Louis MOREL – 45896

© Ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen.

© Ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen.

Louis, Joseph, Morel naît le 12 avril 1902 à Besançon (Doubs), chez ses parents, Charles Séraphin Morel, 24 ans, jardinier, et Jeanne, Augustine Convert, 21 ans, son épouse, domiciliés chemin de la Vaite. Louis est leur premier enfant. Le 20 août 1904 naît sa sœur Hélène Jeanne. En 1906, ils habitent au Perron (peut-être une autre dénomination pour le même lieu…) ; Charles Morel est alors ouvrier d’usine à la soierie (les soieries des Prés-de-Vaux, établies sur le bord du Doubs ?). Le 12 août 1907 naît Églantine Eugénie, le 15 octobre 1909 naît Eugène Victor. En 1911, la famille est domiciliée à la Vaite (n° 9) ; Charles Morel est alors employé comme “journalier” à la Compagnie des tramways.

Le 1er août 1914, son père est rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale. Le 9 octobre suivant, il est affecté au 42e régiment d’infanterie territoriale. Le 8 avril 1916, sur le plateau au sud de Nouvion ou Noviant, le soldat de 2e classe a le crâne fracturé par un éclat d’obus. Il succombe à l’ambulance n° 7 du 1er corps d’armée, à Berny-Rivière (Aisne).

Le 22 janvier 1919, selon un jugement du tribunal civil de Besançon, les quatre enfants Morel – dont Louis – sont adoptés par la Nation (“pupilles”).

Au printemps 1921, Besançon, la famille habite au 5, chemin de la Vaite : Jeanne Morel, veuve, est journalière chez Chevalme, rue de la Pernotte, son fils Louis est manœuvre aux Économiques Bisontins (entreprise alimentaire), sa fille Hélène est bonnetière chez Druhen, usine textile rue de la Liberté.

Le 9 septembre 1925, à Salins-les-Bains (Jura – 39), Louis Morel se marie avec Renée Alice (ou Alixe) Cornu, née le 23 mai 1907 dans cette ville. Ils ont une fille, Jeannine, Mathilde, Charlotte, née le 2 février 1926 à Salins.

Au moment l’arrestation de Louis, ils sont domiciliés au 31, rue d’Olivet à Salins, à l’angle de la rue Gambetta. Renée y a repris le café-restaurant de ses parents (lequel n’existe plus en 2021, remplacé par un groupe d’immeubles modernes) ; Louis est chauffeur d’auto.

Salins-les-Bains. Le café-restaurant à l’angle de la rue d’Olivet, à gauche, et de l’avenue Gambetta, à droite. En surplomb à l’arrière plan, le fort Belin. Carte postale des années 1900, collection Mémoire Vive.

Salins-les-Bains. Le café-restaurant à l’angle de la rue d’Olivet, à gauche, et de l’avenue Gambetta, à droite.
En surplomb à l’arrière plan, le fort Belin.
Carte postale des années 1900, collection Mémoire Vive.

En 1938, lors de la crise des Sudètes s’achevant avec les accords de Munich, Louis Morel est brièvement mobilisé. Un professeur de mathématiques de Salins, alors rappelé avec lui, pourra témoigner de « ses sentiments anti-hitlériens ».

Inscrit au Parti communiste avant-guerre, Louis Morel n’y aurait plus d’activité repérable à partir de l’occupation.

Après l’invasion allemande, la ligne de démarcation passe sur la commune d’Arbois, à 12 km au sud-ouest. Louis Morel devient “passeur”. Les personnes souhaitant passer de la zone occupée en “zone libre” – peut-être des prisonniers français évadés -, font étape au restaurant, où ils dorment parfois. Louis Morel assure également du passage de courrier d’habitants de Salins.

En octobre 1940, Louis Morel est arrêté une première fois par les Allemands pour cette activité et condamné à sept semaines d’emprisonnement par un tribunal siégeant à Arbois et écroué dans une prison de cette ville.

Le 26 février 1942, à 6 heures du matin, il est arrêté à son domicile par des Feldgendarmes. Selon un voisin, ceux-ci auraient atteint la fenêtre de leur chambre à coucher au premier étage en se faisant la courte échelle ! Puis, en même temps qu’un docteur-chirurgien de Salins, Louis Morel est conduit en auto au siège de la Gestapo de Besançon, installé dans l’hôtel de Lorraine. Tous deux seraient pris dans une rafle de 65 otages en représailles d’un attentat à la grenade contre des militaires allemands en traitement à l’hôpital de Chalon-sur-Marne. Ils sont ensuite conduits à la prison de la Butte à Besançon, où ils cohabitent huit jours dans une même cellule, avant que son voisin, germaniste, parvienne à obtenir sa propre libération.

Louis Morel est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Depuis ce camp, il écrit deux lettres à l’adresse d’un voisin, dont une est en fait destinée à son épouse ; peut-être une manière de multiplier les courriers.

Entre fin avril et fin juin 1942, Louis Morel est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Louis Morel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le matricule 45896 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Louis Morel se déclare alors conducteur d’auto (Kraftwagenführer). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Louis Morel est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Il est assigné au Block 16 avec d’autres “45000”.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Louis Morel meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942,  selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des inaptes au travail à la suite de laquelle 146 des 45000 sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés 

[1]). Sur cet acte, la cause (sans doute mensongère) mentionnée pour sa mort est « entérite (diarrhée) avec faiblesse corporelle générale » (Darmkatarrh bei Körperschwäche), pouvant indiquer une dysenterie.

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Salins-les-Bains, situé au carrefour des routes départementales 472 et 492.

Depuis la Pologne, une copie de l’acte de décès d’Auschwitz est envoyée relativement tôt (mention du 17 juillet 1946) au Ministère des anciens combattants et victimes de guerre (ACVG).

Le 26 juillet 1946, Renée Morel, épouse de Louis, complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander la régularisation de l’état civil d’un « non-rentré ».

Le 4 octobre 1946, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des ACVG dresse l’acte de décès officiel de Louis Morel « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (à savoir l‘acte de décès du camp) ; aucun camarade rescapé n’a été sollicité afin de donner son témoignage (peut-être explicable par le fait que Louis Morel est le seul “45000” arrêté dans le Jura…).

Le 12 janvier 1948, Renée Morel complète et signe un formulaire du ministère des forces armées pour faire reconnaître l’appartenance de son mari à la résistance intérieure française (RIF). Mais elle ne peut désigner aucun témoin direct de l’activité clandestine de son mari. Le 26 août suivant, la commission régionale – composée de représentants de L’Armée secrète, de Ceux de la Libération, de Libération Nord, des Francs-tireurs et partisans, et du préfet – rend un avis « défavorable pour l’attribution du certificat d’appartenance à la RIF : l’intéressé, qui était “passeur” n’a jamais appartenu à un mouvement de résistance organisé ».

Le 25 novembre 1949, Renée Morel – en qualité de conjointe – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son mari à titre posthume. Mais elle manque toujours de témoignages probants pour appuyer sa démarche, malgré deux enquêtes de gendarmerie (la question sera posée de savoir si l’activité de passeur de son mari était rétribuée…). Le 17 décembre 1951, la commission départementale du Jura des internés et déportés de la résistance (DIR) rend un avis « défavorable à l’unanimité : arrêté comme otage ». Le 26 janvier 1954, le ministère rejette la demande, attribuant à Louis Morel le titre de déporté politique et adresse le jour même à sa veuve la carte DP n° 1116.98915.

