Paul MONNET – 45888

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Paul, Jean, Albert, Monnet naît le 22 octobre 1900 à Levallois-Perret 
[1] (Hauts-de-Seine – 92), chez ses parents, Charles Monnet, 26 ans, comptable, et Philomène Bernier, son épouse, 25 ans, domiciliés au 26 bis, rue des Arts. Les témoins pour l’inscription du nouveau-né à l’état civil sont un oncle paternel, Jules Monnet, employé d’assurances, et un petit-cousin de l’enfant, boulanger à Dijon. Ensuite, la famille déménage trois fois dans la même commune. En avril 1901, ils sont au 9 rue de Cormeille. En juin 1904, ils habitent au 67 rue du Bois. Et en novembre 1905, ils demeurent au 65 rue Voltaire.

Paul Monnet commence à travailler comme mécanicien.

Le 26 janvier 1915, son père, réserviste de l’armée territoriale, est “classé service armé”, rappelé à l’activité militaire et convoqué le 19 mars 1916 au 23e régiment d’infanterie coloniale, passant ensuite au 43e R.I.C. Le 27 avril 1917, alors caporal, Charles Monnet est tué sur le champ de bataille, devant le Moulin de Laffaux (Aisne), lors d’une offensive partielle après l’échec de la grande offensive Nivelle. Si, « en raison des circonstances de la guerre, la constatation n’a pu être faite », sa mort est certifiée par les témoignages d’un sergent et d’un caporal de son régiment. L’acte de décès est transcrit à l’état civil de Levallois le 23 janvier 1918.

Le 20 avril suivant, à la mairie du 8e arrondissement, Paul Monnet s’engage dans la Marine nationale pour la durée de la guerre. Incorporé comme apprenti-marin au 1er dépôt des équipages de la Flotte à Cherbourg, il arrive au corps trois jours plus tard. Le 1er novembre 1919, il est renvoyé dans ses foyers. Mais, le 20 juin 1921, il est rappelé à l’activité au titre du 109e régiment d’infanterie. Du 3 au 15 septembre suivant, il est en occupation au sein de l’Armée du Rhin. Le 27 février 1922, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Au printemps 1921, Paul Monnet habite avec sa mère au 53 rue des Frères Hubert. Il travaille alors comme sellier.

Le 28 novembre 1925, à Levallois, Paul Monnet se marie avec Jeanne Baës, sténo-dactylo, née le 1er avril 1907 (dix-huit ans) à Levallois-Perret, domiciliée au 5 rue Marjolin.

Le 28 novembre 1928, l’armée enregistre un changement de domicile vers la subdivision de Chartres (Eure-et-Loir – 28).

En 1929, Paul et Jeanne Monnet ont une fille, Yolande.

En décembre 1933, Paul Monnet déclare habiter à Anet (28). En 1934, il y est cafetier. En février 1935, il est domicilié rue Florian

En 1938 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 26, rue Marjolin à Levallois-Perret. Il est alors conducteur d’auto (chauffeur de taxi ?) [2].

Le 24 janvier 1939, le tribunal civil de la Seine dissout son mariage par jugement de divorce.

Paul Monnet est adhérent du Parti communiste.

Le 31 janvier 1940, Paul Monnet est mobilisé. Mais le lendemain, 1er février, il est arrêté par les services du commissariat de police de la circonscription de Levallois. Des tracts communistes sont trouvés à son domicile.

Le 30 avril, le 3e Tribunal militaire de Paris le condamne à deux ans d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction de séjour pour infraction au décret du 26 septembre 1939. Paul Monnet effectue la fin de sa détention à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines).

 

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.  Carte postale. Collection Mémoire Vive

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.
Carte postale. Collection Mémoire Vive

Au cours du mois de novembre 1941, en « exécution de la note préfectorale » du 14 novembre 1940, le directeur de la prison transmet au bureau politique du cabinet du préfet de Seine-et-Oise onze notices de détenus de la Seine libérables au cours du mois suivant, dont Paul Monnet. Le 22 novembre, le préfet de Seine-et-Oise transmet le dossier au préfet de police de Paris, direction des services des Renseignements généraux. Le 1er décembre, le directeur des R.G. répond au directeur de la centrale : « J’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir maintenir en détention [treize détenus] résidant habituellement dans le département de la Seine, condamnés par le Tribunal de la Seine pour activité communiste et qui seront internés administrativement en application du décret du 26 septembre 1939. […] Je vous serais obligé de bien vouloir me faire connaître à quelle date les intéressés pourront être mis à ma disposition. »

À l’expiration de sa peine, le 24 décembre suivant, Paul Monnet n’est donc pas libéré.

Le 13 février 1942, Paul Monnet est dans un groupe de 24 « militants communistes » – composé pour moitié de futurs “45000” – transférés depuis Poissy au dépôt de la préfecture de police de Paris (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité) « en vue d’une mesure d’internement administratif ».

Le 21 février, les R.G. rédigent une notice avec proposition d’internement : suite à la condamnation de Paul Monnet, « il y a lieu de lui faire application du décret du 26-09-1939. D’autre part, en exécution de la note allemande du 19 septembre 1941 du général Schaumburg, commandant les forces militaires en France, Monnet ne peut être remis en liberté qu’avec l’assentiment des autorités d’occupation. »

Le 26 mars, le préfet de police signe enfin l’arrêté ordonnant son internement administratif, officialisant la situation.

Le 16 avril, Paul Monnet fait partie d’un groupe de détenus enregistrés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir), où il reçoit le matricule n° 68.

Entrée du secteur administratif du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943. Musée de la Résistance Nationale, Champigny. Fonds de l’Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Entrée du secteur administratif du camp de Voves. Date inconnue, probablement après mars 1943.
Musée de la Résistance Nationale, Champigny. Fonds de l’Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le 10 mai 1942, Paul Monnet est parmi les 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; matricule 7518. Une lettre de Guy Lecrux, écrite du camp en avril 1942, mentionne son activité au comité des fêtes des détenus.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, Paul Monnet est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.

TransportAquarelle

Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Paul Monnet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45888 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – il semble que Paul Monnet soit dans la moitié des membres du convoi qui reste dans ce camp en construction choisi pour mettre en œuvre la “solution finale” (contexte plus meurtrier).

En effet, le 27 octobre, son nom est inscrit – en même temps que ceux de Roger Juilland et Joseph Zerlia – sur le registre des malades admis au Block 20 de l’hôpital d’Auschwitz-I [3] avec la mention « K.L. Birkenau ». Le 5 novembre, il est transféré au Block 28 (convalescents), avec Joseph Zerlia.

La date de la mort de Paul Monnet à Auschwitz n’est pas connue, très probablement avant la mi-mars 1943 [4].

Il est homologué comme “Déporté politique” en 1964.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 19-02-1997).

Notes :

[1] Levallois-Perret : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Chauffeur de taxi ? : son nom n’est pas relevé sur la stèle funéraire installée dans le cimetière de Levallois-Perret par « La Chambre syndicale des cochers-chauffeurs du département de la Seine – En hommage à ses camarades chauffeurs de taxi parisiens tombés dans les luttes pour l’émancipation des travailleurs pour la liberté, pour la démocratie, pour la France et pour la République ».

[3] L’hôpital d’Auschwitz : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus.
Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”. Mais les “31000” et Charlotte Delbo – qui ont connu l’hôpital de Birkenau – ont utilisé le terme « Revier » : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Paul Monnet, c’est le 15 janvier 1943 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 150 et 153, 383 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice réalisée pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” du nord des Hauts-de-Seine, citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Archives départementales des Hauts-de-Seine (AD 92), site internet du conseil général, archives en ligne : registre des naissances de Levallois-Perret, année 1900 (E NUM LEV N1900), acte n° 972 (vue 256/314).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1776-110667) ; cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : bureau politique du cabinet du préfet de Seine-et-Oise (1W69).
- Comité du souvenir du camp de Voves : liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
- Archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau (Archiwum Państwowego Muzeum Auschwitz-Birkenau – APMAB), Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), page 153 du registre du Block 20 de l’hôpital.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 13-06-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Auguste MONJAUVIS – 45887

Auguste Monjauvis en 1954. D. R.

Auguste Monjauvis en 1954. D.R.

Auguste, Eugène, Georges, Monjauvis naît le 2 mars 1903 à Paris 13e arrondissement, fils de Lucien, Alfred, Monjauvis, 26 ans, ajusteur, qui sera chef d’équipe à l’usine Panhard (Paris 13e), et d’Émilie Collet, 20 ans, mécanicienne en chaussure à domicile. Auguste est l’aîné de quatre enfants, la famille comptant aussi Lucien, Henri, né le 2 décembre 1904, Marie, Cunégonde, née le 31 mai 1907 et décédée le 23 avril 1931 (à vérifier…), et Suzanne, Émilie, née le 13 avril 1911, tous à Paris 13e.

Au moment de son arrestation, Auguste Monjauvis vit encore dans l’immeuble (HBM ?) où il est né, au 143, rue Nationale

[1], un bâtiment à la construction duquel a participé son grand-père, venu du Cantal en 1860.

Le 10 mai 1923, Auguste est incorporé au 106e régiment d’infanterie afin d’accomplir son service militaire (participe-t-il à l’occupation du bassin de la Ruhr ?). Il est rendu à la vie civile en novembre 1924.

C’est le moment où son frère, Lucien – partant à son tour au service militaire – est affecté au 20e bataillon d’ouvriers, en garnison à Toul (Meurthe-et-Moselle). En juin, le 20e conseil de guerre siégeant à Nancy le condamnera à six mois de prison pour avoir refusé le travail en signe de protestation contre le départ de soldats pour le Maroc (guerre du Rif, 1919-1926). Lucien purge sa peine en forteresse à Strasbourg. À son retour, il militera dans le comité de sous-rayon des Jeunesses communistes du 13e comme responsable de l’Amicale des conscrits.

En 1925, Auguste Monjauvis travaille dans un des ateliers de la Compagnie française / pour l’exploitation des procédés / Thomson-Houston (CFTH), alors filiale de General Electric, répartis dans le 15e arrondissement. Il est membre de la cellule du PC de l’entreprise (n° 11) et en rédige le bulletin politique, L’Étincelle.

À une date restant à préciser, il se marie avec Cécile Louise Vinkopp. Mais ils divorceront avant mars 1950, sans avoir eu d’enfant.

En 1928, Auguste Monjauvis travaille comme ouvrier mécanicien-ajusteur à l’usine d’automobiles Delahaye, 10 rue du Banquier (Paris 13e). Il est alors membre de l’Union syndicale des travailleurs de la Métallurgie, secteur voiture-aviation maréchalerie et similaire de la région parisienne, et adhérent de la cellule du PC de son entreprise (n° 178).

Le 31 juillet mai 1928, vers 19 heures, près de la station de métro Campo-Formio, sur le boulevard de l’Hôpital (Paris 13e), Auguste Monjauvis est interpellé par deux gardiens de la paix alors qu’il distribue des tracts communistes (PC et JC) au contenu pacifiste : « Comme il y a 14 ans, la guerre rôde. Travailleur alerte ! Pensez à 1914 ! Tous au grand meeting, mercredi 1er août au cinéma des Bosquets, 62 rue Domrémy… ». Le militant est conduit au commissariat de quartier de la Salpêtrière, puis relâché dans la soirée. Le lendemain, le journal L’Humanité rend compte de l’incident. Le samedi suivant, Auguste Monjauvis est de nouveau arrêté à la sortie du meeting organisé par le Parti communiste au Cirque d’Hiver pour protester contre la guerre et réclamer une amnistie.

Son frère Lucien, également ajusteur-mécanicien, devient un cadre important du syndicat CGTU de la métallurgie de la région parisienne. En mars 1930, il y est élu secrétaire appointé à la propagande. Avant et après, il est arrêté plusieurs fois pour ses interventions devant différentes usines. Aux élections législatives de 1932, il est élu député communiste de la 2e circonscription du 13e arrondissement. Le 31 janvier 1935, Lucien se marie à Paris 13e. En 1936, il abandonne sa circonscription de député à André Marty et ne sera pas élu dans la 1ère circonscription de l’arrondissement où il se présente alors. Mais, en 1937, il est élu conseiller municipal de Paris dans le quartier de la Gare (13e), siège abandonné par Marty.

De 1936 à 1939, Auguste Monjauvis est délégué du personnel de l’atelier outillage central à la Société des Compteurs de Montrouge (Seine / Hauts-de-Seine).

Montrouge. « Les Compteurs ». Carte postale des années 1920. Coll. Mémoire Vive.

Montrouge. « Les Compteurs ». Carte postale des années 1920. Coll. Mémoire Vive.

Auguste Monjauvis (« Monjo ») est l’un des animateurs de la cellule d’entreprise de l’usine Alsthom-Lecourbe.

Il appartient à l’Union sportive ouvrière du 13e arrondissement et à l’Union sportive de Montrouge, toutes deux affiliées à la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT).

En mars 1939, sa sœur Suzanne se marie avec Maurice Lime, ex-cadre du PCF du 13e ayant adhéré en juin 1936 au Parti populaire français de Jacques Doriot, haut dirigeant communiste en rupture qui entraînera son groupe dans la collaboration.

Au cours de la “drôle de guerre”, et en dépit de son âge et de sa spécialité qui auraient pu justifier un poste d’“affecté spécial” dans son entreprise, Auguste Monjauvis est mobilisé au 8e B.O.A. (bataillon d’ouvriers d’artillerie ?). Son frère Lucien est fait prisonnier de guerre et conduit au Stalag IV-G, à Oschatz, en Saxe du Nord.

Après son retour, dès septembre, Auguste Monjauvis organise au sein des Compteurs de Montrouge des groupes de trois des Comités populaires de la CGT clandestine, sous les ordres de Maurice Lacazette (lequel sera fusillé le 25 août 1943 à Nantes, comme chef de groupe FTP). Monjauvis fait notamment entrer dans l’entreprise des paquets de tracts dont il coordonne la distribution.

