Alphonse MARIE – (45831 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Alphonse, Jules, Auguste, Marie naît le 24 novembre 1889 à Maisy (Calvados – 14), chez ses parents, Jules Gustave Marie, 26 ans, maçon, et Eugénie Vallery, 20 ans, son épouse, journalière. Le 4 février 1892, naît son frère Albert. En 1896, tous quatre sont réunis au Hameau Poix, à Grandcamp-les-Bains (14).

Le 7 août 1899, à sept heures du soir, Eugénie Marie, la mère de famille, décède prématurément au domicile familial, à Grandcamp-les-Bains, âgée de 29 ans (parmi les témoins déclarant le décès à l’état civil, le beau-frère de la défunte, Jacques Marie, 29 ans). Alphonse n’a que 10 ans.

Le 24 juillet 1903 à Trévières (14), son père se remarie avec Adolphine Souflant, 35 ans, elle-même veuve. Ce couple recomposé a bientôt un enfant : Marcel Alfred Désiré, né le 8 février 1904 à Trévières, demi-frère d’Alphonse et Albert. En 1906, ils habiteront au quartier du Haut-Bosc et de la Vacquerie ; sans Albert ni Alphonse (âgé de 17 ans).

Pendant un temps, Alphonse Marie habite à La Cambe (14) et travaille comme jardinier.

Le 9 mai 1910, à la mairie de Caen, il contracte un engagement militaire pour trois ans et rejoint le 1er régiment de marche de zouaves à Alger. Du 30 avril 1911 au 4 avril 1913, il est en opérations au Maroc. Le 9 octobre 1911, il est nommé clairon. Par le décret du 15 mai 1912, il obtient la médaille du Maroc. Le 9 mai 1913, il passe dans la réserve de l’armée active, au 11e bataillon de zouaves, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

En octobre 1913, il est domicilié à Littry (14), chez Monsieur Venest (?). En mars 1914, il est domicilié à Campigny (14), chez Monsieur Guilbert (?).

Le 3 août 1914, rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale, Alphonse Marie rejoint son régiment de réserve, le 11e zouaves. Le 10 août, suivant, le 1er zouave est formé à Saint-Denis avec le 4e bataillon venu d’Alger, le 5e bataillon de Saint-Denis et le 11e bataillon des réservistes des régions du Nord et de Paris.

© Site Gallica, Bibliothèque nationale de France.

© Site Gallica, Bibliothèque nationale de France.

Le 15 septembre suivant, au Godat

[1], une balle ennemie le blesse à l’épaule droite.

Les combats du Godat, pages d'histoire de la 12e Brigade, septembre-octobre 1914, par Henri Bouvier, 52 pages, publié 1925. https://sapigneul.superforum.fr/t90-le-godat

Les combats du Godat, pages d’histoire de la 12e Brigade, septembre-octobre 1914, par Henri Bouvier, 52 pages, publié en 1925.
https://sapigneul.superforum.fr/t90-le-godat

Il est évacué, puis soigné à l’hôpital d’Angoulême (Charente) jusqu’au 17 septembre, date à laquelle il est dirigé sur son dépôt. À sa demande, il revient au front le 1er novembre. Le 17 décembre 1916, il est cité à l’ordre de son régiment : « A rempli à la satisfaction de ses chefs les fonctions de brancardier auxiliaire et s’est particulièrement distingué aux attaques du bois de … ».

Le 5 novembre 1917, à Grandcamp-les-Bains (14), âgé de 28 ans, Alphonse Marie – « domestique, mobilisé comme clairon au 1er zouaves, aux armées, actuellement en permission régulière à Grancamp-les-Bains (…) domicilié à Trévières » – épouse Maria Armandine Madelaine, née le 15 septembre 1897 à Grancamp, « occupée au ménage (…) fille mineure… ». Ils auront cinq enfants.

Le 18 juillet 1918, lors d’une offensive du régiment vers Longpont (Aisne), un éclat d’obus blesse Alphonse Marie au côté droit de l’aine. il est évacué. Il revient au front le 6 octobre, y restant jusqu’à l’armistice. Il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze, puis la Médaille militaire.

La Croix de guerre 1914-1918 avec étoile de bronze. © MV

La Croix de guerre 1914-1918
avec étoile de bronze.
© MV

Le premier fils d’Alphonse et Maria, Alexandre, naît le 25 décembre 1918 à Grandcamp.

Le 31 janvier 1919, l’armée détache Alphonse Marie au « réseau de l’État », à la gare de Sainte-Gauburge (Orne). Le 31 juin suivant, il est classé “affecté spécial” en qualité de poseur à Le Merlerault (Orne).

En 1920, Alphonse Marie est définitivement embauché par la Compagnie des chemins de fer de l’État, qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [2].

Leurs trois enfants suivants naissent à Saint-Côme-du-Mont (Manche – 50) : Maurice naît en 1921, Albertine en 1924, et Paulette en 1925.

En octobre 1926, l’armée classe Alphonse Marie “affecté spécial” dans la réserve comme sémaphoriste à Carentan (50).

En mars 1929, et au moins jusqu’au 25 mars 1931, Alphonse et Maria Marie sont domiciliés à Nonant (14), au hameau de Neuville. Leur cinquième et dernier enfant, Marcelle Andrée, y naît 7 novembre 1930.

En juin 1935, la famille est domiciliée à Boisset-les-Prévanches (Eure), près de Pacy.

En novembre 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Alphonse Marie est domicilié rue du Point-du-Jour à Saint-Jacques(-de-Lisieux – 14).

Il est alors sous-chef de canton SNCF à Lisieux, arrondissement de la voie de Caen.

Intérieur de la gare de Lisieux dans les années 1900.  Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Intérieur de la gare de Lisieux dans les années 1900.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Lors des élections cantonales d’octobre 1937, le Parti communiste présente Alphonse Marie comme candidat au Conseil général du Calvados dans la circonscription de Cambremer.

Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, il est arrêté à son domicile par la police française. Figurant comme “communiste” sur une liste d’arrestations exigées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) [2], il est conduit à la gendarmerie de Lisieux.

Le 4 mai, remis aux autorités d’occupation, il est emmené au “petit lycée” de Caen où sont rassemblés les otages du Calvados.

Le soir même, il fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandise de Caen et embarqués dans deux wagons de marchandise. Selon Emmanuel Michel, des complicités parmi les cheminots font arrêter brièvement le train en gare de Lisieux, où Alphonse Marie peut dire au revoir à ses proches.

Le lendemain, 5 mai, en soirée, ils arrivent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, Alphonse Marie est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Alphonse Marie est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45831, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Alphonse Marie se déclare alors comme cheminot (Eisenbahner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Alphonse Marie.

Il meurt à Auschwitz le 17 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp [4], qui indique pour cause mensongère de sa mort « affaiblissement par l’âge/viellissement » ? (Altersschwache) ; il a 52 ans !

Après leur retour de déportation, les rescapés du convoi qui attestent de son décès sont Lucien Matté, de Paris 12e, et Raymond Saint-Lary, de Fresnes (94).

Alphonse Marie est homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 9-12-1994).

Notes :

[1] Le Godat : ferme disparue, située entre Cormicy et Loivre, sur le canal de l’Aisne à la Marne (aujourd’hui à quelques mètres de l’A26), près de l’écluse du même nom. Fin septembre 1914, les derniers combats, acharnés, de la contre-offensive française après la Marne, à la fin de ce que l’on appelle « la poursuite », délimite le front, plongeant ce secteur au centre des combats ; la ferme de Godat est sur la ligne de combat, côté français. Anéantis, les bâtiments ne sont pas reconstruits après la guerre (le pont sur le canal non plus).

[2] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[3] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total, plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant Alphonse Marie, c’est le 6 juillet 1942 « en déportation en Allemagne » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’associationMémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice pare Claudine Cardon-Hamet page 128.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 127 et 128, 362 et 412.
- Auschwitz : antre du crime et du sadisme, d’après le récit d’Emmanuel Michel, parue sous la signature de “P.C.”, page 16.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 131 (n° 43) et 138.
- Claude Doktor, Le Calvados et Dives-sur-Mer sous l’Occupation, 1940-1944, La répression, éditions Charles Corlet, novembre 2000, Condé-sur-Noireau, page 206.
- Archives départementales du Calvados, archives en ligne : état civil de Maisy (Grandcamp-Maisy) N.M.D. 1880-1896 (2 MI-EC 458), registre des naissances de l’année 1895, acte n° 23 (vue 199/321).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLIII-91.
- Site Gallica, Bibliothèque Nationale de France, L’Humanité n° 14153 du 18 septembre 1937, page 4, “vingtième liste…”.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 780 (31150/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copie de l’acte de décès du camp.
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 12-08-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Jean MARETHEUX – 45830

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jean, Louis, Joseph, Maretheux naît le 13 février 1896 à la Gâterie, commune de Mézières-sur-Couesnon (Ille-et-Vilaine), fils de Pierre Maretheux, 41 ans, cultivateur, et de Jeanne-Marie Beaudoin, son épouse, 36 ans, « même profession que lui ». La famille compte déjà quatre enfants : Pierre, 8 ans, Joseph, 6 ans, Jules, 4 ans, et Marie, 2 ans et demi.

Pendant un temps, Jean Marétheux travaille comme comptable, habitant à Paris.