Notes :

[1] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 364 et 414.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus, Biuro Informacji o Byłych Więźniach : copie partielle d’un registre des détenus du Block 16, transmis par Sylvie Muller, petite-fille d’Alphonse Mérot, de Chalon-sur-Saône (71).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 828 (31928/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 518 280).
- Site Mémorial GenWeb, relevé de Jacques Baudot (2000-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8-04-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Albert MOREL – 45895

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Albert, Eugène, Morel naît le 12 avril 1897 à Fougerolles (Haute-Saône – 70), chez ses parents, Jules Morel, 30 ans, boulanger, et Marie Stéphanie Duchêne, 27 ans, son épouse, boulangère. Les témoins pour la présentation à l’état civil de Fougerolles sont deux gardes-champêtres de la commune. Lors du recensement de population de 1911, la famille habite le quartier du Charton. Le père est alors devenu livreur chez Debray, la mère est devenue brodeuse, « patronne », certainement à domicile. Albert a alors deux sœurs plus âgées, Juliette, née en 1891, désignée aussi comme brodeuse, Henriette, née en 1893, deux sœurs plus jeunes, Jeanne, née en 1899, Yvonne, née en 1901, et deux frères, Hubert, né en 1904, et Charles, né en 1910.

Après avoir obtenu le certificat d’étude primaire, Albert Morel travaille successivement comme menuisier, vannier, puis livreur.

Le 8 janvier 1916, il est intégré comme 2e canonnier au 107e régiment d’artillerie lourde. Il part aux armées le 5 novembre suivant. Le 1er août 1917, il passe au 106e R.A.L. Le 11 mai 1919, il passe au 115e R.A.L. et, le 1er août, au 278e régiment d’artillerie de campagne. Le 25 septembre suivant, il est mis en congé illimité de démobilisation et se retire chez ses parents, rue du Charton, à Fougerolles, titulaire d’un certificat de bonne conduite. Le 5 août 1921, l’armée le classe dans l’affectation spéciale comme employé permanent de la Compagnie des chemins de fer de l’Est. Il est rayé de l’affectation spéciale le 1er janvier 1923.

En 1931, Albert Morel habite rue Pasteur, à Lure. En juillet 1937 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 70, rue des écoles à Lure (70). Cependant, fin mai 1940, il déclare habiter à Varennes-les-Nevers/Vauzelles, hôtel du Nivernais.

En novembre 1931, il obtient le permis de conduire automobile.

Il est chauffeur.

Le 29 septembre 1938, Albert Morel est rappelé à l’activité militaire (en application de l’article 40 de la loi du 31 mars 1928) et rejoint le 403e régiment DCA (via le centre de mobilisation d’artillerie n° 327). Il est renvoyé dans ses foyers le 8 octobre.

Le 26 août 1939, il est rappelé à l’activité militaire et de nouveau affecté au 403e DCA, 175e batterie (?). Il est renvoyé dans des foyers le 18 novembre suivant, en affectation réservée au dépôt d’artillerie n° 420.

Le 22 juin 1941, Albert Morel est arrêté à l’initiative des autorités d’occupation, parmi vingt-trois militants communistes et syndicalistes de la Haute-Saône

[1] (dont les sept futurs “45000” du département et Georges Cogniot) ; n° 17 sur la liste. Il est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Albert Morel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45895 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Albert Morel est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Il est assigné au Block 16A avec d’autres
En janvier 1943, il est transféré à Birkenau avec René Demerseman.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Le 17 ou 18 mars, ils reviennent au camp-souche avec les dix-sept “45000” rescapés de Birkenau (en tout, 24 survivants sur 600 !).

Affecté au Kommando du Jardin, qui permet au détenus de circuler, Albert Morel fait partie du petit groupe de “45000” qui – sous la direction d’Eugène Garnier – organisent la solidarité avec les “31000”.

En juillet, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août, Albert Morel est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues –
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Albert Morel est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 28 août, il est dans le petit groupe de trente-et-un détenus dont vingt-neuf “45000” transférés au KL [2] Flossenbürg (Haut-Palatinat bavarois, proche de la frontière tchèque) et enregistrés dans ce camp le 31 août.

Le 14 septembre 1944, Albert Morel et Mario Ripa sont transférés au Kommando extérieur de Rochlitz. C’est là qu’ils sont libérés le 7 mai 1945.

Au retour (le 2 juillet 1945), il est un des rescapés qui indique le nombre de 1175 détenus au départ de Compiègne en écrivant à la veuve d’un de ses camarades disparus. Il est le seul rescapé des sept “45000” de Haute-Saône.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Albert Morel décède le 16 août 1955. Il a 58 ans.

Notes :

[1] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total (bilan au 31 juillet), 1300 hommes environ y seront internés à la suite de cette action. Effectuant un tri a posteriori, les Allemands en libéreront plusieurs dizaines. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[2] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 78 et 79, 210, 218, 223 et 224, 346 et 347, 359, 370 et 414.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, copie partielle d’un registre des détenus du Block 16, transmis par Sylvie Muller, petite-fille d’Alphonse Mérot, de Chalon-sur-Saône (71).
- Archives départementales de Haute-Saône (AD70), site internet, archives en ligne : état civil de Fougerolles, année 1897, registre des naissances, acte n° 56 (vue 18/43) ; recensement de population à Fougerolles, année 1911 (vue 53/188) ; registres matricules du recrutement militaire, classe 1917 (RM 192), fiche 969.
- Archives départementales de Côte-d’Or (AD 21), cote 1630 W, article 252 : « arrestations par les autorités allemandes-correspondances ».
- Musée de la Résistance nationale (MRN) de Champigny-sur-Marne (94) : fonds Georges Varenne (photocopies).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 27-06-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Lucien MOREAU – (45894 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Lucien Moreau naît le 10 mai 1922 à Paris 6e, fils de Victor Henri Moreau et de Françoise Boisseau.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 9 ou au 178, rue du Château des Rentiers, ou au 18 rue Brillat-Savarin, à Paris 13e. Il est célibataire (il a 19 ans).

Lucien Moreau travaille comme polisseur sur métaux.

Le 30 janvier 1941, il est arrêté pour propagande communiste, avec Jean Roy et Lucien Borie. Inculpés d’infraction aux articles 1, 3 et 4 du décret-loi du 26 septembre 1939, ils sont conduits au Dépôt de la préfecture de police.

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)

Le lendemain, 31 janvier, la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine condamne Lucien Moreau et Jean Roy à quatre mois d’emprisonnement, et Lucien Borie à dix mois (les trois hommes feront appel le 22 février). Ils commencent à subir leur peine à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Le 12 février, Lucien Moreau et Jean Roy sont transférés à l’établissement pénitentiaire de Fresnes

[1] (Seine / Val-de-Marne).

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 25 mars, la 10e chambre de la cour d’appel de Paris confirme le jugement initial.

Le 30 avril, à l’expiration de leur peine, Lucien Moreau et Jean Roy sont libérés.

Le 28 avril 1942, Lucien Moreau et Jean Roy sont arrêtés chacun à leurs domiciles respectifs lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine, avec le concours de la police française, et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin ayant précédemment fait l’objet d’une procédure judiciaire, avec ou sans condamnation, notamment de jeunes mineurs ayant été remis à leur famille. Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Lucien Moreau et Jean Roy sont sélectionnés avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Lucien Moreau est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45894, selon les listes reconstituées (la photo d’immatriculation correspondant à ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Lucien Moreau.

Il meurt à Auschwitz le 14 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). Il a eut vingt ans à Royallieu.

Notes :

[1] Fresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 372 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier individuel).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” (BA ?).
- Archives de Paris ; greffe correctionnel, 14 janvier-12 février 1941.
- Archives Départementales du Val-de-Marne (AD 94), Créteil : prison de Fresnes, détenus libérés le 30-4-41 (511W 13).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 828 (36182/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 15-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Georges MOREAU – (45893 ?)

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Droits réservés.

Georges, Henri, Moreau naît le 5 juin 1906 à Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux (Seine-et-Marne – 77), fils de Georges Moreau, né en 1874, menuisier, et d’Henriette Delorme, son épouse, née en 1875. Georges a un frère, Félix, né en 1898, et une sœur, Louise, née en 1902.

De la classe 1926, Georges Moreau effectue son service militaire au 32e régiment d’artillerie divisionnaire basé au fort de Charenton, sur la commune de Maisons-Alfort (Seine / Val-de-Marne).

