Jacques LÉVY – 46295

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jacques Emmanuel, Lévy naît le 19 février 1905 à Tours (Indre-et-Loire), chez ses parents Salomon (Séligman) Lévy, 32 ans, négociant (marchand en tissus), et Clémence Joseph, 22 ans, son épouse, domiciliés au 21, rue du Gazomètre, dans le quartier de La Riche, sur la rive gauche de la Loire. Pour l’inscription du nouveau-né à l’état civil, les témoins sont son grand-père, Michel Lévy, 68 ans, négociant, et un jeune rabbin, Léon Sommer. Jacques a une sœur, Yvonne, âgée de 19 ans en 1921 ; à vérifier….

En 1921 et jusqu’au moment de son arrestation, Jacques Lévy est domicilié au 43, rue Georges Delpérier (l’ancienne rue du Gazomètre, à laquelle a été donné le nom d’un sculpteur qui y habitait jusqu’à son décès en 1936).

Jacques Lévy est employé de commerce dans le textile, chez Monjuré.

À une date restant à préciser, il est arrêté comme otage juif à la suite d’un attentat, puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Son nom est inscrit (n° 564) sur une liste allemande du convoi n°2, parti de Compiègne le 5 juin 1942. Néanmoins, il n’a pas été déporté ce jour-là.

Entre fin avril et fin juin 1942, Jacques Lévy est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). Selon les listes reconstituées du convoi, Jacques Lévy est déporté comme otage juif.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jacques Lévy est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46295 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Jacques Lévy se déclare alors comme agriculteur (Landwirt) et comme Juif. Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jacques Lévy est peut-être dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

En effet, à une date restant à préciser, son nom est inscrit dans le registre du bâtiment des maladies internes (Block 28) de l’hôpital des détenus du camp souche (Auschwitz-I).

Il meurt à Auschwitz le 22 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « Affections respiratoires et faiblesse physique » (Bronchialkatarrh bei Körperschwäche).

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 18-08-1995).

Au mémorial de la Shoah à Paris, on peut le trouver sur le mur des noms : « Jacques LEVY 1905 ».

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 65 et 66, 364 et 411.
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet : archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), doc. c2-41.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 717.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 23602/1942.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 16-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

René LEVINSKY – (46297 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

René Levinsky (ou Levinski) naît le 2 avril 1922 à Paris, 12e arrondissement, fils de Chaïm Levinski et de Perla (ou Pasla), dite Pauline, Parlight, son épouse, natifs de Pologne.

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié chez ses parents au 4, route de Caen (devenue rue du général-de-Gaulle) à Dives-sur-Mer (Calvados).

Célibataire, comptable, René Levinsky travaille à la chemiserie (mercerie ou magasin de “nouveautés”) de son père, avec sa mère.

Peu après ses 20 ans, dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, il est arrêté avec son père à leur domicile par la police française : ils sont inscrits comme Juif sur une liste d’arrestations exigées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du déraillement d’un train de permissionnaires allemands à Moult-Argence (Airan)

[1].

Le 3 mai, remis aux autorités d’occupation, ils sont emmenés au “petit lycée” où sont rassemblés les otages du Calvados. Le 4 mai au soir, ils font partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandise de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le lendemain, 5 mai, en soirée.

Entre fin avril et fin juin 1942, René Levinsky est sélectionné avec son père, Chaïm, parmi plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, René Levinsky est enregistré à Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 45297, selon les listes reconstituées (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté René Levinsky.

Il meurt à Auschwitz le 18 octobre 1942, selon  selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; son père Chaïm est mort dès le 7 août, un mois après l’arrivée de leur convoi…

À Dives-sur-Mer, son nom figure sur le monument dédié Aux victimes des camps de concentration nazis, sur la face où sont inscrits les Divais décédés dans les camps d’extermination….

      

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 19-03-1995).

Le nom de René Levinsky est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen côté avenue Albert Sorel afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

JPEG - 140.7 ko
Le Mémorial de la Shoah, au 17 rue Geoffroy-l’Asnier à Paris 4e.
À gauche, panneau du Mur des noms pour les déportés
de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés
depuis l’achèvement du mur
 » (janvier 2005).
De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942
y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.
JPEG - 48.8 ko
Inscrit sur le Mur des noms…

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés, au Mont-Valérien (Hauts-de-Seine – 93) pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

 

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’associationMémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, page 101 et notice biographique par Claudine Cardon-Hamet page 126.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 65, 74, 362 et 411.
- Jean Quellien (1992), sur le site non officiel de Beaucoudray, peut-être extrait de son livre Résistance et sabotages en Normandie, paru pour la première fois aux éditions Charles Corlet en 1992.
- Claude Doktor, Le Calvados et Dives-sur-Mer sous l’Occupation, 1940-1944, La répression, éditions Charles Corlet, novembre 2000, Condé-sur-Noireau, pages 151 et 152.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 716 (36427/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 16-07-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Chaïm ou Haïm LEVINSKY – 46296

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Chaïm Levinsky (ou Levinski) naît le 18 août 1888 à Lodz (Pologne).

Il est marié à Perla (ou Pasla) Parlight, née le 12 octobre 1918. Ils ont un fils, René, né le 2 avril 1922 à Paris 12e.

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 4, rue de Caen (devenue rue du Général-de-Gaulle) à Dives-sur-Mer (Calvados).

Chaïm Levinsky est chemisier, gérant un magasin d’habillement ou une mercerie (“nouveautés”).

Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, à une heure du matin, Chaïm est arrêté avec son fils René à leur domicile par la police française, inscrits comme Juifs sur une liste d’arrestations exigées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du déraillement d’un train de permissionnaires allemands à Moult-Argence (Airan)

[1].

Le 3 mai, remis aux autorités d’occupation, ils sont conduits au “petit lycée” où sont rassemblés les otages du Calvados. Le 4 mai au soir, ils font partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandise de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le lendemain, 5 mai.

Entre fin avril et fin juin 1942, Chaïm Levinski est sélectionné avec son fils René parmi plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Chaïm Levinsky est enregistré comme détenu juif au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46296 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Chaïm Levinsky est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

En effet, à une date restant à préciser, il est admis dans un des Blocks de l’hôpital d’Auschwitz-I.

Il y meurt le 7 août 1942, selon deux registres du camp, un mois après l’arrivée de son convoi, âgé de 54 ans ; son fils René meurt le 18 octobre suivant.

Son commerce est liquidé sur ordre des autorités occupantes : en septembre 1942, Angeliaune, responsable local du groupe Collaboration, met en cause un conseiller municipal de Villers-sur-Mer pour vente illicite de la marchandise du commerce de Chaïm Lévinsky.

Perla, son épouse, quitte la région avant l’évacuation officielle des Juifs du secteur de Rouen et de la zone côtière le 24 novembre 1943.

Chaïm Levinsky est homologué comme “Déporté politique”.

À Dives-sur-Mer, son nom figure sur le monument du cimetière communal dédié Aux victimes des camps de concentration nazis, sur la face où sont inscrits les Divais décédés dans les camps d’extermination….