Le 11 avril 1915, il est incorporé comme soldat de 2e classe à la 31e compagnie de dépôt du 2e régiment d’infanterie afin d’y accomplir son service militaire. Le 15 septembre suivant, il passe à la 25e compagnie de dépôt. Le 5 décembre 1915, il passe au 47e R.I. (9e bataillon, 34e compagnie) qui part « aux armées ». Le 11 juin 1916, il est affecté à la 4e compagnie. Le 1er avril 1918, il passe au 8e régiment du Génie, détachement télégraphique de la 20e division d’infanterie. Deux jours plus tard, le 3 avril, dans le secteur des Chambrettes, alors qu’il est en mission de réparation de lignes téléphoniques, il est blessé au poignet gauche par un éclat d’obus. Le 14 avril, il entre à l’hôpital temporaire de Blanveux (Blairveux). Il en sort le 11 mai, avec une permission de dix jours. Le 19 novembre, il est cité à l’ordre du régiment et reçoit la Croix de guerre avec étoile d’argent. Le 1er janvier 1919, il passe à la 6e compagnie, dans la 4e armée. Le 5 janvier, il est dirigé sur le dépôt du 8e Génie. Le 31 janvier, il part pour l’armée d’Orient. Le 15 février, il est affecté à la compagnie télégraphique C.R.A. (?). Le 30 août ou le 19 septembre, il est rapatrié. Le 22 septembre suivant, mis en congé illimité de démobilisation par le 1er régiment du Génie,  titulaire d’un certificat de bonne conduite, il se retire à la Garenne-Colombes (Seine / Hauts-de-Seine – 92).

Domicilié au 12 boulevard de la République à La Garenne-Colombes, il travaille alors comme garçon de magasin.

Le 29 novembre 1919 à Paris 4e, il se marie avec André Blanche Guillerand, née le 21 décembre 1895 à Paris 4e, 23 ans, dactylographe, alors domiciliée chez ses parents, rue des Blancs-Manteaux. Le père de Jean est alors décédé…

En juillet 1921, ils demeurent au 44, rue de Montmorency, à Paris 3e.

Fin juillet 1924, ils habitent au 96, rue des Arts, à Levallois-Perret

[1] (92).

En avril 1935 et jusqu’au moment de son arrestation, Jean Marétheux est domicilié au 3, rue Vergniaud à Levallois-Perret.

Il est chauffeur de taxi (“chauffeur de voitures automobiles de place”) ; il est membre de la Chambre syndicale des cochers chauffeurs du département de la Seine.

Militant communiste, il est trésorier puis secrétaire de la section locale.

Rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale du 1er septembre 1939, il rejoint, cinq jours plus tard, le centre mobilisateur du génie n° 68. Le 19 septembre, il part « aux armées ». Le 11 avril 1940, il arrive au dépôt de guerre du Génie n° 33. Le 13 juillet, démobilisé par le centre de Salviac, il se retire provisoirement au 7, rue des Albigeois à Florensac (Hérault), en attendant de pouvoir regagner Levallois-Perret, sa résidence habituelle.

Sous l’occupation, il fait l’objet d’une perquisition à son domicile, le 14 février 1941, qui reste infructueuse, et de deux rapports des Renseignements généraux, les 15 février et 24 juin (veille de son arrestation) : « … a été signalé par les services du commissariat de police de Levallois-Perret pour avoir donné l’impression qu’il n’avait pas abandonné ses sympathies pour la 3e Internationale, tout en évitant de se livrer à une propagande active, distribution de tracts ou autre ».

Le 24 juin 1941, Jean Marétheux est appréhendé à son domicile par les services du commissariat de la circonscription de Levallois, à la demande du commissaire. Le préfet de police a signé l‘arrêté d’internement administratif en application des décrets des 18 novembre 1939 et 3 septembre 1940. En réalité, il est pris dans le cadre d’une rafle visant 42 militants ouvriers de Paris et de la “petite couronne” ; les hommes appréhendés sont conduits à l’hôtel Matignon, utilisé comme centre de regroupement, et aussitôt livrés aux « autorités d’occupation » qui les rassemblent au Fort de Romainville (HL 122), sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), sans y être enregistrés.

Dans les jours qui suivent (le 27 juin, le 1er juillet…), ils sont conduits à la gare du Bourget où des trains les transportent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise) [2], administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) [3].

Le camp vu depuis le mirador central. Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”) Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Un an plus tard, entre fin avril et fin juin 1942, Jean Maretheux est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Maretheux est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45830 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jean Maretheux est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Il est admis à l’infirmerie de Birkenau le 21 novembre, et meurt le 2 décembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Son nom est inscrit sur le monument en forme de tombe (cénotaphe) érigé dans le cimetière communal de Levallois-Perret par la CGT « en hommage à ses camarades chauffeurs de taxis parisiens tombés dans les luttes pour l’émancipation des travailleurs, pour la liberté, pour la démocratie, pour la France, pour la République » (situé en vis-à-vis de la tombe de la communarde Louise Michel).

Cimetière de Levallois-Perret. Monument des chauffeurs de taxis parisiens CGT. © Mémoire Vive.

Cimetière de Levallois-Perret.
Monument des chauffeurs de taxis parisiens CGT. © Mémoire Vive.

Notes :

[1] Levallois-Perret : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, trois témoignages :

Jean Lyraud (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Le 26 juin, à 5 heures du matin, il est réveillé par des policiers français : « Veuillez nous suivre au poste avec une couverture et deux jours de vivres. » Un autobus le prend bientôt avec trois autres personnes arrêtées. Le véhicule fait le tour des commissariats de Montreuil et du XIe arrondissement. Un crochet à l’hôtel Matignon, qui abrite alors la police de Pétain, puis c’est le transport jusqu’aux portes du Fort de Romainville où les prisonniers sont remis aux autorités allemandes. Avec ses compagnons, jean Lyraud passe la nuit dans les casemates transformées en cachots. « Le lendemain 27 juin dans l’après-midi, nous embarquons en gare du Bourget dans des wagons spéciaux pour Compiègne. Nos gardes ont le revolver au poing et le fusil chargé, prêts à faire feu. Dans la soirée nous arrivons au camp. Quelques jours après, d’autres contingents de la région parisienne nous rejoignent. »

Henri Pasdeloup (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943), cheminot de Saint-Mihiel (Meuse), est arrêté le 23 juin 1941 par la Gestapo qui le conduit à la prison de la ville. Le 27 juin, avec d’autres détenus emmenés à bord de deux cars Citroën, il arrive devant le camp de Royallieu vers 16 h 30 : « À l’arrivée face au camp, nos gardiens nous font descendre. Alignement sur la route, comptages et recomptages. En rangs par trois nous passons les barbelés… À 19 heures, environ 400 prisonniers en provenance de la région parisienne entrent en chantant L’Internationale… Le lendemain 28 juin, réveil à 7 heures : contrôle d’identité, toise, matricule. J’ai le numéro 556. Pour notre groupe de la Meuse, cela va de 542 à 564. Ceux de la région parisienne, bien qu’arrivés après nous, sont immatriculés avant… »

Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[3] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré par la Wehrmacht, réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich” et qui ouvre en tant que camp de police. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 353, 359, 384 et 416.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Archives municipales de Levallois-Perret – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national, liste incomplète par matricules du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau).
- Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (AD 35), site internet du conseil départemental, archives en ligne : état civil de Mézières-sur-Couesnon, registre des naissances de l’année 1896 (10 NUM 35178 532), acte n°5 (vue 2/8) ; registre des matricules militaires, bureau de Rennes, classe 1916, vol. 2, n° de 501 à 1000 (R 2207), matricule 841 (658-659/703).
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi,Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur les arrestations du 26 juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397) ; cabinet du préfet de police, dossier individuel (1 W 723-26847).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 779 (42651/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 92-Levallois-Perret, relevé d’Émilie Pessy et de J.C., élèves de 3e5 (04-2003).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 11-10-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Roger MARCHAND – (45829 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Roger Marchand naît le 2 octobre 1901 à Paris 10e, fils de Georges Marchand, 21 ans, ciseleur, et d’Augustine Gillet, 22 ans, émailleuse, domiciliés 28, rue des Envierges, sur les hauteurs de Belleville (Paris 20e).

Ses parents emménagent ensuite – peut-être dès le printemps 1902 – à Gennevilliers

[1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92) où ils se marient le 28 juillet 1917. Vers 1920, ils habitent au 22, rue des Collines, où semblent avoir vécu antérieurement d’autres membres de la famille.

Le jeune Roger Marchand commence à travailler comme chaudronnier en cuivre.

Le 11 avril 1921, il est incorporé comme soldat de 2e classe à la 15e section d’ouvriers d’aviation afin d’y débuter son service militaire. Le 18 avril, il passe à la 12e SOA. Le 30 mai 1923, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de “bonne conduite”.

Roger Marchand est métallurgiste, chaudronnier-rectifieur aux usines Chausson d’Asnières (92), fabrique de radiateurs pour automobiles, où travaille également Pierre Graindorge.

Communiste depuis 1925, Roger Marchand est responsable du syndicat CGT dans son entreprise, où il dirige de nombreuses grèves.

Fin 1929, il vit maritalement avec Élisabeth Honorine Maury, née le 14 février 1895 à Levallois-Perret, journalière en usine, divorcée depuis juin 1925 et mère de Georges (Piette), né de ce premier mariage. Ils habitent chez la mère de Roger, rue des Collines à Gennevilliers. Le 25 octobre 1930, à la mairie de cette commune, le couple se marie (ils n’auront pas d’enfant ensemble). Élisabeth Marchand est membre de la section de Gennevilliers de l’Union fraternelle des femmes contre la guerre. Roger est militant actif du 7e rayon de la région parisienne du Parti communiste et du Secours rouge international.

Roger Marchand est frappé par trois deuils avant son arrestation : son père, Georges Augustin (57 ans), décède le 2 mai 1939, en leur domicile commun (acte dressé par Louis Castel, adjoint au maire) ; son épouse Élisabeth (44 ans) décède le 21 décembre de la même année, toujours en leur domicile ; sa mère, Augustine Louise (60 ans), décède le 4 août 1940, au 106 boulevard de Lorraine à Clichy (le décès est déclaré par un employé domicilié à cette adresse).

Le dernier employeur de Roger Marchand est la maison Pournik et Rosemblit, sise au 43, rue Raspail, à Levallois-Perret (92).