Le 14 juin 1932, à Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux, il se marie avec Madeleine Petit, née le 24 mars 1909 à Versailles (Seine-et-Oise / Yvelines). Ils ont deux enfants : Colette, née le 24 avril 1933 à Saint-Jean, et Jean, né le 26 octobre 1935 à Meaux.

Au moment de son arrestation, Georges Moreau est domicilié avec sa famille au 29, avenue du Maréchal-Foch à Meaux (77), dans un logement locatif de trois pièces.

Il est alors ajusteur-mécanicien à l’usine Meunier (chocolaterie) de Noisiel (77).

Noisiel. La chocolaterie Meunier, sur un bras de la Marne. Carte postale oblitérée en 1960. Coll. Mémoire Vive.

Noisiel. La chocolaterie Meunier, sur un bras de la Marne. Carte postale oblitérée en 1960. Coll. Mémoire Vive.

Militant communiste, il est adhérent de la section communiste de Meaux de 1937 à 1938 (au moins…).

Il reste actif dans la clandestinité après l’interdiction du PCF et sous l’occupation allemande, participant à des diffusions de tracts dans sa ville.

Le 31 janvier 1941, étant « soupçonné de se livrer à la propagande communiste, Moreau Georges 

[est] pris en filature » […] à Vaires-sur-Marne par un inspecteur et un gardien de la paix en civil du commissariat local, « sortant du domicile du nommé Dutertre, militant communiste », ancien secrétaire de la cellule de Torcy. Interpellé vers 18h30 et « invité à exhiber le contenu d’une musette qu’il [porte], on constate [que Georges Moreau est] alors porteur d’une trentaine de numéro du journal “L’Humanité”, d’une quarantaine de tracts intitulés “Rapport du camarade Molotov” et d’une douzaine de brochures intitulées “Vers la réalisation du communisme ». Georges Moreau reconnaît « qu’il devait amener ces tracts à Meaux où il devait les distribuer ». Ces document lui avaient été remis par Germaine Dutertre en l’absence de son mari et sur consigne de celui-ci. Une perquisition opérée au domicile de Georges Moreau ne donne aucun résultat, de même que chez les Dutertre.

Georges Moreau et Germaine Dutertre sont aussitôt placés en état d’arrestation, devant être déférés le 2 février au Parquet de Meaux sous l’inculpation d’infraction au décret du 26 septembre 1939, « portant dissolution du parti communiste ». Robert Dutertre n’est pas appréhendé immédiatement, ayant quitté son lieu de travail, mais son domicile est placé sous surveillance.

Le 7 février, les trois militants sont placés sous mandat de dépôt.

Le 20 février, le Tribunal correctionnel de Meaux condamne Robert Dutertre [1] à quatre mois de prison, et son épouse ainsi que Georges Moreau à trois mois chacun (où sont-ils écroués ?).

À l’expiration de sa peine, prévue le 2 mai suivant, Georges Moreau échappe à un arrêté préfectoral d’internement administratif, mesure que préconise le commissaire central, chef du district de Meaux. En effet, le 15 mars, s’appuyant sur un compte-rendu du commissaire de police de la ville, le sous-préfet préconise seulement un « sévère avertissement », estimant que la condamnation subie par Georges Moreau « lui servira de leçon », sachant que, par ailleurs, « l’intéressé […] ne s’est jamais fait remarquer dans les réunions politiques. Certains membres de l’ancien parti communiste dissous ne le connaissent pas et enfin, le dimanche, il se promenait fréquemment avec sa femme et ses enfants ».

Le dimanche 19 octobre, Georges Moreau est appréhendé par la Feldgendarmerie de Meaux lors d’une vague d’arrestations décidée par l’occupant contre des communistes de Seine-et-Marne, pris comme otages en représailles de distributions de tracts et de destructions de récolte – incendies de meules et de hangars – ayant eu lieu dans le département.

Dès le lendemain, Georges Moreau est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), parmi 86 Seine-et-Marnais arrêtés en octobre (42 d’entre eux seront des “45000”). Il y est enregistré sous le matricule n° 1809, assigné au bâtiment A3.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le 28 novembre, la Feldkommandantur 680 de Melun adresse au chef du district militaire “A” à Saint-Germain-[en-Laye] une liste de 79 otages communistes seine-et-marnais pouvant être proposés pour une exécution de représailles, parmi lesquels Georges Moreau.

Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures et repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Georges Moreau est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45893 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Georges Moreau.Il meurt à Auschwitz le 31 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), indiquant pour cause certainement mensongère de sa mort  « pleurésie » (Rippenfellentzündung).

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 8-03-1997).

Notes :

[1] Robert Dutertre, né le 17 décembre 1903 à Paris 15e, est déporté le 16 avril 1943 dans un transport de 994 hommes parti de Compiègne en direction du KL Mauthausen (matr. 26787). Il survivra à la déportation. Source : Livre-Mémorial de la FMD, I.93.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 378 et 414.
- Archives nationales : correspondance de la Chancellerie sur des procès pour propagande et activité communistes (BB18 7043).
- Archives départementales de Seine-et-Marne, site internet : recensement de 1906, canton de la Ferté-sous-Jouarre (10M414 1906), Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux, vue 246/298.
- Archives départementales de Seine-et-Marne, Dammarie-les-Lys : cabinet du préfet, arrestations collectives octobre 1941 (cote M11409) ; arrestations allemandes, dossier individuel (SC51228).
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste d’otages, document allemand (XLIV-60).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 828.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 26249/1942.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 7-05-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Simon MOREAU – 45903

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Il naît le 24 mars 1903 à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime 

[1] – 76), fils d’Édouard Moreau et de Marie Giner, son épouse.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 34, rue du Vieux-Palais à Rouen ; probablement en hôtel meublé. Il est célibataire.

Il est monteur (dans quel corps de métier ?).

À des dates et pour un motif restant à préciser, il est arrêté puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [2] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Simon Moreau est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45903.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Simon Moreau est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Il est assigné au Block 16A avec d’autres “45000”.

Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des inaptes au travail à la suite de laquelle 146 des 45000 sont inscrits sur le registre des décès en deux jours, probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [3]. L’acte de décès du camp indique cachexie (épuisement) par entérite (diarrhée…), « Kachexie bei Darmkatarrh ».

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail”. Cette opération a commencé en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13. Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 377 et 414.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, copie partielle d’un registre des détenus du Block 16, transmis par Sylvie Muller, petite-fille d’Alphonse Mérot, de Chalon-sur-Saône (71).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 828 (31927/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-08-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Raymond MONTÉGUT – 45892

Raymond, Pierre, Joseph, Montégut naît le 10 septembre 1906 à Bordeaux (Gironde – 33). Il n’a pas de père connu et sa mère, domestique, est obligée de le placer en pension chez des gens peu attentionnés. À huit ans, il travaille déjà.

Serrurier de profession, il travaille à partir de mai 1933 à l’usine Krier et Zivy de Montrouge 

[1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92), où il devient secrétaire de la cellule communiste.

Lors des mouvements pour le Front Populaire, en mai-juin 1936, il organise la grève dans son entreprise, mais en est licencié après celle du 30 novembre 1938.

Il reste au chômage jusqu’à la déclaration de guerre. Il habite alors à la Porte d’Orléans (côté Paris ou côté Montrouge ?).

Il se décrit lui-même comme « un bavard impénitent », surnommé « l’avocat » ou « le député ».

En novembre 1939, il est mobilisé comme sergent-chef au 77e Régiment d’Infanterie, en poste à la frontière de l’Est, secteur de Metz, puis est “affecté spécial” à la Manufacture d’armement de Châtellerault (Vienne) – à l’atelier des gazomètres – à partir de janvier 1940.

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Châtellerault, Manufacture nationale des armes de Vienne.
Carte postale envoyée en 1943. Collection Mémoire Vive.