De janvier à mars 1941, Auguste Monjauvis trouve du travail à l’usine Ragonot, à Malakoff (Seine / Hauts-de-Seine), où il poursuit son activité de propagande. En juin suivant, après être passé par une entreprise du 11e arrondissement, il entre à la Société Industrielle des Téléphones (SIT), 20 rue des Entrepreneurs (Paris 15e) qui fabrique alors « des appareils de transmission téléphonique destinés à l’ennemi ». Il participe au sabotage de l’outillage utilisé et à l’organisation de prises de parole devant l’usine. La police française considère Auguste Monjauvis comme un « agent très actif de la propagande clandestine ». En août 1941, son domicile est perquisitionné, sans amener la découverte d’éléments permettant de l’inculper.

Le 17 septembre 1941, à 5 heures du matin, deux policiers français en civil arrêtent Auguste Monjauvis à son domicile et l’emmènent au dépôt de la préfecture de police (« quai de l’Horloge »). Le jour même, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Lors de son interrogatoire au quai des Orfèvres, un officier de police confond ses activités avec celles de son frère Lucien. D’abord placé huit jours en isolement au dépôt, Auguste Monjauvis retrouve ensuite, dans la grande salle de la Conciergerie, André Tollet et plusieurs camarades venus de diverses prisons.

Le 9 octobre 1941, Auguste Monjauvis est dans le groupe des quarante communistes qui sont menottés, transportés en car à la gare d’Austerlitz pour être conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Dans ce camp, il s’inscrit aux cours d’algèbre et de maths dispensés par des internés. En décembre 1941, il apprend le décès de son père. Début janvier, par un jour de grand froid, sa mère et sa femme viennent lui apporter un peu de nourriture.

Le 9 février 1942, Auguste Monjauvis est parmi les 52 « communistes » – dont André Tollet, futur évadé – (36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), gardé par la Werhmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Auguste Monjauvis est assigné au “camp des Juifs”, mais Georges Cogniot et le comité clandestin de résistance du camp interviennent pour qu’il puisse rejoindre ses camarades.

Entre fin avril et fin juin 1942, Auguste Monjauvis est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Auguste Monjauvis est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45887 (ce matricule sera tatoué sur son bras gauche quelques mois plus tard).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Auguste Monjauvis est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Il est d’abord assigné au Block 16A, avec d’autres “45000”.

À la mi-juillet, son épouse a dû recevoir la carte-formulaire rédigée en allemand et envoyée aux familles par l’administration militaire du Frontstalag 122 pour les informer que leur parent détenu « a été transféré dans un autre camp pour travailler. Le lieu de destination ne nous est pas connu, de sorte que vous devez attendre des nouvelles ultérieures… ».

Plus tard (date à vérifier), Auguste Monjauvis est assigné au Block 2 et affecté aux Kommandos Schlosserei et DAW.

Après le transfert du “camp” des femmes d’Auschwitz vers Birkenau, les Blocks qu’elles quittent sont redistribués après désinfection des locaux et des détenus. Les ouvriers du Bâtiment de toutes nationalités sont rassemblés au Block 8A, mais les Français sont refoulés au grenier par le chef de Block. Ils y restent une huitaine de jours avant d’être assignés au Block 15A, de nouveau dans un grenier où il leur faudra passer l’hiver sans chauffage (avec des nuits à – 15 °C).

Auguste Monjauvis se lie plus particulièrement avec Raymond Montégut, connu avant-guerre dans le mouvement syndical parisien. Bientôt René Petitjean se joint à eux.

Le 4 juillet 1943, comme les autres “politiques” français (essentiellement des “45000” rescapés), Auguste Monjauvis devrait avoir reçu l’autorisation d’écrire (en allemand) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis. Pourtant, le 14 janvier 1943, Cécile Monjauvis, son épouse, écrit directement à la Croix-Rouge allemande (Deutsche Rote Kreuz – DRK) : « … je suis très inquiète sur le sort de mon mari, prisonnier civil. J’ai été avertie par les autorités allemandes qu’il avait quitté le Frontstalag 122 à Compiègne depuis le 6 juillet 1942 pour une destination inconnue. Depuis cette date, je n’ai reçu aucune nouvelle. Je vous serais bien reconnaissante si vous pouviez me donner quelques renseignements à son sujet ». Le 11 février suivant, le chef du service des étrangers de la DRK lui répond (document traduit) : « Comme suite à votre demande […], nous avons le regret de vous informer que des recherches sur les personnes internées dans le territoire occupé sont impossibles, les autorités allemandes compétentes pour ces cas ne communiquant aucune information ».

DeutscheRoteKreuz-nazie-1

Au cours de l’été suivant, Cécile Monjauvis s’adresse alors au Comité international de la Croix-Rouge à Genève pour renouveler sa demande d’information. Le 17 août, le Comité international transmet cette nouvelle demande à la Croix-Rouge allemande.

À la mi-août 1943, Auguste Monjauvis est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11. Quand les colis arrivent, il participe à un groupe de partage avec Raymond Montégut, René Petitjean, Georges Brumm et Henri Mathiaud, rejoints plus tard par Roger Bataille.

 

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Le 23 octobre 1943, suite à une nouvelle sollicitation du Comité international de Genève, la Croix-Rouge allemande à Berlin écrit au siège central de la Gestapo (Reichssicherheitshauptamt) pour lui demander des informations sur le sort d’Auguste Monjauvis. Le 7 janvier 1944, la police politique répondra à la Croix-Rouge, par un formulaire imprimé sur lequel il suffit de rayer la mention inutile : « b) pour les raisons de police d’État, aucun renseignement ne peut être donné sur son lieu de séjour ni sur son état de santé » ; bien que la réponse elle-même figure dans les archives de la DAVCC, aucun document n’indique qu’elle a été effectivement transmise à la demandeuse.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine. Pendant un temps, Auguste Monjauvis est assigné au Block 18 A (d’où il écrit finalement à son épouse ?).

Le 3 août 1944, Auguste Monjauvis est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” intégrés [2] dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux prominenten polonais) transférés au KL [3] Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin. À leur arrivée, et jusqu’au 25 septembre, les trente sont affectés au Block 66.

Auguste Monjauvis est ensuite transféré à Gartenfeld, « un petit camp proche des usines Siemens », où il retrouve René Petitjean et René Maquenhen, et où il travaille de nuit jusqu’au bombardement de mars 1945.

Entre temps, le 4 octobre 1944, en France, suite à la Libération, Madame Monjauvis remplit un formulaire de demande de renseignement sur un déporté.

Au printemps 1945, le camp de Gartenfeld est évacué dans une marche forcée, au cours de laquelle Auguste Monjauvis perd de vue ses deux camarades. Celle-ci s’interrompt le 4 mai 1945 lorsque les SS fuient devant l’avance soviétique, laissant les survivants dans un petit bois au bord de la route.

Auguste Monjauvis est rapatrié en France le 23 ou le 24 mai, via Lille (carte de rapatrié n° 1666.380), et conduit au centre d’accueil aménagé dans la gare d’Orsay réquisitionnée, quai Anatole France (Paris 7e), désigné sous le nom « centre Paris-Orsay » et plutôt affecté au retour des prisonniers de guerre et des requis du Service du travail obligatoire (STO).

La gare d’Orsay, en bord de Seine. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La gare d’Orsay, en bord de Seine. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre temps, son frère, Lucien Monjauvis, prisonnier de guerre, est revenu en France en 1943 sous une fausse identité. Il a rejoint la Résistance, devenant membre du comité directeur du Front national de la zone sud avec Georges Marrane et Yves Farge. Arrivé à Saint-Étienne le 21 août 1944, il est un des deux résistants communistes nommés préfets par Charles de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République française [6], de la Loire du 3 septembre suivant au 17 septembre 1947, puis de la Savoie jusqu’au 1er décembre suivant. Il reprendra ensuite ses activités syndicales. Entre autres écrits, il est l’auteur d’une biographie de Jean-Pierre Timbaud (Éditions Sociales, 1971). Il décèdera le 15 décembre 1986 à Paris 5e.

Après son retour, Auguste Monjauvis, qui est revenu habiter au 143, rue Nationale (Paris 13e), informe quelques familles du sort de ses camarades disparus en déportation : Aloïse Arblade, Louis Girard…

Il reprend très vite ses activités politiques et syndicales.

Un long parcours vers la reconnaissance du statut de résistant (38 ans…)

Le 3 février 1947, le secrétaire de la section du 15e arrondissement du Parti communiste établit une attestation certifiant qu’Auguste Monjauvis a bien appartenu à son organisation jusqu’au 17 septembre 1941, date de son arrestation « pour fait de résistance contre l’occupant ». Le 24 décembre suivant, le secrétaire administratif de la fédération de la Seine, certifie à son tour qu’Auguste Monjauvis « faisait partie de la Résistance dans les rangs du Parti communiste français ». Ces deux attestations seront peu d’utilité pour la reconnaissance d’un statut de résistant, car le PCF en tant que tel ne sera pas considéré comme une organisation de résistance (voir ci-dessous le document du 26 décembre 1957).

Le 17 février 1948, le bureau des fichiers et de l’état-civil déportés du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre (ACVG) délivre à Auguste Monjauvis un certificat de déportation (ou d’internement), modèle A, au titre de « déporté politique de Compiègne ».

Le 15 juin suivant, le bureau FFCI du secrétariat aux Forces armées guerre délivre à Auguste Monjauvis un certificat d’appartenance à la Résistance intérieure française (RIF) pour son appartenance à l’organisation de Résistance Front national et des services accomplis de septembre 1940 au 25 mai 1945, en lui attribuant le grade fictif de sergent en vue de la liquidation de ses droits.

Le 13 mars 1950, Marcel Mugnier, liquidateur du Front national de lutte pour la libération, l’indépendance et la renaissance de la France (mouvement homologué par décision ministérielle ; J.O. du 22 juillet 1948), appellation généralement contractée en « Front National » [4], délivre à Auguste Monjauvis une attestation certifiant que celui-ci a fait partie de la Résistance « dès septembre 1940 » jusqu’à son arrestation « des suites de son travail de Résistant ».

Cinq jours plus tard, le 18 mars, Auguste Monjauvis remplit un formulaire à en-tête du ministère des anciens Combattants et victimes de guerre pour demander l’attribution du titre de “Déporté résistant”. Dans la rubrique V, « Renseignements relatifs aux motifs de l’exécution de l’internement ou de la déportation », à l’alinéa : « Circonstances », il complète : « Organisation du travail de propagande anti-hitlérien ». Au chapitre VI, « Renseignements relatifs aux motifs de l’exécution de l’internement ou de la déportation », il précise : « Organisation du travail de propagande anti-nazi dans les usines, sabotage de la production de guerre allemande, distribution de tracts au titre de la Résistance Intérieure Française… ».

Le 9 octobre suivant, une note des renseignements généraux indique à tort : « Transféré à Compiègne (Oise) par les autorités allemandes, M. Monjauvis n’a pas été déporté en Allemagne et a regagné son domicile après sa libération ». Par ailleurs, les services de recherche ne trouvent aucune mention de son nom dans les documents d’Auschwitz et de Sachsenhausen-Orianenburg ayant échappé à la destruction (fonds reconnus « très incomplets »). Dans sa séance du 16 novembre 1950, la commission départementale des déportés et internés résistants (DIR) formule un avis défavorable à la demande de statut de déporté résistant. Le 17 décembre, elle est suivie par la commission nationale qui explicite : « Il ressort des documents versés au dossier que l’intéressé a été arrêté et déporté pour des faits à caractère politique et non résistant ».

Le 17 février 1953, le ministère des ACVG prend une décision de rejet pour le motif : « L’intéressé ne remplit pas les conditions exigées par les dispositions combinées des articles 1 et 3 du décret du 25 mars 1949 (codifiés sous les numéros R.286 et R.287 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre) ». Un post-scriptum du formulaire de réponse indique que le demandeur débouté peut demander le statut de déporté politique.

Le 1er mars 1953, Lucien Coone, militant du 13e déporté au KL Buchenwald, rédige une attestation par laquelle il certifie sur l’honneur avoir constaté l’activité dans la Résistance d’Auguste Monjauvis, de fin 1940 au début 1941, « en qualité de diffuseur de littérature ayant pour objet la lutte contre l’occupant nazi ». Le 4 mars, Jean-Marie Dupasquier, de Montrouge, grièvement blessé en participant aux combats pour la libération de Paris (amputé de la jambe gauche), déclare avoir participé avec Auguste Monjauvis à des distributions de tracts et à des transports d’armes de la fin de l’année 1940 jusqu’à son arrestation en septembre 1941. Le 23 mars, Auguste Monjauvis écrit au ministre des ACVG pour protester contre le rejet « inique » de sa demande du statut de déporté résistant, alors qu’il subit les séquelles de sa déportation, en y joignant ces deux nouvelles attestations. Par le même courrier, il présente une démarche de recours gracieux. Mais, le 29 juin suivant, le bureau des fichiers et de l’état-civil déportés du ministère confirme la décision de rejet : « Les faits annexés à votre lettre du 23 mars se trouvant infirmés par les renseignements de l’administration… ».

En novembre 1953, Auguste Monjauvis se résout provisoirement à remplir un nouveau formulaire afin de demander l’attribution du titre de “Déporté politique”. Dans la rubrique V, « renseignements relatifs aux motifs de l’exécution de l’internement ou de la déportation », il proteste : « Je maintiens que j’ai fait de la résistance et que j’ai été arrêté pour cela ». Il n’ajoute aucune attestation supplémentaire à cette demande.

Le 22 février 1954, Marcel Mugnier, secrétaire et liquidateur du Front national, délivre à Auguste Monjauvis une nouvelle attestation, plus détaillée que la précédente, indiquant que celui-ci a transporté des armes individuelles pour les groupes de l’O.S. [5], relatant pour la première fois un récit selon lequel « il fut l’objet d’une filature le 16 septembre métro “Grenelle” où il assurait une liaison avec son chef Paul Louis » (voir ci-dessous).

Le 30 mars – après l’expiration du délai de recours contentieux -, Lucien Monjauvis dépose un recours devant le Tribunal administratif de Paris contre le refus de lui attribuer le titre de déporté résistant.

Parallèlement, le processus d’attribution du titre de déporté politique s’est poursuivi, avec une réunion de la commission départementale qui se tient le 20 juillet. Le 29 octobre suivant, le ministère des ACVG rend une décision positive et lui envoie le 2 novembre la carte n° 1101.13270.