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 19-03-1995).

JPEG - 140.7 ko
Le Mémorial de la Shoah, au 17 rue Geoffroy-l’Asnier à Paris 4e.
À gauche, panneau du Mur des noms pour les déportés
de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés
depuis l’achèvement du mur
 » (janvier 2005).
De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942
y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.
JPEG - 48.8 ko
Inscrit sur le Mur des noms…

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés, au Mont-Valérien (Hauts-de-Seine – 93) pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

 

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, page 101 et notice biographique par Claudine Cardon-Hamet page 126.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 65, 74, 362 et 411.
- Jean Quellien (1992), sur le site non officiel de Beaucouday, peut-être extrait de son livre Résistance et sabotages en Normandie, paru pour la première fois aux éditions Charles Corlet en 1992.
- Claude Doktor, Le Calvados et Dives-sur-Mer sous l’Occupation, 1940-1944, La répression, éditions Charles Corlet, novembre 2000, Condé-sur-Noireau, pages 151 et 152.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 716 (18581/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), archives ; Starke Bucher du 7 au 8 août 1942.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 17-07-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Robert LEVILION – 46294

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Robert Adrien Gérard naît le 10 mai 1906 à la maternité de l’hôpital Cochin, 123, boulevard de Port-Royal à Paris 14e, fils de Marie-Josèphe Gérard, vingt-cinq ans, vendeuse en modes, domiciliée au 29, rue de Turin (Paris 8e), et de père non dénommé.

Le 28 octobre suivant, à la mairie du 17e arrondissement, l’enfant est reconnu par Marcel Lévilion, 34 ans, employé ; le 25 juin 1892, Baruch Marcel Salomon Cahen, fils d’un négociant parisien, avait été autorisé, ainsi que son père, à substituer « Lévilion » à son nom patronymique par décret du président de la République. Le 3 mai 1917, les parents de Robert, qui vivent ensemble au 5, rue Armand-Gauthier, se marient à la mairie du 18e arrondissement.
Sa mère étant chrétienne, Robert Lévilion est élevé dans la religion catholique qu’il pratique régulièrement.
Il poursuit des études de Lettres. Ses parents habitent alors au 12, rue Erlanger, à Paris 16e.
De la classe 1926, le conseil de révision de la Seine lui accorde un sursis d’un an pour « astigmie myopique oblique ». Ce sursis est ensuite renouvelé régulièrement plusieurs années de suite.
Agrégé de philosophie, Robert Lévilion semble débuter comme professeur de lycée à Charleville-Mézières (Ardennes – 08) ; en octobre 1932, il est domicilié au 29, quai du Moulinet (devenu quai Arthur-Rimbaud ?) dans cette ville.Le 15 octobre de cette année, il est appelé à l’activité militaire à la 23e section de COA, mais ne rejoint pas cette unité pour raison de santé. Dix jours plus tard, le 25 octobre, la commission de réforme de Sedan (08) le réforme définitivement n° 2 pour « atrophie musculaire gauche (membre inférieur) et surtout de la jambe avec parésie des membres antérieurs et postérieurs, boiterie à la marche, fatigue rapide des muscles atrophiés… ».

Le 1er octobre 1937, il est muté à Poitiers (Vienne) ; il a une adresse postale au 15, rue des Écossais. Il enseigne dans une classe de terminale littéraire (“Philosophie”) et dans une classe de terminale scientifique (“Mathématiques élémentaires”). Dans cette ville, il marque la mémoire de ses élèves, mais ce n’est pas là qu’il sera arrêté.

Le 1er mars 1940, la 2e commission de réforme de Poitiers le maintien réformé définitivement.

Sous l’occupation, pendant ses cours, Robert Lévilion tient des propos hostiles aux théories nazies.

En octobre 1941, il est “muté” au lycée Montaigne de Bordeaux (Gironde – 33), où il retrouve le même service d’enseignement.

Bordeaux. Le lycée Montaigne. Carte postale oblitérée en 1949. Collection Mémoire Vive.

Bordeaux. Le lycée Montaigne. Carte postale oblitérée en 1949. Collection Mémoire Vive.

Trois mois plus tard, le 16 décembre 1941, Robert Lévilion est arrêté à son domicile pour « attitude anti-allemande et propagande gaulliste » et interné au camp français d’internement de Beaudésert sur la commune de Mérignac (33), puis au fort du Hâ, alors Maison d’arrêt de Bordeaux, réquisitionné en grande partie par l’armée d’occupation.

Bordeaux. La rue du Palais-de-Justice et le Fort du Ha. Carte postale oblitérée en 1904. Collection de Jean-Paul Dauris.

Bordeaux. La rue du Palais-de-Justice et le Fort du Ha. Carte postale oblitérée en 1904. Collection de Jean-Paul Dauris.

Dans la nuit du 26 au 27 mai 1942, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule 5968. Il est affecté au quartier C – le camp des otages juifs – bâtiment 2, chambre 6.

Dans son carnet de notes quotidien sur le camp, François Montel mentionne à la date du 1er juin : « Lévillion giflé par Gueule d’Ange 

[un gardien allemand] devient maboul. Il a dû arracher de l’herbe en compagnie du CCM. “Comment pourrais-je continuer à mépriser les ouvriers !” clame-t-il ». François Montel considère ce propos comme « faribole » et ajoute avec condescendance à propos de Lévilion : « La Société française lui paraît procéder de deux ou trois douairières de Poitiers, véritables comtesses d’Escarbagnas (ceux qui sont partisans de modifications de l’ordre social sont mal élevés ou mal habitués – et il a une cravate impossible – c’est un infirme). » La référence à Poitiers et à un handicap physique amène à considérer qu’il s’agit bien de Robert Lévilion.

Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Robert Lévilion est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 456294 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Mais le destin de Robert Lévilion s’est peut-être déjà joué. Il semble en effet que le récit d’un rescapé du convoi, David Badache, puisse se rapporter aux circonstances de sa mort : « Le 9 juillet 1942 – le lendemain de notre arrivée – nous sommes transférés du camp principal à Birkenau. Pendant le trajet, les SS séparent les déportés de notre convoi qui parlent allemand, environ 200, et les interrogent sur leurs professions dont ils se moquent. Un professeur crie “Vive de Gaulle”. Il est aussitôt abattu d’un coup de pistolet par un SS ». S’il s’agit bien de lui, il est possible que Robert Lévilion ait été emmené au Revier (l’infirmerie) où il aurait succombé plus tard des suites de sa blessure.

Dix jours après l’arrivée de son convoi et parmi les premiers “45000”, il meurt à Auschwitz le 18 juillet 1942, d’après la liste des morts inscrits sur le registre d’appel (Stärkebuch) du camp – où il figure sous la mention « Juif français » (Frz. Jude) – et l’acte de décès établi par l’administration SS (Sterbebücher).