Roger Marchand à l’action clandestine dès l’interdiction du Parti communiste.

Sous l’occupation, la police française le considère comme un « militant communiste actif et propagandiste notoire ».

Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1940, Roger Marchand est arrêté à Gennevilliers par des agents du commissariat de la circonscription d’Asnières « porteur d’un pot de peinture au minium et de craie utilisés pour effectuer des inscriptions murales », selon un document de police (flagrant délit qui aurait dû déboucher sur une procédure judiciaire…).

Par ailleurs, Roger Marchand figure sur une liste établie en préparation de la grande vague d’arrestations organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain contre des hommes connus avant guerre pour être des responsables communistes (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant. Après avoir été regroupés en différents lieux, 182 militants (dont Pierre Graindorge) sont rapidement placés en internement administratif au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé à cette occasion dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930. Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche.
Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 6 septembre 1941, Roger Marchand est parmi les 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central. Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”) Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Roger Marchand est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 45829, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Roger Marchand.

On ignore également la date exacte de sa mort à Auschwitz ; probablement avant la mi-mars 1943 [2].

Le 3 décembre 1945, Lucien Tourte, déporté de son convoi, demeurant à Maisons-Alfort, rédige une courte attestation certifiant que Roger Marchand « est décédé au camp d’Auschwitz suites du typhus », sans néanmoins préciser aucune date. Le 7 décembre 1945, Henri Marti, autre déporté du convoi, demeurant alors à Paris 5e, rédige une deuxième attestation en termes identiques (il est fort probable que ces déclarations soient concertées).

En 1964, le déporté d’Auschwitz est confondu avec un homonyme, ancien travailleur en Allemagne qui demande alors la carte de réfractaire. Roger Jean Marchand, né le 2 novembre 1901 à Paris 18e, marié sans enfant, domicilié sous l’Occupation au 54, rue Pajol à Paris 18e, employé comme ajusteur par la société Alkan et Vinay, 59, boulevard de Belleville à Paris, est parti outre-Rhin le 28 octobre 1942 à la demande de son entreprise, puis employé par la firme AEG à Berlin. À l’issue d’une permission, celui-ci n’aurait pas rejoint son travail en Allemagne et aurait vécu clandestinement à son domicile du 9 janvier 1943 jusqu’à la libération de Paris, bénéficiant de la complicité de la concierge de l’immeuble. Cependant, en octobre 1943, les autorités allemandes, qui sollicitent un passeport afin qu’il puisse revenir en Allemagne dans le courant du mois, demandent une enquête aux RG. Ce passeport lui aurait été finalement refusé en raison de la confusion avec l’engagement communiste de l’autre Roger Marchand.

En 1966, le fils de Roger Marchand (le déporté), Georges Piette, alors domicilié au 24, rue du Bourg Tibour (Paris 4e), dépose auprès du ministère des anciens combattants et victimes de guerre une demande d’attribution du titre de “Déporté politique” au nom de son père. Le 6 mai de cette année, le ministère des ACVG demande à la préfecture de police de procéder à des auditions des deux témoins rescapés afin de vérifier s’ils confirment les termes de leur attestation. Le 13 février 1967, Henri Marti déclare à l’officier de police judiciaire qui l’a convoqué que ses souvenirs étaient encore récents en 1945, mais qu’il les a oubliés en partie ; excepté qu’il se rappelle avoir fait la connaissance de Roger Marchand à Auschwitz même, et non pas préalablement dans la clandestinité ou dans un lieu de détention de France. L’autre témoin, Lucien Tourte, est décédé le 18 janvier 1965 à Draveil (Essonne). Le titre de déporté politique sera finalement attribué à Roger Marchand.

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Gennevilliers, situé dans le cimetière communal. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-10-1994).

Notes :

[1] Gennevilliers : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes industrielles de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] La date de décès inscrite sur les actes d’état civil : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Roger Marchand, c’est le 31 décembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès (la fin de l’année). Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 382 et 412.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier statut – fichier central) – Archives de Gennevilliers (liste de déportés, noms de rues, biographie).
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : extrait du registre des naissances du 10e arrondissement à la date du 3-10-1901 (V4E 9075), acte n° 4437 (vue 26/31).
- Archives de Paris : registres matricules du recrutement militaire, classe 1920, 2e bureau de la Seine (D4R1 2253), n° 3775.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 132-37503).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, révision trimestrielle (1w74), liste d’internés (1w76), notice individuelle du bureau politique (1w138) ; recherches parallèles de Claude Delesque.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 119.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Site Mémorial GenWeb, 92-Gennevilliers, relevé de Sylvain Aimé (2000-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le  11-03-2019)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Henri MARCHAND – 45828

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Henri, Lucien, Marchand, né le 22 mars 1899 aux Lilas 

[1] (Seine-Saint-Denis – 93), fils de Lucien Marchand, polisseur, et de Berthe Héron. Il a – au moins – une sœur : Léone.

Après la Première Guerre mondiale et jusqu’à son arrestation, il est domicilié au 78, rue de la Folie-Regnault à Paris 11e.

À une date restant à préciser, il épouse Marie Robin, née le 2 septembre 1901 à Roanne (Loire) d’avec qui il se séparera en juin 1940. Il a une fille.

Du 12 février 1935 au 6 novembre 1941, Henri Marchand est ouvrier spécialisé fraiseur aux usines Renault de Boulogne-Billancourt, bien noté par ses employeurs.

En septembre 1941, la police allemande reçoit une lettre présentant Henri Marchand comme se livrant à la propagande communiste clandestine.

Le 22 septembre, vers 11 heures, alors qu’il est à son travail, des policiers allemand  se présentent à son domicile pour y effectuer une perquisition qui reste sans résultat. Revanant en soirée, ils l’emmènent à fin d’enquête. Cinq jours plus tard, le 27 septembre, ils le relâchent en lui disant qu’il ne sera plus inquiété.

Le 6 novembre, Henri Marchand est arrêté par les services de la direction des renseignements généraux au motif qu’il participerait à l’activité communiste clandestine « en se livrant surtout à la propagande verbale ». Le même jour le préfet de police de Paris signe un arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939 ; il est conduit au dépôt de la préfecture de police (sous-sol de la Conciergerie, île de la Cité).

Le 10 novembre 1941, Henri Marchand fait partie d’un groupe de 58 militants communistes transféré au « centre de séjour surveillé » (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne – 86).

En février 1942, quelqu’un de ses proches adresse une demande de libération au préfet de la Vienne. Celui-ci renvoie la requête, pour avis, aux renseignements généraux à Paris.

Le 22 mai 1942, Henri Marchand est parmi les 156 internés de Rouillé – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Henri Marchand y est enregistré sous le matricule 5584 et assigné pendant un temps au bâtiment C5, chambrée 12.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne – sur la commune de Margny – et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Henri Marchand est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45828, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Henri Marchand meurt à Auschwitz le 3 octobre 1942, d’après les registres du camp.

Le 8 juillet 1942 – deux jours après le départ du convoi -, sa sœur Léone, qui habitait alors chez lui, a écrit au préfet de police pour solliciter de nouveau sa libération.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-10-1994).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 381 et 412.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Extrait de son acte de naissance – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier individuel).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), APPo, site du Pré-Saint-Gervais ; dossiers individuels du cabinet du préfet (1w0700), dossier d’Henri Marchand (23545).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 118.
- Archives départementales de la Vienne ; camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 776 (34408/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-01-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Maurice MARCHAL – 46250

Maurice, Xavier, Marchal naît le 18 février 1921 à Saint-Dié-des-Vosges (Vosges), fils de Julien Maurice Marchal, 25 ans, et d’Anne Kereller, 19 ans, mariés trois mois et demi plus tôt.

Rapidement, la petite famille s’installe au lieu dit Le Faing, à Sainte-Marguerite, commune limitrophe de Saint-Dié ; Julien Maurice Marchal est alors tréfileur chez Delaeter (?). Puis naissent deux autres fils, Marcel, en 1924, et Irénée, en 1932. En 1924, Julien Maurice Marchal est devenu électricien à la Compagnie Lorraine d’Électricité

[1] (au poste de distribution de Saint-Dié ?). Anna, son épouse, est devenue à son tour tréfileuse chez Delaeter. Ils logent alors un maçon comme pensionnaire. Au printemps 1926, ils ont déménagé pour le lieu dit Pré Navet, toujours à Sainte-Marguerite. En 1936, Maurice Marchal est apprenti chez Cuny (?).

Au moment de son arrestation, célibataire, il habite encore chez ses parents.

Il est typographe, travaillant à Saint-Dié.

Le 25 août 1940, Saint-Dié et les communes alentour sont occupées par l’armée allemande et font partie, avec l’ensemble de la Lorraine, de la zone planifiée en recolonisation allemande à terme. (Wikipedia)

Maurice Marchal imprime clandestinement des tracts pour la résistance locale de Saint-Dié.

Parallèlement, avec son père et son frère Marcel, il récupère dans la forêt voisine des armes abandonnées par les soldats français en déroute lors de la débâcle de mai-juin 1940. Ils en cachent une partie à leur domicile et alimentent également un dépôt d’armes à l’usine de la Compagnie Lorraine d’électricité à Saint-Dié, quai de la Meurthe, son père faisant partie du groupe de résistance formé à l’usine sous les ordres de Jules Jeandel.

Le 12 ou 26 février 1941, à la suite d’une filature de la police française ou d’une dénonciation, il est « pris sur le fait en possession de tracts et de la machine servant à leur impression » [2].

Le 7 mai suivant, le tribunal correctionnel de Saint-Dié le condamne à un an d’emprisonnement.

Nancy. La prison Charles III. Carte postale écrite en août 1915. Collection Mémoire Vive.

Nancy. La prison Charles III. Carte postale écrite en août 1915. Collection Mémoire Vive.