Le 10 février 1955, Louis Ferrand, de Paris 13e, ancien chef de détachement FTP, rédige une attestation sur l’honneur selon laquelle Lucien Monjauvis a participé sous ses ordres « à de nombreuses actions contre l’ennemi » : fin 1940, tentative de destruction de la permanence du PNP (ou plutôt du RNP, Rassemblement national populaire, de Marcel Déat ?), place d’Italie ; en février et mars 1941, fait partie d’un groupe de protection pour les prises de parole aux usines Citroën (Paris 15e), Panhard et La Précision mécanique (Paris 13e) ; en mai suivant, tentative d’incendie du garage allemand de la Porte d’Italie ; en juillet, membre d’un groupe de protection pour la pose d’un grand drapeau tricolore devant la Cité universitaire (Paris 13e), occupée par les Allemands ; distribution de tracts anti-allemands de façon permanente.

Le recours devant le Tribunal administratif suit son cours. Le 16 juin 1955, le ministère des ACVG adresse une demande de renseignements au préfet de police. Le 27 décembre, celui-ci transmet le rapport d’enquête effectué par ses services. Ensuite, par quatre fois – les 26 décembre 1956, 12 mars, 15 juillet et 27 novembre 1957 -, le bureau des déportés et statuts divers – recours – du ministère des ACVG sollicite du préfet de police la copie intégrale de l’arrêté préfectoral d’internement pris le 17 septembre 1941 à |’encontre d’Auguste Monjauvis, espérant peut-être y trouver une explication circonstanciée des motifs de son arrestation. Mais le document ne contient d’autre justification que « vu le décret du 18 novembre 1939… ».

Le 26 décembre 1957, le chef du bureau des déportés et des statuts, écrivant au nom du ministre des ACVG, explicite en termes juridiques la décision de rejet au président du tribunal administratif de Paris. « Au dossier de l’intéressé figure un certificat d’appartenance à la RIF, mouvement Front National, prenant en compte ses services dans ledit mouvement de septembre 1940 au 25 mai 1945 (pièce n° 8). Il y a lieu de remarquer que, par décision n° 11.747 SEFAT/CAB-MIN du 18 mai 1956, le ministre de la Défense nationale a fixé le début d’activité du mouvement précité au 1er mai 1941. Il en résulte que le certificat d’appartenance de Monsieur Monjauvis est entaché d’erreur pour la période allant de septembre 1940 au 1er mai 1941. […] Ainsi que l’a souligné la Commission nationale des déportés et internés résistants […] à l’origine de la déportation se trouvent des faits à caractère politique et non résistant. […] [L’attestation de Monsieur Mugnier] n’est pas circonstanciée, ainsi que l’exige l’article R.321 du Code des pensions militaires, car elle ne spécifie pas quel est l’acte précis qui a motivé la déportation, de telle sorte qu’il n’est pas possible de discerner s’il s’agit d’un des actes qualifiés de résistance à l’ennemi défini à l’article R.267. […] En outre, il ressort des renseignements obtenus conformément aux directives de l’article R.321 que Monsieur Monjauvis a été arrêté en vertu du décret du 26 septembre 1939 et interné en application du décret du 18 novembre 1939 pour s’être livré activement à la propagande en faveur du parti communiste clandestin (pièces n° 13 et 14). Des témoignages sous dossier le confirment (pièces n°10, 11 et 16). Le parti communiste n’ayant pas été reconnu par l’autorité militaire compétente, en l’occurrence le ministre de la Défense nationale, comme un réseau, une formation ou un mouvement des FFC, des FFI ou de la RIF, l’appartenance à ce parti ou la propagande faite en sa faveur ne peut ouvrir droit à l’attribution du titre de déporté ou d’interné résistant. […] …actuellement, un complément d’information est en cours aux fins d’obtenir de nouveaux renseignements. Je demande, en conséquence, au Tribunal administratif de bien vouloir sursoir à statuer sur cette affaire jusqu’à ce que je sois en mesure de fournir un mémoire additif. »

Le 4 février 1958, le chef du bureau des déportés et des statuts transmet son mémoire complémentaire au président du tribunal administratif de Paris en concluant qu’il plaise à cette juridiction de rejeter la requête qui lui est soumise. Le 11 juin suivant, Auguste Monjauvis dépose au tribunal administratif un mémoire en réplique dans lequel il demande à être relevé de la forclusion, car son état de santé l’a empêché de prendre en temps utile les décisions voulues. Le 22 mai 1959, le chef du bureau des déportés et des statuts demande de nouveau au président du tribunal administratif de rejeter la requête, considérant qu’aucun élément nouveau d’appréciation n’a été fourni et qu’« aucune disposition réglementaire ou législative n’a prorogé le délai du recours contentieux pour maladie » (réf. Conseil d’État n° 42.859 dame veuve Bouravoy 15 juillet 1958 ?). Le 30 mars 1960, le tribunal administratif de Paris, reprenant l’argumentation du ministère en considérant qu’« aucune disposition législative ou réglementaire ne permet au Tribunal de relever le requérant, notamment pour des motifs tirés de son état de santé, de la forclusion qu’il a encouru […] Décide, Article 1er : La requête du sieur Monjauvis est rejetée. »

Le 13 mars 1965, Lucien Monjauvis, alors domicilié au 13, rue du Champ-de-l’Alouette (Paris 13e), écrit au directeur des statuts et des services médicaux pour présenter un recours additionnel contre la décision de refus du 13 février 1953, en joignant à son courrier ce qu’il considère comme de nouveaux éléments : l’attestation délivrée par Mugnier, liquidateur du Front national, et une carte de combattant volontaire de la Résistance que lui a délivré l’ONAC de la Seine le 13 juin 1960.

Le 4 octobre 1966, Louis Chaput, secrétaire de la section locale de la FNDIRP du 13e arrondissement, écrit au « président de la commission des statuts des déportés, internés et familles » du ministère des ACVG pour solliciter une entrevue afin d’examiner les cas en litige de deux déportés, dont celui de Lucien Monjauvis. Le 21 octobre suivant, le bureau du contentieux de la direction des statuts et des services médicaux du ministère répond en reprenant les arguments précédemment énoncés pour justifier le maintien du rejet initial : l’attestation délivrée par le liquidateur du Front national n’est pas suffisamment circonstanciée pour déterminer si l’arrestation d’Auguste Monjauvis résulte d’un des actes qualifiés de résistance à l’ennemi. D’autre part, les attestations de Dupasquier et de Coone – datant de mars 1953 – n’établissent pas la relation de cause à effet entre un des actes qualifiés de résistance à l’ennemi et la déportation. « … il n’est pas possible, en raison du caractère impératif des textes portants statut des déportés et internés résistants d’accorder le titre de déporté résistant à MM. Monjauvis et G. »

Le 27 janvier 1967, une délégation de la FNDIRP rencontre le directeur des statuts et des services médicaux du ministère pour lui remettre une liste de 22 dossiers de demande de réexamens pour l’attribution de la carte de déporté ou interné résistant, parmi lesquels Auguste Monjauvis, et aussi René Maquehen et Paulette Prunières (liste peut-être déjà été déposée le 2 avril 1965). Quatre jours plus tard, ces documents sont transmis en interne au chef du bureau du contentieux, lequel répond le 21 avril que pour quinze requérants, dont Auguste Monjauvis et René Maquehen, l’examen des dossiers et documents produits à l’appui des recours ne permettent pas de les soumettre à nouveau à la commission DIR.

Le 14 septembre 1967, Louis Chaput, secrétaire de la FNDIRP du 13e, écrit au directeur des statuts et des services médicaux du ministère afin de soutenir une nouvelle fois les demandes d’Auguste Monjauvis et Jean G. Le 15 novembre, le courrier de réponse réaffirme que leur dossier ne sera pas soumis à la commission DIR faute de nouveaux éléments d’information : « Je ne puis que vous confirmer les termes de ma lettre du 21 octobre 1966 et vous exprimer mes regrets de ne pouvoir seconder le bienveillant intérêt que vous portez à vos deux camarades ». Le 26 décembre suivant, après avoir été sollicité par Auguste Monjauvis, stupéfait à la lecture de cette lettre, le secrétaire de l’Association des déportés et internés résistants et patriotes de la région parisienne, rue Leroux, écrit au directeur des statuts et des services médicaux du ministère des ACVG afin de soutenir la demande de réexamen de son dossier. Le 6 mars 1968, le directeur répond en justifiant le maintien du rejet initial : le certificat d’appartenance à la Résistance intérieure française au titre du Front national et l’attestation délivrée le 22 février 1954 par Marcel Mugnier ne sont pas suffisamment circonstanciés pour déterminer si l’arrestation d’Auguste Monjauvis résulte d’un des actes qualifiés de résistance à l’ennemi. D’autre part, l’attestation de Lucien Coone n’établit pas la relation de cause à effet entre les actes qualifiés de résistance à l’ennemi et la déportation. La carte de combattant volontaire de la Résistance n’établit pas non plus, à elle seule, ce lien de causalité (arrêt Pronnier du 21 novembre 1962 par le Conseil d’État).

Le 1er novembre 1968, Eugène Vitiello, autre militant clandestin, atteste avoir remarqué une présence policière à un rendez-vous fixé entre le 15 et le 20 septembre 1941 à la station de métro Grenelle. Ayant échappé, fois-ci, à l’arrestation en évitant d’être filé, son chef lui organisa un rendez-vous de repêchage avec le camarade manqué au rendez-vous précédent. « Au cours de ce repêchage, j’appris par ce camarade que lui-même et sa liaison de la Société industrielle des téléphones avaient été pris en filature, qu’il avait la conviction d’y avoir échappé, mais que sa liaison avait été arrêtée le lendemain à son domicile. Ce n’est que plus tard que j’appris que l’un des intéressés, que je connaissais sous le pseudonyme de Jean Louis, se nommait Langouet [3] et l’autre Auguste Monjauvis ». Quatre jours plus tard, le 5 novembre, Maurice Olivier, alors domicilié à Chartres, signe une attestation témoignant : « [En] septembre 1941, la liaison entre les résistants de l’entreprise et ceux de l’arrondissement était assurée par Langouet François, alias Paul Louis. Toujours à cette époque, Langouet, avec qui j’étais en contact, me fit part d’une filature dont il avait été l’objet alors qu’il était en contact avec sa liaison de l’entreprise SIT. S’en étant aperçu et ayant échappé à cette filature, il ne fut pas arrêté ce jour-là. Mais sa liaison, dont j’ai appris le nom un peu plus tard, Monjauvis Auguste, ne dut sa liberté (provisoirement) qu’en ne réapparaissant pas à l’entreprise. J’appris peu de temps après que Langouet avait été arrêté… ». Le 12 novembre, Auguste Monjauvis écrit de nouveau au directeur : « de votre lettre du 6 mars 1968, il résulte que mon dossier de Résistant a de l’insuffisance dans les attestations. Une nouvelle fois je m’adresse à vous, car j’ai obtenu de nouveaux éléments recueillis au prix de longues et difficiles recherches pour réexaminer mon dossier et m’accorder ce que je considère, et continuerai de considérer, comme mon droit le plus légitime : ma carte de Déporté Résistant. […] … le caractère clandestin, l’ignorance de l’identité réelle des plus proches compagnons, l’imprécision des dates, des lieux et de beaucoup d’autres éléments dont l’absence d’annotation rendait, et rend bien plus encore avec le recul du temps, presque impossible la reconstitution rigoureuse de péripétie de cette période. Celui qui, comme moi, n’a comme témoins oculaires que des morts et des identités qui ne sont que des pseudonymes, se heurte à d’énormes difficultés. Faute de témoignages parfaits, ma demande et mes requêtes n’ont eu jusqu’ici que des réponses négatives. Je sais que je le dois à mon appartenance politique qui aurait pu certes à elle seule être la cause unique de mon arrestation… […] Au nombre des témoignages et preuves que j’ai réussis à rassembler en employant toutes les forces qui me reste, vous trouverez deux attestations confirmant mes dires… », à savoir celles d’Eugène Vitiello et de Maurice Olivier. Le 25 février 1969, Auguste Monjauvis envoie (renvoie ?) au directeur des statuts et des services médicaux les photocopies d’un document ayant accompagné la délivrance de sa carte CVR et de son certificat d’appartenance à la RIF. Trois jours plus tard, le 28 février, la réponse relève une faiblesse des deux attestations dans la chronologie des faits. En effet, « il ressort du rapprochement d’usage des dossiers que M. Langouet était déjà interné depuis le 18 juillet 1941. En tout état de cause, les attestataires mentionnent qu’ils n’ont appris les faits qu’ultérieurement. Ces attestations ne peuvent être retenues, compte tenu des dispositions réglementaires relatives aux moyens de preuve et je vous exprime mes regrets. »