En France, sa date de décès est modifiée deux fois en fonction des informations obtenues : d’abord enregistrée à la date du 6 juillet 1942, avec pour lieu Compiègne, elle est modifiée au 11 janvier 1942 (décalage normatif de cinq jours) avec pour lieu Auschwitz, et enfin rectifiée au 18 juillet.

Un décret du 29 novembre 1946 attribue à Robert Lévilion la Médaille de la Résistance française à titre posthume.

Son père, Marcel Lévilion, alors veuf, toujours domicilié au 12, rue Erlanger, décède le 22 décembre 1948 dans une clinique au 10, rue Boileau, Paris 16e.

Le nom de Robert Lévilion figure sur les plaques commémoratives du personnel du lycée Montaigne de Bordeaux, “Mort pour la France”.

Le Mémorial de la Shoah, au 17 rue Geoffroy-l’Asnier à Paris 4e. À gauche, panneau du Mur des noms pour les déportés de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005). De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive (déc.2011).

Le Mémorial de la Shoah, au 17 rue Geoffroy-l’Asnier à Paris 4e. À gauche, panneau du Mur des noms pour les déportés de l’année 1942
avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005).
De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive (déc. 2011).

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Inscrit sur le Mur des noms…

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 364 et 411.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour une exposition sur les “45000” et “31000” de Poitou-Charente (2001), citant : Geoffroy de Clecq, ancien élève de Robert Lévilion, résistant, déporté à Wansleben – David Badache, entretien.
- François Montel, Journal de Compiègne, 29 avril 1942 – 23 juin 1942, présenté et annoté par Serge Klarsfeld, édition FFDJF (Fils et filles des déportés juifs de France), 1999, page 56.
- Archives de Paris : registre des naissances du 16e arrondissement, année 1906 (14N 388), acte n° 4180 (vue 31/31) ; registre des naissances du 9e arrondissement, année 1872 (V4E 3486), acte n° 2074 (vue 11/31) ; registre des mariages du 18e arrondissement, année 1917 (18M 474), acte n° 778 (vue 9/22) ; registres matricules du recrutement militaire, classe 1926, 2e bureau de la Seine (D4R1 2627), n° 2601 ; registre des décès du 16e arrondissement, année 1948 (16D 181), acte n° 2405 (vue 13/22).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 716 (15586/1942), orthographié « Levilion ».
- Pôle des archives des victimes des conflits contemporains (PAVCC), ministère de la Défense, Caen : seul document conservé sur Levilion Robert, une fiche “de Brinon” de personne arrêtée, recherches de Ginette Petiot (message 03-2017).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-11-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

 

Lucien LEVAUFRE – 45792

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Lucien, Jules, Auguste, Levaufre naît le 10 octobre 1910 à Octeville, agglomération de Cherbourg (Manche).

Au moment de son arrestation, il est domicilié place de la République à Octeville. Marié, il a deux enfants, dont une fille, Janine, née le 25 décembre 1930.

Métallurgiste, il est chaudronnier à l’Arsenal de Cherbourg, comme Pierre Picquenot et Lucien Siouville.

Cherbourg. Le port militaire et les ateliers des forges de l’Arsenal dans les années 1900.  Carte Postale. Coll. Mémoire Vive.

Cherbourg. Le port militaire et les ateliers des forges de l’Arsenal dans les années 1900.
Carte Postale. Coll. Mémoire Vive.

Militant communiste, Lucien Levaufre est révoqué quand le Parti communiste est interdit après la signature du pacte germano-soviétique ; comme René Fouquet et Charles Mauger.

Le 22 octobre 1941, Lucien Levaufre est arrêté à Octeville – comme Pierre Picquenot, et Pierre Cadiou, à Equeurdreville – détenu à la prison maritime de Cherbourg, puis transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne,
futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Lucien Levaufre est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Lucien Levaufre est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45792 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Lucien Levaufre.

Il meurt à Auschwitz le 2 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause certainement mensongère de sa mort « bronchopneumonie ».

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 25-02-1995).

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’associationMémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Claudine Cardon-Hamet page 130.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 83, 366 et 411.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 715.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 26914/1942.
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MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 4-05-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Robert LEVASSEUR – (45793 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Robert, Fernand, Levasseur naît le 4 juillet 1919 au Havre (Seine-Inférieure / Seine-Maritime 

[1] – 76).

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 5 rue Lenner, au Havre. Il est célibataire.

Selon les sources, Robert Levasseur est docker ou peintre.

Communiste depuis 1936, il est syndiqué à la CGT.

Le 24 février 1942, il est pris comme otage à la suite de l’attentat de la place de l’Arsenal [2]. En représailles, il y aura de nombreuses arrestations d’otages et vingt seront fusillés le 31 mars suivant [3].

Au Havre, la place de l’Arsenal, à la fois esplanade et quai entre le bassin du Roy (à gauche) et le bassin du Commerce (à droite). Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive.

Au Havre, la place de l’Arsenal,
à la fois esplanade et quai entre le bassin du Roy (à gauche) et le bassin du Commerce (à droite).
Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive.

Il est successivement détenu au Havre, à Rouen, puis transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [4] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Robert Levasseur est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45793, selon les listes reconstituées. La photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Robert Levasseur.

Il meurt à Auschwitz le 15 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher)  [5].Déclaré “Mort pour la France” (20/1/1948), il est homologué comme “Déporté politique” (1954). La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 8-03-1995).

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] L’action de la place de l’Arsenal et la rafle de février 1942 : « Le 23 février 1942, place de l’Arsenal au Havre, les jeunes des premiers “Bataillons de la Jeunesse” incorporés dans l’O.S., attaquent à la grenade un détachement de l’armée allemande. L’O.S. est l’Organisation Spéciale qui à partir de septembre 1940 est la structure militante chargée de la protection des colleurs d’affiches et des distributeurs de tracts, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée. Il y a là Michel Muzard, Jean Hascouet et le groupe “Léon Lioust”. C’est une des premières attaques d’un détachement de l’armée allemande dans la France occupée. » Albert Ouzoulias,Les bataillons de la Jeunesse, Éditions Sociales, Paris 1967, p. 201, 202. Claude-Paul Couture désigne comme auteur de l’attentat « le groupe Chatel de la 2e Cie FTP », En Seine-Maritime de 1939 à 1945, CRDP de Rouen, 1986, p. 15.

[3] AVIS

De nouveau, un attentat a été commis au Havre contre l’armée allemande et cela contre une colonne en route. Jusqu’à présent, le coupable n’a pas été découvert. Si, dans un délai de douze jours, c’est-à-dire jusqu’au 6 mars 1942 à midi, le coupable n’est pas retrouvé, trente communistes et juifs, parmi lesquels le coupable doit être recherché, seront fusillés sur l’ordre du Militaerbefehlshaber in Frankreich. Pour éviter cette sanction, la population est invitée à coopérer de toutes ses forces à la recherche et à l’arrestation du coupable.

Der Chef des Militaerbefehlshaber in Frankreich Von der Lippe, Generalleutnant, Journal de Rouen du 25 février 1942.

