Alfred MÉNIENS – 45869

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Alfred, Eugène, Méniens naît le 10 octobre 1899 à Aslonnes (Vienne – 86), fils naturel de Marie Métayer, 24 ans, couturière, domiciliée au village de Laverré. Venu déclarer l’enfant, le père de l’accouchée est Jean Métayer, 59 ans, scieur de long. L’enfant est légitimé par le mariage de François Méniens avec Marie Métayer, le 2 octobre 1905 à Iteuil (86).

Alfred Méniens commence à travailler comme agriculteur.

Le 17 avril 1918, il est incorporé comme matelot de 2e classe au 3e dépôt des équipages de la Flotte. Du 12 juillet suivant au 23 octobre 1919, il est affecté sur le cuirassé Paris. Le 21 mars 1921, il est renvoyé dans ses foyers.

En octobre 1923, Alfred Méniens habite la gare de Cambrai (Nord), travaillant

[?] au dépôt de la Compagnie du chemin de fer du Nord.

En septembre 1924, il habite au 62, côte Montbernage à Poitiers. En décembre 1934, il habite au 37, rue de la Tranchée. En mars 1936, il habite chemin de la Cueille-Aigüe. En janvier 1939, il habite au 13, rue des Carmélites.

Au moment de son arrestation, Alfred Méniens est domicilié au 35, rue de Rochereuil, dans le faubourg du même nom à Poitiers (86). Il est célibataire et vit avec sa mère, très âgée.

Électricien, il travaille comme agent de secteur, surveillant d’atelier et chef d’équipe, à la Régie intercommunale d’électricité de Poitiers.

En 1934, la Commission de réforme de Poitiers le classe dans le service auxiliaire de l’armée de réserve pour séquelles de fracture ouverte des deux os de la jambe gauche et raideur tibio-tarsienne.

Militant communiste actif, il distribue des tracts et vend L’Humanité.

Avec René Amand, de Poitiers, il fréquente l’épicerie-café de Marie-Louise Troubat à Bruxerolles, point de rendez-vous des militants communistes poitevins.

Alfred Méniens reste actif après l’interdiction du Parti communiste et sous l’occupation.

En septembre 1939, il est probablement classé comme “affecté spécial” sur son poste de travail. Le 27 janvier 1940, il est « rayé » de cette affectation par décision du général commandant de la 9e région ; le lendemain, il est affecté au dépôt d’infanterie n° 95. Mais, le 15 mars suivant, la commission de Brive le déclare « réformé définitif n° 2 pour fracture ancienne des deux os de la jambe gauche à la partie moyenne, péroné consolidé en baguette, pas ostéite, pas séquestre, pas coquille. Raccourcissement : 2 cm ».

Le 23 juin 1941, Alfred Méniens est appréhendé par des policiers français. Il est probablement conduit au poste de l’Hôtel de Ville, comme Marcel Couradeau, de Poitiers, arrêté le même jour (déporté au KLSachsenhausen le 24 janvier 1943). Celui-ci raconte : « En fin d’après-midi, nous sommes six au poste de l’hôtel de ville. À 18 heures, la Feldgendarmerie nous emmène à la Chauvinerie, dans une baraque entourée de barbelés. Nous y serons bientôt près d’une quarantaine [sic] avec un fort contingent de Châtellerault et quelques femmes. » La caserne de la Chauvinerie, à Poitiers, a été réquisitionnée par l’occupant. Selon M. Rideau, 33 communistes sont arrêtés ce jour-là dans la Vienne ; 28 sont conduits à la Chauvinerie, 14 seront des “45000”).

Poitiers. L’entrée du quartier (caserne) de la Chauvinerie dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Poitiers. L’entrée du quartier (caserne) de la Chauvinerie dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 12 (ou le 14 juillet) à midi, à la gare de Poitiers, une trentaine de détenus sont embarqués dans un wagon, seuls avec leur escorte. Les soldats allemands repoussent brutalement les parents et amis accourus sur place après avoir été alertés.

Les Viennois sont transférés au camp de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Alfred Méniens est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Dans sa description du départ de Compiègne des futurs “45000”, Marcel Couradeau signale qu’Alfred Méniens avait réussi à cacher dans ses bagages une scie égoïne, dans l’intention de s’évader. Raymond Montégut confirme qu’avec un autre détenu ayant réussi a emporter une paire de tenailles, ils essayèrent d’entamer le plancher de leur wagon. Mais, ne réussissant à rien avant la nouvelle frontière allemande (à Metz), ils abandonnent.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Alfred Méniens est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45869 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Alfred Méniens est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est admis au Block 20 de l’hôpital d’Auschwitz. Peu avant sa mort, il y est assigné au Block 28, Stube (chambrée) 12 (son nom étant orthographié « Menicus »).

Alfred Méniens meurt à Auschwitz le 22 novembre 1942, selon une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, et où est inscrit le matricule n° 45869 (15e de la liste à cette date).

Notes :

[1] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.
En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.
Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 380 et 413.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Deux-Sèvres et de la Vienne (2001), citant : Raymond Jamain (1972, 1989) – Témoignages de Maurice Rideau(2-10-1971), Raymond Montégut (11-1972) et Émile Lecointre (23-2-1989).
- Archives départementales de la Vienne, site internet du conseil général, archives en ligne : état civil d’Aslonnes, registre des naissances 1893-1902 (2 MI 1221), année 1899, actes n°13 et 14 (vues 39-40/59) ; registres matricules du recrutement militaire, bureau de Poitiers, classe 1919, numéros de 1 à 500 (cote ?), matricule 471 (vue 615/653).
- Raymond Montégut, Arbeit macht Frei, Éditions du Paroi (imprimeur), juin 1973, Recloses, 77-Ury, 349 pages.
- Site de l’association Vienne Résistance Internement Déportation (VRID).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copie du 3e registre de la morgue “Totenbuch Auschwitz 30•12•42-30•8•43” (26 P 850).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 25-11-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Roger MÉNIELLE – (45868 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

(à ses vingt ans, un PV de gendarmerie le signalera ainsi : « taille 1 m 64, cheveux blonds, front bas, yeux bleus, nez cave bout rond, lèvres épaisses, taches de rousseur »)

Roger Ménielle naît le 12 juin 1921 à Paris 12e, fils de Maurice Ménielle, 28 ans, et de Lucienne Préau, son épouse, « ouvriers très pauvres », qui se sont mariés quatre mois plus tôt. Roger a une sœur ou un frère.

Son père, né le 14 novembre 1892 à Paris 12e, a été mobilisé au cours de la Première Guerre mondiale. Le 15 septembre 1916, le Conseil de guerre de Rabat (Maroc) l’a condamné à sept ans de travaux publics pour refus d’obéissance et outrage par écrit envers un supérieur.

Pendant un temps, Roger Ménielle habite chez ses parents au 81, Grande Rue à Créteil

[1] (Seine / Val-de-Marne – 94).

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 20, rue du Sergent-Bobillot dans la même commune. Il est marié, sans enfant (il a 19 ans).

Roger Ménielle est marinier.

Il pratique la boxe en compétition jusqu’au niveau régional, utilisant l’argent des prix obtenus pour aider sa famille.

Son père dirigerait une cellule du Parti communiste (à Créteil ?). Roger lui-même est membre du Parti, militant également avec des jeunes communistes.

En 1939, Maurice Ménielle est victime d’un accident du travail (peut-être dans un emploi de déménageur) qui le laisse mutilé. Il s’inscrit au fonds de chômage de sa commune.

Après l’interdiction du Parti communiste par le décret loi du 26 septembre 1939, père et fils manifesteraient « ouvertement, dans différents cafés de Créteil, leur mécontentement et leur dépit de cette mesure ».

Le 5 décembre, ayant reçu des « renseignements confidentiels », le commissaire de police de la circonscription de Saint-Maur demande à deux de ses inspecteurs de procéder à une vérification domiciliaire chez Maurice Ménielle, susceptible de détenir des tracts. Au cours de cette perquisition, les policiers ne découvrent aucun imprimé clandestin, mais voient des portraits de Lénine, Paul Vaillant-Couturier et Henri Barbusse (co-fondateurs de l’Association républicaine des anciens combattants) confirmant seulement les opinions communistes de leur propriétaire.