Le 22 avril 1969, Jean Albert, du service technique de la FNDIRP, écrit à la direction des statuts et des services médicaux en indiquant que « … Monsieur Maujauvis est en mesure de fournir présentement une nouvelle attestation émanant de Monsieur Jean Roger, secrétaire de notre fédération nationale ; en effet, celui-ci, qui était un responsable syndical dans la région parisienne, a eu à connaître l’activité résistante de Monsieur Monjauvis durant l’occupation, du fait de son action, entre autres, dans les usines des 13e, 14e et 15e arrondissement en particulier ; le rencontrant par hasard au dispensaire de notre fédération, il l’identifia et se souvint de son activité résistante durant l’occupation et des conditions ayant amené son arrestation ; en somme, il se trouvait être un de ses responsables directs, il fut arrêté après lui et est aujourd’hui en possession de la qualité de déporté résistant. L’objet de la présente est donc de vous demander si la production de cette nouvelle attestation serait susceptible d’être prise en considération pour un réexamen du dossier de Monsieur Monjauvis ». Le 2 février 1970, Jean Roger, du 15e arrondissement, rédige une attestation contresignée de Jean Chaumeil, liquidateur du Front national, certifiant qu’il a connu dans la Résistance Auguste Monjauvis, dit “Monjo”, avec lequel il à participé à diverses actions, témoignant que le 17 septembre 1941, à 7 heures du matin, ils avaient un rendez-vous à la station de métro Grenelle (devenue Bir-Hakeim), où Auguste Monjauvis devait lui remettre des épreuves destinées à l’impression de tracts du Front national en vue de leur distribution dans l’entreprise où il travaillait. « Ne l’ayant pas vu au rendez-vous, j’appris plusieurs jours après par un nommé “Paul Louis” [son agent de liaison] – que je n’ai jamais connu sous sa véritable identité – que “Monjo” avait été arrêté le matin même de notre rendez-vous à son domicile ». Le 17 décembre 1970, Jean-Marie Dupasquier signe une nouvelle attestation, déclarant : « … je ne pensais pas que l’attestation demandée par Monsieur Monjauvis Auguste en mars 1953 sur son activité de résistance devait servir à l’obtention de sa carte de déporté, mais à celle de CVR. C’est la raison pour laquelle je n’ai mentionné que ses actes de résistance et ne parlais pas des conséquences de son arrestation. J’indique qu’à la suite de son arrestation, il ne fut pas au rendez-vous fixé pour assurer la distribution du matériel édité par le FN à l’usine SIT dans le 15e arrondissement et que ce travail fut interrompu jusqu’à ce que la Résistance puisse reconstituer son réseau. Nous avons appris par la suite qu’il avait été arrêté, interné et déporté ». Le 16 janvier 1971, Jean Chaumeil contresigne l’attestation du Front national établie le 22 février 1954. Le 20 janvier 1971, Auguste Monjauvis écrit au directeur des services interdépartementaux de la région parisienne, au ministère des ACVG, en demandant que soit reconsidérée la décision prise à son égard, considérant que ces nouvelles attestations fournissent de nouvelles preuves explicitant le lien de cause à effet entre son activité de résistance et sa déportation. Le 29 novembre 1971, le secrétaire général de la FNDIRP soumet à nouveau le cas d’Auguste Monjauvis à l’attention du ministère des ACVG. Le 28 janvier 1972, le fonctionnaire du ministère répond au secrétaire général de la FNDIRP en relevant une nouvelle fois la contradiction chronologique contenue dans les attestations, lesquelles « tendent à prouver que l’intéressé a été arrêté au mois de septembre 1941, à la suite d’une filature effectuée par la police à partir d’un lieu de rendez-vous avec un résistant connu sous le nom de “Paul Louis” que les attentatoires identifient comme étant M. François Langouet. Mais il ressort du rapprochement d’usage des dossiers que M. Langouet, arrêté à son domicile le 18 juillet 1941, détenu à la Santé, à Fresnes, puis à Caen, a été fusillé le 15 décembre 1941 ; il ne pouvait donc pas assurer une liaison avec l’intéressé en septembre 1941. Ce ne serait qu’au cas où M. Monjauvis pourrait fournir des renseignements permettant d’identifier la personne avec laquelle il avait rendez-vous le 16 septembre 1941 qu’il pourrait être procédé à une nouvelle étude de ses droits au titre de déporté résistant. […] Son sort n’a pas été lié à celui de M. Langouet, puisque seul ce dernier a été traduit devant la section spéciale de la cour d’appel de Paris qui l’a condamné le 24 septembre 1941 aux travaux forcés à perpétuité. »

Le 7 octobre 1982, Serge Lefranc, alors maire de Saclas, ancien responsable du Front National dans la clandestinité pour cinq arrondissements de Paris dont le 15e, certifie avoir eu sous ses ordres le patriote nommé Paul Louis – son pseudonyme – auquel il a confié de nombreuses missions contre l’occupant et dont il savait qu’il était en liaison avec Auguste Monjauvis.

Le 10 mars 1983, le secrétaire général de la FNDIRP écrit au secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense chargé des Anciens combattants pour appeler son attention sur le cas d’Auguste Monjauvis. Le 2 juillet 1984, il écrit de nouveau pour savoir où en est l’état de cette demande. Le directeur de cabinet du secrétaire d’État répond le 7 août qu’il a recommandé à ses services d’apporter toute diligence à l’étude de cette requête. Le 17 mai 1985, le chef de bureau du cabinet du secrétaire d’État – dont l’attention vient d’être à nouveau appelée sur cette requête – transmet une note au directeur des statuts et de l’information historique pour lui demander de lui faire parvenir le projet de réponse demandé. Le 18 décembre suivant, le secrétariat ’État répond au secrétaire général de la FNDIRP : « … j’ai décidé de soumettre cette affaire à l’avis de la Commission nationale des déportés et internés résistants lors d’une de ses plus proches réunions afin qu’elle décide si les éléments du dossier sont de nature à rapporter son précédent avis, compte tenu de sa position actuelle dans les cas de l’espèce ». Le 14 janvier 1986, un courrier interne du secrétariat d’État fait mention d’un projet de réponse au courrier parlementaire soumis à la signature de Monsieur le Ministre. Le 21 mars 1986, un nouvel examen de la requête d’Auguste Monjauvis per la commission nationale de la DIR donne – enfin ! – un avis favorable à l’attribution du titre de Déporté Résistant. Le rejet est rapporté, « compte tenu du fait que l’intéressé est titulaire d’un certificat d’appartenance à la Résistance Intérieure Française (Mouvement “Front National”) prenant en compte son arrestation, en septembre 1941, époque à laquelle ce mouvement pouvait être considéré comme une organisation de résistance véritablement structurée, et qu’il est maintenant titulaire d’une carte de Combattant Volontaire de la Résistance » ; la carte de CVR date de juin 1960, et la deuxième attestation du Front National de février 1954 ! Le requérant est informé de la décision ministérielle le 24 avril suivant.

Le 6 août 1986, alors qu’il est âgé de 83 ans, Auguste Monjauvis se voit attribuer la carte de Déporté Résistant n° 100137834.

Il décède le 8 juin 1992.

Notes :

[1] Au 143, rue Nationale, l’immeuble ancien a été détruit pour être remplacé par un neuf.

[2] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).

[3] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[4] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

[5] O.S. : organisation spéciale du Parti communiste clandestin créée à partir de septembre 1940, à l’origine pour protéger les militant(e)s prenant la parole en public, les distributeurs de tracts et les colleurs d’affiches, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée.

[6] L’autre préfet communiste nommé à la Libération est Jean Chaintron, à Limoges (Haute-Vienne).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 372 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Parisien de naissance, souvenirs d’une famille provinciale implantée à Paris depuis le milieu du XIXe siècle, article pour Messages (FNDIRP, déc. 1971) – Questionnaire biographique (13/4/1988) – Témoignages et documents : Sur Rouillé et Compiègne ; Le Block “des punis“ ; La quarantaine (1972) ; Le travail du dimanche ; La Sablière (1988) – Témoignage sur Georges Brumm (“droiture et courage“) – Correspondance avec Raymond Montégut, à propos de l’ouvrage de celui-ci – Arbeit macht Frei – qu’Auguste Monjauvis n’approuve pas entièrement.
- Souvenirs de Lucien Monjauvis, in Les Barbelés de Vichy, Le camp de Rouillé, réserve d’otages, Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé, édité par la Mairie de Saint-Ouen (93), mai 1994, pages 20 et 21.
- Raymond Montégut : Arbeit macht Frei, Éditions du Paroi (imprimeur), juin 1973, Recloses, 77-Ury, 349 pages.
- Mémorial Sachso : p. 252, 502.
- Roger Arnould, Les témoins de la nuit, volume de la tétralogie L’enfer nazi publiée par la FNDIRP, 2e édition avril 1979, page 195.
- Louis Chaput, Auguste et Lucien Monjauvis (entre autres), Le 13e arrondissement de Paris, du Front Populaire à la Libération, les éditeurs français réunis, Paris 1977, page 115.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris) ; carton “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; archives du cabinet du préfet, dossier commun avec son frère Lucien (1w206-59536).
- Archives départementales de la Vienne ; camp de Rouillé (109W75).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen ; dossier de Monjauvis Auguste (21 P 449 832), recherches de Ginette Petiot (message 01-2017).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 18-01-2017)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Pierre MONJAULT – 45909

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Pierre, Henri, Monjault naît le 24 juillet 1902 à Civray, au nord de Ruffec (Vienne), de Jean-Baptiste Monjault, 31 ans, jardinier, et de Camille Cailleau, 27 ans, son épouse. Il est le deuxième de quatre enfants (sa sœur aînée, Marcelle, naît en 1897). En 1901, la famille habite au 7, rue du Moulin Neuf.

Dès 9 ans, il est placé tout l’été comme garçon de courses et plongeur dans un restaurant voisin. À 10 ans, il doit quitter la maison familiale pour entrer comme domestique dans une ferme. Il ne va à l’école qu’en hiver. Réputé fort et courageux, il loue son travail au fermier le plus offrant. À 18 ans, il s’engage dans la Marine. Il débute comme élève infirmier, mais contracte une pneumonie qui dure six mois. Reprenant son service à Rochefort, il est breveté Maître d’hôtel.

Après son service militaire, il retourne à Civray et épouse Amandine, une jeune fille de la région (plus tard, manutentionnaire). Ils ont deux fils : Guy et Pierre (également !), né en 1927, qui deviendra imprimeur.

Sur les conseils d’un oncle, Pierre Monjault vient s’installer en région parisienne pour travailler comme maçon. Là aussi, très apprécié, il enchaîne les chantiers.

Le 15 avril 1924, il est embauché par la Ville de Paris. En suivant des cours, il devient chauffeur de machine à haute tension. Cette année-là, il adhère au Parti communiste.

Le 5 mars 1926, Pierre Monjault est révoqué pour son activité contre la guerre coloniale du Rif, au Maroc.

Dans la période 1926-1930, il est successivement maçon, chauffeur de chaudière, aide-ajusteur et receveur de tramway.

Pierre Monjault est réintégré à la Ville de Paris le 4 février 1930. Il travaille à l’usine de la Compagnie des eaux à Ivry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne – 94).

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 288, rue Jean-Jaurès à Maisons-Alfort 

[1] (94), square Dufourmantelle, au 5e étage. Sur les listes électorales de février 1945, il est déclaré comme chauffeur.

Travailleur manuel et sportif, il se décrit « très musclé » à l’époque de son arrestation, malgré ses quarante ans.

Le 2 septembre 1939, à 14 h 30, en face du n° 4 avenue de la République à Maisons-Alfort, il traite de « salaud » un gardien de la paix qui emploie la force pour maitriser un individu et tente d’ameuter le public. Il présente ensuite des excuses.

Quand le Parti communiste est interdit, il reste actif dans la clandestinité. De 1940 à 1941, il est responsable de la diffusion de la propagande pour un secteur qui couvre Charenton, Maisons-Alfort et Créteil (94). Il distribue des tracts dans sa cité, dans le quartier du Vert de Maisons et sur son lieu de travail. Sous l’occupation, il est avec Marguerite Blangeot, Rosental (?), Rousseau et Victor Jardin, de Créteil (déporté avec lui), lors d’une action nocturne réussie consistant à accrocher, sur des fils électriques traversant la place Galliéni, une banderole avec l’inscription « Nous vaincrons ». Il est surveillé par la police française et l’objet d’au moins une perquisition à son domicile.

Au début du mois de février 1941, vers 15 heures, il est arrêté une première fois par la police française sur son lieu de travail, à l’usine des eaux d’Ivry-sur-Seine (94). Deux inspecteurs l’emmènent au commissariat de Charenton (94) où il est durement interrogé sur ses activités. Il ne cède rien et est finalement renvoyé chez lui, le visage tuméfié et plusieurs dents cassées. Son épouse est brutalisée au cours d’une deuxième perquisition à son domicile. Il pensera plus tard avoir été – à un moment ou à un autre – dénoncé par Marcel Capron, ancien député-maire communiste d’Alfortville rallié à Marcel Gitton, puis par un ouvrier charbonnier de l’usine des eaux d’Ivry.

Le 9 juillet, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif ; il est considéré comme « meneur communiste actif ». Le même jour, à 9 heures, il est de nouveau arrêté sur son lieu de travail par des inspecteurs en civil (« Gestapo »), avec trois camarades de son usine. Ils sont conduits au commissariat d’Ivry, à la prison de la Santé jusqu’au soir, puis internés administrativement comme « détenus communistes » à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier à Paris 20e, “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police de Paris. Pierre Monjault y occupe bientôt une fonction d’aide-infirmier. Il y reçoit des visites de sa femme.

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre. Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ». Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre.
Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ».
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 5 mai 1942, Pierre Monjault fait partie des 24 internés des Tourelles, pour la plupart anciens Brigadistes, que vient chercher une escorte de Feldgendarmes afin de les conduire à la gare de l’Est prendre un train à destination du camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin, Pierre Monjault est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Pierre Monjault est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45909 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied à Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Pierre Monjault est dans la moitié des membres du convoi qui reste dans ce camp en construction choisi pour mettre en œuvre la “solution finale” (contexte plus meurtrier). Une fois, il est affecté dans un Kommandoqui creuse des tranchées pour la pose de canalisations. C’est au cours de ce travail qu’Antoine Corgiatti, de Meurthe-et-Moselle, parvient à s’évader avant d’être repris au bout de quelques jours et exécuté un peu plus tard.

Au Revier de Birkenau, Pierre Monjault survit à des piqûres intracardiaques de benzol : « Par deux fois, ils me firent des piqûres en dessous du sein gauche. Je ne sais pas à quoi ça servait, mais je gardais un sale goût de pétrole dans la bouche pendant longtemps. »

Il trouve une méthode pour se protéger des coups qui pleuvent de manière systématique : « Je mettais ma gamelle dessous ma veste ou sous ma capote, suivant la saison, afin de me protéger un peu. Elle était toute cabossée ! »

Le 17 ou 18 mars 1943, il fait partie des dix-sept “45000” rescapés de Birkenau conduits à Auschwitz-I (en tout, 24 survivants sur 600 !).

En juillet 1943, comme les autres détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”), il reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.

À la mi-août, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues –
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Pendant un temps, Pierre Monjault est envoyé dans un petit Kommando, le TWL (Truppenwirschaftslager), magasins de ravitaillement des troupes recelant des marchandises volées par l’occupant nazi dans les pays occupés. Il reprend un peu de forces, mais ayant été dénoncé par un détenu polonais pour avoir volé de la nourriture au cours du déchargement d’un wagon dans la perspective de la redistribuer, il en est renvoyé.

