ce qui correspond au souvenir de Fernand Devaux).

En 1939, il habite chez ses parents au 81 boulevard Victor Hugo à Saint-Ouen. Au moment de son arrestation, il est toujours domicilié dans cette commune.

Le 2 septembre 1938, il est incorporé au 2e dépôt des équipages de la Flotte afin d’y accomplir son service militaire, mais la suite de cette affectation est à vérifier.Louis Heracle (déporté à Buchenwald), ouvrier à l’usine Alsthom de Saint-Ouen, évoque un apprenti nommé Lefèvre, arrêté avant lui, fin 1940, dans le bureau du personnel de l’usine par les policiers de la Brigade spéciale des Renseignements généraux, et mort en déportation. S’agit-il d’Henri Lefèvre qui avait 23 ans ?

Le 4 avril 1942 à la Mairie de Saint-Ouen, Henri Lefèvre, âgé de 24 ans, se marie avec Louise Eugénie Bailly, 19 ans, née le 7 avril 1922 à Saint-Ouen.

À des dates et pour un motif restant à préciser, il est arrêté (le 28 avril ?) puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). (Henri Lefèvre ne passe pas par Rouillé…)

Le camp vu depuis le mirador central. Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”) Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (dit “camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Henri Lefèvre est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45763 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Henri Lefèvre.

Il meurt à Auschwitz le 9 août 1942, selon le registre d’appel du camp (Stärkebuch) ; un mois après l’arrivée de son convoi.

Le 11 janvier 1947, sa veuve se remarie à Saint-Ouen.

Le 6 juin suivant, la date du décès d’Henri Lefèvre est apposée sur son acte de naissance.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 9-04-1994).

À Saint-Ouen, son nom est inscrit sur la stèle érigée en « Hommage aux résistants, femmes, hommes, déportés à Auschwitz-Birkenau ».

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Le monument dédié aux dix-sept “45000” de Saint-Ouen
et à Marie-Jeanne Bauer, “31000”, inauguré le 24 avril 2005
dans le square des 45000 et des 31000.

Notes :

[1] Saint-Ouen : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 387 et 410.
- Monique Houssin, Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis, Un nom, une rue, une histoire, Les éditions de l’Atelier/ Les éditions Ouvrières, Paris 2004, page 191.
- Fernand Devaux, note.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1540 (Stb. 2, 281-284), prénom orthographié « Heinrich ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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