AVIS

Le 23 février 1942, au Havre, on a jeté un engin explosif sur une colonne de route de la Kriegsmarine. Deux soldats allemands ont été blessés. Jusqu’à aujourd’hui, malgré ma demande à la population havraise, les auteurs de cette attaque si lâche sont restés inconnus. En suite, le vom Frankreich a ordonné, comme je l’ai menacé l’autre jour, la fusillade de communistes et juifs – dont appartiennent les malfaiteurs – pour expier cette nouvelle attaque. La fusillade a été exécutée aujourd’hui.

Saint-Germain-en-Laye, le 31 mars 1942 Der Chef des Militaerverwaltung Bezirkes A. Gez : Von der Lippe, Generalleutnant, Journal de Rouen des 4 et 5 avril 1942.

[4] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller.

À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

[5] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, page 377.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie réalisée à Rouen en 2000, citant : Liste établie par Louis Eudier (45523), du Havre, en 1973 – Archives municipales du Havre (Madame S. Barot, Conservateur) – Le Havre, listes électorales,
- Jugement déclaratif de décès (18/6/1992) – Témoignage de Jules Le Troadec (45766) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 711 (36124/1942), orthographié « Lerasseur ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 15-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Roger LEVACHÉ – 45791

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Roger, Arnoult, Levaché naît le 5 août 1908 à Marcoussis

[1] (Seine-et-Oise / Essonne) dans une famille de cultivateurs qui produisent des légumes de plein champ : choux, poireaux, tomates, salades, fraises… À force de labeur, ils sont parvenus à acheter une fermette sans animaux – excepté un cheval pour le travail de la terre (d’où, également, des parcelles consacrées au blé, à l’avoine et à la luzerne) – au 12, rue Émile-Zola.

Mobilisé au cours de la Première Guerre mondiale, le père de Roger Levaché (Alfred ?) meurt dans la nuit du 12 au 13 décembre 1917 à Saint-Michel-de-Maurienne lors du déraillement d’un train qui fait plusieurs centaines de victimes parmi des soldats revenants du front italien [2]. Sa mère continue de faire vivre l’exploitation, en employant des ouvriers agricoles. Elle peut l’étendre en achetant des terrains.

Devenu cultivateur à son tour, Roger Levaché épouse Hélène Petit, née le 19 mars 1908, cultivatrice, le 20 décembre 1930. Ils ont deux enfants : Jean, né le 3 novembre 1934, et (Guy dit) Jim, né le 31 décembre 1938. Par sa famille, Hélène héritera de terres portant la surface de l’exploitation à environ 7 hectares.

Militant dans les organisations agricoles et au Parti communiste, Roger Levaché exerce des responsabilités locales, participant à (ou organisant) des réunions dans les villages des environs (à La-Ville-du-Bois…). Selon un document d’archives daté de 1937, le maire de Marcoussis adresse à la préfecture de Versailles un rapport défavorable le concernant. Sa mère finit par partager ses convictions et adhère également au Parti communiste. Comme elle s’est forgé un bon niveau de connaissances, elle corrige les articles que son fils rédige pour la presse militante.

Ayant réussit a faire l’acquisition d’un tracteur – instrument rare avant la guerre -, Roger Levaché répond avec une ironie provocatrice aux suspicieux qu’il l’a acheté « avec l’argent de Moscou ». Il possède également un camion (Citroën A.U. 23) pour effectuer ses livraisons aux Halles de Paris et une petite automobile qui sera réquisitionnée par l’occupant. Pour empêcher l’utilisation de son tracteur (« S’ils le prennent, ils n’iront pas bien loin. »), il trafique discrètement le moteur de celui-ci ; sabotage qui ne sera découvert qu’après la Libération, lors de la mise en route problématique de la machine.

Roger Levaché reste actif dans la clandestinité ; sa mère et son épouse connaissent ses activités. Il est dénoncé par deux personnalités de la commune dont un ancien adjudant qui écrit de lui : « Très adroit, ne peut être pris en défaut ».

Le 14 janvier 1941, le préfet de Seine-et-Oise signe l’arrêté ordonnant l’internement administratif de Roger Levaché, comme militant. Le 18 janvier – un jour de neige -, des gendarmes à vélo viennent le chercher à son domicile, mais celui-ci est parti assister à des obsèques. Ils questionnent d’abord un ouvrier agricole sciant du bois à l’extérieur des bâtiments et qu’ils prennent pour leur suspect. Finalement, les gendarmes attendent son retour dans la soirée, sur la route de Monthléry à Marcoussis, pour l’interpeller. Ils le ramènent ensuite chez lui pour prendre quelques affaires. Là, sa mère, son épouse et ses enfants assistent à son départ.

Roger Levaché est d’abord conduit au commissariat de Limours, puis interné administrativement au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre. Son épouse et ses enfants lui rendent une visite dans ce camp.

Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante.

Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante.

L’administration du centre censure sa correspondance a plusieurs reprises. On relève notamment cette fois où il écrit : « Où faut-il que nous soyons arrivés pour que les nouvelles bastilles se peuplent de plus en plus ?… jusqu’à ce qu’elles tombent, bien entendu ».

Son épouse, de caractère fragile, étant très ébranlée par cette situation, sa mère prend les rênes de l’exploitation.

Le 27 juin 1941, Roger Levaché fait partie d’un groupe de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – alors siège de la Geheime Feldpolizei – où ils rejoignent des hommes appréhendés le jour même dans les départements de la Seine-et-Oise et de la Seine par la police française en application d’arrêtés d’internement administratifs [3]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville (sur la commune des Lilas, Seine / Seine-Saint-Denis – 93), alors camp allemand, élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [4].

Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (93) et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (60), administré et gardé par la Wehrmacht (Polizeihaftlager). Pendant la traversée de la ville, effectuée à pied entre la gare et le camp, la population les regarde passer « sans dire un mot, sans un geste. Tout à coup nous entonnons La Marseillaise et crions “Des Français vendus par Pétain” » [5]. Ils sont parmi les premiers détenus qui inaugurent ce camp créé pour les « ennemis actifs du Reich » .

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Neuf mois plus tard, le 25 mars 1942, le préfet de Seine-et-Oise transmet au Conseiller supérieur d’administration de guerre [sic] de la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud une liste d’anciens internés d’Aincourt à la libération desquels il oppose un avis défavorable – « renseignements et avis formulés tant par [ses] services de police que par le directeur du centre de séjour surveillé » ; liste accompagnée de « notes » individuelles avec copie traduite en allemand, dont celle concernant Roger Levaché.

À Royallieu, il reçoit deux visites de sa famille. Une première fois, toute la communauté s’y rend, y compris les ouvrières agricoles ; mais seuls son épouse et ses enfants peuvent entrer. La deuxième fois, seuls sa mère et son fils Jean peuvent le voir.