Affecté au Kommando des couvreurs (Dachdeckerkommando), avec Louis Jouvin, grâce à l’appui de camarades, il circule dans la grande enceinte du camp et transporte – à la demande de son kapo polonais – des messages dissimulés dans le double fond d’un seau en fer vers le camp des femmes de Birkenau.

Il est également témoin de l’arrivée des familles juives, ainsi que du tri des vêtements au “Canada” : « Mon regard s’était arrêté longuement sur un monticule de petites chaussures d’enfants. ». Dans ceKommando, il se livre également à du sabotage, en mettant le feu à des chaudrons de goudron utilisé pour étanchéifier le toit des maisons des SS du camp.

À la fin de l’été 1944, Pierre Monjault est parmi les trente-six “45000” qui restent à Auschwitz, alors que les autres sont transférés vers d’autres camps.

Vers la fin de l’année, il est témoin des préparatifs d’évacuation menés par les SS : déménagement de grosses machines, mise au point de lance-flammes, incinération d’archives du camp…

Le 16 janvier 1945, il n’est plus appelé à son travail.

Il est bientôt parmi les douze “45000” incorporés dans des colonnes de détenus évacués vers le camp de Gross-Rosen, dans la région de Wroclaw.

« C’est le 18 janvier 1945. Quel vacarme ! Les SS hurlent, ainsi que les chiens. C’est le départ du camp d’Auschwitz. Les SS rassemblent les hommes valides, les malades restent au camp avec quelques gardiens. Ce départ soulève l’euphorie. Nous chantons La MadelonLa Marseillaise. Plus les SS hurlent, plus nous chantons. Nous déambulons sur les routes en rangs par quatre ou cinq, les kapos et les SS se tiennent à nos côtés, avec des chiens, des chevaux et tout le tremblement. L’exode commence, mais nous pensons que c’est peut-être le salut. Nous marchons, nous marchons sans aucun arrêt. Pendant deux jours, nous n’avons pu ni manger ni boire. Nous comprenons que cette marche est celle de la mort, alors nous ne chantons plus, nous marchons comme des bêtes traquées. Tout recommence à mal aller. Les SS abattent à bout portant les camarades qui ne peuvent suivre et ils sont nombreux. Nous n’étions qu’un troupeau de squelettes. Même ceux qui semblaient valides étaient malades. (…) Nous nous soutenons moralement et physiquement, mais nous arrivons à l’ultime stade de l’épuisement. La soif commence à provoquer des hallucinations. (…) À la fin du deuxième jour, nous arrivons dans une grange immense, remplie de paille et de foin où nous passons la nuit. Durant cette nuit, les Alliés commencent à lancer des fusées éclairantes pour bombarder. Dès le lendemain matin, nous repartons sans prendre aucun aliment. Il fait un froid terrible ! Quand je repense à ces jours-là, j’en ai encore la chair de poule. Malgré la couverture que j’avais sur la tête, j’ai eu une joue gelée, et encore maintenant, par grand froid, une plaque blanche apparaît sur ma joue. » (Pierre Monjault, cahier, p. 51-52).

Quelques semaines plus tard, à la mi-février 1945, ce camp est à son tour évacué. Pierre Monjault est parmi les quinze “45000” dirigés vers le complexe de Dora-Mittelbau. Après plusieurs départs manqués par le train, la colonne dans laquelle il se trouve rejoint à pieds le sous-camp de Nordhausen, au terme d’une nouvelle marche de la mort.

Là, Pierre Monjault retrouve le jeune René Besse, de Créteil, dont il partage la paillasse. Avec un jeune déporté polonais avec lequel ils font équipe, ils partagent également la nourriture qu’ils peuvent trouver, en nettoyant les Blocks des SS par exemple. Au printemps 1945, René Besse, affamé, échange avec un travailleur civil allemand une boule de pain contre les bonnes chaussures qu’il s’était procurées au moment du départ d’Auschwitz. Pierre Monjault l’aide à en trouver d’autres, du même pied mais suffisamment larges.

Le 3 avril, les deux camarades profitent d’un bombardement allié (bombes incendiaires au phosphore) pour aller se nourrir dans les cuisines du camp, dévastées ; ils y trouvent notamment du lait chaud. Une deuxième vague de bombardement produit une désorganisation absolue qui leur permet à tous deux de s’échapper, mais ils se perdent aussitôt de vue. Pierre Monjault, ne sachant où aller, rejoint Rotteblerode en pleine évacuation. Les concentrationnaires de ce camp sont dirigés à pieds vers Lübeck, via le camp de Sachsenhausen (évacué le 21 avril).

Pierre Monjault est libéré au cours de cette marche et parvient le 9 mai au KL [2] Schwerin où sont regroupés 18 000 déportés évacués de Sachsenhausen, Neuengamme et Ravensbrück. Là, il est hospitalisé.

Il est un des “45000” qui aura parcouru le plus long trajet à pied au cours de cette période d’évacuation (janvier-mai 1945).

Dans un état de santé très précaire, Pierre Monjault est rapatrié en France en avion (plutôt qu’en train) avec deux autres Français. Il est hébergé un temps à l’hôtel Lutétia à Paris.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Entretemps, son fils Guy, engagé dans l’armée du général de Lattre de Tassigny, a découvert la réalité du camp de Dachau et s’est enfui, angoissé pour son père.

Rentré à Maisons-Alfort, Pierre Monjault y bénéficie de l’aide médicale aux prisonniers aux déportés.

« Durant ma déportation, en plus des coups qui tombaient sans aucune raison, j’ai reçu 80 coups de matraque [punitifs]. À mon retour en France, j’ai porté des corsets pendant plus de vingt ans et j’ai encore les fesses sensibles. Ma colonne vertébrale, d’après les radios, n’a plus de forme. »

Pierre Monjault décède le 4 août 1990.

Notes :

[1] Maisons-Alfort : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Lucie Kerjolon, Pierre Monjault, Quatre années de souffrance pour rester français, cahier dactylographié, 70 pages, Maisons-Alfort, 1984.
- Archives municipales de Maisons-Alfort.
- Archives départementales de la Vienne, site internet : recensement de 1901 à Civray, page 56 (vue 30).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 350-352, 359, 389, 414 et nombreuses citations de l’ouvrage cité ci-dessous.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “Occupation allemande”, dossiers divers et les Tourelles, 4 registres d’internés…, militants communistes internés aux Tourelles (BA 1836), liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; registre des mains courantes du commissariat de police de la circonscription de Charenton 8/11/1937 / 26-11-1940 (C B 94.10), n° 990.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

 

Jean MONIOTTE – (45886 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jean, Frédéric, Edmond, Moniotte naît le 31 décembre 1921 à Creil (Oise), fils de de Léon, Joseph, Moniotte, 30 ans, affuteur-outilleur, et de Blanche, Eugénie, Collin, 32 ans.

À la mi-juin 1936, l’armée classe son père “affecté spécial” en qualité d’affuteur au titre des anciens Établissements Hotchkiss et Compagnie, au 50 quai Michelet à Levallois-Perret (Seine / Hauts-de-Seine – 92).

Du 15 novembre 1936 au 15 juin 1937, Jean Moniotte, âgé de seize ans, est employé dans la boulangerie-pâtisserie de Raymond Devynck, sise au 18, rue de l’Exploitation, à Paris 7e.

Au cours de l’année 1936, la famille vient habiter au 35, boulevard Voltaire à Asnières-sur-Seine

[1] (92).

De juin 1938 à juin 1939, Jean Moniotte est employé chez un commerçant de Colombes (92), au 52 avenue d’Argenteuil.

Du 13 juillet 1939 au 1er novembre 1940, il travaille comme affuteur aux Constructions mécaniques d’Asnières (société Houvet-Roveda), sise au 4, rue du Potager à Asnières. Par la suite, il travaille peut-être aux Établissements Hotchkiss à Levallois-Perret (92).

Au moment de son arrestation, Jean Moniotte est domicilié chez ses parents. Il est célibataire. Selon la police, « le milieu dans lequel il vit [n’est pas] empreint de l’esprit soviétique ».

Du 24 mars au 13 septembre 1941, sous l’Occupation, Jean Moniotte part travailler en Allemagne avec son père. Revenu en France lors d’une permission, il doit y retourner le 22 octobre, mais, sa mère étant gravement malade, il ajourne son départ. Dans cette période, il adhère au Parti communiste clandestin, commençant à distribuer des tracts. Un rapport ultérieur de police indiquera que, selon « son entourage », il doit « à l’insu de ses parents, avoir de mauvaises relations ».

Le 10 novembre 1941, sur le quai de Clichy, à l’angle du pont d’Asnières, il est arrêté par des agents du commissariat de Clichy en possession de 4000 tracts appelant à la résistance  – “Jeunes, tous à l’Étoile le 11 novembre” – « destinés à être diffusés n’importe où et à n’importe qui », dans la perspective de rééditer la manifestation des étudiants ayant eu lieu un an auparavant.

Au cours de son interrogatoire, Jean Moniotte, 19 ans, refuse « d’indiquer la provenance des écrits subversifs et toutes indications utiles sur l’individu qui lui aurait remis les tracts », et, en dépit des recherches menées par la brigade spéciale jusqu’au 25 novembre, la ou les personnes avec qui il était en relation au sein de l’organisation clandestine et qui, notamment, lui fournissaient le matériel de propagande ne peuvent être identifiées.

Ce flagrant délit d’infraction au décret du 26 septembre 1939 donne lieu à une instruction judiciaire, mais il entre également dans le cadre de la loi du 14 août 1941 créant les Sections spéciales. Par la suite, Jean Moniotte revient sur ses aveux et, le 9 décembre, un juge d’instruction du tribunal de première instance de la Seine prononce un non lieu. Cependant, l’ex-inculpé n’est pas libéré : le lendemain, 10 décembre, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif. Le jeune homme est conduit au dépôt de la préfecture en attendant son transfèrement dans un centre d’internement.

Le 16 décembre, la préfecture de police transmet son arrêté d’internement, accompagné d’une notice biographique, au commandement militaire allemand de la Seine (Gross-Paris), Pol.

Le 29 décembre, Léon Moniotte écrit au préfet de police afin de solliciter la libération de son fils, « jeune homme assez timide, [qui] ne s’est jamais, à aucun moment, occupé de politique », comme en attesterait neufs certificats signés d’anciens employeurs, d’amis de la famille et de commerçants du voisinage ; attribuant sa détention « à une enquête erronée et trop sommaire ».

Le 3 janvier 1942, Jean Moniotte fait partie d’un groupe de 38 internés politiques (parmi eux, 16 futurs “45000”) et 12 “indésirables” (droit commun) extraits du dépôt et transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé (Vienne). Ils sont conduits en car, sous escorte, jusqu’à la gare d’Austerlitz où les attend un wagon de voyageurs réservé (10 compartiments ; départ 7h55 – arrivée 18h51).

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le 19 janvier, la préfecture de police demande au commissaire de la circonscription d’Asnières de faire connaître à Léon Moniotte que la demande de libération de son fils « ne peut être favorablement accueillie, dans les circonstances actuelles ». Trois jours plus tard, le père appose sa signature sur ce courrier afin d’indiquer qu’il en a « reçu communication ». Il semble qu’il sollicite une nouvelle demande de libération en mars…

Le 22 mai, Jean Moniotte fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central.  Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)  Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

transportaquarelle

Le 8 juillet 1942, Jean Moniotte est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 45886, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jean Moniotte.

On ignore la date exacte de sa mort à Auschwitz, avant la mi-mars 1943 [2]. Il a 21 ans.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 19-02-1997).

Notes :

[1] Asnières : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] La date de décès inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Jean Moniotte, c’est le mois de septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur publication à l’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 380 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine Nord (2005), citant : Archives municipales d’Asnières ; acte de décès (4/10/1947) ; la demande d’inscription de la mention “Mort pour la France” (16/10/1947) indique les circonstances de son arrestation.
- Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 3 septembre au 16 décembre 1941 (D1u6-5858).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes (4095).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) cartons “Occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; dossiers de la BS1 (GB 61), n° 472, « C.R. c/ Moniotte », 28-03-1941 ; cabinet du préfet, dossier individuel (1 W 617-23126).
- Archives du Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC) : liste XLI-42, n° 134.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, 15-06-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Maurice MONDHARD – (45885 ?)

Maurice, Eugène, Mondhard naît le 4 juillet 1899 à Caen (Calvados – 14), chez ses parents, Constantin Mondhard, 36 ans, journalier, et Marie Déprey, 31 ans, son épouse, domiciliés au 23, rue Saint-Sauveur.

Pendant un temps, Maurice Mondhard travaille comme comptable.

Le 16 avril 1918, il est incorporé au 36e régiment d’infanterie. Le 3 mai suivant, la commission de réforme le classe au “service auxiliaire” pour hypermétropie et amblyopie de l’œil gauche. Le 3 juin suivant, il passe au 4e escadron du train des équipages militaires. Le 22 juin, il réintègre le 36e R.I.. Le 9 février 1920, il passe au 119e R.I. Le 23 avril, il réintègre le 36e R.I. et le 1er mai, il passe au 119e R.I. ! Le 21 mars 1921, il est « renvoyé dans ses foyers » et se retire au 5, rue Saint-Sauveur, à Caen, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 17 mai 1925, à Flers (Orne), il se marie avec Suzanne Lechevrel. Ils auront deux enfants.

Entre novembre 1925 et décembre 1930, la famille habite au 48, rue d’Athis à Flers.

À partir de 1937 et jusqu’à l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée rue des Tennis à Saint-Aubin-sur-Mer (14), dans une villa.

JPEG - 200 ko
Hubert Mondhard devant la maison de son père,
et où celui-ci fut arrêté en sa présence le 8 mai 1942.
Extrait de De Caen à Auschwitz, éd. Les Cahiers du Temps, 2001, page 33. Droits réservés.

Maurice Mondhard est représentant de commerce pour l’entreprise Savare, importateur de bois de Scandinavie.

C’est un grand sportif : il joue au football à Caen dans des équipes d’un bon niveau, il nage et plonge chez Eugène Mäes, qui tient une guinguette sur l’Orne avec une piscine et un plongeoir de plus de 10 mètres. Il aurait pu y rencontrer Marcel Cimier qui fréquentait le même établissement.