Il est écroué à la prison Charles III de Nancy, puis, à l’expiration de sa peine (le 27 février 1942 ?), interné au camp français d’Écrouves (CCS), près de Toul, avec son oncle. Il prévoit une évasion à trois, puis y renonce au dernier moment : il aurait fallu tuer un gendarme français. Un mois plus tard, le 24 mars, il est extrait de ce camp et transféré à Nancy.

Maurice Marchal est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Dans une lettre datée du 2 juin 1942, il annonce à sa famille, à mots couverts, qu’il la rejoindra une huitaine de jours plus tard. Cette autre évasion n’aura pas lieu.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Le 12 juin, à Sainte-Guillaume, à 4 heures du matin, la Gestapo et les troupes allemandes cernent le quartier du Pré Navet avant de pénétrer chez les Marchal, où ils découvrent des fusils et des fusils-mitrailleurs, mais sans y trouver de munitions. Ils arrêtent les parents et le jeune Marcel, qui parviennent à ne rien dire du dépôt d’armes caché à l’usine électrique.

Entre fin avril et fin juin 1942, Maurice Marchal est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Maurice Marchal est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46250 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Maurice Marchal est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Il est assigné au Block 16 avec d’autres “45000”.

Il meurt à Auschwitz le 4 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [1].

Son père et son frère Maurice ont été déportés dans le transport “NN” de 29 hommes parti le 28 août 1942 de Paris, gare de l’Est, et arrivé le lendemain au SS-Sonderlager Hinzert. Quelques semaines après leur arrivée au camp, le 23 septembre 1942, ils sont transférés à la prison de Wittlich où ils attendent leur comparution devant le tribunal de Breslau, en Silésie. Un an plus tard, le 27 septembre 1943, condamnés à des peines de prison, ils sont transférés à la prison de cette ville. Plus tard encore, ils sont transférés à la prison d’Hirschberg (Jelenia Gora en polonais, au sud-ouest de Breslau). C’est là qu’ils sont libérés le 8 mai 1945, jour de la capitulation allemande.

Le 14 février 1947, le père de Maurice Marchal complète et signe un formulaire du ministère des anciens Combattants et victimes de la guerre (ACVG) pour demander la régularisation de l’état civil d’un “non-rentré”. Il indique « arrêté le 26 février 1942 (…). Déporté le 6 juillet 1942 à Auswich. Décédé courant décembre 1942 à Birkonneau. » Une note épinglée portera la mention « Janvier 1943 ».

Le 7 septembre 1947, Marius Zanzi,  rescapé du convoi arrêté à Saint-Dié, alors hôtelier au 31, rue Gornet-Boivin à Romilly-sur-Seine (Aube), certifie sur l’honneur qu’il est parti à Auschwitz à la même date que Maurice Marchal, « ne l’ayant pas quitté (…) il y est décédé, gazé suite au typhus, au commencement de l’année 1943 » ; écart temporel considérable (quatre mois)…

Le 4 octobre 1947, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des ACVG dresse l’acte de décès officiel de Maurice Marchal « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (en l’occurrence le témoignage de Marius Zanzi) et en fixant la date au mois de janvier 1943. [3] Une semaine plus tard, cet acte est transcrit sur le registre des actes de l’état civil de Sainte-Marguerite.

Le 11 octobre, le père de Maurice Marchal complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique. Le 15 octobre, la section de Saint-Dié de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes (FNDIRP) transmet cette demande au directeur de l’office départemental des ACVG. L’inscription sera faite à la mairie de Sainte-Marguerite le 7 mai 1948.

Le 7 août 1949, le secrétariat aux Forces armées guerre établit un certificat d’appartenance de Maurice Marchal à la Résistance intérieure française (RIF) dans l’organisation Front national [4], en lui attribuant le grade fictif de soldat de 2e classe (notification par le ministre de la Défense nationale le 2 juin 1950).

Le 22 janvier 1951, Julien Maurice Marchal – en qualité d’ascendant – complète et signe un formulaire du ministère des anciens Combattants et Victimes de guerre (ACVG) pour demander l’attribution du titre de Déporté résistant à son fils à titre posthume. Le 31 mars 1952, la commission départementale des déportés et internés résistants laisse à la commission nationale le soin d’apprécier le bien fondé qu’il est possible d’apporter à l’attestation de causalité émanant du liquidateur du mouvement Front national établie le 6 février. Le directeur interdépartemental propose un rejet de la demande. Le 29 avril 1955, la commission nationale prononce un avis défavorable. Le 29 septembre suivant, le ministère décide le rejet de la demande et l’attribution du titre de déporté politique, envoyant à Julien Marchal la carte DP n°1119.17493.

Celui-ci formule ensuite un “recours gracieux”. Une note portant la date du 12 décembre 1956, et faisant référence à un autre document, indique : « l’intéressé est le fils des précédents, mais il a été arrêté plus d’un an avant eux et son frère. Après étude conjointe des dossiers, la commission nationale, considérant qu’il s’agissait d’une famille d’authentiques résistants, décide de rapporter également pour ce dossier son avis défavorable du 29 avril 1955, qu’elle remplace par un avis favorable à l’attribution du titre de déporté résistant. » Le 11 février 1957, le ministère des ACVG décide l’attribution de ce titre à Maurice Marchal, envoyant à son père le 28 mars suivant la carte DR n° 1019.30222.

La mention “Mort en déportation” est apposée en marge de l’acte de décès de Maurice Marchal (J.O. du 17-09-1991).

Notes :

[1] La Compagnie Lorraine d’Électricité, constituée à Nancy le 10 décembre 1910, est “absorbée » par EDF en 1946.

[2] L’arrestation : Le 12 décembre 1955, le capitaine Paul Évrard proposera une autre version des faits : le 25 février 1941, quelques-uns des camarades de Maurice Marchal tiennent une réunion clandestine dans un local situé au n° 100 rue d’Alsace à Saint-Dié. Mais celle-ci a été dénoncée aux autorités allemandes (Gestapo ?) qui font irruption dans la salle et arrêtent six à huit jeunes gens. Maurice Marchal n’est alors pas avec eux. Mais, lors de son interrogatoire, un des jeunes le désigne comme faisant partie de leur groupe. Le lendemain matin 26 février à 6 heures, les polices allemande et française vont l’arrêter au domicile familial. Il est conduit à la prison de la Loge Blanche à Épinal…

[3] Concernant la différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France :
Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Maurice Marchal, c’est le mois de janvier 1943 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

[4] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 101, 127 et 128, 380 et 412.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau : copie partielle (lettre “M”) d’un registre des détenus du Block 16, transmis par Sylvie Muller, petite-fille d’Alphonse Mérot, de Chalon-sur-Saône (71).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrit, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 776 (27841/1942).
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004 : transport I.50, pages 477 et 479, notice de Guillaume Quesnée.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 512 356).

MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 5-06-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

René MAQUENHEN – 45826

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

René Maquenhen naît le 3 décembre 1909 à Longroy (Seine-Maritime – 76), chez ses parents, Raoul Maquehen, 34 ans, ouvrier tourneur en cuivre, et Francia Baudelin, son épouse, 31 ans, domiciliés au hameau du Moulin à Raines. Les témoins pour la déclaration à l’état civil sont un ouvrier zingueur et un ouvrier tourneur en cuivre.

Le 5 octobre 1915, son père, mobilisé au 14e bataillon d’infanterie, est « tué à l’ennemi » à Calonne-Ricouart (Pas-de-Calais).

Le 28 août 1919, le Tribunal civil d’Abbeville déclare René Maquenhen comme Pupille de la Nation.

Le 6 septembre 1930, à Longroy, il se marie avec Bernadette Couillet (?)

Au moment de son arrestation, il est domicilié dans la cité nouvelle à Oust-Marest (Somme – 80).

Il est cheminot, aide-ouvrier, tourneur au dépôt SNCF du Tréport.

Le 23 octobre 1941, René Maquenhen est arrêté comme otage communiste par la Feldgendarmerie, assistée de gendarmes français réquisitionnés. Ils sont vingt-six hommes de l’arrondissement conduits à la Maison d’arrêt d’Abbeville où ils passent la nuit dans un atelier gardé par des sentinelles allemandes. Le lendemain, ils sont trente-huit du département à être internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; René Maquenhen y est enregistré sous le matricule 2121.

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La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers 
bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, 
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. 
À l’arrière plan, sur l’autre rive de l’Oise, 
l’usine qui fut la cible de plusieurs bombardements 
avec “dégâts collatéraux” sur le camp. 
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 19 novembre 1941, le préfet de la Somme demande au commandant de la Feldkommandantur 580 d’Amiens la libération de dix-neuf détenus de son département arrêtés en octobre. Confirmant cette liste le 3 février 1942, il précise pour chacun d’eux : « Ne participe en aucune manière au mouvement communiste. A une attitude loyale vis-à-vis du gouvernement français et des autorités occupantes ». René Maquenhen est du nombre.

Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est néanmoins sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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À l’approche de la frontière allemande, dans la brume, René Maquenhen est prêt à s’évader en passant par la lucarne, mais il en est dissuadé par d’autres détenus du wagon.

Le voyage dure deux jours et demi. Dans le wagon de René Maquenhen, une moitié des détenus entassés reste debout pendant que l’autre s’assoit, et alternativement. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif. « Une légère pluie tomba. Tous les camarades se précipitèrent vers la lucarne pour essayer de récupérer quelques gouttes d’eau dans les mains. On les léchait ensuite, quoiqu’elles fussent sales. On se disputait même pour avoir une place, mais la pluie cessa. »

Le 8 juillet 1942, René Maquenhen est enregistré au Block 27 du camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45826 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard). Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 (René Maquenhen) et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos. Au retour d’une journée de travail, le groupe de Français dans lequel il se trouve reçoit l’ordre de chanter La Madelon. Par crainte de représailles, certains entonnent Allons au-devant de la vie.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – René Maquenhen est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

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Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». 
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre » 
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Pendant un temps, il est assigné à la chambre 6 du Block 15. Il manque d’être tué à coups de bâton par le chef de chambrée parce que l’on a trouvé un pou desséché dans sa chemise. Cela lui vaut de passer la nuitdebout devant la porte de la chambre particulière de ce Kapo.