En juin 1940, à la suite d’une dénonciation probable, les Renseignements généraux s’intéressent à l’action clandestine de Jean-Baptiste Champval, ex-secrétaire de la région Paris-Est du parti dissous, alors mobilisé et qui aurait essayé de regrouper quelques militants de Créteil à l’occasion de ses permissions. Les policiers, qui sont au courant d’une réunion qui se serait tenue le 24 mars au café Lemoine, au 39 ter, quai du Halage, enquêtent sur six personnes qui auraient été pressenties pour reprendre une activité, dont Maurice Ménielle.

Au cours de l’été 1940, après les retours d’Exode, Paul Hervy (25 ans), ex-secrétaire de la section locale des Jeunesses communistes, tente de regrouper quelques jeunes de Créteil pour reprendre une activité militante, tel René Besse (17 ans, imprimeur taille-doucier). Avec celui-ci, il couvre en propagande l’est de la commune, tandis que Roger Ménielle et Georges Mapataud (18 ans, manœuvre) couvrent son secteur ouest.

En octobre, Roger Ménielle travaille sur un chantier de dragage de la Seine au pont de Sartrouville (Seine-et-Oise / Yvelines) [2]

Le 10 octobre au soir, au retour du travail, il se rend chez Georges Mapataud, au 12, rue des Caillotins (devenue rue d’Estienne-d’Orves), où il retrouve Albert Duclos (19 ans, ajusteur), habitant la même adresse. Mapataud répartit des tracts intitulés « Les masques sont tombés » et un numéro de L’Avant-Garde. Puis les trois garçons partent dans la Grande Rue, voisine, où ils commencent à les glisser sous les portes, Duclos sur un trottoir, Ménielle et Mapataud sur un autre. Mais ils sont surpris par des gendarmes de la brigade de Créteil, qui se saisissent d’abord de Duclos. Mapataud, reconnu, tourne dans une impasse pour aller se réfugier au fond d’une cave abandonnée, où les gendarmes finissent néanmoins par le trouver. Roger Ménielle, qui se trouvait devant ses camarades, parvient à s’enfuir vers l’église, jetant ses tracts dans une bouche d’égout avant de rentrer chez lui. Albert Duclos et Georges Mapataud sont amenés à la brigade de gendarmerie pour y être interrogés.

Créteil, la Grande Rue. Caerte postale non datée (années 1940/1950), coll. Mémoire Vive.

Créteil, la Grande Rue. Carte postale non datée (années 1940/1950), coll. Mémoire Vive.

Le lendemain, 11 octobre, trois gendarmes de Créteil partent arrêter Roger Ménielle sur son lieu de travail, au pont de Sartrouville, puis le ramènent à leur caserne, où ils l’interrogent. Admettant les faits, il leur déclare : « Je ne suis pas payé pour distribuer les tracts. Personne ne m’y pousse. Si je le fais, c’est volontairement. » Mais il refuse de donner toute indication quant à la provenance des tracts et de signer le procès verbal transmis ensuite au procureur de la République à Paris, au préfet de police et à la Kreiskommandantur. Le considérant en infraction au décret-loi du 26 septembre 1939, les gendarmes le conduisent devant le procureur. Le 12 octobre, il est sous mandat de dépôt.

Le lendemain, une fois inculpés, les trois jeunes militants sont écroués à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)

Le 14 octobre, la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine condamne chacun d’entre eux à six mois d’emprisonnement. Le 26 octobre, ils sont transférés à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (94), puis, trois jours plus tard, à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Val-d’Oise).

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.  Carte postale. Collection Mémoire Vive

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.
Carte postale. Collection Mémoire Vive

Le 4 avril 1941, à l’expiration de sa peine, Roger Ménielle est libéré, comme Georges Mapataud, probablement après avoir dû prendre l’engagement de ne plus avoir d’activité clandestine (liberté “conditionnelle”). Albert Duclos, lui, est interné administrativement et conduit au camp français d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise) le 21 avril.

Dans un rapport rédigé le 21 avril, deux inspecteurs de la brigade spéciale des renseignements généraux constatent qu’« aucun fait précis ne permet d’établir si [Maurice Ménielle] se livre actuellement à la diffusion des mots d’ordre de la IIIe Internationale et son internement par mesure administrative ne paraît pas devoir s’imposer, en raison même de son infirmité qui exige des soins médicaux constants ».

Pourtant, le 27 juin, Maurice Ménielle, « signalé » par le commissariat de Saint-Maur, est arrêté à son domicile pour être placé en internement administratif (application du décret du 18 novembre 1939). Le jour même, il est conduit à l’hôtel Matignon et mis « à la disposition des autorités allemandes » [3]. Les militants de Paris et de la “petite couronne” arrêtés dans les mêmes conditions sont ensuite rassemblés au Fort de Romainville (HL 122), sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis). Le 1er juillet, ils sont conduits à la gare du Bourget d’où un train les transporte à Compiègne (Oise). À leur descente du train, ils sont menés au camp allemand de Royallieu, administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au premier plan, alignés, les bâtiments du quartier C. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu. Les hangars en bas à droite n’existaient pas.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Le 28 avril 1942, Roger Ménielle est arrêté à son domicile en tant qu’otage (comme Georges Mapataud et René Besse), lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par les autorités d’occupation (« la Gestapo ») dans le département de la Seine et visant majoritairement d’anciens militants communistes, dont certains ont précédemment fait l’objet de poursuites policières et/ou judiciaires pour activité clandestine (qu’ils aient ensuite été condamnés ou non). De nombreux militants du secteur Paris-Est sont conduits en camions à la mairie de 12e arrondissement où ils sont mis en attente dans la cour, puis ils sont rassemblés dans un vélodrome – probablement celui du bois de Vincennes – pour le contrôle des listes. Après quoi, des autobus réquisitionnés, portant pour certains l’inscription « travailleurs volontaires en Allemagne », les amènent à la gare du Nord où on les fait monter, par groupe de cinquante, dans des wagons à bestiaux. Arrivés à Compiègne, ils sont escortés jusqu’au camp de Royallieu, où Roger retrouve son père.

Entre fin avril et fin juin 1942, Roger Ménielle est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler) ; son père n’est pas désigné pour ce transport.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Roger Méniel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45868, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Roger Ménielle est dans la moitié des membres du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, les autres étant ramenés à Auschwitz-I.
Selon René Besse, de Créteil, il accepte de participer à des combats de boxe contre des Kapos ou des chefs de Block pour obtenir des suppléments de pain qu’il redistribue en grande partie.

On ignore la date exacte de sa mort à Birkenau ; probablement avant la mi-mars 1943. Pierre Monjault, de Maisons-Alfort, le voit une dernière fois, avec d’autres “45000”, dans un camion découvert qui transporte les “inaptes au travail” vers la chambre à gaz [3]. Il a 21 ans.

Chargement des morts et mourants pour les Krematoriums de Birkenau. Dessin de François Reisz, extrait de Témoignages sur Auschwitz, édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz au 4e trimestre 1946.

Chargement des morts et mourants pour les Krematoriums de Birkenau.
Dessin de François Reisz, extrait de Témoignages sur Auschwitz,
édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz au 4e trimestre 1946.

Son camarade Georges Mapataud, 20 ans, meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Le 24 janvier 1943, son père, Maurice Ménielle, est déporté vers le KL [4] Sachsenhausen (matr. 58973). Selon la mention apposée sur son acte de naissance, il meurt au KL Buchenwald (matr. 80854) le 16 mars 1945.

Le jeune Albert Duclos est successivement interné dans les camps français d’Aincourt, Voves et Pithiviers (18 novembre 1943), puis, le 2 mars 1944, au camp allemand de Laleu à La Rochelle (Charente-Maritime), sous l’autorité de l’organisation Todt.

Début mai 1945, avant le deuxième tour des élections municipales, où se présente une liste d’union des forces de la Résistance, René Besse, seul rescapé cristolien du convoi, tout juste rentré, est amené à participer à un meeting dans la salle des fêtes de la mairie. On le pousse à raconter les épreuves traversées et cela l’amène à témoigner du sort de ses camarades disparus devant des familles dont il avait jusque-là éludé les questions sur le sort de leur proche. C’est probablement ainsi que Mesdames Ménielle ont appris la mort de de leur fils et mari.