Une piscine sur l’Orne : le Lido dans les années 1950. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Une piscine sur l’Orne : le Lido dans les années 1950.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Mobilisé pendant la guerre 39-40, Maurice Mondhard est “affecté spécial” pendant un temps dans une usine de munitions au Mans. Fait prisonnier le 20 juin 1940 à Mazé (Meurthe-et-Moselle), il est envoyé auStalag 17 dans la Forêt Noire en Allemagne (ou au Stalag 10 B) où il passe dix-huit mois avant d’être libéré, le 26 juillet 1941.

« Épouvanté par l’emprise du régime nazi sur les Allemands », écrit son fils, il ne se gêne alors pas pourdire haut et fort ses opinions, ce qui le fait étiqueter anglophile ou ennemi de l’Allemagne.

Le 8 mai 1942, vers 8 heures du matin, Maurice Mondhard est arrêté à son domicile par des policiers allemands, comme otage politique à la suite du déraillement d’un train de permissionnaires allemands à Moult-Argences (Airan) 

[1]. Il est amené au “petit lycée” de Caen où sont rassemblés une vingtaine otages. Tous subissent un « vague » interrogatoire. Son fils vient le voir dans l’après-midi.

Amenés en camion à la gare de marchandise de Caen le 9 mai au matin, dix-neuf détenus attendent tout la journée dans un wagon à bestiaux le départ du convoi. Sous la surveillance des militaires allemands, ils peuvent discuter avec leurs amis et parents jusqu’à 18 h. Maurice Mondhard rassure son fils. Le train s’ébranle en fin de journée. Le lendemain soir, ils sont internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Ne partageant pas les convictions politiques de la plupart de ses co-détenus, Maurice Mondhard pense qu’il y a erreur et signe, avec les frères Colin, Marcel et Lucien, les professeurs Musset [2] et Desbiot dont il a fait la connaissance à Compiègne, une lettre adressée au chef de camp « lui expliquant notre cas et indiquant que nous n’avions rien à voir avec le Parti communiste ».

Maurice Mondhard peut écrire au moins une fois chez lui.

Comme l’entreprise qui l’emploie est norvégienne, avec des contacts suédois, son épouse tente vainement une démarche auprès du consul de Suède à Caen.

Entre fin avril et fin juin 1942, Maurice Mondhard est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Comme la plupart des détenus, M. Mondhard jette un message qu’un cheminot transmet à à sa famille : « Tout va bien, partons vers l’Allemagne ».

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Maurice Mondhard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45885, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Maurice Mondhard.

Il meurt à Auschwitz le 22 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Il est homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 27-08-1996).

Son nom figure sur le monument aux morts de Saint-Aubin-sur-Mer.

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total, plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés, au Mont-Valérien (Seine / Hauts-de-Seine) pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

[2] René Musset, professeur de géographie, est doyen de la Faculté des Lettres de Caen en 1937. Sous l’occupation, il n’hésite pas dans ses cours à insister sur la force maritime de l’Angleterre et entretient un esprit d’opposition à l’occupant. Tout cela contribue à le faire remarquer par les Allemands. le 7 mai 1942, il est arrêté comme otage après le deuxième attentat d’Airan. À la gare de Caen, au milieu des familles et amis qui viennent visiter les otages, il s’entretient en latin avec son fils, Lucien.

Au camp allemand de Royallieu à Compiègne, il est avec Emmanuel Desbiot, professeur d’Anglais, les frères Colin et M. Mondhard. Le journal de Lucien Colin le cite fréquemment : le doyen Musset donne à des cours de géographie dans ce qui fait figure d’université.

Quand ses compagnons d’infortune partent pour Auschwitz le 6 juillet, il reste à Royallieu.

Le 24 janvier 1943, René Musset est déporté au KL Sachsenhausen, transféré au KL Oranienburg puis au KL Buchenwald, où il est libéré par les soldats américains en avril 1945.

À son retour, il contacte les familles de ses compagnons. Il tente d’informer celles-ci, mais ne peut témoigner que sur leur séjour à Compiègne. Il reprend ses cours.

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’associationMémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, p. 33 et 48, témoignage de son fils Hubert (17/03/2001).
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 362 et 414.
- Journal de Lucien Colin, publié en 1995 par les archives départementales et le conseil général du Calvados dans un recueil de témoignages rassemblés par Béatrice Poule dans la collection Cahiers de Mémoire sous le titre Déportés du Calvados (pages 60-80) ; note n° 6 page 62.
- Jean Quellien (1992), sur le site non officiel de Beaucoudray, peut-être extrait de son livre Résistance et sabotages en Normandie, publié pour la première fois en 1992 aux éditions Charles Corlet.
- Archives départementales du Calvados, archives en ligne : état civil de Caen registre des naissances, année 1899, acte n° 519 (vue 135/278) ; registre matricule du recrutement militaire pour l’année 1919, bureau de Caen, n° 1001-1459, matricule 1099 (vues 128-129/564).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 826 (37009/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 20-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Louis MOMON – 45884

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Louis Momon naît le 19 juin 1896 à Accolay (Yonne – 89), chez ses parents, Justin Momon, 44 ans, vigneron propriétaire, et Louise Maître, 36 ans, vigneronne, son épouse, habitants au village. Les deux témoins pour l’enregistrement du nouveau-né à l’état civil, dont Gabriel Momon, 39 ans, sont également vignerons. Louis a deux frères plus âgés : Léon, né le 22 août 1884, et Jules, né le 21 mai 1887. En 1901, la famille habite rue du Cimetière ; Léon, 16 ans, travaille comme garçon pâtissier, et Jules, 14 ans, comme garçon épicier. En 1906, Léon, 22 ans, travaille à son tour comme vigneron.

Accolay, vue depuis la RN 6. Carte postale oblitérée en 1950. Collection Mémoire Vive.

Accolay, vue depuis la RN 6. Carte postale oblitérée en 1950. Collection Mémoire Vive.

Louis Momon a une formation de serrurier maréchal, puis de mécanicien outilleur.

La Première Guerre mondiale est déclenché début août 1914. Le 12 avril 1915, Louis Momon est mobilisé comme soldat de 2e classe au 30e régiment d’artillerie. Le 17 juin 1916, il passe à la 56e compagnie du 13e régiment d’artillerie, unité qui monte au front ; le 1er juillet suivant, il passe au 40e régiment d’artillerie. Pour un motif restant à préciser, il est soigné dans un service d’ambulance du 22 novembre au 7 janvier, puis à l’hôpital jusqu’au 26 février 1917. Il est encore hospitalisé un mois en août. Le 12 septembre 1917, il est affecté au 38e régiment d’artillerie, dans l’Armée d’Orient ; le 19 février 1918, il passe au 109e régiment d’artillerie lourde. Maintenu sous les drapeaux, alors qu’il aurait dû passer dans l’armée de réserve, il est affecté au 145e régiment d’artillerie lourde le 1er mars 1918 ; le 5 mai 1919, rapatrié, il passe au 105e régiment d’artillerie lourde à Marseille ; le 6 avril (?) suivant, il passe au 30e régiment d’artillerie de campagne. Il est renvoyé en « congé illimité » le 20 septembre 1919 et se retire à Accolay, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Pendant un temps, Louis Momon habite impasse Maison Fort n°1 à Auxerre (89). Ajusteur mécanicien, il entre à la section des Jeunesses syndicalistes fondée par Adrien Langumier et René Roullot, devient secrétaire adjoint du Syndicat des Métallurgistes et secrétaire-adjoint de la Bourse du travail d’Auxerre.

Il prend part à la vague révolutionnaire de mai 1920. En juin, il loge, avec Albert Guichard au 53, rue Escuder à Boulogne-sur-Seine (Seine / Hauts-de-Seine). Poursuivi pour coups et blessures, et entraves à la liberté du travail, il s’enfuit pour échapper à la justice, se réfugiant à Genève (Suisse). Acquitté par le tribunal correctionnel d’Auxerre le 11 novembre 1920, il rentre en France, et arrive à Sens (89) le 16 novembre. Il trouve du travail à l’usine Fichet. En décembre, il est domicilié au 15, rue du Plat-d’Étain à Sens, puis au 8, rue Thénard dans cette ville.

En décembre, il est domicilié au 15, rue du Plat-d’Étain à Sens, puis au 8, rue Thénard dans cette ville, toujours avec Albert Guichard. Comme militant du syndicat des métaux de Sens, il publie dans Le Travailleur du 26 février 1921,  un article appelant les participants au congrès de l’Union départementale du 27 février à se prononcer pour l’adhésion à « l’Internationale rouge de Moscou » ; il intervint au congrès dans le même sens. Il quitte son travail le 13 avril suivant au soir.

En mai, il est hébergé à Paris chez un de ses frères, Jules, alors ouvrier aux usines Potin de la rue de L’Ourcq, et domicilié en logement au 2, passage Dantzig, 15e arrondissement ; la Sûreté générale (ministère de l’Intérieur) avise de cette présence le préfet de police, qui transmet l’information à son service des Renseignements généraux. Louis Momon déclare alors dans son entourage qu’il vend sur les marchés de banlieue, bien qu’étant inconnu au service des marchands forains et marchands de quatre saisons. Il ne fréquente pas alors ouvertement les milieux révolutionnaires et n’exprime pas publiquement ses opinions.

À partir du 1er décembre 1922, il emménage dans un “garni” au 32, rue des Entrepreneurs. La police ne connaît alors pas son employeur.

Membre de la 15e section de la Fédération communiste de la Seine, Louis Momon milite au groupe des Jeunesses communistes du 15e arrondissement, notamment chargé de l’éducation de Pionniers. Le 24 juin 1923, vers 19 heures, à l’angle des rues Vercingétorix et du Texel, deux gardiens de la paix du commissariat du quartier de Plaisance l’interpellent alors qu’il est à la tête de vingt-cinq pupilles communistes d’une dizaines d’années parcourant les rues en chantant une version “adaptée” de L’Internationale. Conduit au commissariat, devant lequel stationnent les enfants, il est relaxé une heure plus tard après vérification de son domicile. L’affaire n’a pas de suite judiciaire.

Le 13 juillet 1923, Louis Momon dépose à la préfecture de police une demande de passeport pour se rendre à Subotica, en Yougoslavie, « en villégiature » pour y « voir des amis ». La Sûreté générale n’y fait pas opposition et il reçoit son passeport le 25 juillet. En octobre suivant, il dépose une demande de passeport à destination de la Tchécoslovaquie – toujours pour « villégiature » – qui lui est accordé le 26 du mois ; il vient le chercher le 2 novembre.

En décembre 1924, Louis Momon s’installe chez Yvonne, Hélène, Picard, née le 23 décembre 1892 à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher), infirmière libre, demeurant au 49, rue Linois (Paris 15e) depuis 1921.

Le 14 février 1925, à Paris 15e, ils se marient. Ils n’auront pas d’enfant. Yvonne Momon partage les convictions de son mari ; elle est membre du Secours rouge international (SRI). Début 1930, elle travaille dans une clinique de Vitry-sur-Seine (plus tard, elle s’occupera de leur ménage). Le couple reçoit à son domicile de nombreuses brochures et convocations du PC.

En janvier 1930, Louis Momon dépose une demande de passeport pour se rendre en Amérique. Il s’occuperait alors de représentation en quincaillerie et articles de ménage pour le compte de plusieurs firmes de province (représentant de commerce).

Fin janvier 1931, convoqué au cabinet du préfet de police suite à une nouvelle demande de passeport, il affirme de la façon la plus catégorique qu’il ne fait plus de politique et n’appartient plus à aucun groupement extrémiste. Il demande un passeport pour tous pays, parce qu’il part avec son patron pour l’Angleterre « et autres pays qu’il ignore » et risque de perdre sa place si celui-ci a connaissance de ses anciennes erreurs, ajoutant qu’entré petit employé dans sa maison, il est aujourd’hui dans un des postes les plus importants. Son employeur est la Société Internationale de machines commerciales, sise au 29, boulevard Malesherbe. Louis Momon donne sa parole qu’il ne fera plus parler de lui. En conséquence, la préfecture lui remet le passeport demandé. Cependant, le chef du service transmet une note aux RG le 2 février : « … il y a lieu de procéder d’urgence à une enquête pour vérifier ses dires et voir quelle est son attitude politique actuelle. Si Momon n’a pas dit la vérité, il y aura lieu de lui faire, dès son retour, retirer son passeport. » Adhérent au Syndicat national de Voyageurs représentants courtiers et placiers, affilié à la CGTU, il n’y exerce aucune activité. S’il conserve un buste de Lénine à la place la plus en vue de son domicile, il déclare alors à qui veut l’entendre qu’il se tient en retrait du Parti communiste pour cause de désaccord politique, sans pour autant donner sa démission, et ne reçoit plus chez lui d’imprimés communistes ou de visites suspectes.

En décembre suivant, un commissaire de police de Brest saisit huit exemplaires de La Galera n°4, nov.-déc. 1941, revue interdite de la section italienne du SRI (dont le rédacteur-administrateur-gérant est Maurice Baudin, 8 avenue Mathurin-Moreau), adressés à Gourtay (?) du Syndicat unitaire de l’Arsenal du port et dont la bande-adresse indique comme expéditeur L. Momon, 49 rue Linois, Paris 15e. L’enquête de police demandée par le Parquet de la Seine à la police judiciaire et transmise aux RG ne permet pas d’établir si l’envoi de la revue « a été fait par lui, avec son consentement ou à son insu » (par son épouse ?). L’affaire semble ne pas de avoir de suite.

À la mi-mars 1932, les Renseignements généraux rédigent un rapport parce que son nom a été remarqué parmi des lecteurs de L’Humanité ayant passé une commande de charbon au journal.

En juin 1932, il semble qu’il effectue un voyage en URSS, déclarant comme adresse à l’armée française : Moscou, (rue) Bolshaya Dmitrovka 15/3, appt. 59.

De mai 1933 à juillet 1939, Louis  et Yvonne Momon sont domiciliés dans la cité du Combattant, au 125 boulevard Masséna, à Paris 13e.