Dans les Kommandos extérieurs, René Maquenhen est témoin de la persécution particulière subie par les détenus juifs.

Pendant un mois, il est affecté à un groupe de travail chargé de transporter des pommes de terre depuis les voies de débarquement. il s’agit en fait d’un Kommando très violent où les détenus sont frappés à longueur de journée, ce qui lui vaut le surnom de Kommando de la mort. Il en réchappe en “s’imposant” dans un Kommando relativement plus tranquille.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, René Maquenhen est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) aupremier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

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Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient 
les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues – 
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage 
de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. 
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blockset Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, René Maquenhen est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” 

[1] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux Prominenten polonais) transférés au KL Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin. À leur arrivée, et jusqu’au 25 septembre, les trente sont affectés au Block 66.

Du début octobre 1944 au 28 mars 1945, avec Auguste Monjauvis et René Petijean, René Maquenhen est affecté au Kommando Siemens Stadt, usine moderne de matériel électrique à 12 kilomètres de Berlin (ils fabriquent notamment des téléphones). René Maquenhen y travaille de nuit pendant trois mois. Tous les trois sont ramenés au camp principal à l’approche des troupes alliées.

Le 21 avril – avec, en plus, Georges Marin et Henri Mathiaud – les trois font partie d’une colonne d’évacuation. Au matin du 2 mai, leurs gardiens ont disparus. Des prisonniers de guerre français leur donnent des habits civils. Les premiers libérateurs qui viennent à eux sont des troupes soviétiques. Ceux-ci installent les déportés dans un château ayant appartenu aux SS.

Avec François Viaud, d’Amiens, René Maquenhen est un des deux seuls rescapés sur les vingt-deux déportés “45000” de la Somme.

Son retour chez lui est triomphal. Son passage est annoncé au téléphone : dans chaque ville, on l’escorte, on le fête. Dans son village, il est accueilli avec vin d’honneur, feux de Bengale et pétards. Il apprend que son épouse est entrée dans la Résistance, distribuant des tracts, accomplissant plusieurs missions comme agent de liaison.

Peu de temps après son retour, il rédige un Cahier de souvenirs, 1939-1945, de 137 pages (extraits ci-dessous).

René Maquenhen décède à Oust-Marest le 15 mai 1982.

Sources : 
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 15, 16, 110, 112, 119, 129 à 131, 149, 154 et 155, 185 et 186, 256, 284 et 285, 314 et 315, 322, 345, 348 et 349, 359, 379 et 412 ; citant notamment le cahier de René Maquenhen. 
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 429. Archives départementales de Seine-Maritime, site internet, archives en ligne, registre d’état civil de Longroy, année 1909 (cote 4E 19150), acte n° 27 (vue 19/24). 
- Archives départementales de la Somme, Amiens, correspondance de la préfecture sous l’occupation (cotes 26w809, 26W958).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 19-05-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.


René Maquenhen a retracé la journée type d’un détenu d’Auschwitz pendant le second semestre de l’année 1942 : « Le réveil était signalé (…) au moyen d’un gong. Le chef, déjà prêt, allumait les chambres il était 3h30 du matin et, déjà, il avait la schlague à la main. Ou bien, c’était le fait de son secrétaire, leSchreiber. Après avoir crié Aufstehen (debout), il nous traitait de chiens, passait dans la chambre et nous saluait à coups de schlague. (…) Il fallait ensuite faire son lit en vitesse, quitter la chambre et, corps nu, se laver dehors à une espèce de tuyau percé à plusieurs endroits. On se lavait très souvent sans savon et il fallait faire vite, car, là aussi, un gardien trouvait plaisir à frapper les gars. Ensuite, on remontait aublock se vêtir d’une chemise minable qui, souvent, n’était qu’une loque remplie de puces. (…) Une fois vêtu, il fallait faire la queue pour toucher le pain : selon les blocks, il était donné le matin ou bien le soir. Il y avait aussi le fameux thé, dit herbata. La distribution finie, il était quatre heures ou quatre heures et demie. Nous sortions dehors, par n’importe quel temps, pour manger, debout, notre maigre pitance. L’hiver, nous étions gelés. A quatre heures et demie ou cinq heures, c’était le second coup de gong. Il fallait se ranger devant son block par 10 et rester sans bouger et sans parler pendant le temps de l’appel qui se prolongeait jusqu’à cinq heures trente. Au troisième coup de gong, chacun rejoignait son rang dans l’équipe de travail. Nous étions comptés plusieurs fois par le kapo, très remarquable à son brassard jaune sur lequel se détachait le nom de l’équipe de travail dont il s’occupait. Il y avait un Vorarbeiterpour 10 hommes : il portait un brassard moins large sur lequel était inscrit aussi le nom de l’équipe. Le quatrième coup de gong était donné par la musique du camp qui jouait jusqu’à la sortie des dernierskommandos. Cela pouvait durer une heure à une heure trente, car il y avait environ 20 000 hommes au camp. Quelques kommandos, ceux qui travaillaient à proximité, rentraient manger au block. Le repas était servi dehors et la sortie se faisait, comme le matin, au moment de la mise en route de la musique.(…) Ceux qui travaillaient plus loin mangeaient sur place. Le repas était apporté par des camions ou des voitures traînées par des prisonniers et gardées par des SS. La distribution était souvent accompagnée de coups de trique et certains même devaient se passer de leur ration. Le soir, à cinq heures trente, on se remettait en rangs. Les derniers ramenaient les morts. Sur un kommando de 200 hommes, il y avait 4, 5, 10 cadavres, tuméfiés par les coups ou déchiquetés par les chiens. Nous marchions au son de la musique. Il était défendu de balancer les bras, nous devions nous tenir raides et au pas, même les porteurs de cadavres et de blessés. Lorsque, fatigués, ils laissaient traîner leurs fardeaux, les SS se réjouissaient de ce spectacle. “Aujourd’hui, c’est eux, demain ce sera nous, pensions-nous devant nos camarades privés de vie. Quand viendra-t-il le jour de nos bourreaux ?” La rentrée du soir terminée (…), le gong sonnait. Il était 6 heures 30. Puis, c’était l’appel qui souvent durait deux ou trois heures. (…) Rentrés aux blocks, il pouvait être 9 heures 30 ou 10 heures , nous étions reçus à coups de schlague. Le chef de block se postait à la moitié de l’escalier et prenait plaisir à frapper les gens à la montée. En haut avait lieu la distribution d’un quart de litre de thé. Une fois servis, le chef de chambre et ses auxiliaires nous bourraient de coups de poing dans le creux de l’estomac. Ensuite, au lit. Nous couchions, à deux ou à trois, sur une couchette qui faisait 80 centimètres de large. Puis, avant que sonne le dernier coup de gong tant désiré de la journée, le chef de block faisait une dernière distribution de coups de bâton sous des prétextes futiles. Consultant la liste des noms, il appelait des gars. Nus, ils devaient se placer à plat ventre sur un tabouret, la tête coincée entre les jambes d’un des aides du chef de block qui lui maintenait les bras en arrière, tandis qu’un autre lui tenait les jambes pour l’empêcher de bouger. Quand l’un était fatigué de taper, l’autre le reprenait. Munis d’une schlague en cuir de 75 centimètres à 1 mètre, ils leur distribuaient des séries de 5 à 50 coups. Selon les chefs de block ou de chambre, les mesures variaient. Une fois couché, on devait relever les couvertures pour l’inspection des pieds. Ceux qui avaient les pieds sales ou en mai, passaient à la schlague, accompagnée de gifles, de coups de poing ou de pied. Il nous fallait également descendre du lit puis remonter pendant une demi-heure ou plus. Les gars, déjà épuisés par le dur labeur de la journée, pouvaient à peine remonter. Le bourreau, tout joyeux, courait entre les lits et schlaguait à plaisir. Ce n’étaient que cris et plaintes. Quand le désir lui prenait, en hiver, il nous faisait descendre dans la cour et nous laissait sous la pluie ou la neige pendant le temps que durait sa fantaisie. Il faisait cela lorsqu’il ne pouvait pas dormir ou qu’un bruit quelconque l’avait réveillé. Nous n’étions à peu près tranquilles qu’à dix heures trente ou onze heures. Nous n’avions donc que quatre heures trente à cinq heures pour dormir et nous reposer et cela lorsque nous n’étions pas ennuyés la nuit. (…) Nous étions couverts de puces et, toute la nuit, nous nous grattions. Quelquefois, on trouvait (…) son compagnon de lit mort, par suite des mauvais traitements. Cela m’est arrivé cinq fois. Pendant la nuit, j’avais senti quelque chose de froid dans mon dos. Je bousculai mon voisin à plusieurs reprises. Cela ne le dérangea pas. En allongeant le bras, je sentis le sien raide et froid. Quelle horrible sensation ! J’avais compris. Ramenant la couverture sur lui, je me rendormis pour ne pas être obligé de le porter seul en bas. Au matin, je m’empressai de toucher ma ration et de filer, car si je le signalais, ce seraient des coups de pieds au derrière pour le descendre plus vite. »

René Maquenhen, Cahier, p. 64 et suivantes, in Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 129 à 131. 
-  René Maquenhen termine son cahier par ces quelques lignes : « On peut faire le bien comme le mal. J’ai constaté qu’un grand nombre d’individus, aussi bien des hommes que des femmes, pouvaient se conduire de façon indigne, les uns envers les autres. Des êtres en proie à une méchanceté inimaginable, poussés par on ne sait quel sombre instinct, étaient capables de martyriser des pauvres êtres humains comme eux. La grande loi de fraternité et de douceur était loin. Pourtant, comme tout serait mieux et possible, si chacun pouvait aimer n’importe quel autre mieux que soi-même. S’entraider, tant au point de vue moral, qu’au point de vue de son travail. Même s’entraider jusqu’à la mort. » In Claudine Cardon-Hamet,Triangles rouges à Auschwitz…, page 322.