En 1953, une des parentes de Roger – veuve ou mère – dépose une demande d’attribution du titre de “déporté politique” auprès du ministère des Anciens combattants et victimes de la guerre.En mars 1954, sa veuve habite au 2, rue de la Procession à Conflans-Sainte-Honorine (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), et sa mère au 78, rue des Écoles à Créteil.

Le nom de Roger Ménielle est inscrit avec celui de son père parmi les déportés sur le Monument aux morts de Créteil, avenue du maréchal de Lattre-de-Tassigny.

Notes :

[1] Créteil : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Le pont de Sartrouville : s’agit-il du pont de chemin de fer entre Sartrouville et Maisons-Laffitte, détruit le jeudi 13 juin 1940 par le Génie français pour ralentir la progressions allemande ?

[3] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total (bilan au 31 juillet), 1300 hommes environ y seront internés à la suite de cette action. Effectuant un tri a posteriori, les Allemands en libéreront plusieurs dizaines. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[4] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, trois témoignages :
Jean Lyraud (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Le 26 juin, à 5 heures du matin, il est réveillé par des policiers français : « Veuillez nous suivre au poste avec une couverture et deux jours de vivres. » Un autobus le prend bientôt avec trois autres personnes arrêtées. Le véhicule fait le tour des commissariats de Montreuil et du 11e arrondissement. Un crochet à l’hôtel Matignon, qui abrite alors la police de Pétain, puis c’est le transport jusqu’aux portes du Fort de Romainville où les prisonniers sont remis aux autorités allemandes. Avec ses compagnons, Jean Lyraud passe la nuit dans les casemates transformées en cachots. « Le lendemain 27 juin dans l’après-midi, nous embarquons en gare du Bourget dans des wagons spéciaux pour Compiègne. Nos gardes ont le revolver au poing et le fusil chargé, prêts à faire feu. Dans la soirée nous arrivons au camp. Quelques jours après, d’autres contingents de la région parisienne nous rejoignent. »
Henri Pasdeloup (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943), cheminot de Saint-Mihiel (Meuse), est arrêté le 23 juin 1941 par la Gestapo qui le conduit à la prison de la ville. Le 27 juin, avec d’autres détenus emmenés à bord de deux cars Citroën, il arrive devant le camp de Royallieu vers 16 h 30 : « À l’arrivée face au camp, nos gardiens nous font descendre. Alignement sur la route, comptages et recomptages. En rangs par trois nous passons les barbelés… À 19 heures, environ 400 prisonniers en provenance de la région parisienne entrent en chantant L’Internationale… Le lendemain 28 juin, réveil à 7 heures : contrôle d’identité, toise, matricule. J’ai le numéro 556. Pour notre groupe de la Meuse, cela va de 542 à 564. Ceux de la région parisienne, bien qu’arrivés après nous, sont immatriculés avant… »
Henri Rollin : « Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention « communiste », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[5] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

[6] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 387 et 413.
- Lucie Kerjolon, transcription du témoignage de Pierre Montjault, Quatre années de souffrance pour rester français (validée le 23-07-1984), page 28.
- René Besse : entretien filmé par Gilbert Lazaroo (13-06-1998).
- Laurent Lavefve, Mille et neuf jours, René Besse, la force d’un résistant déporté, Les Ardents Éditeurs, Limoges avril 2009 (ISBN : 978-2-917032-13-8), pages 83, 84, 177.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 7e arrondissement, année 1982 (V4E 5997), acte 1515.
- Archives de Paris : rôle correctionnel (D1u6 5850) ; jugements du tribunal correctionnel de la Seine (D1u6 3660).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : renseignements généraux, dossiers individuels de Ménielle Roger (77 W 1451-16473), de Ménielle Maurice (77 W 1511-33508), de Mapataud Georges (77 W 1447-17383) ; cabinet du préfet, dossiers individuels de Ménielle Roger (1 W 1708-98855), de Ménielle Maurice (1 W 36-23349), de Duclos Albert (1 W 733-28366).
- Sachso, Au cœur du système concentrationnaire nazi, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur les arrestations du 26 juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, I.74, page 632.
- Site Mémorial GenWeb, 94-Créteil, relevé de Dominique Robichon (2000-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 11-06-2018)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP ) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

André MÉNAGER – 45867

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

André Ménager naît le 24 janvier 1901 à Paris 5e, fils de Claudine Ménager, 26 ans, cuisinière, domestique, domiciliée au 40 rue Lacépède, et de père non dénommé.

Pendant un temps, André ménager vit avec sa mère au 71, rue de Saint-Mandé à Montreuil-sous-Bois (Seine / Seine-Saint-Denis). Il commence à travailler comme polisseur.

Le 1er avril 1921, il est appelé à accomplir son service militaire comme soldat de 2e classe au 154e régiment d’Infanterie. Le 23 novembre 1921, il rejoint l’Armée du Levant avec son unité. Le 6 février 1922, il passe au 415e régiment d’infanterie. Du 5 au 15 juin suivant, il est admis à l’hôpital complémentaire n° 2 à Damas. Du 15 au 26 juin, il est transféré à l’hôpital complémentaire de Souk-el-Gharb. Puis il est évacué vers l’hôpital Michel Lévy à Marseille, où il est admis du 2 au 6 juillet. Ce dernier jour, il passe au 31e R.I. Le 25 avril 1923, il est renvoyé dans ses foyers.

Début mai 1923, il déclare être domicilié à Vernou-sur-Seine (Seine-et-Marne – 77).

Le 27 août 1924 à Champagne-sur-Seine (77), il se marie avec Léa Florentine Evelina Bougréau, née le 22 mai 1903 à Vernou-sur-Seine, fille de cheminot.

Fin octobre 1925, le couple demeure rue du Pas-Rond (au n° 32 ?) ; ils habiteront encore dans cette rue en mars 1936.

André et Léa Ménager ont trois enfants : Jacqueline, née le 29 juin 1926, Philibert, né le 24 octobre 1928, et Nicole, née le 23 juillet 1933.

En 1931 et 1936, la famille inclut Jeanne Ménager, née Martin le 8 juin 1872 au Creusot (Saône-et-Loire), une tante ? En mai 1932, la famille habite au 43 (?), rue du Pas-Rond.

Au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 10, rue des écoles à Champagne-sur-Seine.

André Ménager est tourneur-ajusteur à l’usine Le Matériel électrique Schneider-Westinghouse (S.W.). Son épouse y travaille comme bobineuse (depuis au moins 1931 et jusqu’à l’automne 1941).

Champagne-sur-Seine. Entrée de l’usine Schneider-Westinghouse (S. W.). Carte postale non-datée (années 1920 ?). Collection Mémoire Vive.

Champagne-sur-Seine. Entrée de l’usine Schneider-Westinghouse (S. W.).
Carte postale non-datée (années 1920 ?). Collection Mémoire Vive.

Militant communiste, André Ménager est trésorier de la cellule de Champagne-sur-Seine de 1931 à 1939.

Le 28 janvier 1939, à la demande de la direction générale de la Sûreté nationale au ministère de l’intérieur, et après avoir consulté ses sous-préfets, le préfet de Seine-et-Marne transmet à celle-ci un long rapport sur « l’organisation et l’activité de chacun des partis extrémistes » de son département dans lequel sont répertoriées les cellules du parti communiste. Pour Champagne-sur-Seine, il indique : « Le nombre des adhérents est de 280 environ, dont une centaine pour la cellule de la société S.W. (Schneider et Cie) 

[…]. Les réunions se tiennent chaque semaine chez M. Rateau, chef du secteur. »