Le 30 juin 1934, Louis Momon sollicite un nouveau passeport pour se rendre dans divers pays et notamment en URSS, se déclarant « organisateur spécialiste Holleinth » (?). Son épouse demande également un passeport (pour la même destination ?). Le 4 juillet, Louis Momon écrit au préfet de police afin que la procédure soit accélérée, ajoutant : « au moment où, de toutes parts, on entend célébrer le rapprochement commercial de ce pays avec le nôtre, je ne pense pas qu‘on mette obstacle aux relations techniques indispensables ». Les 18 mai et 2 juin à Genève, les ministres des affaires étrangères de France, Louis Barthou, et d’Union soviétique, Maxime Litvinov s’étaient rencontrés pour négocier un pacte de stabilisation des frontières orientales de l’Europe, dit « Locarno de l’Est », afin de contrer la menace hitlérienne (source Wikipedia). Louis Momon obtient son passeport quatre jours plus tard.

Cette même année, il entre comme métreur à la Société industrielle des instruments de précision, sise au 59, avenue Jean-Jaurès à Arcueil-Cachan (Seine / Val-de-Marne).

Le 21 mars 1939, « prêtant assistance » à un huissier pour non paiement de loyer depuis plusieurs mois, le commissaire de police du quartier de la Maison-Blanche ouvre la porte du logement du boulevard Masséna et y constate la présence d’une dame Kessler, étrangère non déclarée. Le policier en profite également pour mener une enquête de voisinage (concierge ?), selon laquelle Louis Momon recevrait « régulièrement une correspondance volumineuse de l’URSS ».

Trois jours plus tard, la femme hébergée par les Momon est convoquée au commissariat de Maison-Blanche. Elle y présente un passeport délivré deux jours avant par la légation suisse à Paris et établi au nom de Kessler Guglielmina, née Bluh le 29 mars 1907 à Saint-Gall (Suisse). Aux policiers, elle affirme avoir égaré son précédent passeport et être entrée en France le 17 mars par Mulhouse, alors qu’elle avait déclaré à la légation suisse venir de Valence, en Espagne. Parallèlement, les policiers apprennent que Guglielmina Kessler reçoit sous le nom de « Mimi » du courrier venant de Yougoslavie et de Bosnie. La suite des démarches administratives la concernant est inconnue…

Après « le début des hostilités » (septembre 1939), Louis Momon n’attire pas l’attention de la police.

Rappelé à l’activité militaire le 1er mars 1940, il est classé “affecté spécial” au titre  de son entreprise.

En mars 1941, Louis Momon effectue un stage de formation au Centre de formation des cadres des camps de Jeunesse de Roissy-en-Brie (Seine-et-Marne) jusqu’a l’obtention d’un diplôme.

Dans la même période, Louis et Yvonne Momon se séparent. Du 5 juillet au 5 septembre suivant, puis du 12 au 25 octobre, Louis Momon habite dans un hôtel au 54, rue Monge (Paris 5e). À partir du 28 octobre et jusqu’au moment de son arrestation, il vit au 44, rue Descartes (Paris 5e). Il est également locataire d’une pièce au 36, rue Monge, où il a remisé ses meubles. Il recevrait fréquemment la visite de Lucie R., née en 1909 à Rodez (Aveyron), employée de PTT demeurant rue Boileau (Paris 16e).

Le 18 mars, les autorités d’occupation effectuent une visite domiciliaire (perquisition) au domicile de Louis Momon, dont la police française ignore les résultats.

Le 28 avril 1942, Louis Momon est arrêté par les autorités allemandes (?) dans l’hôtel où il loge lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée dans le département de la Seine et visant majoritairement des militants du Parti communiste. Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1956.
Au premier plan en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne et, à gauche, l’Oise. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Louis Momon est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Son amie Lucie R. l’aurait aperçu à ce moment-là.

Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandises d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandises
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Louis Momon est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45884 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau – Louis Momon est probablement dans la moitié des membres du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Il meurt à Auschwitz le 21 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique « typhus » (Fleckfieber) pour cause crédible – mais pas forcément véridique – de sa mort.

En octobre 1944, Yvonne Momon, alors domiciliée au 86, rue Olivier-de-Serres (Paris 15e), se rend à la préfecture de police pour solliciter un certificat attestant que son mari a été arrêté par les Allemands le 28 avril 1942, ce qui lui donnera droit à une allocation. Le document ne lui ayant été transmis par son commissariat de quartier comme promis, elle relance sa demande par courrier le 25 janvier 1945. Le certificat est signé un mois plus tard et elle le reçoit le 5 mars, puis une copie le 4 avril.

Le 3 septembre 1947, c’est la mère de Louis Momon, Louise – alors veuve et demeurant chez son fils Jules, 60 ans, domicilié au 74, rue Olivier-de-Serres -, qui sollicite une pension de victime civile en raison de l’arrestation et du décès en déportation de son fils, qui lui venait en aide.

Le 12 avril 1948, la Sûreté nationale demande aux RG d’effectuer des recherches concernant Guillerma Kessler, née le 23 mars 1907 à Fiume (Italie), mais elle est inconnue au casier central.

Avant le 4 avril 1955, Yvonne Momon dépose une demande d’attribution du titre de déporté résistant pour son mari.

Déclaré “Mort pour la France”, Louis Momon est homologué comme “Déporté politique”.

Dans sa commune de naissance, Accolay, son nom est inscrit sur le monument aux morts, situé dans le cimetière communal.

Yvonne Momon décède à Paris 15e le 7 février 1965.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 371 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central).
- Archives départementales de l’Yonne, archives en ligne : état civil d’Accolay, registres d’état civil 1893-1899 (5 Mi 1238/ 127), année 1896, acte n°10 (vue 30/211) ; registre matricule du recrutement militaire, bureau d’Auxerre, classe 1916, n° de 501 à 1000 (1 R 764), matricule 732 (vues 586-588/1290).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1586-56919).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 825.
– Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 23462/1942.
- site Mémorial GenWeb, relevé n° 23590 par Dominique Dumont (11-2004).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 7-06-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

 

Antoine MOLINIÉ – 45883

JPEG - 72.7 ko
Droits réservés.

Antoine, Albert, Paul, Molinié nait le 19 janvier 1894 à Chartres (Eure-et-Loir – 28), chez ses parents, Alexis Molinié, 32 ans, agent de police, et Léontine Martin, 27 ans, sage-femme, son épouse, domiciliés au 8, rue de la Mairie. Antoine a une sœur, Denise, né le 29 mars 1900 à Chartres.

Pendant un temps, Antoine Molinié travaille comme journalier.

De la classe 1914, il est d’abord exempté définitivement pour tuberculose pulmonaire, cachexie. Mais, le 4 octobre 1914, le conseil de révision le classe pour le service armé. Le 5 novembre, Antoine Molinié est incorporé au 129e régiment d’infanterie. Le 17 février 1915, il part aux armées. Le 22 juin suivant, lors d’une tentative de prise du village de Souchez, situé entre les collines de Lorette et de Vimy (Pas-de-Calais), et tenu par les Allemands, il est blessé au visage par un éclat d’obus. Il est évacué.

Aspect de Souchez lors de sa reprise par les alliés. Carte postale (d’après L’Illustration). Coll. Mémoire Vive.

Aspect de Souchez lors de sa reprise par les alliés.
Carte postale (d’après L’Illustration). Coll. Mémoire Vive.

Le 11 décembre 1915, Antoine Molinié est cité à l’ordre de son régiment : « Très bon soldat, donnant toujours le bon exemple ». Il est décoré de la Croix de guerre avec palme et de la Médaille militaire.

Croix de guerre 1914-1918 avec palme.

Croix de guerre 1914-1918 avec palme.

Le 15 février 1916, la commission de réforme de Chartres propose qu’il reçoive une pension de 5e classe pour perte définitive de la vision de l’œil gauche par atrophie papillaire. Le même jour, il est réformé n° 1 par décret ministériel.

Après la guerre, il devient membre de l’Association républicaines des anciens combattants (ARAC), et adhère aussi à l’Association des Mutilés des yeux.

Le 17 septembre 1918, à Rauzan (Gironde), Antoine Molinié épouse Charlotte Andrieux, née en 1896 à Compiègne (Oise). Ils ont une fille, Évelyne, née en 1927 à Nantes (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique 

[1] – 44).

En 1925 et jusqu’au moment de son arrestation, Antoine Molinié est domicilié au 115, boulevard Saint-Aignan à Nantes.

Antoine Molinié travaille comme architecte expert auprès des compagnies d’assurance incendie (L’Urbaine, entre autres). C’est un ami de l’architecte Le Corbusier.

Il milite dans la cellule communiste du quartier de Chantenay (commune annexée à Nantes en 1908). Il s’occupe notamment de l’accueil des réfugiés espagnols pendant et après la guerre d’Espagne.

Sous l’occupation, il poursuit ses activités au Parti communiste, rédigeant et distribuant des tracts et des journaux clandestins.

Le 17 décembre 1940, Antoine Molinié est arrêté une première fois, à la suite d’une lettre de dénonciation anonyme. Après une perquisition à son domicile, il est détenu à Nantes à la prison Lafayette, puis au centre de séjour surveillé du Croisic (44). Il est mis en liberté provisoire le 1er mai 1941, pour raisons de santé.

Le 23 juin 1941 [2], il est de nouveau arrêté, figurant en vingt-sixième place sur une liste de trente « Funktionaere » (“permanents” ou “cadres”) communistes établie par la police allemande (profession « Baumeister »). Avec une vingtaine d’hommes arrêtés dans l’agglomération de Nantes, il est conduit au « camp du Champ de Mars » (la salle des fêtes, également dénommée « Palais du Champ de Mars » ? à vérifier…).

Nantes. La salle des fêtes du Champ de Mars. Est-ce l’endroit où ont été rassemblés les militants arrêtés en juillet 1942 ? Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Nantes. La salle des fêtes du Champ de Mars.
Est-ce l’endroit où ont été rassemblés les militants arrêtés en juillet 1942 ?
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 juillet, Antoine Molinié est parmi les vingt-quatre communistes (dont les dix futurs “45000” de Loire-Atlantique) transférés, avec sept Russes (juifs), au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le lendemain, il y est enregistré sous le n° 1242 (bâtiment A2, chambre 13). Dans ce camp, les communistes mettent en place un Comité des loisirs qui sert également à organiser la solidarité et la Résistance parmi les internés. Antoine Molinié y donne des leçons d’architecture et suit les cours de littérature, d’allemand (donnés par Georges Cogniot) et de breton.

Entre fin avril et fin juin 1942, Antoine Molinié est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Antoine Molinié est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45883 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Antoine Molinié.

Il meurt à Auschwitz le 24 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [3].

Sur les dix “45000” de Loire-Atlantique, il n’y eut que deux rescapés : Eugène Charles, de Nantes, et Gustave Raballand, de Rezé.

Antoine Molinié est déclaré “Mort pour la France” et homologué comme “Déporté politique”, malgré son certificat d’appartenance à la Résistance Française Intérieure.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 18-08-1995).

Notes :

[1] Loire-Atlantique : département dénommé “Loire-Inférieure” jusqu’en mars 1957.

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre.

Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Antoine Molinié, c’est le 5 septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 85 et 86, 127 et 128, 365 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : témoignages de Gustave Raballand et d’Eugène Charles, de Nantes – Questionnaire rempli par sa fille Evelyne, épouse Pécot (19/11/1990) et documents : notification “Mort pour la France” du 10 janvier 1950 ; attestation d’appartenance au Front National pour la libération et l’indépendance de la France 2/10/1946 ; certificat d’appartenance à la Résistance Française Intérieure 20/4/1949.
- Archives départementales d’Eure-et-Loir (AD 28), site internet du conseil général, archives en ligne ; registre des naissances de Chartres pour l’année 1894 (cote 3 E 085/309), acte n° 18 (vue 6/126) ; registre des matricules militaires, bureau de Chartres, classe 1914 (cote 1 R 536), matricule 586.
- Archives municipales de Nantes, site internet : listes électorales 1934-1945 (Med-Oliveau, v. 71), recensement de 1936, canton 6 (v. 133).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 825 (24412/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-09-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Camille MOINET – 45882

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Camille Moinet naît le 3 août 1901 à Laifour (Ardennes – 08), fils de Charles Moinet, cheminot, et de Marie Laloux.

Le 4 septembre 1916, âgé de 15 ans, il est embauché par la Compagnie des chemins de fer de l’Est qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 

[1]. Il est titularisé un an plus tard (?). De 1917 à 1923, il est affecté à Paris.

De la classe 1921, il est d’abord classé dans la cinquième partie de la liste pour « faiblesse ». Néanmoins, le 10 mai 1921, il est incorporé au 154e régiment d’Infanterie. Son registre militaire indique qu’il est plutôt grand pour l’époque : 1 m 76. Le 1er novembre 1922, il est nommé caporal. Le 30 mars 1923, il passe au 18e régiment de tirailleurs algériens. Le 13 juin, il est nommé sergent. Le 7 novembre, il est renvoyé dans ses foyers et se retire à Vaires-sur-Marne (?), titulaire d’un certificat de bonne conduite. À son retour, il entre au service électrique de la Compagnie des chemins de fer de l’Est.

De 1924 à 1928, il est affecté à Joinville-le-Pont (Seine / Val-de-Marne – 94) – comme cantonnier ? -, puis, pendant un an, à Troyes.

Le 19 avril 1924 à Saint-Maur-des-Fossés (94), où il habite, Camille Moinet se marie avec Augustine Gérardin, née le 17 février 1902 dans cette commune. Ils ont deux enfants : Odette, née le 5 octobre 1925 à Saint-Maur, et Claude, né le 24 avril 1933 à Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne – 77).En effet, à partir de 1930, la famille emménage à Vaires. En 1941, Camille Moinet et son épouse habitent au 64, avenue Édouard VII (qui deviendra l’avenue des Fusillés), dans un pavillon dont ils sont propriétaires. Les parents de Camille habitent dans la même avenue un autre pavillon dont ils sont aussi propriétaires.Camille Moinet est alors surveillant au service électrique de la gare SNCF de Vaires-triage, réseau de la région Est.

Vaires. La gare voyageurs de Vaires-Torcy-Noisiel-Brou. Carte postale écrite en 1935. Coll. Mémoire Vive.

Vaires. La gare voyageurs de Vaires-Torcy-Noisiel-Brou.
Carte postale écrite en 1935. Coll. Mémoire Vive.

Il est adhérent au Parti communiste de 1935 à 1938, secrétaire de la cellule des cheminots de Vaires en 1937. Il est inscrit sur une liste présentée par le PCF aux élections municipales dans sa commune.