[1] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon(45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung(45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux(45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais(45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin(45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté(45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean(45976) et Germain Pierron (45985).

Georges MAPATAUD – (45824 ?)

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Georges Mapataud © Droits Réservés.

Georges, Marcel, Mapataud nait le 9 juin 1922 à Paris 13e (75). Sa mère, Catherine Mapataud, ouvrière (mécanicienne) en usine, vit maritalement avec un homme qui décède en 1939 sans avoir reconnu leurs enfants.

Georges Mapataud a trois sœurs : Lucette, née en 1924 et décédée en 1989, Yvette Marguerite, née le 17 décembre 1932 et décédée en 2002, et Denise, née le 28 juin 1938.

Au moment de son arrestation, Georges Mapataud est domicilié chez sa mère, au 12, rue des Caillotins (devenue rue d’Estienne-d’Orves) à Créteil 

[1] (Seine / Val-de-Marne – 94), dans une maison aujourd’hui démolie.

Il est manœuvre spécialisé.

Au cours de l’été 1940, après les retours d’Exode, Paul Hervy (25 ans), ex-secrétaire de la section locale des Jeunesses communistes, tente de regrouper quelques jeunes de Créteil pour reprendre l’activité militante, tel René Besse. Avec celui-ci, il couvre en propagande l’est de la commune, tandis que Mapataud et Ménielle couvrent son secteur ouest.

Georges Mapataud réceptionne des tracts sur la route de Pompadour de la main d’un cycliste, après avoir été prévenu à domicile la veille de ce rendez-vous « soit par un homme, soit par une jeune fille ».

Le mercredi 9 octobre, à Bonneuil (94), Mapataud distribue des tracts avec Albert Duclos (19 ans, ajusteur) et Vialle (?), de la rue Louise, à Créteil.

Le 10 octobre au soir, Georges Mapataud reçoit chez lui Albert Duclos, habitant la même adresse, et Roger Ménielle (19 ans, marinier). Il répartit des tracts intitulés « Les masques sont tombés » et un numéro de L’Avant-Garde. Puis les trois garçons partent dans la Grande Rue (devenue rue du Général-Leclerc), voisine, où ils commencent à les glisser sous les portes, Mapataud et Ménielle sur un trottoir, Duclos sur un autre.

Créteil, la Grande Rue. Caerte postale non datée (années 1940/1950), coll. Mémoire Vive.

Créteil, la Grande Rue ; la rue des Caillotins s’ouvre à gauche. Carte postale non datée (années 1940/1950), coll. Mémoire Vive.

Mais ils sont surpris par des gendarmes de la brigade de Créteil, qui se saisissent d’abord de Duclos. Mapataud, identifié, tourne dans une impasse pour aller se réfugier au fond d’une cave abandonnée, où les gendarmes finissent néanmoins par le trouver. Roger Ménielle, qui se trouvait devant ses camarades, parvient à s’enfuir vers l’église, jetant ses tracts dans une bouche d’égout avant de rentrer chez lui. Georges Mapataud et Albert Duclos sont amenés à la brigade de gendarmerie pour y être interrogés. Dans un premier temps, Georges Mapataud refuse de dire le nom du fuyard. Le lendemain, 11 octobre, trois gendarmes de Créteil partent arrêter Roger Ménielle sur son lieu de travail, au pont de Sartrouville. Les procès-verbaux d’interrogatoire sont transmis au procureur de la République à Paris, au préfet de police et à la Kreiskommandantur.

Les considérant en infraction au décret-loi du 26 septembre 1939, les gendarmes les conduisent devant le procureur. Le 12 octobre, ils sont sous mandat de dépôt.

Le lendemain, une fois inculpés, les trois jeunes militants sont écroués à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Le 14 octobre, la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine condamne chacun d’eux à six mois d’emprisonnement. Le 26 octobre, ils sont transférés à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (94), puis, trois jours plus tard, à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Val-d’Oise).

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.  Carte postale. Collection Mémoire Vive

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.
Carte postale. Collection Mémoire Vive

Le 4 avril 1941, à l’expiration de sa peine, Georges Mapataud est libéré, comme Roger Ménielle, probablement après avoir dû prendre l’engagement de ne plus avoir d’activité clandestine. Albert Duclos, lui, est interné administrativement et conduit au camp français d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise) le 21 avril.

Le 11 avril, Georges Mapataud s’inscrit au bureau de chômage de la mairie de Créteil. Puis il est embauché par le Commissariat pour la lutte contre le chômage et travaille comme terrassier sur le chantier n° 481 au lieu-dit Condorcet à Charentonneau, quartier de Maisons-Alfort (94). Bien noté sur son lieu de travail, « il est considéré comme un bon élément ne se faisant pas remarquer d’une façon particulière, notamment au point de vue politique » (rapport RG). Le 29 juillet, il arrive à Orléans (Loiret) pour être employé comme manœuvre à l’entreprise de démolition Campenon Bernard. Le 13 août, le préfet du Loiret envoie au préfet de police une liste de travailleurs du Bâtiment originaires notamment de Créteil, Alfortville et Maisons-Alfort, en lui demandant de préciser si ces individus sont connus de ses services comme militants communistes et quels sont leurs antécédents judiciaires. Le 8 septembre, les Renseignements généraux rendent un rapport mentionnant |’engagement passé d’un ex-militant des JC d’Alfortville et celui de Georges Mapataud, avec mention de sa condamnation. Cette information a-t-elle mis fin à son contrat de travail, par décision de son employeur ou par celle du préfet du Loiret ? À une date restant à préciser, il revient à Créteil.

Le 28 avril 1942, Georges Mapataud est arrêté à son domicile en tant qu’otage (comme Roger Ménielle et René Besse), lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine et visant majoritairement d’anciens militants communistes, dont certains ont précédemment fait l’objet de poursuites policières et/ou judiciaires pour activité clandestine (qu’ils aient ensuite été condamnés ou non). De nombreux militants de Paris-Est sont conduits en camions à la mairie de 12e arrondissement où ils sont mis en attente dans la cour, puis ils sont rassemblés dans un vélodrome – probablement celui du bois de Vincennes – pour le contrôle des listes. Après quoi, des autobus réquisitionnés, portant pour certains l’inscription « travailleurs volontaires en Allemagne », les amènent à la gare du Nord où ils montent, par groupe de cinquante, dans des wagons à bestiaux. Arrivés à la gare de Compiègne (Oise), sur la commune de Margny, ils sont escortés jusqu’au camp de Royallieu, administré et gardé par la Wehrmacht  (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

 

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin, Georges Mapataud est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Georges Mapataud est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45824, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement, et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Georges Mapataud.

Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement gazés [2]). Il a 20 ans.

Son camarade Roger Ménielle, sélectionné pour la chambre à gaz, meurt à Birkenau à une date inconnue ; probablement avant la mi-mars 1943.

Le jeune Albert Duclos est successivement interné dans les camps français d’Aincourt, Voves, Pithiviers (18 novembre 1943), puis, le 2 mars 1944, au camp allemand de Laleu à La Rochelle (Charente-Maritime), sous l’autorité de l’organisation Todt.

Début mai 1945, avant le deuxième tour des élections municipales, où se présente une liste d’union des forces de la Résistance, René Besse, seul rescapé cristolien du convoi, tout juste rentré, est amené à participer à un meeting dans la salle des fêtes de la mairie. On le pousse à raconter les épreuves traversées et cela l’amène à témoigner du sort de ses camarades disparus devant des familles dont il avait jusque-là éludé les questions sur le sort de leur proche. C’est probablement ainsi que la famille Mapataud apprend la mort de Georges.

Le nom de Georges Mapataud est inscrit parmi les déportés sur le Monument aux morts de Créteil, avenue du maréchal de Lattre-de-Tassigny.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-10-1994).

Notes :

 [1] Créteil : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail”. Les détenus sélectionnés à Auschwitz-I montent dans des camions qui les conduisent à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 387 et 412.
- Témoignage de sa sœur, Denise Mapataud (02-2007) et document : attestation de la Fédération de la Seine du PCF (29-08-1947).
- Laurent Lavefve, Mille et neuf jours, René Besse, la force d’un résistant déporté, Les Ardents Éditeurs, Limoges avril 2009 (ISBN : 978-2-917032-13-8), pages 83 et 84.
- Archives de Paris : rôle correctionnel (D1u6 5850) ; jugements du tribunal correctionnel de la Seine (D1u6 3660).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “occupation allemande” (BA ?) ; renseignements généraux, dossiers individuels de Mapataud Georges (77 W 1447-17383), de Ménielle Roger (77 W 1451-16473), de Perl Tadeusz (77 W 80-92879) ; cabinet du préfet, dossiers individuels de Ménielle Roger (1 W 1708-98855),  de Duclos Albert (1 W 733-28366).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94), carton “Association nationale de des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 775 (31854/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 94-Créteil, relevé de Dominique Robichon (2000-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-06-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Jean MANON – (45825 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jean, Alphonse, Manon, naît le 23 janvier 1921 à Saint-Jean-aux-Bois (Ardennes – 08), fils d’Élie François Manon, 37 ans, employé de la Compagnie des chemins de fer de l’Est

[1], après avoir été ardoisier, et d’Odile Catherine Félicie Pécheux, 40 ans, son épouse.