Le 1er mai 1941, un inspecteur du commissariat spécial de Melun rédige un compte-rendu d’enquête pour son chef de service, relativement à « une lettre signée peu lisiblement et signalant une activité communiste dans la région de Champagne-sur-Seine. […] Le Matériel Électrique ou « Usines S.W. » occupe […] environ 700 ouvriers. Une vingtaine environ s’était faite remarquer par son attitude communiste, parmi eux : JAY René, né le 5 avril 1892 à Saint-Mammès (Seine-et-Marne), domicilié à Champagne-sur-Seine, 10 rue Henri-Paul, veilleur de nuit au chantier du pont de cette localité […], MAGNAT Jérôme […], MÉNAGER André […], ROUSSET Georges, né le 16 septembre 1914 à Avon […], traceur sur métaux, ex-secrétaire des Jeunesses communistes de Champagne, gendre de Jay René., TROLET François […]. Ces divers militants de l’ex-parti communiste sont encore en relations et, à plusieurs reprises, on a constaté des allées et venues. Depuis le mois de mars, trois distributions de tracts communistes ont eu lieu à Champagne-sur-Seine ; elles ont été effectuées principalement dans le quartier de l’Aubépine, […] habité par les ouvrier de S.W. Les deux dernières diffusions remontent au 23 avril […] et, enfin, dans la nuit du 19 au 30 avril […]. Cette dernière distribution n’a pas eu l’effet de propagande souhaité en raison d’une forte pluie qui s’est abattue sur la ville. À noter que JAY René et MÉNAGER André, tous deux militants convaincus, sont titulaires d’un laisser-passer de nuit pour leservice de garde du pont de Champagne-sur-Seine […] demandés par la maison Delattre et Frouard de Dammarie-les-Lys, chargée de la réfection du pont de cette commune. En outre, la situation politique du milieu ouvrier de Champagne-sur-Seine ne paraît pas s’être aggravée depuis la guerre. Au contraire, le militant le plus dangereux, le plus instruit, RATEAU Valentin, né le 6 mars 1910 à le Creusot (S et L), professeur à l’École Lafayette, est actuellement interné au Maroc. La direction de l’usine, que j’ai consulté, ne donne aucun nom de personnes pouvant servir d’agents de renseignement. Bien que déplorant la propagande antinationale communiste, la direction invoque qu’il serait délicat de déléguer un ouvrier pour la surveiller. On peut le regretter. »

Le dimanche 19 octobre 1941, André Ménager est appréhendé à son domicile dans le cadre d’une vague d’arrestations décidée par l’occupant contre des communistes de Seine-et-Marne, pris comme otages en représailles de distributions de tracts et de destructions de récolte – incendies de meules et de hangars – ayant eu lieu dans le département.

André Ménager est rapidement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), parmi 86 Seine-et-Marnais arrêtés en octobre (46 d’entre eux seront des “45000”). Il y est enregistré sous le matricule n° 1695.

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, André Ménager est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45867 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, André Ménager est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Le 28 août, il est présent au Block 20 (pour maladies contagieuses) de l’hôpital d’Auschwitz, où son nom est inscrit sur un registre.

À une date restant à préciser, il est admis au Block 19, pour convalescents (« Schonungsblock ») de l’hôpital d’Auschwitz.

André Ménager meurt à Auschwitz le 27 septembre 1942, d’après le registre de la morgue (Leichenhalle) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [1].

Son nom est inscrit sur la plaque dédiée aux déportés politiques et aux victimes civiles (1939-1945) de Champagne-sur-Seine, place Paul-Jay.

Léa Ménager décède à Fontainebleau le 12 novembre 1978.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès d’André Ménager (J.O. du 18-05-1995).

Notes :

[1] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant André Ménager, c’est le 6 juillet 1942 « sans autre renseignement » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73 et 74, 127 et 128, 378 et 422.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 525.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 5e arrondissement pour l’année 1901 (V4E 8448), acte de naissance n°233 (vue 19/31) et de reconnaissance n° 620 du 2 mars (vue 29/31).
- Archives départementales de Seine-et-Marne, Dammarie-les-Lys : cabinet du préfet (M11111) ; internés M-N (SC51252) ; notes (SC51241).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 : relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 799 (33019/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus, Biuro Informacji o Byłych Więźniach ; liste de la morgue (« Leichenshalle »).
- Site Mémorial GenWeb, 77-Champagne-sur-Seine, relevé de Olivier Engel (2005) ; photo.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 28-12-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Jacques MAZEIN – (45866 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jacques, Jean, Henri, Mazein naît le 16 novembre 1920 à Trelazé (Maine-et-Loire), commune limitrophe d’Angers à l’Est, fils de Jean Julien Mazein, 33 ans, et d’Augustine Cochereau, 24 ans, son épouse.

Jacques est l’aîné de ses cinq frères : André, né le 4 avril 1922 à Trelazé, Jean, né le 15 juin 1924, Marcel, né en 1928, tous deux à Angers (49), Karl Marx, né le 29 juillet 1929, et Robert, né en 1933, tous deux à Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire – 37) limitrophe de Tours à l’ouest, entre le Cher et la Loire. En 1931, la famille est domiciliée au lieu-dit Les Justices dans cette commune où leur père est employé municipal.

Saint-Pierre-des-Corps. La mairie et les écoles peu après leur construction. Carte postale des années 1900, collection Mémoire Vive.

Saint-Pierre-des-Corps. La mairie et les écoles peu après leur construction.
Carte postale des années 1900, collection Mémoire Vive.

Au recensement de 1936, les Mazein habitent rue Léon-Dubresson à Saint-Pierre-des-Corps. Avant-guerre, le père de famille, qui est adhérent au PCF, travaille comme secrétaire de mairie.

Au moment de son arrestation, Jacques Mazein habite toujours chez ses parents. Il est célibataire. Il travaille comme électricien pour la Maison Lecote, rue Inkerman à Tours.

Il semble avoir été mobilisé en 1939 (portrait en uniforme sur le site Mémorial GenWeb). Sous l’occupation, il est actif dans le résistance au sein du Front national comme agent de liaison.

Début février 1942, une sentinelle allemande en faction rue du Sanitas à Tours est “exécutée” par un résistant armé (Marcel Jeulin, 21 ans). Les autorités d’occupation font insérer dans le journal local, La Dépêche du Centre, un avis selon lequel des arrestations auront lieu, suivies d’exécutions et de déportations vers l’Est, si les coupables ne sont pas découverts.

Le 10 février, Jacques Mazein est arrêté à Sainte-Maure, où il est en déplacement professionnel, comme otage de représailles par des « agents de la Gestapo », et conduit au centre d’internement installé dans la caserne de l’ex-501e régiment de chars de combat. Une perquisition opérée par la Feldgendarmerie au domicile familial n’amène aucune découverte de matériel ou document compromettant. Quelques jours après, il est transféré à la Maison d’arrêt de Tours. Lors d’un interrogatoire, il est suspecté de cacher un poste émetteur, en raison de son métier. Ils sont dix soupçonnés d’activité communiste clandestine à subir le même sort, dont le jeune André Marteau et Stanislaw Tamowski…

Début avril, Jacques Mazein est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jacques Mazein est enregistré à Auschwitz ; peut-être sous le numéro 45866, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jacques Mazein est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I. En effet, Stanislaw Tamowski – qui a été maintenu à Birkenau – témoignera plus tard qu’il y a aperçu le jeune homme de temps en temps avant de le perdre de vue.

Jacques Mazein meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés 

[1]). Il a 21 ans.

Le nom de Jacques Mazein est inscrit sur le Monument aux morts 1939-1945 de Saint-Pierre-des-Corps. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 19-03-1995).

Notes :

[1] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 364 et 413.
- Archives départementales d’Indre-et-Loire, Tours : dossiers de la commission départementale des déportés et internés résistants, dossiers de M à Q (50 W 34), dossier de Jacques Mazein ;  de Q à Z (50 W 35), dossier de Stanislaw Tamowski ; dossier résistance du Parti communiste clandestin (1877 W 3).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 793 (31807/1942).
- Site Mémorial GenWeb, relevé de Stéphane Le Barh et Catherine Rouquet, informations de Denis Mazin, n° identification : bp03-726665.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 13-12-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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Jean MAURICE – 46251

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jean Maurice naît le 8 septembre 1898 à Plouézoch (Plouezoc’h – Finistère), fils de Joachim Maurice, 31 ans, matelot des Douanes lui-même fils d’un matelot des Douanes, et d’Anne Marie Féat, 26 ans, couturière, son épouse. Sur la commune, le couple est domicilié au hameau du Dourduff-en-Mer, à la confluence de la rivière de Morlaix (le Dossen) et du Dourduff sur l’estuaire. Jean aura deux sœurs, Lydie, née en 1901, et Gabrielle, née en 1904. Au recensement de 1911, la mère est déclarée chef de famille et exerce le métier de débitante, le père n’apparaît pas sur le registre, de même que la plus jeune sœur (peut-être décédés prématurément).