Dans la même période, il est secrétaire adjoint du syndicat des cheminots de Vaires, qui regroupe 1200 adhérents.

À partir de janvier 1938, Camille Moinet semble abandonner toute activité politique pour se consacrer à la Coopérative des cheminots de Vaires-triage, dont le siège est à Brou-sur-Chantereine, et dont il devient président en mai 1938.

Lors de la déclaration de guerre (3 septembre 1939), il est mobilisé comme “affecté spécial” sur son poste de travail. Il est « démobilisé » le 14 juillet 1940.

Le 17 octobre, le préfet de Seine-et-Marne transmet à la direction de la Sûreté nationale, au ministère de l’Intérieur, en réponse à une circulaire de celle-ci datée du 24 septembre, une liste de « fonctionnaires et agents des services publics mobilisables appartenant au parti communiste et maintenus à leur poste » sur laquelle Camille Moinet est inscrit (19e) parmi les agents SNCF, dépendants du ministère des Travaux publics.

Le 30 novembre, il est appelé à rejoindre les armées. Un mois plus tard, il rejoint le 608e régiment de Pionniers, 1ère compagnie. Le 22 avril 1940, renvoyé à l’intérieur comme deuxième réserve, il est nomméchef comptable à la 23e C. de passage (?) du DI 81 à Dijon (Côte-d’Or). Lors de la débâcle, sur décision de son commandement, il reprend les armes comme « détachement isolé » pour la défense de Thiers (Puy-de-Dôme – 63), participant comme volontaire à un engagement à Saint-Anthème (63) le 20 juin.

Démobilisé dans un “dépôt d’isolés” à Lavaur (Tarn) le 14 juillet 1940, Camille Moinet rentre à Vaires et reprend son emploi à la SNCF le même mois.

Le dimanche 19 octobre 1941, il est appréhendé par « la police allemande » (Feldgendarmerie ?) dans le cadre d’une vague d’arrestations décidée par l’occupant contre des communistes de Seine-et-Marne, pris comme otages en représailles de distributions de tracts et de destructions de récolte – meules, hangars – ayant eu lieu dans le département.

Camille Moinet est rapidement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule n°1781, parmi 86 Seine-et-Marnais arrêtés en octobre (42 d’entre eux seront des “45000”).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Camille Moinet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45882 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Camille Moinet est probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

En effet, à une date restant à préciser, il est admis au bâtiment des maladies internes (Block 28) de l’hôpital des détenus du camp souche (Auschwitz-I).

Il meurt à Auschwitz le 14 janvier 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 27-08-1996).

Notes :

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

 

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 378 et 414.
- Archives départementales des Ardennes (AD 08), site internet du Conseil général, archives en ligne : registre matricule du recrutement militaire, bureau de Mézières, classe 1921 (1 R 348 – n° 1601-1700), matricule 1646 (vues 76-77/162).
- Archives départementales de Seine-et-Marne, Dammarie-les-Lys : cabinet du préfet (cote 3384W7) ; arrestations collectives octobre 1941 (M11409) ; arrestations allemandes, dossier individuel (SC51228) ; notes (SC51241) ; fonctionnaires appartenant au PCF (SC51242).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 824 (2435/1943).
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 1051-1052.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Read More

Joseph MILLERIOUX – (46252 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Louis, Marie, Joseph Millerioux naît le 13 février 1904 à Sainte-Gemme 

[1], à 9 km au nord de Sancerre (Cher – 18), fils de Louis, Marie, Millérioux (né en 1871), journalier, et de Marie Creuzil (née en 1873 à St-Gemme), son épouse, petits paysans domiciliés au lieu-dit la Raimbauderie en 1906. Joseph Millérioux a alors un frère – Clément, né en 1905. Cinq ans plus tard, en 1911, la famille habite à la Fontaine Odon, autre lieu-dit. Clément n’est plus inscrit sur le registre de recensement, mais on y trouve Henri, né en 1907.

Lors de la mobilisation d’août 1914, le départ des hommes – dont son père – en pleine période de travaux des champs, laisse à Joseph Millerioux une impression indélébile (qu’il racontera dans L’Émancipateur du 4 août 1929, sous le nom de Jean d’Églantine).

Dès l’âge de douze ans, il quitte l’école pour travailler comme domestique agricole dans les fermes environnantes, puis à la petite propriété familiale de ses parents obtenue en héritage en 1918.

En avril 1928, Joseph Millerioux adhère au Parti communiste après avoir lu de la littérature communiste. Pendant les années 1928-1929, il milite d’abord dans la cellule de Sury-en-Vaux (Cher) où il est presque seul avec le camarade qui l’a fait entrer au parti.

En 1930, il constitue la cellule de Saint-Gemme, intégrée au rayon (section) de Sancerre, où il réussit à grouper cinq camarades qui le désignent comme secrétaire. En février 1934, il devient secrétaire du rayon de Sancerre. La même année, il est nommé secrétaire du comité régional de la Région Centre. Délégué à la conférence national d’Ivry en juin 1934, il l’est également aux congrès nationaux de Villeurbanne en janvier 1936 et d’Arles en décembre 1937.

Dans le Sancerrois, région de petite paysannerie, l’influence communiste est en baisse : candidat au conseil général en 1931, Joseph Millerioux n’obtient que 1,7 % des suffrages des électeurs inscrits. En 1934, il est candidat au conseil d’arrondissement dans le canton de Vailly. En 1936, aux législatives, il ne recueille que 9,5 % des suffrages des électeurs inscrits. Il est encore candidat au conseil général en 1937.

En novembre 1935, il suit une école nationale paysanne communiste de quinze jours à Draveil. En 1937, il est responsable du Comité des paysans travailleurs de Sancerre, adhérent à la CGPT, écrivant dans L’Émancipateur de nombreux articles sur la situation paysanne.

À la suite d’Émile Lerat, blâmé par la direction du PCF en 1931, Joseph Millerioux demeure le dirigeant du Parti communiste dans le Sancerrois jusqu’à la guerre.

Arrêté en 1941, il est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Au cours de l’automne 1941, son nom figure sur une liste de quarante-quatre otages établie par l’armée allemande en représailles d’actions armées de la Résistance.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Joseph Millerioux est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46252 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté  Joseph Millerioux.Il meurt à Auschwitz le 28 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp [2].

Son nom – avec le prénom Joseph – est inscrit sur le monument aux morts de Sainte-Gemme-en-Sancerrois.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-12-1995).

Notes :

[1] Sainte-Gemme prend le nom de Sainte-Gemme-en-Sancerrois en 1977.

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Joseph Millerioux, c’est le 1er septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 363 et 414.
- Claude Pennetier, notice in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, et site du Maitron en ligne.
- Archives départementales du Cher, site internet, archives en ligne : recensement de population de Sainte-Gemme-en-Sancerrois en 1906 (6M 0174, vue 13/17), et en 1911 (6m 0205, vue 7/17).
- Mémorial de la Shoah, Paris, centre de documentation juive contemporaine (CDJC), liste de 44 otages de la Feldkommandantur 668 de Bourges, 24-10-1941 (cote XLIV-66).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrit, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 815 (25240/1942).
- Site MemorialGenWeb, relevé de Henri Verstaen (08-2007).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 23-05-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Abram MIKLICHANSKY, dit Albert, dit Mickly – (45881 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Abram (Avroum ?) Miklichansky naît le 5 mai 1910 à Novorossiisk, ville portuaire sur la Mer Noire (Russie), fils de Pierre (James) Miklichansky et de Sepie Kititze (Cipil Katz). La famille quitte l’URSS en 1921.

En 1931, Abram dit Albert Miklichansky vit avec ses parents au 42, rue de Chanzy (Paris 13e) et travaille comme tapissier.

Le 5 mars 1931 à la mairie du 13e arrondissement, il se marie avec Rosalie (Rose) Chariton, née le 20 novembre 1910 à Paris 5e, employée de bureau, vivant avec sa mère, veuve, au 19, rue Oudry. Ils auront deux enfants : Danièle, née le 28 mai 1934, et Jacques, né le 20 mai 1936.

Abram dit Albert Miklichansky est naturalisé français le 15 mars 1933.

Au moment de l’arrestation du père de famille, celle-ci est domiciliée dans un logement au 48 bis, rue de la Gare de Reuilly à Paris 12e.

Albert (Abram) Miklichansky, dit Mickly, travaille comme ouvrier tapissier chez un maître-tapissier du Faubourg Saint-Antoine qui sera lui-même déporté.

Adhérent du Parti communiste depuis 1933 (ou 1935, selon les Renseignements généraux de la préfecture de police), trésorier adjoint de la cellule 1929 de la 12e section de Paris-Ville, il est aussi un syndicaliste actif de la CGT, trésorier du Syndicat des tapissiers et délégué au Conseil national. Il participe aux manifestations du Front populaire en 1936 ; notamment au mouvement de revendication des tapissiers en décembre de cette année. Rose, son épouse, partage « ses opinions révolutionnaires ».

Le 20 février 1941, l’inspecteur général de la direction générale de la Sûreté nationale écrit au préfet de police pour lui faire parvenir deux dénonciations anonymes concernant des individus, dont un nommé « Nicky », qui manifesteraient une activité communiste, en lui demandant de lui faire parvenir tous renseignements les concernant (il s’avère que l’autre homme désigné, de Saint-Ouen, est décédé depuis le 27 novembre 1940…).

Selon l’enquête menée par les Renseignements généraux de la préfecture de police sur Albert (Abram) Miklichansky, « il apparaît certain qu’il continue à militer clandestinement en faveur de l’ex-parti communiste. C’est l’avis de plusieurs personnes de son entourage qui n’hésitent pas à déclarer qu’il demeure le chef des milieux révolutionnaires de son quartier ; ce qui semble confirmer en tous points les informations anonymes communiquées. »

Les 1er et 18 mars, les perquisitions effectuées à son domicile n’amènent la découverte d’aucun document ayant trait à son activité clandestine présumée. De même que « plusieurs surveillances exercées à son égard et à des heures variées » ne permettant pas aux policiers de constater sa participation à la propagande du PC clandestin.

Le 15 juillet suivant, à 22 h 45, dans la rue du Sergent-Bauchat (Paris 12e), un gardien de la paix de l’équipe cycliste du commissariat du 12e arrondissement remarque deux individus suspects s’attardant devant chaque immeuble. Après s’être dissimulé afin de les surveiller, il a la certitude qu’ils tracent des inscriptions à la craie sur les murs. À sa vue, les deux militants prennent la fuite. Le policier parvient à appréhender Abram Miklichansky tandis que son partenaire ne peut être rejoint. Interrogé, Abram Miklichansky déclare ne pas connaître celui-ci, mais admet dans un premier temps avoir dessiné des croix de Lorraine et des « V » (un rapport mentionne également des faucilles et marteaux) ; il est trouvé porteur de trois bâtons de craie de différentes couleurs. Mis à la disposition du chef de poste, il est relaxé à 23 h 35 après vérification de son domicile. Un rapport est fourni au commissaire du quartier Picpus et une copie est transmise à l’état-major de la police municipale et à la direction des Renseignements généraux.

Le 17 juillet, après réception du rapport reçu neuf jours plus tôt, l’inspecteur général de la direction générale de la Sûreté nationale écrit au préfet de police pour lui demander quelle mesure celui-ci a « cru devoir prendre à l’égard de l’intéressé, dangereux militant communiste ».

Le 19 juillet, Albert (Abram) Miklichansky est arrêté, probablement par les Renseignements généraux qui procéderaient à un nouvel interrogatoire au cours duquel il nierait avoir dessiné et reproduit des inscriptions sur les murs, alléguant qu’il se sert couramment de craie dans son métier. Puis il est mis à la disposition du procureur de la République pour propagande en faveur d’une nation ennemie en exécution et prescriptions du décret-loi du 20 janvier 1940 et écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Le 18 septembre suivant, la 17e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne à deux mois d’emprisonnement pour infraction aux décrets des 1er septembre 1939 et 20-01-1940. Il a déjà purgé cette peine en détention préventive…

Mais, il n’est pas libéré : dès le lendemain, 19 septembre, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Pendant un temps, il est détenu au dépôt de la préfecture de police (au sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité).

Le 9 octobre 1941, il fait partie des 60 militants communistes (40 détenus venant du dépôt, 20 venant de la caserne des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.
Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 9 février 1942, Albert Miklichansky est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 –Polizeihaftlager). Là, Albert Miklichansky (n° 3541) est affecté au camp des politiques (bâtiment A8).

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle
Sa famille reçoit une petite note d’un camarade qui semble être resté au camp : « Il est parti ce matin 8 juillet 
[sic]. Il a bon moral ».

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Albert (Abram) Miklichansky est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45881, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) : Albert Miklichansky se déclare sans religion (« glaubenslos »), mais l’acte de décès du camp le désigne comme Juif. Selon le témoignage de Roger Abada, les SS lui font porter l’étoile jaune. Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Albert Miklichansky est probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. En effet, Fernand Devaux, ramené vers ce sous-camp, apportera son témoigne sur les circonstance de sa mort.

Albert (Abram) Miklichansky meurt à Auschwitz le 23 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui mentionne pour cause mensongère de sa mort une « faiblesse cardiaque et circulatoire » (Herz- und Kreislaufschwäche). F. Devaux relatera : « abattu par un SS, parce qu’il s’était rebiffé ».

Après son propre retour des camps, Roger Abada écrit à la famille (ou signe une attestation de disparition…) en évoquant le typhus.Albert (Abram) Miklichansky est homologué par la Résistance intérieure française au titre de son action au sein du Front national [1] à compter du 1er juillet 1941, avec le grade d’adjudant.

Il est homologué comme “Déporté politique” en 1963.

Sa veuve, Rosalie, décède le 27 septembre 1979.

Notes :

[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN””, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018)).

 

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 66, 371 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier individuel).
- Danièle Miklichansky, sa fille (courrier 09-2013).
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : état civil du 13e arrondissement, registre des mariages, année 1931 (13M 294), acte n° 282 (vue 17/31).
- Danièle Miklichansky, sa fille (courrier 09-2013).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 747-27237).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 812.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) : acte de décès à Auschwitz (24628/1942), son prénom est orthographié « Abram ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 16-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Go to Top