Après l’évasion de dix-neuf responsables communistes du camp de Compiègne dans la nuit du 21 au 22 juin 1942, sa mère et son épouse accueillent pendant une nuit deux des évadés : André Tollet et Maurice Léonard. À des ouvrières agricoles qui l’interrogent sur la présence de ces étrangers, Madame Levaché répond que leur indiscrétion risque de les faire tous fusiller.

Plus tard, l’épouse de Bonnamy, de Palaiseau, vient chercher du ravitaillement (légumes et charcuterie) avec René Renard, autre détenu évadé qui a réalisé l’installation électrique du tunnel et qu’elle héberge. Ils y retrouvent André Tollet et Maurice Léonard. Les personnes rassemblées se régalent d’un lapin cuisiné. Madame Bonnamy et René Renard seront tous deux seront arrêtés le soir de leur retour.

Entre fin avril et fin juin 1942, Roger Levaché est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Roger Levaché est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; sous le numéro 45791 selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Roger Levaché est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est assigné au Block 16 avec d’autres “45000”.

Roger Levaché meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942 [6], selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [7]).

(il est le seul “45000” de Marcoussis)

À la Libération, sa mère est désignée comme membre du conseil municipal provisoire mis en place en attentant les élections. C’est ainsi qu’elle découvre dans les archives de la mairie les rapports dénonçant son fils aux autorités.

Après la Libération, la cellule du Parti communiste de Marcoussis prend le nom de Roger Levaché.

Mais une certaine opprobe poursuit sa famille : celle-ci n’est pas invitée au premier repas du Noël des prisonniers organisée dans la commune après leur retour. Mais Hélène Levaché décide qu’ils doivent quand même tous s’y rendre. N’étaient pas attendus, les enfants ne reçoivent pas de jouets. La famille est finalement inscrite les années suivantes.

Le nom de Roger Levaché est inscrit, parmi les déportés, sur le monument aux morts de Marcoussis, situé dans le cimetière communal.

Quand son fils Jean – qui ne s’engage pas en politique – fait son service militaire à Montléry, vers 1956-1957, celui-ci se voit avec plaisir dispensé du service de garde à l’armurerie. Mais il apprend un peu plus tard qu’il s’agit en fait d’une mesure de méfiance en relation avec l’activité politique de son père et de sa grand-mère (celle-ci décède dans cette période…).

En 1993, le Conseil municipal de Marcoussis donne son nom (orthographié “Levacher” et associé à Gilbert Cintrat [8]) à une rue de la commune située dans la zone industrielle qui vient d’être créée.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 25-02-1995).

Notes :

[1] Marcoussis : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] 12 décembre 1917. À Saint-Michel-de-Maurienne, déraillement d’un train de soldats revenants de la guerre. Pour des raisons encore mal éclaircies, seuls quelques wagons étaient correctement reliés au système de freinage. La ligne de la Maurienne présentant une forte rampe, la locomotive ne put correctement freiner à l’approche d’une zone de vitesse réduite et dérailla au lieu-dit “La Saussaz”. Le bilan officiel est de 425 morts, mais plusieurs estimations indiquent 675 morts environ, compte tenu des décès des suites de blessures et brûlures dans les quinze jours qui suivirent le déraillement.

[3] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder dès le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de «  Différents communistes actifs que vous désignerez  » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris.

Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.

Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés[du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. » Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés.

Le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei. En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.

À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.

Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.

Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.

Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »

[4] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[5] De l’Hôtel Matignon au Frontstalag 122 : témoignage de Marcel Stiquel (déporté au KLSachsenhausen le 24 janvier 1943). Son récit fait état de 87 internés (la liste en comporte 88) et d’un départ d’Aincourt étalé sur deux jours : les 27 et 28 juin 1941 (voir note ci-dessus).

[6] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant Roger Levaché, c’est le 15 novembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

[7] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail”. Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp

[8] Gilbert Cintrat : né le 1er juin 1907 à Marcoussis, arrêté fin 1940 sur dénonciation par la police française, qui trouve des tracts au cours de la perquisition, il passe par la prison de Rambouillet et le camp de Voves. Le 21 mai 1944, il est déporté dans un transport de 2004 hommes parti de Compiègne et arrivé trois jours plus tard au KL Neuengamme. Enregistré au camp sous le matricule 31135, il est dirigé ensuite sur le Kommando de Schandelah, situé près de Brunswick, dont les détenus travaillent, entre septembre 1944 et avril 1945, pour une raffinerie de pétrole. Gilbert Cintrat y meurt le 14 mars 1945 (source : Livre-Mémorial de la FMD, tome 3, pages 658-659 et 676, convoi I.214, par Thomas Fontaine, Gérard Fournier, Guillaume Quesnée).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 101 (citant Georges Cogniot, Parti pris, Éditions Sociales, Paris 1976, page 489), 127 et 128, 380 et 411.
- Jean Levaché, son fils, message et réponse à un questionnaire (09-2007).
- André Tollet, Le souterrain, éditions sociales, collection Souvenir, Paris 1974, pages 154 à 157.
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1W80 (relations avec les autorités allemandes), 1W277.
- Liste des 88 internés d’Aincourt (domiciliés dans l’ancien département de Seine-et-Oise) remis les 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation, et liste Internés de Seine-et-Oise à la suite d’une mesure prise par le préfet de ce département, ayant quitté le centre d’Aincourt, copies de documents des AD 78 communiquées par Fernand Devaux (03 et 11-2007).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 715 (31469/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre du Block 16.
- Site Mémorial GenWeb, 91-Marcoussis, relevé de Jean-Pierre Auclair (2003).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-09-2012)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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Gaston LETONDU – (45790 ?)

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Gaston, André, Roger, Letondu naît le 3 février 1898 à Orléans (Loiret – 45) chez ses parents, Pierre Letondu, 33 ans, cheminot, surveillant de travaux à la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans (P.O.) – compagnie qui fusionnera au sein de la SNCF début 1938

[1] -, et Philippine Mauperlier, son épouse, 29 ans, domiciliés au 27, rue de la Bourie-Rouge. Il a – au moins – deux sœurs, nées à Orléans : Gabrielle, née le 4 octobre 1894, et Ernestine, née le 18 août 1896.

Avant 1917 (?), Gaston Letondu, alors domicilié au 89, rue de la Bourie-Rouge, travaille comme chaudronnier pour la P.O.

Le 18 avril 1917, il est mobilisé au 5e régiment du Génie et part « aux armées » (sur le front) le 4 avril 1918. Le 10 mars 1919, son unité est embarquée à Bordeaux et arrive cinq jour plus tard à Casablanca, au Maroc. Il est au Maroc occidental à partir du 24 octobre. Le 4 novembre, Gaston Letondu est nommé maître-ouvrier. Le 9 février 1920, il rentre en France. Le 20 mai suivant, il est renvoyé dans ses foyers.

Dès le lendemain, 21 mai 1920, il réintègre la P.O.

Le 21 décembre suivant, à Saint-Pryvé-Saint-Mesmin (45), il se marie avec Raymonde Marc. Ils auront un enfant.