Il s’installe alors à dans cette ville. Au moment de son arrestation, il est domicilié au 21, boulevard Aristide-Briand à Châtellerault. Il est marié et père de deux enfants.

Sans contact avec les anciens militants communistes ou les militants clandestins de la Manufacture, il crée un groupe clandestin dans son propre atelier.

Le 3 mai 1941, quelques jours après avoir distribué des tracts communistes – qu’il avait amenés de Montrouge en janvier 1940 – il est arrêté à son travail par des policiers français et allemands (selon lui, des renseignements le concernant avaient été transmis par la Sûreté nationale de Montrouge). Il est conduit à la prison de Châtellerault, où il est frappé et interrogé durant six heures. Une perquisition est effectuée dans les vestiaires de son atelier et à son domicile. Ses camarades d’atelier stoppent les machines et alertent Albert Giraudeau, ancien responsable communiste de Châtellerault, membre du Comité d’entreprise de la Manufacture. Celui-ci intervient auprès du général Vergnaud, qui dirige l’entreprise. Raymond Montégut est relâché le lendemain et mis en résidence surveillée après « un nouvel interrogatoire à la Manufacture par des policiers français, flanqués de policiers allemands ».

Le 25 juin 1941, il est de nouveau arrêté, à son domicile, par des soldats allemands et des policiers français [2]. Il est enfermé durant 24 heures à la prison de la Pierre Levée de Poitiers, puis conduit au camp de la Chauvinerie, caserne réquisitionnée par l’occupant (qu’il désignera rétrospectivement et par erreur comme le « camp de Limoges »).

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Poitiers. La caserne de la Chauvinerie, sur le coteau de la Roche.
Carte postale éditée dans les années 1900. Coll. Mémoire Vive.

Bien que les militants clandestins de la Vienne qui y sont rassemblés connaissent les circonstances de sa première arrestation, ils ne l’intègrent pas à leur groupe.

Le 12 juillet 1941, Raymond Montégut fait partie d’un groupe de détenus embarqués à la gare de Poitiers pour leur transfert au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Dans ce camp, Raymond Montégut partage une chambrée avec les internés de la Vienne.

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Il ne retrouve personne avec qui il ait milité avant-guerre dans les organisations syndicales ou antifascistes, mais il se lie « avec tous », notamment René Amand, de Poitiers (considéré comme ami), et « Papa » (Alphonse) Rousseau, de Châtellerault, Louis Thorez, Georges Cogniot, Yves Jahan, Georges Varenne (ces trois derniers étant des intellectuels). S’intéressant « à tout : organisation des loisirs, conférences, théâtre », il est « acteur, chanteur, conférencier, finaliste au jeu de dames et au jeu d’échec. »

Son épouse ayant fait savoir à d’autres femmes d’internés Viennois qu’ils avaient fait baptiser leurs enfants (pour obtenir une aide de Secours national pétainiste), une partie de ses compagnons devient méfiante à son égard et, selon lui, conservera cette défiance jusqu’à la fin de la déportation [3]. Aussi est-il exclu du partage des colis qui se met en place par groupe d’affinité.

Entre fin avril et fin juin 1942, Raymond Montégut est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Dans un premier temps, rapportant un propos rassurant entendu avant le départ, Raymond Montégut suggère aux hommes de son wagon que le train pourrait les emmener au camp de Mourmelon. Une fois passé Châlons-sur-Marne, il faut se résigner : ils vont passer en Allemagne. Avec Alfred Méniens qui a réussi à dissimuler une petite scie égoïne et un autre détenu disposant d’une paire de tenailles, Raymond Montégut essaie alors d’entamer le plancher de leur wagon. Mais, n’étant pas parvenus à leurs fins avant la nouvelle frontière allemande, ils renoncent à leur projet d’évasion. Le train s’arrête à Metz vers 17 heures et y stationne plusieurs heures. Les hommes de son wagon reçoivent alors un peu d’eau. Le train repart à la nuit.

Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant plus ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Raymond Montégut est enregistré à au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45892 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

On les fait attendre dans l’allée principale pendant quatre heures, puis il sont conduit dans un baraquement pour y recevoir une première soupe. À cette occasion, ils peuvent échanger leurs premières impressions : Raymond Montégut discute avec René Amand. Ils sont rejoints par « Papa » (Alphonse) Rousseau, Joseph Carattoni et Yves Jahan qui l’encouragent par des propos optimistes et d’encouragement politique. Puis tous sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos. Le 12 juillet, Raymond Monégut est intégré au Kommando du Kanal, un des plus meurtriers. Mais le Kapo a de la sympathie pour les Français et leur évite le travail le plus pénible.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Raymond Montégut est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Là, il est assigné au Block 22 avec une centaine de camarades, « tous métallos ».

Le lendemain, il fait partie des quatre-vingt “45000” affectés à la Schlosserei (“serrurerie”, travail du fer, ajustage) : « une baraque en bois située à 300 mètres du camp, face au Crématoire (…) seul existant à ce moment-là : on brûlait les cadavres dans de vastes fosses à (Birkenau) ». Une cinquantaine de Francais en est évincée à la suite d’une sorte de test de qualification. Raymond Montégut, lui, parvient à retremper avec succès des burins ébréchés par les détenus polonais et son travail est apprécié. Malgré des conditions de travail relativement moins éprouvantes (à l’abri des intempéries), sur les 33 Français restant, 18 succombent avant la fin de l’année.

Après le transfert du camp des femmes d’Auschwitz-I vers Birkenau, le 8 août 1942, les Blocks qu’elles quittent sont redistribués après désinfection des locaux et… des détenus. Les ouvriers du Bâtiment de toutes nationalités sont rassemblés au Block 8A, mais les Français sont refoulés au grenier par le chef de Block. Ils y restent une huitaine de jours avant d’être assigné au Block 15A, de nouveau dans un grenier où il leur faudra passer l’hiver sans chauffage (avec des nuits à – 15 °C). Raymond Montégut se lie plus particulièrement avec Auguste Monjauvis, de Paris 13e, connu avant-guerre dans le mouvement syndical. Bientôt René Petitjean se joint à eux.

Entre la mi-octobre et le début novembre – provisoirement affecté au déchargement d’un train de pommes de terres à la gare de marchandises d’Auschwitz (un Kommando très meurtrier, en fait) – il est témoin direct du processus de sélection des familles juives à leur descente des convois.

Les caves des Blocks étant remplis de pommes de terre, il tente une expédition de “reprise individuelle” avec Auguste Monjauvis. Mais sans succès : celui-ci se fera prendre et molester. Pendant l’hiver 1942-1943, Raymond Montégut peut fabriquer de petites serrures pour les placards des détenus privilégiés. Il partage ce petit trafic avec Auguste Monjauvis, et leur groupe s’agrandit avec René Petitjean et le jeune Robert Lambotte. La considération qu’il y gagne permet un temps à Raymond Montégut « d’entrer comme laveur de vaisselle et balayeur de plancher dans une chambre de caïds polonais. »

Au printemps 1943, le Block 15 – « Block des ateliers » – étant celui où se trouvent rassemblés le plus de Français, l’espace situé devant l’entrée devient le lieu de rendez-vous de leur « petite colonie ».

En juillet 1943, comme les autres détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”), Raymond Montégut reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.

À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage duBlock 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I.
Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Quand les colis arrivent, Raymond Montégut participe à un groupe de partage avec Auguste Monjauvis, René Petitjean, Georges Brumm et Henri Mathiaud, rejoints plus tard par Roger Bataille.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

En février 1944 – avec Robert Lambotte, Camille Nivault et Lucien Penner – Raymond Montégut est transféré au KL [4] Buchenwald parmi plusieurs dizaines de détenus de toutes nationalités, afin de répondre à un besoin de main d’œuvre de la SS.