Jean a trois sœurs, Marie Louise Lucie Odile née le 2 juillet 1909, Léa Clotilde, née le 19 août 1910, toutes deux à Fépin (08), Ida, née en 1913 à Hirson (Aisne), et un frère, Henri Jean, né en 1915 ou 1916 à Colombier (loin du front ?).

Au cours de la Première guerre mondiale, leur père a été mobilisé comme “affecté spécial”, maintenu à son emploi du temps de Paix.

En juillet 1927, la famille habite à Audun-le-Roman (Meurthe-et-Moselle – 54), où le père est surveillant de voie. Le 24 septembre 1929, à Audun, Marie Louise se marie avec Pierre Zanolin. Le 27 février 1932, à Audun, Léa Clotilde se marie avec Marcel Peiffer.

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Jean Manon habite chez ses parents au 78 rue (route) de Briey à Audun-le-Roman.

Jean Manon est cheminot à la Compagnie des Chemin de Fer de l’Est [1], comme Léon Toussaint, d’Audun-le-Roman, qu’il connaît probablement.

Audun-le-Roman. La gare. Carte postale des années 1900. Collection Mémoire Vive.

Audun-le-Roman. La gare. Carte postale des années 1900. Collection Mémoire Vive.

Dans la nuit du 4 au 5 février 1942, un groupe de résistance communiste mène une action de sabotage contre le transformateur électrique de l’usine sidérurgique d’Auboué qui alimente également dix-sept mines de fer du Pays de Briey. Visant une des sources d’acier de l’industrie de guerre allemande (Hitler lui-même s’en préoccupe), l’opération déclenche dans le département plusieurs vagues d’arrestations pour enquête et représailles qui concerneront des dizaines de futurs “45000”.

Le 19 février, les noms de Jean Manon et Léon Toussaint sont inscrits sur une liste de soixante suspects établie par la préfecture de Meurthe-et-Moselle pour être transmise à la Feldkommandantur de Briey.

Le 21 février 1942, Jean Manon est arrêté par la Feldgendarmerie, comme otage. Le 24 février, il est écroué à la Maison d’arrêt de Toul.

Le 27 février, son nom est inscrit sur un état nominatif des otages transmis par le préfet Jean Schmidt à Fernand (de) Brinon à Vichy ; 16e sur la liste.

Le 5 mars, il est parmi les 39 détenus transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central. Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”) Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Manon est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Manon est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45825 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jean Manon est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp, si l’on considère le matricule hypothétiquement attribué (voir ci-dessus). Il serait alors admis pendant un temps au Block 20 de l’hôpital du camp souche.

Le Block 20 en 1962. © archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.

Le Block 20 en 1962. © archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.

Il meurt à Auschwitz le 12 décembre 1942, si l’on considère le matricule hypothétiquement attribué, lequel est inscrit à cette date sur copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp [2] ; le local en question est situé au sous-sol du Block 28.

Le nom de Jean Manon est inscrit sur le monument aux Morts d’Audun-le-Roman, sur le parvis de l’église.

Le 25 avril 1947, il est déclaré “Mort pour la France”.

À une date restant à préciser, la municipalité donne son nom à une rue qui se termine en impasse ; à l’été 2023, il semble qu’aucun panneau n’indique le nom de cette voie…

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. 21-10-1994).

Notes :

[1] La Compagnie des chemins de fer de l’Est, dite parfois Compagnie de l’Est ou l’Est, société anonyme créée en 1845 sous le nom de Compagnie du chemin de fer de Paris à Strasbourg, est l’une des six grandes compagnies des chemins de fer français nationalisées le 1er janvier 1938 pour former la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Jean Manon, c’est le 1er août 1942 « sans autre renseignement » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74, 127 et 128, 367 et 412.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 117.
- Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle, Nancy : cote W1304/23.
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, page 980, citant SHD DAVCC, Caen, dossier individuel (21 P 512075).
- Jean-Claude et Yves Magrinelli, Antifascisme et parti communiste en Meurthe-et-Moselle, 1920-1945, Jarville, avril 1985, pages 247, 346.
- Jean-Claude Magrinelli, Ouvriers de Lorraine (1936-1946), tome 2, Dans la résistance armée, éditions Kaïros / Histoire, Nancy, avril 2018, L’affaire d’Auboué, pages 199-227 (listes d’otages p. 205, 208-210).
- Site Mémorial GenWeb : Audun-le-Roman, monument aux morts, relevé de Marc Ephritikhine (2005).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 7-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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Raphaël MANELLO – 45823

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Raphaël Manello naît le 2 février 1914 à Tabarka, ville portuaire du nord-ouest de la Tunisie, à quelques kilomètres de la frontière algéro-tunisienne, fils de Vincent Manello et de Francesca Tascano, son épouse, immigrés italiens.

La famille arrive en France dans les années 1930. Raphaël Manello est de nationalité française par filiation.

Pendant un temps, il habite à Puteaux

[1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92). Dans cette période, il est membre des Jeunesses communistes, puis adhérent à la cellule de Puteaux du Parti communiste.

Le 24 juillet 1937, à Suresnes (92), Raphaël Manello se marie avec Jacqueline Denerf, née le 21 juin 1917 à Vierzon (Cher). Ils auront une fille, Françoise, née le 1er janvier 1938 à Saint-Cloud (Seine-et-Oise / Hauts-de-Seine).

Au début de l’année 1940, la famille est domiciliée au 19, rue Victor-Hugo, à Puteaux.

Le 20 mars 1940, Raphaël Manello est arrêté par les services du commissariat de police de la circonscription de Boulogne « pour distribution de tracts communistes ». Dans le cadre de la répression visant la diffusion de propagande communiste sur la commune de Puteaux, une aide-comptable de 38 ans, chez qui (au 38, rue Parmentier) a été opérée une perquisition amenant la découverte de différents tracts, a mis en cause lors de son interrogatoire sa voisine de palier, ouvrière en parfumerie de 33 ans, militante qui lui a remis ces tracts lors de conversations. Celle-ci déclare à son tour avoir reçu ces tracts « d’un sieur Manello », fait que celui-ci reconnaît lorsque les policiers se présentent chez lui. La perquisition de son domicile n’amène la découverte d’aucun document ou matériel compromettant. Arrêté également, Albert, Auguste, Henri Lefebvre, 43 ans, ponsonnier (?), demeurant à la même adresse que Manello, reconnait qu’il lui a remis un seul tract, lequel lui a été remis par un certain « Lemoine ».

Le 24 mars, Raphaël Manello est conduit avec les autres suspects au dépôt de la préfecture de police, à la disposition du Parquet.

Le 25 mars, François Le Moal, né le 15 février 1912 à Lambezellec (Côtes-du-Nord / Côtes-d’Armor), est arrêté. Interrogé, il déclare qu’il avait reçu des tracts en vue de les diffuser de la part d’un nommé « Souvenaud », qu’il reconnaîtra sur une photo à lui présentée ; en fait, Edmond, Victor, Savenaud, né le 16 mai 1905 à Chamberand (Creuse), dont le « domicile actuel est inconnu ».
Le lundi 10 juin, devant l’avancée allemande, Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, ordonne l’évacuation de la prison militaire de Paris, originellement celle du Cherche-Midi, dont la Santé, réquisitionnée, est considérée comme une annexe. En début de soirée, Raphaël Manello fait partie des 1559 détenus – prévenus et condamnés – « sortis ce jour » de la Maison d’arrêt  et entassés dans un convoi formé d’autobus réquisitionnés de la STCRP (future RATP) dont les stores sont baissés et les vitres fermées et opacifiées par de la peinture. Ce cortège rejoint celui des 297 prisonniers du Cherche-Midi transportés dans des camions militaires bâchés.

Le 11 juin, la “procession” arrive devant les portes de la prison d’Orléans (Loiret), qui, déjà surpeuplée, ne peut accueillir aucun des prisonniers repliés. Dès lors, deux convois se forment. L’un, de 825 détenus, se dirige vers le camp d’aviation des Groües, proche de la gare orléanaise des Aubrais. L’autre poursuit sa route jusqu’à Vésines, à proximité de Montargis. De là, deux groupes de prisonniers, 904 d’abord, 136 ensuite, rejoignent à pied le camp de Cepoy, dans les bâtiments de l’ancienne verrerie de Montenon. Le samedi 15 juin, ils repartent – devant rejoindre l’autre groupe au camp d’Abord, à l’Est de Bourges (Cher) – à pied, en colonne, suivant le chemin de halage des canaux du Loing puis de Briare ;  première étape, longue de dix-huit kilomètres, Cepoy-Montcresson ; deuxième étape, Montcresson-Briare. Ils sont escortés par un détachement de soldats du 51e régiment régional, de tirailleurs marocains et de deux compagnies de gardes mobiles sous la conduite d’un capitaine qui applique à la lettre les ordres reçus : ne laisser personne derrière, le refus de marcher étant considéré comme tentative d’évasion, les soldats peuvent tirer sans faire de sommation (treize exécutions de marcheurs trop épuisés sont répertoriées, mettant en cause les gardes mobiles de Vendôme). Néanmoins, des évasions se produisent déjà sur le trajet. Quand la longue colonne de prisonniers arrive finalement aux environs de Neuvy-sur-Loire, c’est la confusion : les troupes allemandes atteignent le secteur et les ponts permettant de traverser le fleuve ont été détruits. Des gardes désertent et de nombreux prisonniers, livrés à eux-mêmes, s’égaillent dans la nature. Quelques-uns réussissent à passer la Loire. Ceux qui se présentent spontanément dans les gendarmeries sont arrêtés, puis à nouveau internés. Le 21 juin, à l’arrivée finale des évacués au camp de Gurs (Basses-Pyrénées / Pyrénées-Atlantiques), via Bordeaux, l’effectif total est de 1020 détenus sur les 1865 au départ de Paris.

Raphaël Manello fait partie de ceux qui se sont échappés (une note de police ultérieure – avril 1964 – indique : « Il s’était, lors de l’exode, replié en province »).