En octobre 1921, il demeure au 5, rue des Sept-Dormants, à Orléans. Un an plus tard, il habite au 4, rue de l’Écu-d’Or, dans cette ville. En février 1925, il est domicilié au 12, rue de la Joie (rue de Joie ?), à Fleury-les-Aubrais. Le 16 janvier 1930, il est peut-être en mission à Kouba, en Algérie (chez Monsieur Consola, villa Sabine). Quatorze mois plus tard, on le retrouve à l’adresse de Fleury-les-Aubrais. Le 13 octobre 1931, il est à Meknès, au Maroc (5, villa du Tanger-Fez ?). Il semble encore y être en février 1933.

Fin novembre 1934 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 88, boulevard Jean-Jaurès à Joué-les-Tours (Indre-et-Loire – 37), avec son épouse, Geneviève (?), née en 1899 à Saint-Jean (45 ?), et sa belle-mère, Rosa Bréchenier, née en 1859 à Château (45 ?), qui est à sa charge.

Gaston Letondu est toujours ouvrier chaudronnier aux ateliers SNCF de Tours, où Hilaire Seguin est tourneur sur métaux.

Le 10 février 1942, à 6 heures du matin, tous deux sont arrêtés par les autorités d’occupation, pris comme otage en représailles d’une action de la Résistance armée contre une sentinelle allemande tuée rue du Sanitas dans la nuit du 5 au 6 février. Pendant un temps, ils sont détenus au quartier Lassalle à Tours, ancienne caserne du 501e régiment de chars.

À une date restant à préciser, ils sont internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la  Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Gaston Letondu est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45790 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Gaston Letondu.

Il meurt à Auschwitz le 11 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Joué-les-Tours, ainsi que sur la stèle « À la mémoire des Jocondiens morts en déportation 1940-1945 » – « Résistants, politiques, juifs déportés au nom des lois de l’Allemagne nazie et de celles de de la France de Vichy », dévoilée le 9 mai 2011 dans le square de la Résistance, à l’angle de la rue des Martyrs et de l’avenue du Général de Gaulle, aux Moriers. Sur cette stèle sont également inscrits les noms de ses compagnons du convoi du 6 juillet 1942 :  Roger Legendre et Hilaire Seguin.  Le nom de Marcel Letondu apparait également sur la plaque commémorative “À la mémoire des agents de la SNCF tués par faits de guerre – 1939-1945” apposée aux abords des Ateliers et entretiens de Tours et Saint-Pierre-des-Corps, devenu le Technicentre de Saint-Pierre-des-Corps.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Gaston Letondu. (J.O. du 25-02-1995).

Notes :

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 364 et 411.
- Archives d’Orléans, archives en ligne : registre des naissances de l’année 1898 (2 E 338), acte n°115 du 3 février (vue 40/507).
- Archives départementales du Loiret, archives en ligne : registres des matricules militaires, bureau de recrutement d’Orléans, classe 1918, matr. 1664 (vue 188/307).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 714 (35403/1942).
- Base de données des archives historiques SNCF : service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108) ; région Sud-Ouest, agents arrêtés par les autorités allemandes (0303LM0015-001, vues 361-428/449 – 0303LM0015-004, vue 28/374).
- Site Mémorial GenWeb, relevé de Thierry Montambaux (2000-2002) et de Claude Richard (06-2011).
- Message de relecture de Dominique Maugars (11-2022).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 7-11-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Robert LETELLIER – 45789

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Collection Bey Nadji. Droits réservés.

Robert, Victor, Letellier, naît le 23 mai 1902 à Caen (Calvados – 14), fils naturel de Marie-Louise Letellier, 44 ans, veuve de Charles Letellier, débitant, décédé en 1898.

Robert Letellier acquiert une formation de couvreur. Cependant, en 1924, il est tourneur sur métaux. Il habite alors au 23 bis, rue Frédéric-Sauton, à Paris 5e.

Le 11 octobre de cette année 1924, à la mairie de son arrondissement, il se marie avec Armandine Frilley, née le 13 juin 1903 à Caen, « fille de salle ». Ils auront trois enfants : Odette, née le 12 septembre 1926 à Paris 11e, puis Georges, né le 21 février 1928, et Gisèle, née le 30 juin 1931, tous les deux à Mondeville (14). Mais le couple se séparera, avant de divorcer.

C’est un militant communiste très actif : en 1930, il est secrétaire régional du Parti Communiste ; en 1932, secrétaire de la cellule dans l’usine SMN (Société métallurgique de Normandie) de Mondeville.

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Mondeville. Hauts fourneaux et station centrale
de la Société Métallurgique de Normandie.
Carte postale sans date. Collection Mémoire Vive.

Dans le bulletin L’Exploité de la S.M.N., il écrit : « Les étrangers de sont pas responsables de la crise ». Son activité militante lui vaut de subir des brimades dans la cadre de son travail : ouvrier qualifié, il est d’abord changé de poste à l’intérieur de la SMN pour se retrouver simple manœuvre, avant d’être purement et simplement congédié au début de l’année 1934, avec la mention « à ne plus réembaucher » portée sur son dossier.

Pendant un temps, il habite la cité des Roches, à Mondeville, et, à une autre période, au 22, rue Haute, à Caen.

En février 1934, Robert Letellier est arrêté lors d’une manifestation antifasciste, mais relâché presque immédiatement. Pendant deux ans, il multiplie les conférences de propagande et les débats contradictoires aux quatre coins du Calvados.

Il est candidat du PCF aux Municipales de 1935 et aux Législatives de 1936. De 1933 à 1939, il est élu Conseiller prud’homme. En décembre 1935, il est membre de la Commission administrative de l’Union Départementale du Syndicat des Produits chimiques.

En octobre 1936, Robert Letellier quitte le Calvados – où sévit une vigoureuse répression contre les militants ouvriers – pour la région parisienne. Il s’installe à Paris, au 5, impasse Chausson, dans le 10e arrondissement, où il vit seul. Ses enfants sont en pension chez une habitante du Chezet, en Saône-et-Loire et ils échangent du courrier. Il devient secrétaire de la fédération nationale CGT des industries chimiques – dont le siège est à la Maison des Syndicats, au 33, rue de la Grange-aux-Belles. Il est membre de la section du 10e de la région Paris-Ville du PCF.

En 1937, il emménage au 46, rue de Lancry (Paris 10e), un logement de deux pièces avec cuisine. Le divorce d’avec son épouse est prononcé le 6 juin 1939 par jugement du tribunal civil de la Seine.

Après la déclaration de guerre, pendant une période de six semaines, il retourne à Caen, comme requis civil dans une usine travaillant pour la Défense nationale. Peut-être diffuse-t-il alors dans la région un « Manifeste du Comité pour l’indépendance et l’unité des syndicats à la classe ouvrière de France ». Puis il revient à Paris comme affecté spécial à l’atelier de mécanique de la maison Oguey (et Danziger), ancienne maison Auguste Herlin fils, sise au 50 rue Bichat (Paris 10e) ; probablement l’entreprise qui l’employait avant-guerre.