Après leur arrivée, le 23 février, ils sont affectés dans des ateliers dépendant encore de la DAW. Assignés au Block 14, C. Nivault, Raymond Montégut et L. Penner restent au même poste de travail jusqu’à la libération du camp. Là, Raymond Montégut commence à écrire le récit de sa déportation à Auschwitz au verso de formulaires de l’administration SS du camp.

Il rend visite à son camarade de Châtellerault, Charles Limousin, au Revier, la veille de la mort de celui-ci (30 mars 1945).

Raymond Montégut participe à l’insurrection armée du camp – libéré le 11 avril 1945 – et regagne la France le 6 mai.

À son retour, il fonde une entreprise artisanale de serrurerie à Champagne-sur-Seine (Seine-et-Marne – 77). Il est l’un des organisateurs d’une manifestation du Souvenir de la Déportation, en février 1965.

Il prend sa retraite dans la Nièvre, à Bonneuil-Matours (à vérifier…).

En 1973, son livre Arbeit macht Frei (publié à compte d’auteur, voir les sources) est accueilli par ses anciens compagnons de déportation avec certaines réticences car, s’il comporte de précieux renseignements, il recèle aussi des « jugements injustes » à l’encontre de ses camarades.

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Roger Arnould, documentaliste de la FNDIRP, qui l’a connu à Buchenwald, le dépeint comme un homme sensible, écorché vif, se croyant toujours rejeté par les autres.

Raymond Montégut décède à Châtellerault le 23 janvier 1978.

Notes :

[1] Montrouge : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré par la Wehrmacht et réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich”.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[3] Les trois « 45000 » de la Vienne ayant survécu au camp d’Auschwitz sont Louis Cerceau, Maurice Rideau et Charles Limousin, ce dernier succombant au KL Buchenwald quelques jours avant la libération du camp. R. Montégut évoque plusieurs confrontations avec lui concernant le partage de cigarettes.

[4] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Raymond Montégut, Arbeit macht Frei, Éditions du Paroi (imprimeur), juin 1973, Recloses, 77-Ury, 349 pages. DLE-20050117-2829. – 940.531 7438092 (21).
- Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 37, page 44 (article de Claude Pennetier).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 379 et 4XX.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Deux-Sèvres et de la Vienne (2001), citant : Correspondance avec Roger Arnould, à propos de son ouvrage (1972, 1973, 1979) – Correspondance entre R. Arnould et Maurice Rideau.
- État civil de la mairie de Bordeaux.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-03-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

André MONTAGNE – (45891 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

André Montagne naît le 30 octobre 1906 à Baulieu-sur-Dordogne (Corrèze – 19), fils d’Émile Montagne, 36 ans, meunier, et d’Antoinette Chaux, 34 ans, son épouse. André a un frère aîné, Auguste, né le 5 octobre 1902 à Meymac (19).

En 1931, André Montagne habite avec ses parents dans le quartier de La Goutte du bourg de Saint-Angel (19), travaillant avec son frère comme ouvrier agricole pour leur père, propriétaire exploitant.

La même année, André emménage au 9, rue Martinval à Levallois-Perret (Seine / Hauts-de-Seine). Il est devenu employé du Métro (Chemin de fer métropolitain de Paris – CMP) à Paris 12e.

Le 30 juin 1934 à Saint-Angel, André Montagne se marie avec Marie Jeanne Patient, fille mineure, née le 15 novembre 1915 à Saint-Hilaire (19), peut-être au lieu dit Chambon. Ils n’auront pas d’enfant.

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, André Montagne est domicilié au 14, rue du Président-Wilson à Levallois-Perret

[1].

André Montagne est membre du Parti communiste.

Lors de l’exode, avec son épouse, ils vont se réfugier dans la famille de celle-ci, habitant toujours en Corrèze.

Rappelé pour son travail, André Montagne revient seul à Paris, Jeanne restant chez ses parents.

Dans la nuit du 8 au 9 octobre 1940, il est arrêté à Levallois, par des agents du commissariat de police de la circonscription, au moment où il glisse des tracts communistes sous les portes. Pris est en possession d’une quarantaine de « factums », il est conduit au dépôt de la préfecture de police. Dans la même affaire sont pris Aimé Doisy et Germain Feyssaguet, de Levallois. Inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939, André Montagne est écroué en détention préventive à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)

Le 15 octobre, la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine condamne André Montagne, Aimé Doisy et Germain Feyssaguet à quatre mois d’emprisonnement chacun pour « propagande communiste clandestine ».

Le 28 octobre, les trois hommes sont transférés à l’établissement pénitentiaire de Fresnes [1] (Seine / Val-de-Marne).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

À l’expiration de leur peine, le 10 janvier 1941, ils ne sont pas libérés, mais restent consignés sur ordre de la préfecture. Le 25 janvier, le préfet de police «  fait connaître » au président du Conseil d’administration de la STCRP qu’il a « fait application du décret du 18-09-1939 à » André Montagne.

Le 17 janvier, celui-ci a fait partie des 24 militants communistes conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Val-d’Oise – 95), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes ou syndicalistes avant-guerre.

Centre de séjour surveillé d’Aincourt. Plan de l’enceinte montrant les points d’impact après le bombardement par un avion anglais dans la nuit du 8 au 9 décembre 1940. © Arch. dép. des Yvelines (1W71).

Centre de séjour surveillé d’Aincourt. Plan de l’enceinte
montrant les points d’impact après le bombardement
par un avion anglais dans la nuit du 8 au 9 décembre 1940.
© Arch. dép. des Yvelines (1W71).

Le 6 septembre, il est parmi les 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (centre de séjour surveillé – CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le 9 février 1942, il est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmen à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, André Montagne est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, André Montagne est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45891, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté André Montagne.

Il meurt à Auschwitz le 21 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2].
À Levallois, les listes électorales de 1945 indiquent : « Déporté. À maintenir sur les listes ». Une mention a été ajoutée ultérieurement : « Serait déporté, sans nouvelles ». Il ne figure plus sur les listes électorales de 1946. Son décès est enregistré en décembre 1947.

Le 26 juin 1946, Jeanne Montagne, alors domiciliée chez Arnaud Bouchez à Eygurande (19), écrit à un ministre (non précisé), pour signaler qu’elle n’a rien touché depuis l’arrestation de son mari. Ne pouvant payer le loyer du logement de Levallois-Perret, « ma propriétaire veut me faire payer le loyer ou me faire vendre mes meubles (…) J’ai fourni au métro un certificat de non-divorce et de non-séparation de corps, et une attestation comme quoi je n’ai jamais touché d’allocation. J’ai fourni ces pièces depuis 8 mois et je ne reçois rien. Dans l’espoir que vous voudrez bien m’aider dans cette affaire. » Le 12 septembre suivant, Clément Chausson, alors député de Corrèze à l’Assemblée nationale constituante, joint la lettre de Jeanne Montagne à son deuxième courrier adressé au directeur de l’état civil recherches du ministère des anciens combattants et victimes de guerre. Le 4 octobre, ce fonctionnaire répond au député que son ministère ne possède aucun renseignement concernant André Montagne dans ses fichiers, et qu’il envoie à Jeanne Montagne un formulaire à compléter afin de régulariser la situation de l’état civil de son mari. Un peu plus tard, celle-ci complète le formulaire de “demande formulée en vue d’obtenir la régularisation de l’état-civil d’un non-rentré”. Elle y précise qu’elle n’a plus reçu aucun signe de vie de son mari – qu’elle qualifie comme « déporté politique » – depuis sa déportation en Allemagne le 6 juillet 1942. Dans la même période, elle écrit : « Messieurs, cela m’est impossible de vous donner des témoins du jour de l’arrestation de mon mari. On se trouvait tous les deux près de ma famille en Corrèze ; comme mon mari a été rappelé par son travail, il a été obligé de se rendre à Paris et c’est à ce moment-là qu’il a été arrêté ; et moi je suis resté près de ma famille et je ne puis vous donner aucun renseignement. »

Le 13 février 1947, le ministère des ACVG n’établit qu’un simple “acte de disparition”, qui semble être envoyé… à la mère d’André Montagne, à Saint-Angel. Le 20 juin suivant, n’ayant pas reçu de nouvel élément d’information, le ministère écrit au procureur de la République du tribunal de 1re instance de la Seine pour lui laisser le soin de prononcer une déclaration judiciaire de décès du seul fait de la disparition et du non-retour d’André Montagne au 1er juillet 1942 (sic).