Marin à dix-huit ans, Jean Maurice est inscrit au bureau maritime de Morlaix le 26 novembre 1916 (n° 8997).

Le 24 septembre 1917, il est mobilisé par anticipation comme matelot de 3e classe sans spécialité et affecté à terre, au 5e dépôt des équipages de la flotte, à Toulon. Le 1er janvier 1918, il part en mer. Le 25 avril suivant, il passe matelot de 2e classe timonier breveté. Il est en « campagne contre l’Allemagne », en mer, jusqu’au 23 octobre 1919. Le 1e juillet 1920, il passe matelot de 1ère classe timonier. Le 24 septembre suivant, il est renvoyé dans ses foyers, comme inscrit maritime réunissant trois ans de service à l’État, et se retire au Dourduff-en-Mer.

Le 27 juin 1921, nommé matelot des Douanes à Ouistreham (Calvados), il est rayé des matricules de l’inscription maritime.

Le 11 février 1922, dans sa commune natale, Jean Maurice se marie avec Marie Rolland, fille du village où elle est née le 29 septembre 1901. Ils auront deux enfants : Jean, né le 25 octobre 1927, et Lydie, née le 31 mai 1934.

En 1924, Jean Maurice adhère au Parti communiste, récemment créé. Il fonde la cellule des Douanes.

Le 1er octobre 1928, il passe en domicile dans la subdivision militaire de Rouen-Nord comme préposé des Douanes à Rouen (Seine-Inférieure / xSeine-Maritime

[1] – 76).

Il est membre du syndicat CGTU des douanes actives de Rouen.

En novembre 1930, il adhère au comité des « 22 » pour l’indépendance du syndicalisme, mais l’année suivante, rejoint les rangs de la majorité unitaire qui avait combattu cette initiative.

En 1931, il subit une sanction disciplinaire de la direction des Douanes – une mise à disposition – pour son action syndicale,.

En 1931, il cesse de militer au Parti communiste pour raison de santé, souffrant d’une infection pulmonaire, et fait un séjour en Auvergne. Le 2 mai 1932, la commission militaire de réforme de Clermont-Ferrand le classe réformé définitif n° 2.

En 1934, il démissionne des Douanes.

Il achète alors un café (à moins qu’il ne l’ait acheté plus tôt et que ce soit son épouse qui le tienne depuis lors), au 15 bis place Carnot – où il habite -, à Rouen, près d’un quai de Seine où accostent les péniches. Les militants communistes s’y réunissent.

En 1936, considérant son contact quotidien avec les mariniers, l’Union départementale CGT le charge de réorganiser avec Jean Jolly le syndicat de la Marine fluviale, dont il est élu trésorier général (appointé) l’année suivante. À partir de 1938, Jean Maurice cumule cette fonction avec celle de secrétaire adjoint de l’Union locale de Rouen.

En janvier 1937, il crée la cellule communiste des mariniers et siège au comité régional du PC l’année suivante.

Comme cafetier, il milite également au Comité de défense du petit commerce et de l’artisanat.

Le 7 octobre 1939, après l’interdiction de l’activité et de la propagande communiste, le commissaire spécial de Rouen écrit à tous les commissariat du département pour leur demander d’établir dès que possible une liste des principaux militants du Parti communiste qui faisaient partie des cellules de leur ville ou circonscription. Trois jours plus tard, le commissaire central de Rouen désigne Jean Maurice parmi les membres de la cellule de la marine fluviale, avec la mention « non mobilisé ».

Après l’interdiction du Parti communiste, Jean Maurice est « mis en résidence forcée ».

« Plusieurs perquisitions [sont] effectuées à son domicile par différents services de police, mais toutes[sont] négatives », comme le 12 mai 1941, à la suite d’une affaire Moreau pour activité communiste (à vérifier…).

Le 21 octobre 1941, vers 23 heures, Jean Maurice est arrêté à son domicile sur ordre des autorités d’occupation. Deux jours plus tard, il est transféré avec d’autres camarades au camp allemand de Royallieu à Compiègne [2] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) où il est enregistré sous le matricule n° 1911.

Le 8 décembre 1941, Jean Maurice figure sur une liste de 28 communistes à « transférer vers l’Est », établie par la Feldkommandantur de Rouen.

Le 6 juin 1942, son épouse écrit au Maréchal Pétain pour lui demander d’intervenir en faveur de son mari. Le 23 juin, les services de la Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés transmettent sa lettre au préfet de la Seine-Inférieure en demandant d’être informés sur la suite donnée. Six jours plus tard, le préfet écrit au commissaire central de Rouen en lui demandant tous renseignements sur l’activité politique passée de Jean Maurice et son « avis sur l’opportunité d’une démarche en sa faveur auprès des Autorités allemandes ». Le 4 juillet, le commissaire répond que Maurice semble avoir cessé toute activité politique depuis la dissolution du Parti communiste et se montre favorable à cette démarche. Le 10 juillet, le préfet écrit au commandant de la Feldkommandantur 517 à Rouen afin de lui « signaler la requête de [la femme de Jean Maurice] pour telle suite que vous jugerez utile d’y réserver »…

Entre temps, entre fin avril et fin juin 1942, Jean Maurice a été est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Maurice est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46251 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jean Maurice.

Il meurt à Auschwitz le 22 février 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher)..

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

Sources :

- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 36, p. 140.
- Marcel Boivin, Claude Pennetier, notice in Le Maitron en ligne, mouvement ouvrier, mouvement social.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 377 et 413.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de mémoire Vive sur les “45000” et les ”31000” de Bretagne, citant : Liste établie par Louis Eudier (45523), du Havre – Liste établie par la CGT.
- Arnaud Boulligny, extrait de la base du Mémorial de la déportation de répression élaborée pour la Fondation pour la mémoire de la déportation (FMD).
- Archives départementales du Finistère, site internet, archives en ligne : registre matricules du recrutement militaire, bureau de Brest, classe 1908 (1 R 1600) n° 1 à 500, matricule 406 (vues 656-657/797).
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département, cabinet du préfet 1940-1946 ; individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Lh à Q (51 W 419), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
- Archives Nationales : Commissariat spécial de Rouen (1920-1940), documents provenant des Archives restituées par la Russie/ex-URSS (20010223/2).
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; doc. XLIII-56.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 791 (11475/1943).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 28-03-2018)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Roger MAUGER – (45865 ?)

Droits réservés.

Droits réservés.

Roger, Maurice, Mauger naît le 13 septembre 1912 à Paris 19e, chez ses parents, Henri Mauger, 39 ans, ouvrier maréchal-ferrant (qui deviendra communiste) et Augustine Loreda Senecal, son épouse, 37 ans, sans profession, domiciliés au 7 impasse Bouchet (une voie aujourd’hui disparue débouchant rue de Meaux). Le père change souvent de lieu de travail, déménageant avec sa famille. Dernier d’une famille de cinq enfants, Roger a – au moins – trois frères, dont Henri, né en 1904 à Paris, Édouard, né en 1905 à Notre-Dame-de-Bondeville, et Ernest, né le 3 mars 1907 à Paris 18e.

Au cours de son service militaire (classe 1932), Roger Mauger est réformé pour vue défectueuse.

Pendant un temps, il demeure au 98, avenue du Chemin de Fer à Vitry-sur-Seine

[1] (Seine / Val-de-Marne – 94). À partir du 22 août 1938, il loge au 4, place de l’Église ; peut-être un hôtel. Célibataire, il est prend régulièrement ses repas chez ses parents, dans leur pavillon du 25, voie Cuvier à Vitry.

À partir de 1936, Roger Mauger est tapissier-bourrelier (sellier) ou manœuvre spécialisé chez Citroën, quai de Javel. Syndicaliste actif dans son entreprise, il est délégué du Syndicat des Métaux, affilié à la CGT.a

Il est membre du Comité de diffusion de L’Humanité de Vitry (CDH).

Le 1er juillet 1938, alors qu’il est dans un taxi pris dans un embouteillage avec Georges Riklin, sellier chez Citröen, ils insultent des gardiens de la paix venus dans leur car de police.