Le 22 mai 1940, à Yzeure (Allier), Robert Letellier épouse Ana Sugranes-Boix, née le 27 juillet 1911 à Barcelone (Espagne, Catalogne), couturière. C’est, semble-t-il, dans le centre d’hébergement de cette ville qu’il a rencontré cette réfugiée entrée en France le 13 février 1939 par Prats-de-Mollo (Pyrénées-Orientales), sans passeport, au moment de la retraite de l’armée républicaine de Catalogne. Au lendemain du mariage, elle vient habiter chez lui ; il semble que les enfants de Robert les rejoignent. Ensemble, ils auront un fils : Robert, né le 22 mars 1941 à Paris 10e.

À partir du 21 novembre 1940, Robert Letellier retrouve son emploi à la maison Oguey.

Sous l’occupation, il est considéré par les Renseignements généraux comme un « meneur particulièrement actif ». Selon la police, peu avant son arrestation, il distribue des tracts du Parti communiste clandestin sur son lieu de travail, les établissements Kellner et Bechereau, sis au 185, avenue Édouard-Vaillant à Boulogne-Billancourt.

Le 26 juin, Robert Letellier est appréhendé à son domicile par des agents du commissariat de police de circonscription de Boulogne-Billancourt dans le cadre d’une vague d’arrestations visant 92 militants ouvriers. Le préfet de police de Paris a signé les arrêtés ordonnant leur internement administratif, mais les opérations sont menées en concertation avec l’occupant. En effet, pendant quelques jours, des militants de Paris et de la “petite couronne” arrêtés dans les mêmes conditions sont conduits à l’hôtel Matignon pour y être livrés aux « autorités d’occupation » qui les rassemblent au Fort de Romainville (HL 122), sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis).

Dans les jours qui suivent (le 27 juin, le 1er juillet…), ils sont conduits à la gare du Bourget où des trains les transportent à Compiègne (Oise) 

[1]. Robert Letellier fait probablement partie de ces hommes transférés au camp allemand de Royallieu, administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) [2].

 

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne,futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Guy Lecrux, qui se trouve dans le bâtiment A2 avec lui, désigne Robert Letellier comme un membre du Comité des fêtes, organisées pour « soutenir le moral des détenus ».

Entre fin avril et fin juin 1942, Robert Letellier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Robert Letellier est enregistré à au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45789 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

transportaquarelle

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau – Robert Letellier  est dans la moitié des membres du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.Du 3 au 24 août 1942, il est présent au Revier d’Auschwitz-I , où son nom est inscrit sur un registre.

Il meurt le 31 août 1942, d’après les registres du camp.

En novembre et décembre 1942, Ana Letellier est mêlée une l’affaire de reconstitution du Parti communiste espagnol surveillée par la police française, laquelle avait constaté ses contacts avec Francisco Perramon-Ducasi, dit « Dupuis », dit « Antonio », dit « Joseph », secrétaire à l’organisation du comité en zone occupée, arrêté le 30 novembre par la 3e section des RG lors d’un rendez-vous au métro Père-Lachaise. À la suite d’une perquisition infructueuse à son domicile le 4 décembre, Ana Letellier est conduite à la préfecture pour y être interrogée, mais est relaxée sans suite.

Robert Letellier est homologué comme “Déporté politique”.

Après la guerre, le Conseil municipal de Caen a donné son nom à une rue de la ville.

Sources :

- Gabriel Désert et Jean Quellien, notice in Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 34, page 331, citant : Arch. Nat. F7/13032, 13130 – Arch. Dép. Calvados M 501, 1584, 2372, 11223, 11225, 11322 – Le Pays normand – Le Réveil des travailleurs – Ginette Lemarchand, Le Front populaire à Caen, 1934-1936, DES, Caen, 1961 – Bertrand Hamelin, Le Parti communiste dans le Calvados, des origines à 1946, mémoire de maîtrise, université de Caen, 1994 – Arch. de la SMN, dossier personnel de Robert Letellier – état civil.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 371 et 411.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Témoignages de Roger Abada et Henri Peiffer – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense (dossier individuel).
- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, pages 70, 102, 124.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 27-10035).
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi, Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur les arrestations du 26 juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Bey Nadji, petit-fils de Robert Letellier (message 09-2007).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 714 (26201/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-12-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, trois témoignages :

Jean Lyraud (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Le 26 juin, à 5 heures du matin, il est réveillé par des policiers français : « Veuillez nous suivre au poste avec une couverture et deux jours de vivres. » Un autobus le prend bientôt avec trois autres personnes arrêtées. Le véhicule fait le tour des commissariats de Montreuil et du XIe arrondissement. Un crochet à l’hôtel Matignon, qui abrite alors la police de Pétain, puis c’est le transport jusqu’aux portes du Fort de Romainville où les prisonniers sont remis aux autorités allemandes. Avec ses compagnons, jean Lyraud passe la nuit dans les casemates transformées en cachots. « Le lendemain 27 juin dans l’après-midi, nous embarquons en gare du Bourget dans des wagons spéciaux pour Compiègne. Nos gardes ont le revolver au poing et le fusil chargé, prêts à faire feu. Dans la soirée nous arrivons au camp. Quelques jours après, d’autres contingents de la région parisienne nous rejoignent. »

Henri Pasdeloup (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943), cheminot de Saint-Mihiel (Meuse), est arrêté le 23 juin 1941 par la Gestapo qui le conduit à la prison de la ville. Le 27 juin, avec d’autres détenus emmenés à bord de deux cars Citroën, il arrive devant le camp de Royallieu vers 16 h 30 : « À l’arrivée face au camp, nos gardiens nous font descendre. Alignement sur la route, comptages et recomptages. En rangs par trois nous passons les barbelés… À 19 heures, environ 400 prisonniers en provenance de la région parisienne entrent en chantant L’Internationale… Le lendemain 28 juin, réveil à 7 heures : contrôle d’identité, toise, matricule. J’ai le numéro 556. Pour notre groupe de la Meuse, cela va de 542 à 564. Ceux de la région parisienne, bien qu’arrivés après nous, sont immatriculés avant… »

Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[2] L’ “ Aktion Theoderich ” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich,plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Marcel LESTURGIE – (45773 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Marcel, Charles, Lesturgie naît le 24 novembre 1906 à Lunéville (Meurthe-et-Moselle – 54), fils d’Henri Lesturgie et de Marie Rose Antoine.

En 1924, Marcel Lesturgie habite à Limoges (Haute-Vienne). C’est là qu’il est recensé pour le recrutement militaire (Limoges-Nord, classe 1926, matricule 2943).

Le 24 septembre 1925 à Paris 14e, son frère Henri Marie, 23 ans, domicilié au 5 rue Blottière, épouse Adrienne Gallotti, 32 ans, brodeuse (Marcel n’est pas témoin au mariage).

Le 23 décembre 1930, Marcel Lesturgie est embauché par une compagnie de chemin de fer qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938

[1].