Au cours de l’été, Jeanne Montagne s’adresse au Comité des œuvres sociales de la Résistance de Corrèze (COSOR) afin de solliciter un secours. Le 18 août, l’organisation demande un document officiel de décès au ministère des ACVG afin d’établir un dossier.

Le 20 septembre 1947, André Faudry, de Saint-Maur-des-Fossés (Seine / Val-de-Marne), rescapé du convoi, rédige et signe une attestation certifiant qu’André Montagne « est décédé fin 1942 » à Auschwitz. Le 3 novembre suivant, Lucien Penner, de Vanves, autre rescapé, signe une autre attestation rédigée dans des termes identiques.

Ensuite, à quatre reprises – les 5, 10 et 26 novembre, le 17 décembre -, Jeanne Montagne sollicite l’acte de décès officiel concernant son mari.

Par ailleurs, la demande antérieure de la mère d’André Montagne a suivi son cours : le 14 novembre 1947, le tribunal civil de 1re instance de la Seine déclare que son fils est décédé « à Compiègne (Oise) le 6 juillet 1942 », jugement devant tenir lieu d’acte de décès et être transcrit sur les registres de Levallois-Perret.

Le 18 décembre 1947, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des ACVG dresse l’acte de décès officiel d’André Montagne « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (les attestations de Faudry et Penner) et en fixant le lieu à Auschwitz et la date « postérieurement au mois de juillet ». Le 6 janvier 1948, l’acte de décès est transcrit sur les registres d’état civil de Levallois-Perret

Le 11 février 1949, à la mairie de Levallois-Perret, c’est le jugement déclaratif qui est transcrit. Peu après, le service de l’état civil de cette commune s’inquiète auprès du ministère : « Veuillez trouver ci-joint la transcription et le jugement déclaratif de Monsieur Montagne André. Le lieu du décès est différent. Que devons-nous faire ? » Le 1er juin suivant, le ministère écrit au maire de Saint-Angel pour lui signaler que l’acte de décès qu’il a établi a été transcrit sur les registres de Levallois-Perret.

Le 5 mars 1952, Jeanne Montagne – en qualité de conjointe – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté politique à son mari à titre posthume. La commission départementale rend un avis favorable le 19 février 1953. Le 17 novembre 1954, le ministère décide l’attribution du titre sollicité et transmet la carte DP n° 1187 0347 au délégué interdépartemental à Limoges.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès d’André Montagne (J.O. du 19-02-1997) ; constater l’existence de deux transcriptions entraîne sans doute la démarche administrative suivante…

Le 4 novembre 1998, le secrétariat d’État aux anciens combattants écrit au procureur de la République près le tribunal de grande instance, à Paris : « Le 14 novembre 1947, le tribunal de votre siège a rendu un jugement déclaratif de décès au nom de Monsieur André Montagne. Aux termes de ce jugement, Monsieur Montagne étant déclaré décédé le 6 juillet 1942, date de son départ en déportation, à Compiègne, ce jugement fut transcrit le 11 février 1949 sur les registres d’état civil de la mairie de Levallois-Perret. Or, mes services avaient précédemment dressé au nom de l’intéressé un acte de décès, transcrit à cette même mairie le 6 janvier 1948, fixant le décès à Auschwitz (Pologne), postérieurement au mois de juillet 1942, conformément au témoignage de deux co-détenus (pièces jointes). Le jugement du 14 novembre 1947 ne peut donc qu’être annulé. »

À Levallois, le nom d’André Montagne n’est inscrit  sur aucun monument commémoratif.

Notes :

[1] Levallois-Perret : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 383 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2002), citant : Archives municipales de Levallois-Perret – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national).
- Archives départementales du Val-de-Marne (AD 94), Créteil : archives de la prison de Fresnes, maison d’arrêt, registre d’écrou 148 (2742w 15), n° 3958.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, communistes fonctionnaires internés… (BA 2114) camps d’internement… (BA 2374) ; registre des affaires traitées par la BS 1 1939-1941 (G B 29).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 826 (36904/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 p 517 817), relevé de Ginette Petiot (avril 2016).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-05-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

André MONTAGNE – 45912

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(droits réservés)

André, René, Montagne naît le 17 septembre 1922, à Boussois (Nord – 59) ; il a une sœur.

Au moment de son arrestation, il habite chez ses parents, au 13, place de l’Ancienne Comédie, au deuxième étage, à Caen (Calvados – 14).

Son père, Marcel Montagne, qui s’est approché du Parti communiste après les accords de Munich en 1938, est dirigeant syndical CGT (trésorier) à la SMN (Société métallurgique de Normandie), à Mondeville. Après la grève du 30 novembre 1938 pour la défense des acquis du Front populaire, il est licencié et la famille – chassée du logement de la cité de Giberville – s’installe à Caen à la fin de l’hiver.

Enfant, André Montagne va à l’école primaire de la SMN, où il a pour institutrice l’épouse du docteur Pecker, puis à l’École primaire supérieure (EPS) Gambetta, 72 rue de Bayeux à Caen, de 1935 à 1939, où il a Emmanuel Desbiot (voir ce nom) comme professeur d’anglais.

Du 13 septembre 1939 au 10 juillet 1940, il est embauché comme auxiliaire des Postes, à Caen-gare, où il rencontre des employés membres des Jeunesses communistes. Puis il travaille comme électricien avec son père, devenu artisan. En accompagnant celui-ci au syndicat des métaux, il rencontre, entre autres, Eugène Cardin, secrétaire du syndicat pour la région de Caen.

Au début de l’occupation, son père, Marcel Montagne, est convoqué et contrôlé par la Gestapo.

André Montagne est alors membre actif des Jeunesses communistes clandestines.

Le 28 janvier 1941, il est arrêté à son domicile, par la police de Caen. Inculpé, avec sept de ses camarades (dont Joseph Besnier, Raymond Guillard et Pierre Rouxel), pour reconstitution de ligue dissoute, propagation des mots d’ordre de la IIIe Internationale, détention de tracts et collage de papillons, André Montagne subit sa détention préventive à la prison de Caen. Le 14 mars, il est condamné à huit mois de prison et envoyé à la Maison d’arrêt de Lisieux (14). Il en est libéré le 31 juillet 1941.

Le 1er mai 1942 vers 23 h, André Montagne est arrêté une seconde fois à son domicile, par un inspecteur accompagné d’agents de ville et un Feldgendarme, à la suite du déraillement du train Maastricht-Cherbourg 

[1]. Avant de le conduire au commissariat central, ceux-ci passent arrêter le docteur Pecker (voir ce nom), comme otage juif, à son domicile voisin, au 44 rue des Jacobins (la maison de celui-ci deviendra le siège de la Gestapo à Caen).

Au commissariat, rue Auber, André Montagne retrouve des militants qu’il connaît : des camarades des Jeunesses communistes, Joseph Besnier, Raymond Guillard, et des syndicalistes, dont Eugène Cardin, René Blin, secrétaire du syndicat des agents hospitaliers, François Stéphan, des comités de chômeurs. Avant la fin de la nuit, les détenus sont transférés à la Maison centrale de la Maladrerie (le « bagne »), à Beaulieu, quartier de Caen, où ils sont d’abord entassés dans les cellules punitives du “mitard”, au sous-sol. Ils sont inquiets car ils savent que des otages ont déjà été extraits de la prison pour être fusillés au champ de tir du 43e régiment d’artillerie (quinze, le 15 décembre 1941…). André Montagne est conduit, avec un autre détenu, à la Maison d’arrêt de la ville, située à proximité de la Maison centrale.