Fin novembre 1938, il est licencié de chez Citroën à la suite du mouvement national de grève lancé contre les décrets-lois du gouvernement Daladier annulant les acquis du Front populaire.

Du 1er décembre suivant au 25 août 1939, il est inscrit au fonds de chômage de Vitry.

Puis il entre comme manœuvre à la centrale électrique Arrighi (« les quatre cheminées ») de l’Union d’Électricité, voie Tortue, à Vitry-sur-Seine. Chez cet employeur, il ne manifeste « aucune activité politique ».

La centrale électrique des “Quatre cheminées” en bordure de la Seine. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La centrale électrique des “Quatre cheminées” en bordure de la Seine.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Mobilisés en 1939-1940, ses deux frères sont fait prisonniers de guerre.

Sous l’occupation, Roger Mauger diffuse la presse clandestine : les Renseignements généraux le considèrent comme un « meneur communiste actif ». Une fiche du commissariat de circonscription d’Ivry-sur-Seine [1] (94) le désigne comme étant le « principal propagandiste » de son entreprise.

JPEG - 164.6 ko     Fiche de police du commissariat d’Ivry-sur-Seine.      10 x 15 cm (hauteur modifiée). Fichier de militants (CGT et PCF).  Musée de la Résistance Nationale de Champigny-sur-Marne (94)

Fiche de police du commissariat d’Ivry-sur-Seine. 10 x 15 cm (hauteur modifiée).       Fichier de militants (CGT et PCF).
Musée de la Résistance Nationale de Champigny-sur-Marne (94)

Le 20 janvier 1941, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif, en même temps que celui de 65 autres militants communistes de la Seine. Tous sont probablement arrêtés ce jour-là, comme Roger Mauger qui est arrêté sur son lieu de travail et d’abord emmené au commissariat d’Ivry.

Le jour-même, celui-ci fait partie d’un groupe de 69 militants communistes conduits à la gare de l’Est et rejoints par une centaine d’autres venant de la Maison centrale de Fontevraud-L’Abbaye [2] (Maine-et-Loire).

Le train les amène à la gare de Clairvaux (Aube) d’où ils sont conduits – par rotation de vingt détenus dans un unique fourgon cellulaire – à la Maison centrale de Clairvaux.

Clairvaux. La Maison centrale. Carte postale. Collection M. Vive.

Clairvaux. La Maison centrale. Carte postale. Collection M. Vive.

Une fois arrivés, la direction les contraint à échanger leurs vêtements civils contre la tenue carcérale, dont un tour de cou bleu (“cravate”) et un béret. Ceux qui refusent sont enfermés une nuit en cellule (“mitard”), tandis que la plupart sont assignés à des dortoirs. Rejoints par d’autres, ils sont bientôt 300 internés politiques. Roger Mauger fait une demande de libération infructueuse avant le 11 mai.

Le 27 mars, Roger Mauger écrit au préfet de police parce qu’il considère que sa libération « s’impose », notamment parce qu’il est enfermé sans qu’on lui en « ai fait connaître le motif », en l’arrachant à son travail qui lui permettait de remplir son devoir vis à vis de sa famille, ses vieux parents et ses frères détenus en Allemagne. Le 8 avril, sa lettre est transmise aux Renseignements généraux pour avis. Le 18 mai, ceux-ci répondent que « Sa libération ne semble pas opportune dans les circonstances actuelles. »

Le 14 mai, une centaine d’internés de Clairvaux est transférée au camp de Choisel à Châteaubriant (Loire Inférieure /Loire-Atlantique), parmi lesquels plusieurs seront fusillés le 22 octobre. Roger Mauger fait partie de ceux qui restent à Clairvaux, et qui doivent bientôt partager les locaux qui leur sont assignés avec quelques “indésirables” (condamnés de droit commun).

Le 26 septembre, Roger Mauger est parmi la centaine d’internés de Clairvaux transférés en train, via Paris, au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne). C’est depuis ce camp que ses proches reçoivent sa dernière lettre, le 23 décembre 1941.

Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C.     L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Le 22 juin, son père écrit à une haute autorité française à propos de son transfert entre les mains des autorités allemandes, en vue d’une intervention de la Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés (services de Brinon).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Roger Mauger est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45865, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Roger Mauger.

Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), comme Adrien Raynal, alors qu’a lieu une grande sélection des « inaptes au travail » au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [3]).(aucun des treize “45000” de Vitry n’est revenu)

Son nom est inscrit sur le monument dédié aux employés de l’ancienne centrale électrique Arrighi « soldats, déportés, civils, morts pour la France » entre 1939 et 1945, situé dans l’enceinte EDF à Vitry-sur-Seine (avec celui d’Adrien Raynal, d’Orly).

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Le monument aux morts de la centrale électrique …probablement le jour de l’inauguration nombreuses fleurs) (collection particulière - droits réservés)

Le monument aux morts de la centrale électrique …probablement le jour de l’inauguration (nombreuses fleurs)
Collection particulière. Droits réservés;

Le nom de Roger Mauger est également inscrit sur le monument « À la mémoire de Vitriotes et des Vitriots exterminés dans les camps nazis » situé place des Martyrs de la Déportation à Vitry.

Une plaque dédiée aux “45000” vitriots a été apposée au dos du monument. Elle est parfois masquée par la végétation.

Une plaque dédiée aux “45000” vitriots a été apposée
au dos du monument. Elle est parfois masquée par la végétation.

La plaque apposée pour le 50e anniversaire de la libération des camps (avril 1995).

La plaque apposée pour le 50e anniversaire de la libération des camps (avril 1995).

Notes :

[1] Vitry-sur-Seine et Ivry-sur-Seine : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Fontevraud-L’Abbaye, souvent orthographié Fontevrault-L’Abbaye au 19e siècle.

[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la « Solution finale », mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code « 14 f 13 »). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Informations collectées par José Martin (frère d’Angel Martin) pour Roger Arnould (FNDIRP), 1973.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 390 et 413.
- Archives municipales de Vitry-sur-Seine, listes électorales de 1935, 1945, listes de recensement 1936.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374), liste des internés communistes 1939-1941 (BA 2397), dissolution du PC (BA 2447) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 792-32885).
- Musée de la Résistance Nationale, Champigny-sur-Marne : fichier du commissariat de circonscription d’Ivry-sur-Seine sur les militants communistes du secteur.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : liste XLI-42, n° 130.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 791 (31946/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 12-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Charles MAUGER – 45864

JPEG - 57.8 ko
Au camp de Gaillon le 29 octobre 1941.
Photo anthropométrique. Sur la fiche,
il est indiqué qu’il porte des lunettes.
Archives départementales de l’Eure.
Droits réservés.

Charles, Louis, Henri, Mauger naît le 17 avril 1900 à Cherbourg (Manche – 50), chez ses parents, Louis Mauger, 38 ans, et Marie Hubert, son épouse, 35 ans, domiciliés au 9, rue Orange.

Il est possible qu’il n’accomplisse pas son service militaire, car un document administratif ultérieur le déclare « réformé définitif » (RD).

Le 18 septembre 1920 à Cherbourg, Charles Mauger se marie avec Augustine Héleine. Ils auront deux enfants : Christiane, née le 23 juin 1921, et Jacques, né le 24 juin 1924. À une date restant à préciser, le couple divorce.

Le 16 avril 1940 à Octeville, en secondes noces, Charles Mauger épouse Eugénie Drouet, née le 25 juillet 1896, employée de commerce à Cherbourg. Ensemble, ils ont un autre enfant : Guy, né le 9 août 1940 (peut-être un autre : à vérifier…).

Au moment de son arrestation, Charles Mauger est domicilié au Village-Ferronnay à Octeville (50).

Avant la guerre, il est charpentier en fer à l’Arsenal de Cherbourg.

Cherbourg. Le port militaire et les ateliers des forges de l’Arsenal  dans les années 1900. Carte Postale. Coll. Mémoire Vive.

Cherbourg. Le port militaire et les ateliers des forges de l’Arsenal
dans les années 1900. Carte Postale. Coll. Mémoire Vive.

En 1928, Charles Mauger est un militant “libertaire”, membre du Secours Rouge international et des syndicats unitaires. Il est archiviste CGTU à l’Arsenal.