Le 28 janvier 1941, le Tribunal militaire de Périgueux le condamne par défaut à un an d’emprisonnement et à 100 francs d’amende et délivre un mandat d’arrêt à son encontre.

Repris le 18 avril suivant (à Briare ?) « après avoir réussi à de dissimuler un certain temps », Raphaël Manello purge sa peine dans les Maisons d’arrêt de Sens (Yonne), puis de Montargis (Loiret).

Libéré le 12 janvier 1942, Raphaël Manello trouve un emploi d’électricien à l’entreprise de travaux publics Deydé, sur un chantier de réfection des usines Renault.

En décembre 1941, son épouse a emménagé au 17, rue des Thermopyles (Paris 14e), qui est son adresse officielle. Mais, fin février 1942, Raphaël s’installe avec son frère Joseph dans une chambre d’hôtel au 3, place du Marché-Sainte-Catherine (Paris 4e), son épouse et leur fille restant dans l’appartement de la rue des Thermopyles.

Le 28 avril 1942, Raphaël Manello est arrêté à son domicile, comme otage, lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine – avec le concours de la police française – et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin ayant été précédemment l’objet de poursuites judiciaires puis relaxés, sans avoir subi de condamnation ou après avoir purgé leur peine. Les hommes arrêtés sont d’abord rassemblés au camp allemand du fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), puis rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Raphaël Manello est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. C’est à son frère Joseph que Raphaël Manello adresse un message jeté du train et qui lui sera transmis par un cheminot (son épouse ne recevant aucune nouvelle de lui après sa seconde arrestation).

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Raphaël Manello est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45823 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Raphaël Manello.

Il meurt à Auschwitz le 30 janvier 1943, selon  l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

À la mi-juillet 1942, c’est son frère Joseph qui a reçu la carte formulaire imprimée en allemand envoyée aux familles par l’administration militaire du camp de Royallieu pour prévenir du départ des déportés :  « Sur ordre de l’autorité compétente, le détenu susmentionné a été transporté dans un autre camp pour y travailler. Nous ne connaissons pas son lieu de destination, aussi vous devez attendre qu’il donne lui-même de ses nouvelles ».

Le 4 décembre 1944, Jacqueline Manello – toujours domiciliée rue des Thermopyles – se présente à la préfecture de police pour obtenir un « certificat attestant que son mari a été arrêté le 28 février 1942, transféré à Compiègne et déporté en Allemagne le 7 juillet 1942 ». Le dit document est établi le 7 mars 1945 et Madame Manello en accuse réception au commissariat du quartier de Plaisance trois jours plus tard.

Le 10 octobre 1946, Jacqueline Manello dépose une demande d’inscription de la mention « Mort pour la France » sur l’acte de décès de son mari.

Le 15 octobre, Georges Gourdon, de Creil, rempli un formulaire à en-tête de l’Amicale d’Auschwitz/FNDIRP par lequel il certifie sur l’honneur que Raphaël Manello est décédé au camp d’Auschwitz en janvier 1943.

La mention « Mort pour la France » est portée sur le registre d’état civil de Tabarka le 14 janvier 1947 et sur celui de la mairie du 14e le 7 octobre.

Jacqueline Manello se remarie avant février 1950.

Le 22 janvier 1962, c’est sa fille Françoise, 24 ans, alors domiciliée au 3, rue Édouard-Naud, à Issy-les-Moulineaux qui dépose une demande d’attribution du titre de déporté politique à Raphaël Manello à titre posthume. Le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre lui envoie la carte n° 1175 18119 le 25 juin 1964.

À une date restant à définir, le Conseil municipal de Puteaux fait inscrire le nom de Raphaël Manello sur le monument « Aux martyrs de la Résistance » (situé ?).

 La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 29-09-1994).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 383 et 412.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier individuel  de Raphaël Manello (21 P 472 672).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” (BA ?) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 1797-88939) ; registre de main courante du commissariat de Boulogne (C B 83 22).
- Jacky Tronel, site internet Criminocorpus, plusieurs articles dont Le repli de la prison militaire de Paris à Mauzac. Un exode pénitentiaire méconnu, 2012.
- Thomas Renault, son arrière-petit-neveu, messages 12-2009.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 773 (23535/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 3-04-2019)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Puteaux : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Aristide MANDRON – (45822 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Aristide, Léon, Mandron naît le 5 août 1890 à Châtel-Censoir (Yonne), chez ses parents, Paul Mandron, 27 ans, plâtrier, et Ernestine Tricardy, 26 ans, son épouse.

Chatel-Censoir, le canal et la ville (vers 1910 ?). Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Chatel-Censoir, le canal et la ville (vers 1910 ?).
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Aristide Mandron acquiert une formation de serrurier mécanicien ajusteur.

Le 7 octobre 1911, il est incorporé au 32e régiment d’artillerie afin d’accomplir son service militaire . Le 10 août 1912, il passe au 2e régiment d’artillerie de montagne. Le 3 novembre 1913, il est « envoyé dans la disponibilité », avec un certificat de bonne conduite.

En février 1914, il habite au 24, rue Catulienne à Saint-Denis (Seine/Seine-Saint-Denis).
Châtel-Censoir, vue générale côté Nord-Est. Au premier plan, la mairie. Carte postale non datée. Coll. Mémoire Vive.

Châtel-Censoir, vue générale côté Nord-Est. Au premier plan,
la mairie. Carte postale non datée. Coll. Mémoire Vive.

Le 22 juin 1914 à Châtel-Censoir, Aristide Mandron se marie avec Amélie Faulle, née le 6 octobre 1894 dans cette commune (ils n’auront pas d’enfant). Le 18 juillet, le couple habite au 16, rue Dezobry à Saint-Denis.

Aristide Mandron est « rappelé à l’activité » militaire par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914. Deux jours plus tard, il rejoint le 32e régiment d’artillerie, unité combattante. Le 12 août 1915, il est détaché du corps d’armée pour être employé par la Société anonyme des Établissements Delaunay-Belleville à Saint-Denis, une usine d’automobiles. Le 24 mai 1917, il passe brièvement à la société des moteurs Otto, rue de la Convention, à Paris. Le 4 juin suivant, il passe à la Maison Lorraine-Dietrich à Argenteuil, dont les usines fabriquent alors des moteurs d’avions. Le 1er juillet, il passe – de manière administrative ? – au 27e et 32e Dragons. En mai 1918, il est relevé d’usine. Le 21 mai, il rentre au dépôt et réendosse l’uniforme. Le 29 mai, il rejoint le 38e régiment d’artillerie lourde, de nouveau une unité combattante ; le 22 août, il passe au 22e régiment d’artillerie de campagne ; le 19 octobre, au 272e régiment d’artillerie, combattant jusqu’à l’armistice du 11 novembre. Le 10 août 1919, il est « renvoyé en congé illimité » (démobilisé) et se retire au 16, rue des Aubry, à Saint-Denis

En novembre 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 2, rue Émile-Zola à Saint-Denis 

[1] (Seine / Seine-Saint-Denis).Aristide Mandron est ajusteur à la Société du gaz de Paris. Militant à la CGT, il est délégué du personnel. Il est également membre de la cellule du Landy du Parti communiste.

Le 15 juillet 1938, en tant que “réserviste”, il est sans affectation nominative, maintenu à la disposition de la Ville de Paris comme ajusteur-mécanicien.

Le 6 décembre 1940, il est arrêté à son domicile par la police française, qui le considère comme « meneur communiste très actif », et interné administrativement au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé au début du mois d’octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.

Centre de séjour surveillé d’Aincourt. Plan de l’enceinte montrant les points d’impact après le bombardement par un avion anglais dans la nuit du 8 au 9 décembre 1940. Arch. dép. des Yvelines (1W71).

Centre de séjour surveillé d’Aincourt. Plan de l’enceinte
montrant les points d’impact après le bombardement
par un avion anglais dans la nuit du 8 au 9 décembre 1940.
Arch. dép. des Yvelines (1W71).

Le 6 septembre 1941, il est parmi les 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à leur demande et conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central dont l’ombre se profile sur le sol. Le renfoncement à droite dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central dont l’ombre se profile sur le sol.
Le renfoncement à droite dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Aristide Mandron.

Il meurt à Auschwitz le 21 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2], indiquant pour cause certainement mensongère de sa mort « asthme cardiaque » (Herzasthma).

En septembre 1942, Amélie Mandron – alors réfugiée chez sa mère (?), Madame Veuve Faulie à Châtel-Censoir – écrit au préfet de l’Yonne afin de solliciter une allocation aux familles nécessiteuses d’internés administratifs.

En 1945, des rescapés du convoi apprennent sa disparition à son épouse.

En 1952, sa veuve complète un formulaire du ministère de Anciens combattants et victimes de guerre pour demander l’attribution du titre de déporté politique à son mari.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 17-09-1991).

Notes :

[1] Saint-Denis : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant d’Arisitide Mandron, c’est le 15 décembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 386 et 412.
- Archives départementales de l’Yonne, archives en ligne : état civil de Châtel-Censoir, registre des naissances de l’année 1890 (cote 5 Mi 1266/ 1 N), acte n° 15 (vue 119/167) ; registre matricule du recrutement militaire, bureau d’Auxerre, classe 1910 (cote 1 R 715, n° 1-50), matricule 108 (vues 242-243/1115).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”,  (communistes fonctionnaires internés…), liste des fonctionnaires internés administrativement le 6 décembre 1940 par application de la loi du 3-09-1940 (BA 2214) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1w514-13696).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, relations avec les autorités allemandes (1W80),  dossier individuel (1W137) ; et recherches parallèles de Claude Delesque.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : liste XLI-42, n° 117.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Témoignage de Fernand Devaux (10-2008).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 773 (23535/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 23535/1942.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 29-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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