Le 3 mai en fin d’après-midi, remis aux autorités d’occupation, les hommes arrêtés sont conduits, sous forte surveillance française et allemande, en autocars ou en voitures cellulaires, vers le “petit” lycée, où sont regroupés les otages venant de différentes villes et villages du Calvados. Ils sont interrogés.

Le 4 mai en début d’après-midi, après avoir été informés par un sous-officier allemand qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés, certains peuvent rencontrer brièvement familles et amis. Ils sont ensuite transportés en cars et camions à la gare de marchandise de Caen, où leurs proches peuvent encore entrevoir certains d’entre-eux. Depuis le wagon à bestiaux où il est déjà monté, André Montagne aperçoit son père, venu à bicyclette, qui est repoussé par un soldat allemand. Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60) où il arrive le lendemain soir. Dans ce camp, André Montagne est en contact, entre autres, avec Marcel Nonnet, un cheminot qu’il perdra de vue à Birkenau.

Entre début mai et fin juin 1942, André Montagne est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

 

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le 8 juillet, à la descente du convoi à Auschwitz, les SS sont nombreux, brutaux. André Montagne est violemment frappé sur le nez (il saigne). Il est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45912 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard, au cours de l’année 1943).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel André Montagne se déclare électricien de métier, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – André Montagne est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Ayant passé avec succès un test technique, il est affecté au Kommando Elektriker, avec Maurice Le Gal et Jean-Antoine Cortichiatto, dit “Napoléon”. Dans le Block 22 A qui leur est assigné, il partage un châlit avec ce dernier.
Fin août-début septembre, avec M. Le Gal, ils installent à Birkenau une ligne destinée à alimenter en énergie électrique le chantier de construction d’un nouveau bâtiment : ils apprendront plus tard qu’il s’agit du Krematorium III.
Le 22 décembre 1942, atteint d’une double broncho-pneumonie, André Montagne entre au Revier (l’infirmerie) sous la protection de la Résistance intérieure du camp, le “Comité international”, créé par des communistes autrichiens et allemands. Il est caché au Block 28, où se trouve le secrétariat du Krakenbau. Mais les médicaments sont rares et les médecins SS désignent, lors de “sélections” régulières, les plus malades pour être tués par piqûres de phénol dans le cœur ou dans les chambres à gaz de Birkenau [2]. Dans ces périodes de danger, André Montagne est descendu dans la cave du bâtiment, qui sert de morgue. Finalement conduit au Block 20, il guérit de ses problèmes pulmonaires.
Mais, à la mi-janvier, il contracte le typhus avec une très forte fièvre qui dure entre dix et quinze jours.
Une fois guéri, début mars 1943, il devient infirmier grâce à l’influence de Hermann Langbein, secrétaire du médecin chef de la garnison SS, et l’un des dirigeants du Comité international de Résistance. Considéré comme tuberculeux, il est affecté à ce type de malades. Sa mission officieuse est de tenter de soigner plus particulièrement ceux qui parlent français, et de les soustraire aux « sélections » (à l’autre étage du bâtiment, Georges Guichan, de Montreuil, assume la même responsabilité). Mais plusieurs “45000” atteints de tuberculose pulmonaire passent par le Block où est affecté André Montagne sans qu’il puisse rien faire pour eux. Le 15 mars, il assiste à la mort d’Adolphe Vasnier, un ouvrier métallurgiste de Caen, sur un lit voisin : il lui ferme les yeux, le déshabille et inscrit son numéro matricule sur sa poitrine au crayon (cela se passe avant que le tatouage systématique ait pu être appliqué à tous les détenus). Ensuite, il prend en charge plusieurs camarades qui mourront plus tard dans ce Block : Robert Blais (mort le 16 septembre 1943), Marius Vallée (le 26), Raymond Balestreri, revenu épuisé de Birkenau (mort le 26 octobre), Raymond Langlois (mort le 11 novembre).
Lorsque André Montagne peut écrire chez lui, à partir du 4 juillet 1943, sa première lettre (arrivée le 19) soulève une grande émotion à Caen parmi les familles d’otages déportés en relation avec ses parents.
À la mi-septembre 1943, il doit quitter son poste au Revier pour rejoindre les “45000” survivants, regroupés – pour la plupart – en “quarantaine” au Block 11. Il fait équipe avec des camarades de l’Est : Giobbe Pasini, Albert Morel et Antoine Vanin, un ancien mineur parti dans les Brigades internationales.
Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I.
Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Au début du printemps, il est le premier Français à être affecté au PacketStelle, un Kommando où il n’y avait jusque-là que des détenus polonais. Ce “service des paquets” réceptionne et distribue les colis destiné aux détenus. Les paquets des morts sont ouverts et leur contenu envoyé soit au Revier, soit aux cuisines. Ce poste, obtenu par le Comité international de résistance, permet de redistribuer clandestinement médicaments et nourriture.

Au moment des transferts de l’été 1944, une piqûre faite par un camarade autrichien, Franz Danimann, déclenche une forte fièvre qui écarte André Montagne des listes de partants. Il est admis au Revier, où il fait la connaissance du poète Benjamin Fondane. Celui-ci est pris dans une grande sélection à la fin septembre pour être gazé : à l’approche du front, il s’agit d’éliminer les détenus qui ne pourraient pas supporter une longue marche.

Après avoir échappé à un nouveau transfert, début octobre 1944, André Montagne est désigné comme Blockschreiber (secrétaire) au premier étage du Block 7 ; il est chargé d’y dresser et de tenir à jour la liste des détenus. Georges Guinchan, un autre déporté de son convoi, partage avec lui cette fonction au rez-de-chaussée du même Block. Remplaçant des cadres Polonais qui ont été transférés vers les camps de l’Ouest à l’approche des armées soviétiques, ils encadrent des détenus allemands (Reichsdeutsch). Leurs nominations ont été favorisées par la Résistance.

Le 30 décembre 1944, à la fin de l’appel du soir, André Montagne assiste – au premier rang des détenus, avec les Allemands de son Block – à l’exécution par pendaison de cinq dirigeants de l’organisation de résistance du camp (trois Autrichiens, deux Polonais) arrêtés à la suite d’une évasion manquée, parmi lesquels certains avec qui il avait été clandestinement en contact : Rudolf Friemel, Ernst Burger.

Le soir du 18 janvier 1945, dans la nuit, avec Georges Guinchan, André Montagne fait partie d’une colonne de 2500 détenus évacués d’Auschwitz-I, d’abord trois jours à pied dans une « marche de la mort », traversant le Sud de la Silésie jusqu’à Wodislaw.

Puis, le 22 janvier, les survivants continuent en train, sous la neige, dans dix wagons découverts. Traversant la Tchécoslovaquie, ils sont dirigés sur le KL Mauthausen, près de Linz en Autriche, où ils arrivent le 25 janvier.

Mauthausen. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Mauthausen. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

André Montagne y reçoit le matricule 118108 et est transféré successivement vers plusieurs camps annexes : le 28 ou le 29 janvier à Melk, puis à Gusen 1 (mars) et Gusen 2 (avril), où il travaille dans une usine souterraine fabriquant les éléments de carlingue d’un avion à réaction, le Messerschmidt 262.

L’armée américaine les libère le 5 mai 1945.

Après un trajet de 400 km – un camion de la première armée française à travers la Bavière, un wagon de marchandises, puis, enfin, un train de voyageurs qui passe la frontière vers Longuyon – André Montagne parvient à Paris, Hôtel Lutétia. À son arrivée, il est interpellé par Jean-Antoine Cortichiatto, mais ils se perdent immédiatement de vue.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

André Montagne retrouve ses parents dans l’Orne. Ceux-ci ont été évacués au moment des bombardements alliés sur l’agglomération de Caen accompagnant le débarquement à partir du 6 juin 1944 ; leur appartement est inhabitable.