Il adhère au Parti communiste en 1931 : il en sera le candidat aux élections législatives de 1932 à Valognes, et aux cantonales de 1934. Lors des élections cantonales d’octobre 1937, le Parti communiste le présente comme candidat au Conseil d’arrondissement dans la circonscription de Valogne.

Protagoniste important de l’Union syndicale en 1935, il est élu à la Commission exécutive de la nouvelle Union Départementale CGT au Congrès de 1935, et à la Commission administrative de 1936 à 1939.

En 1935, Charles Mauger est élu conseiller municipal d’Octeville.

Octeville. La mairie dans les années 1900.  Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Octeville. La mairie dans les années 1900. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

En janvier 1937, il devient le gérant de La lutte antifasciste, organe cherbourgeois du Comité mondial de lutte contre le fascisme et la guerre.

En 1940, Charles Mauger est révoqué de l’Arsenal, comme René Fouquet et Lucien Levaufre. Au moment de son arrestation, il travaille comme aide-cuisinier.

Sous l’occupation, il reste un militant actif du Parti communiste clandestin. Participant à des réunions, diffusant la presse clandestine. En mai 1941, il participe au mouvement de grève lancé par le Front national 

[1] sur le terrain d’aviation de Gonneville-Maupertus [2] (Manche).

Le 18 septembre 1941, le préfet de la Manche signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du « décret du 18 novembre 1939 relatif aux mesures à prendre à l’égard des individus dangereux pour la défense nationale [sic !] et la sécurité publique [re-sic !] » ; du décret du 29 novembre 1939, donnant aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement [de ceux-ci] et, en cas de nécessité, [leur]assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé ; de la loi du 3 septembre 1940 prorogeant le décret du 18-11-1939 et de « la dépêche de M. le Ministre, secrétaire d’État à l’Intérieur, en date du 19 septembre 1940 » (?). En fait, il est « arrêté en raison de son activité antérieure à la suite de distribution de tracts communistes d’origine locale ».

Le 19 septembre 1941, Charles Mauger est arrêté à son domicile par la police française – prié de suivre les agents pour des « explications au commissariat » -, comme Louis Hamel et Marcel Hodiesne, de Cherbourg, Léon Lecrées, d’Équeurdreville, et Léon Truffert, de Tourlaville.

Charles Mauger est écroué à la Maison d’arrêt de Cherbourg en attendant son transfèrement au camp français de Gaillon (Eure), « centre de séjour surveillé », un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la vallée de la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle, puis en caserne. Il y est interné le lendemain, 20 septembre, assigné au bâtiment F (aile Est du pavillon Colbert [3]), 1er étage, chambre 3, lit 2.

Le château de Gaillon. Les internés sont assignés au pavillon Colbert, le haut bâtiment transversal de l’arrière plan (qui a perdu sa toiture après la guerre). Carte postale envoyée en 1955. Collection Mémoire Vive.

Le château de Gaillon. Les internés sont assignés au pavillon Colbert,
le haut bâtiment transversal de l’arrière plan (qui a perdu sa toiture après la guerre).
Carte postale envoyée en 1955. Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai 1942, Charles Mauger est remis aux autorités d’occupation à leur demande et transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 –Polizeihaftlager) ; arrivé le 6 mai ?

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Charles Mauger est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45864 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Charles Mauger se déclare alors sans religion (« Glaubenslos »). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Charles Mauger est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est assigné au Block 15a.

Le 7 août, il est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I, dont il sort le 17 août (après que Paul Coutelas et Roger Brisset, entrés avec lui aient succombé).

Charles Mauger meurt à Auschwitz, dans la nuit du 4 au 5 janvier 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) – qui indique pour cause mensongère de sa mort une néphrite (« Nierenentzündung ») – et selon une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, et où est inscrit le matricule n° 445864 (ce local de regroupement temporaire des cadavres est situé au sous-sol du Block 28). Selon un rescapé, Emmanuel Michel, de Saint-Pierre-Église (Manche), Charles Mauger aurait en réalité été abattu par un SS « pour refus de travail ».
Déclaré “Mort pour la France”, et malgré un certificat d’appartenance à la Résistance intérieure française, Charles Mauger est homologué comme “Déporté politique” (le titre de Déporté Résistant lui a été refusé).

Une cellule du PCF a pris son nom à Octeville et une autre à Cherbourg.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 8-03-1995).

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’associationMémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Claudine Caron-Hamet page 130.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 83, 366 et 413.
- Ginette Petiot, recherches dans les Archives départementales de l’Eure, Évreux, camp de Gaillon, et au BAVCC, ministère de la Défense, Caen (messages 07 et 08-2012).
- Archives départementales de la Manche, archives en ligne : état civil de Cherbourg, registre des naissances de l’année 1900, acte n°288 (5 Mi 2142, vue 76/265).
- Site Gallica, Bibliothèque Nationale de France, L’Humanité n° 14171 du mercredi 6 octobre 1937, page 4, “vingt-deuxième liste…”.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 790 (511/1943).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre du Block 20, page 295 ; registre de la morgue relevé par la Résistance du camp.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 23-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

[2] Le terrain d’aviation de Gonneville-Maupertus : sous l’occupation le terrain est occupé par la Lutfwaffe qui construira des bâtiments et surtout une piste goudronnée de 1700 m sur 60 et une autre piste en herbe. On comptait en permanence 3800 hommes et plusieurs escadrilles qui allaient bombarder l’Angleterre ou intercepter des bombardiers alliés.

[3] Château de Gaillon. Le pavillon Colbert, sur la terrasse du jardin haut, a été dessiné par Jules-Hardoin Mansard vers 1700 pour l’archevêque Jacques-Nicolas Colbert, second fils du ministre de Louis XIV.

Lucien MATTÉ – 45863

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Lucien, Louis, Henri, Matté naît le 26 juillet 1901 à Fleury-sur-Andelle (Eure – 27), chez ses parents, Émile, Henri, Matté, 29 ans, ouvrier de filature, et Charlotte Lemarié, son épouse, 22 ans, domiciliés rue de Courey prolongée (tous deux seront décédés au moment de son arrestation).

Le 15 avril 1921, Lucien Matté part effectuer son service militaire comme soldat de 2e classe au 154e régiment d’Infanterie à Metz (Moselle). Il est renvoyé dans ses foyers le 10 juin 1923.

Le 27 février 1926 à Paris 20e, il se marie avec Christiane P., mais leur couple – qui n’a pas eu d’enfant – vit séparé au moment de son arrestation.

Il habite au 12, rue des Mastraits à Noisy-le-Grand 

[1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93).

En 1936, il adhère au Parti communiste.

Le 23 août 1939, à la veille de la déclaration de guerre, Lucien Matté est rappelé et mobilisé au Centre ouvrier de mécanique de Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise). Il est démobilisé le 19 juillet 1940 à Ayers (Corrèze).

Il trouve alors un emploi dans l’atelier de menuiserie de la fabrique de meubles d’enfants Bournay et Marti, au 12 rue Mousset-Robert à Paris 12e.

Lucien Matté est actif au sein du Parti communiste clandestin et participe à des distributions de tracts appelant au sabotage. Il héberge également des ouvriers refusant de partir en Allemagne.

Le 9 octobre 1941, vers 16 heures, il est arrêté sur son lieu de travail par des inspecteurs de la brigade spéciale de la préfecture de police. Le 13 octobre, il est conduit au dépôt de la préfecture et, le lendemain, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif.

Le 10 novembre, Lucien Matté fait partie des 58 militants communistes transférés du dépôt au « centre de séjour surveillé » (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; arrivés le 12.

Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

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Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne,
futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

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Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Le 8 juillet 1942, Lucien Matté est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45863 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard). Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, secteur B-Ib, où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

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Portail du sous-camp de Birkenau, secteur B-Ia, semblable
à celui du secteur B-Ib par lequel sont passés tous les “45000”.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Lucien Matté est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

En juillet 1943, comme les autres détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”), il reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.

À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”.

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Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres
partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant lesBlocks 10 et 11.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel – qui découvre leur présence -, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Lucien Matté est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert (selon Cl. Cardon-Hamet).

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” [2] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “Prominenten” polonais) transférés au KL Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin. À leur arrivée, et jusqu’au 25 septembre, les trente sont affectés au Block 66.