Le 17 septembre 1932, à Paris 15e, âgé de 25 ans, il se marie avec Joséphine Gallotti, 30 ans, née le 15 décembre 1901 à Paris 14e, biscuitière ; son frère Henri, employé de la Ville de Paris, est témoin à leur mariage. Marcel et Joséphine n’ont pas d’enfant.

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Marcel Lesturgie est domicilié au 39, rue de Gergovie à Paris 14e ; une sorte de cour intérieure, en retrait de la rue.

 Il est alors cantonnier à la SNCF, affecté au secteur de la gare de marchandises de la Glacière-Gentilly sur la ligne du chemin de fer de petite ceinture, près de la place de Rungis (Paris 13e).
La Glaciere-Gentilly, plan1914. Coll. Pierre Tullin, droits réservés.

La Glaciere-Gentilly, plan 1914. Coll. Pierre Tullin, droits réservés (voir sources).

Le film « Le Train », réalisé en 1964 par John Frankenheimer, comprend plusieurs scènes tournées dans la gare marchandises de la Glacière-Gentilly.  Vue des installations de la gare de marchandises le long de la rue Brillat-Savarin. Au fond, la passerelle qui reliait la place de Rungis à la rue des Longues Raies. Droits réservés.

Le film « Le Train », réalisé en 1964 par John Frankenheimer, comprend plusieurs scènes tournées dans la gare marchandises de la Glacière-Gentilly.
Vue des installations de la gare de marchandises le long de la rue Brillat-Savarin.
Au fond, la passerelle qui reliait la place de Rungis à la rue des Longues Raies.
Droits réservés.

Marcel Lesturgie adhère au parti communiste en 1936, militant à la cellule 1460 de Paris 14e, dont il est pendant un temps trésorier et responsable de la « littérature ».
Pendant la drôle de guerre et la campagne de France, il est mobilisé comme “affecté spécial” au titre de la SNCF.
Le 23 novembre 1940, le préfet de police de Paris signe un arrêté d’internement administratif le concernant, en application du décret du 18-11-1939. Échappe-t-il à l’arrestation, ou est-il libéré après celle-ci ?
Début novembre 1940, Marcel Lesturgie est interpellé par un ancien camarade qui lui remet un mot de Monjauvis, ancien conseiller municipal du 13e arrondissement, lui demandant de reprendre une activité clandestine. Après discussion avec ce camarade, il accepte. Un jour suivant, il est accosté près de la sortie de son travail par un piéton qui le prévient que, le lendemain, on lui remettra un paquet au coin de la rue de Tolbiac et de la rue Baudricourt – lui-même devant rester en bordure du trottoir, à cheval sur son vélo – ce paquet devant être porté le jour même derrière la mairie du 13e à un camarade reconnaissable à sa main bandée.Marcel Lesturgie sert ainsi à quatre reprises « d’intermédiaire dans les 13e et 14e arrondissements pour la transmission entre militants communistes de matériel destiné à la confection de tracts clandestins… ».

Début mars 1941, à la suite « de nombreuses enquêtes et surveillances effectuées dans le quartier de Plaisance », deux inspecteurs de la brigade spéciale anticommuniste des Renseignements généraux acquièrent « la certitude que [Marcel Lesturgie prend] une part active à la propagande clandestine dans le 14e arrondissement… ».

Le 6 mars 1941, les deux policiers se présentent à son domicile. Lors de la perquisition, ils trouvent, sur la cheminée de la salle à manger, une page d’un cahier d’écolier portant au crayon des instructions destinées à la mise en page et à l’impression d’un prochain tract, sur la cheminée de la salle à manger, un exemplaire de L’Humanité daté du 14 février 1941 (n° 99 rectifié en n° 100 au crayon ; peut-être un modèle…), dans l’armoire de la chambre, 24 stencils vierges (et 2 au-dessus), enfin, dans le placard de la chambre, environ 500 feuilles de papier à duplicateur, dont plusieurs provenant d’un tirage manqué, 5 stencils vierges et une quinzaine de feuilles de papier carbone. Marcel Lesturgie déclare que l’ensemble correspond au contenu du dernier paquet qu’il n’a pu livrer rue Gassendi, son contact n’étant pas venu au rendez-vous. Sur sa table de nuit sont également trouvés une brochure ronéotypée intitulée Recommandations et directives aux militants et un exemplaire de La Tribune des cheminots daté de décembre 1940, documents remis par des camarades. Marcel Lesturgie rédige et signe une déclaration selon laquelle il remet « spontanément » ces documents aux inspecteurs : s’agit-il d’une procédure équivalant à des aveux ?

Aussitôt arrêté, Marcel Lesturgie est conduit dans les locaux de la BS, à la préfecture de police. Le 7 mars, après son interrogatoire et au vu du rapport des inspecteurs, André Cougoule, commissaire des renseignements généraux, officier de police judiciaire, l’inculpe d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 et le fait conduire au Dépôt, à disposition du procureur de la République. Le lendemain, Marcel Lesturgie est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (à Paris 14).

Le 10 mars, la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine le condamne à dix mois de prison. Le 17 avril, il est transféré à l’établissement pénitentiaire de Fresnes  [2] (Seine / Val-de-Marne).

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 6 mai, la 10e chambre de la Cour d’appel confirme le premier jugement.

À l’expiration de sa peine, le 23 octobre, Marcel Lesturgie n’est pas libéré : le préfet de police de Paris signe un arrêté ordonnant son internement administratif. Le 10 novembre 1941, Marcel Lesturgie fait partie d’un groupe de 58 militants communistes transférés au « centre de séjour surveillé » (CSS) de Rouillé (Vienne).

Le 8 novembre 1941, la direction de la SNCF le révoque de son emploi.

Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; enregistré sous le matricule 5962, il est pendant un temps assigné au bâtiment A7.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Marcel Lesturgie est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Marcel Lesturgie est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45788, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Lesturgie.

On ignore la date exacte de son décès à Auschwitz ; probablement avant la mi-mars 1943.

Il est déclaré “Mort pour la France”.

Notes :

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] Fresnes : Jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 372 et 411.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central) – Témoignages André Deslandes – Madame A. Ponty, sœur de Gabriel Ponty – Mairie du 14e – M. Cottard, Revue d’Histoire du 14e, n°29 de février 1989.
- Archives Départementales du Val-de-Marne, Maison d’arrêt de Fresnes, dossier des détenus “libérés” du 16 au 31-10-1941, cote 511w24.
- Archives nationales, correspondance de la Chancellerie sur des procès pour propagande et activité communistes, BB18 7042.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “Occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374), communistes fonctionnaires internés… (BA 2214), liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossiers de la BS1 (GB 52), n° 172, « affaire Lesturgie », 7-03-1941.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 111.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75 ).
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 932-933).
- Site Petite Ceinture Info : https://www.petiteceinture-info.fr/Gare-aux-marchandises-de-La-Glaciere-Gentilly.html.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 28-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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