Faisant partie des huit rescapés du Calvados (sur 80), André Montagne informe spontanément certaines familles du sort de leurs proches (Colin, Pecker, Nonnet…). Le Comité de libération de Bayeux le sollicite également, le 18 juillet 1945, pour connaître le sort d’Assier, Bigot, Cadet, Duchemin, Lacroix, Lecarpentier et Morin.

André Montagne reste dans l’Orne, où il reprend ses activités militantes, séjourne quelques mois à Caen, puis part s’installer à Paris à Paris en octobre 1946.

Il reçoit la carte de “Déporté politique”, puis, ultérieurement, celle de “Déporté Résistant”.

Le 26 avril 1946, Les Lettres Françaises, mensuel culturel publié sous l’égide du PCF, publient son article : La mort de Benjamin Fondane.

Le 20 juin 1975, André Montagne est l’auteur d’un article sur le convoi du 6 juillet 1942 publié dans le quotidien Le Monde.

À partir de 1982, il multiplie ses activités au service de la mémoire de la déportation à Auschwitz. Durant les années 1980, il est secrétaire général-adjoint de l’Amicale d’Auschwitz. Entre 1984 et 1993, il devient également vice-président du Comité International d’Auschwitz.

Il sollicite David Badache, qui vit à Caen, pour l’installation d’une plaque rendant hommage aux otages caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942 avant leur transfert à Compiègne. Celle-ci fut inaugurée le 26 avril 1987, en correspondance avec le 45e anniversaire de cette rafle.

© Mémoire Vive 2019.

© Mémoire Vive 2019.

Avec Fernand Devaux, Lucien Ducastel et Georges Dudal, André Montagne fonde l’association Mémoire Vive des convois des “45000” et “31000” d’Auschwitz-Birkenau, dont les statuts sont déposés en 1996.

En 2004, il est fait chevalier de la Légion d’honneur.

André Montagne décède dans son sommeil au matin du 12 mai 2017, âgé de 94 ans. Son corps a été incinéré au crématorium du cimetière du Père-Lachaise (Paris 20e).

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés, au Mont-Valérien (Seine / Hauts-de-Seine) pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, pages 5-7, 19, 30-31, 38-39, 41, 57, 60, 61, 66, 69, 76, 78-79, 84-85, 91, 97.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 109, 114, 122, 150 et 153, 174, 182, 202, 210, 239, 242, 243, 262, 290, 295 et 296, 299 et 300, 316 et 317, 320, 359, 361 et 414, citant André Montagne, entretiens, février 1990.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 475, 476, 478, 484 et 485.
- Cl. Cardon-Hamet, message du 28-06-2017.
- Journal de Lucien Colin, publié en 1995 par les archives départementales et le conseil général du Calvados dans un recueil de témoignages rassemblés par Béatrice Poule dans la collection Cahiers de Mémoire sous le titre Déportés du Calvados (pages 60-80) ; note n° 15 page 77.
- Jean Quellien (1992), sur le site non officiel de Beaucoudray, peut-être extrait de son livre Résistance et sabotages en Normandie, paru pour la première fois en 1992 aux éditions Charles Corlet.

André MONTAGNE et Mémoire Vive

(dernière mise à jour, le 28-06-2017)

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Maurice MONRÔTY – (45890 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Maurice, Edmond, Eugène, Monrôty naît le 10 mars 1920 à Boulon (Calvados – 14), fils d’Henri Monrôty, 37 ans, et d’Augustine Joséphine Leroux, 33 ans. À sa naissance, Maurice a déjà une sœur, Henriette, née en 1915. Puis Denise naît en 1923, toutes deux à Boulon.

En août 1925, la famille est installée au 33, rue des Escalettes à Dives-sur-Mer (14). Le père travaille alors comme maçon, mais, en 1931, il sera ouvrier d’usine à l’« Électro », la Société générale d’électrométallurgie, fonderie de cuivre et autres alliages, unique industrie de la commune au bord de la Dives.

Dives-sur-Mer, l’usine entre la ville, Cabourg au loin et la mer. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Dives-sur-Mer, l’usine entre la ville, Cabourg au loin et la mer.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Jeannine naît en 1928 et Henri en 1932, tous deux à Dives.

Leur père décède à Dives le 16 mars 1933, âgé de 50 ans.

Jusqu’au moment de son arrestation, Maurice Monroty habite le domicile familial. En 1936, âgé de 16 ans, il est déjà ouvrier à l’« Électro ».

Le 2 mai 1942, Maurice Monroty est arrêté par la police française. Inscrit comme “communiste” sur une liste d’arrestations exigées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du deuxième déraillement d’un train de permissionnaires allemands à Moult-Argences (Airan) 

[1], il est amené à la Maison d’arrêt de Pont-l’Évêque.

Il est certainement parmi les détenus qui sont passés par le “petit lycée” de Caen avant d’être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le lendemain, 5 mai, en soirée. Maurice Monroty y est enregistré sous le matricule 5241.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Maurice Monroty est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 45890, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Maurice Monrôty.

Il serait mort en septembre 1942, selon le témoignage de Pierre Lelogeais, de Cabourg ; mais Maurice Monroty ne figure pas dans les registres de décès d’Auschwitz ce mois-là. À partir du témoignage des rescapés, l’état civil français a fixé le mois de septembre 1942 comme date officielle de son décès « à Raisko » (toponyme parfois utilisé par des rescapés pour dire Birkenau).

Il est homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 19-02-1997).

À Dives-sur-Mer, son nom figure sur le monument dédié Aux victimes des camps de concentration nazis, sur la face où sont inscrits les Divais décédés dans les camps d’extermination…

Le 26 août 1987, à Caen, est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942, à la demande de David Badache, rescapé caennais du convoi.

Le nom de Maurice Monroty est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen côté avenue Albert Sorel afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, page 101 et notice biographique par Claudine Cardon-Hamet page 126.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74, 362 et 414.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 13X (n° XX) et 138.
- Claude Doktor, Le Calvados et Dives-sur-Mer sous l’Occupation, 1940-1944, La répression, éditions Charles Corlet, novembre 2000, Condé-sur-Noireau, pages 140, 151.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 30-07-2020)

- Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Raymond MONNOT – 45889

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Raymond, Eugène, Monnot naît le 22 mars 1907 à Paris 5e (75), fils d’Antoine Monnot et d’Ernestine Langlet.

Raymond Monnot est tourneur sur métaux.

À une date restant à préciser, il se marie avec Suzanne Klein.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 8, villa Ruspolli à Saint-Maur-des-Fossés 

[1] (Val-de-Marne – 94).

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Saint-Maur-des-Fossés. La station Parc de Saint-Maur
dans les années 1940. CP collection Mémoire Vive.

À des dates restant à préciser, Raymond Monnot est arrêté puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 –Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Raymond Monnot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45889 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit. Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire – Raymond Monnot se déclare sans religion (« Glaubenslos ») -, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Raymond Monnot est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

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Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Pendant un temps, il est assigné au Block 4, avec Jean Mahon, Gustave Martin, Charles Mary et Emmanuel Michel.

Raymond Monnot meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp, alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement gazés [2]). La cause officiellement mentionnée est « cachexie avec entérite » (« Cachexie bei Darmkatarrh ») – épuisement dû à la faim avec diarrhée (dysenterie ?).

Son nom est inscrit sur la plaque apposée dans le hall de la mairie de Saint-Maur « à la mémoire des fusillés et morts en déportation en Allemagne ».

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 19-02-1997).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 389 et 414.
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94), carton “Association nationale de des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes (2549).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 826 (31890/1942).
- Service d’information sur les anciens détenus, Biuro Informacji o Byłych Więźniach, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
- Site Mémorial GenWeb, 94-Saint-Maur-des-Fossés, relevé de Bernard Laudet (12-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 22-04-2012)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Saint-Maur-des-Fossés : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés montent dans des camions qui les conduisent à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

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