En décembre, Lucien Matté est victime d’un fracture de la clavicule gauche (dont il ne conservera pas de séquelle).

Il est libéré dans ce camp le 19 avril 1945.

Le 23 mai, il rentre en France par le Centre de rapatriement de Lille (Nord).

Le divorce d’avec son épouse est prononcé par jugement du tribunal de Pontoise le 14 décembre 1945.

En 1949, Lucien Matté quitte Noisy-le-Grand et emménage au 153, avenue du général-Michel-Bizot à Paris 12e. Il trouve un emploi de toupilleur aux établissements Marti, 112 avenue de Bagnolet à Paris 20e. Il continue à militer : le 26 juillet 1951, il fait l’objet d’un rapport de la police judiciaire pour « affichage irrégulier du journal L’Humanité sur emplacement public ».

Le 20 avril 1950, Lucien Matté est homologué dans la Résistance intérieure française (RIF) au titre du Front national [3] avec le grade fictif de soldat de 2e classe.

Le 15 octobre suivant, il rempli un formulaire de demande d’attribution du titre de Déporté Résistant. Dans sa séance du 14 octobre 1954, la Commission départementale d’attribution émet un avis défavorable à sa demande, repris par la Commission nationale, à partir duquel le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre ne lui délivre que le titre de Déporté politique le 5 décembre suivant (carte n° 1101.13797).

Lucien Matté décède le 11 octobre 1960 à Paris 12e. Il a 59 ans.

Notes :

[1] Noisy-le-Grand : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon(45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung(45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux(45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais(45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin(45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean(45976) et Germain Pierron (45985).

[3] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 348 et 350, 359, 385 et 413.
- Archives départementales de l’Eure (AD27), site internet, archives en ligne, registre des naissances de Fleury-sur-Andelle 1861-1902 (8MI5653), année 1901, acte n° 20 (vue 751/781).
- Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” : BA 2374 (camps d’internement…).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 129.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75 ).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Lucien Matté (21 P 592 624), recherches de Ginette Petiot (message 12-2012).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 30-12-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Jean MATRISCIANO – (45862 ?)

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Musée de la Résistance
de Blois. Cliché ARMREL.

Jean Matrisciano naît le 15 janvier 1923 à Chabris (Indre).

Au moment de son arrestation, il est domicilié à Selles-sur-Cher, quinze kilomètres à l’ouest de Romorantin (Loir-et-Cher) ; son adresse reste à préciser. Il est célibataire.

Jean Matrisciano est ouvrier céramiste, déclaré comme journalier au moment de son arrestation, certainement à l’usine de céramique de Selles, fabriquant du mobilier sanitaire.

Le 30 avril 1942, à Romorantin, cinq résistants communistes sont découverts par des soldats allemands alors qu’ils distribuent des tracts. Armés, ils ne se laissent pas arrêter et blessent les soldats dont un sous-officier qui succombe à ses blessures. Les mesures de représailles prévoient l’exécution immédiate de dix communistes, Juifs et de proches des auteurs présumés. Vingt autres personnes doivent être exécutées si au bout de huit jours les « malfaiteurs » ne sont pas arrêtés. Des rafles sont opérées dans la ville et dans le département afin de pouvoir « transférer d’autres personnes vers l’Est, dans les camps de travaux forcés. »

Le lendemain 1er mai, Jean Matrisciano est arrêté comme otage. D’abord détenu à Orléans (Loiret), il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Matrisciano est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Matrisciano est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45862 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jean Matrisciano.

Il meurt à Auschwitz le 12 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). Il a 19 ans.

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Selles-sur-Cher, devant la Mairie, place du Marché, et sur la plaque apposée dans l’église abbatiale.

À une date restant à préciser (récemment), le Conseil municipal de Selles-sur-Cher donne son nom à une rue de la ville, une plaque lui étant dédiée est inaugurée le 8 mai 2012.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 8-03-1995).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 365 et 413.
- Archives départementales du Loir-et-Cher : fiche d’arrestation de Jean Matrisciano, dossier 889 (1375 W 64) ; fichier alphabétique des déportés du CRSGM (56 J 5).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : XLIII-89 (télégramme non daté du Militärbefehlshaber in Frankreich (MbF), signé par Carl Heinrich vonStülpnagel).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 789 (35486/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 41-Romorantin, relevé de Monique Diot Oury (04-2007).
- La Nouvelle République du 10 mai 2012, article transmis par Denis Martin (Armrel).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 16-06-2012)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

 

Joseph MATIS – 45861

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Joseph Matis naît le 18 septembre 1904 à Cadia ou Cadca ou Etchastin (Tchécoslovaquie), fils de Jacques Matis et de Maria Dynkova.

Arrivé en France, il habite successivement à Algrange (Moselle – 57) et à Villeroy (Seine-et-Marne – 77).

Le 21 octobre 1933 à Monthyon (77), il se marie avec Anna Paco. Ils ont deux enfants.

Au moment de son arrestation, Joseph Matis est domicilié au 101, rue Édouard-Dreux à Tucquegnieux, dans le bassin minier de Briey (Meurthe-et-Moselle – 54).

Il est mineur, très probablement à la mine de fer de Tucquegnieux appartenant à la Société des Aciéries de Longwy.

Il est syndiqué à la Fédération du sous-sol. Mais, selon une liste manuscrite de 44 internés établie ultérieurement par le chef du centre de séjour surveillé d’Écrouves, il « démissionne » de son syndicat en 1938.

En 1939, au début de la “drôle de guerre”, Joseph Matis est interné pendant un temps au centre de rassemblement des étrangers à Briey, comme son compatriote Ludwig Motloch, de Tucquegnieux.

Le 22 août 1941, le préfet de Meurthe-et-Moselle signe un arrêté ordonnant son internement administratif à la suite d’une distribution de tracts communistes dans son secteur d’habitation (il est gardé quinze jours).

Dans la nuit du 4 au 5 février 1942, un groupe de résistance communiste mène une action de sabotage contre le transformateur électrique de l’usine sidérurgique d’Auboué qui alimente également dix-sept mines de fer du Pays de Briey. Visant une des sources d’acier de l’industrie de guerre allemande (Hitler lui-même s’en préoccupe), l’opération déclenche dans le département plusieurs vagues d’arrestations pour enquête et représailles qui concerneront des dizaines de futurs “45000”.

Le nom de Matis – n°50 – (sans prénom) figure sur une « liste communiquée le 19 (février ?) au soir à la KK (Kreiskommandanturde Briey par le sous-préfet » pour préciser la nationalité de cinquante-trois hommes : il est désigné comme français (une erreur ?).

Le 20 février, il est arrêté comme otage par les « autorités allemandes » et interné le jour même au centre de séjour surveillé d’Écrouves, près de Toul (54), en attente « d’être dirigés sur un autre camp sous contrôle allemand en France ou en Allemagne ».

Et, effectivement, le 5 mars, Joseph Matis est parmi les trente-neuf (nombre à vérifier…) détenus transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central dont l’ombre se profile sur le sol. Le renfoncement à droite dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central dont l’ombre se profile sur le sol.
Le renfoncement à droite dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est définitivement sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et deml. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Joseph Matis est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45861 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Joseph Matis est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Le 8 janvier 1942, dans la chambre (Stube) n°3 du Revier de Birkenau (Block n° 8 du secteur BIb), Joseph Matis reçoit 15 grains de Bolus Alba. Le lendemain, alors qu’il se trouve dans la chambre n°2 avec Jean Guier, de Tergnier (Aisne), il reçoit 30 grains de Bolus Alba.

Il meurt à Auschwitz-Birkenau le 16 février 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 8-03-1995).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74, 368 et 413.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 117 et 525.
- Jean-Claude et Yves Magrinelli, Antifascisme et parti communiste en Meurthe-et-Moselle, 1920-1945, Jarville, avril 1985, page 349.
- Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle, Nancy : cote WM 312 ; fiches du centre de séjour surveillé d’Écrouves (ordre 927 W) ; recherches de Daniel et Jean-Marie Dusselier..
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 788 (8242/1943) ; son nom orthographié « Matis » et son prénom orthographié « Jozef ».
- Archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau (APMAB), Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copies des pages 86 et 87 d’un registre de délivrance de médicaments aux détenus du Revier de Birkenau.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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