Robert, dit “Maurice” MOUCHARD – (45906 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Robert Julien, dit “Maurice”, Mouchard, naît le 23 septembre 1903 à Nanterre

[1] (Seine / Hauts-de-Seine) chez ses parents, Julien Louis Mouchard, 30 ans, employé de commerce, et Henriette Alice Sami, 23 ans, couturière, domiciliés au 19 rue Becquet.

Le 18 octobre 1924, à Grand-Couronne (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [2] – 76), Robert Mouchard épouse Marie Madeleine Lauger.

Le 9 avril 1932, à Rouen (76), il se marie avec Marcelle Alphonsine Duchesne.

Le 30 avril 1938, à Quincampoix (76), Robert Mouchard épouse Suzanne Désirée Cailly.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 24, rue de Caen, au Grand-Quevilly (76), au sud-ouest de l’agglomération de Rouen, dans la boucle de la Seine.

Robert  Mouchard est ouvrier charbonnier sur le Port de Rouen et adhérent au syndicat CGT.

Manutention des charbons sur le port de Rouen. Carte postale, date inconnue, coll. Mémoire Vive.

Manutention des charbons sur le port de Rouen. Carte postale, date inconnue, coll. Mémoire Vive.

À une date restant à préciser, Robert Mouchard est arrêté et finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central. Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”) Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Robert Mouchard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45906, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Robert Mouchard.

Il  meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours, probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [4].

Le 16 juin 1947, cette date de décès est inscrite en marge de son acte de naissance à Nanterre.

À Grand-Quevilly, son nom est inscrit – avec le prénom Robert – parmi les morts en déportation sous la plaque de la rue des Martyrs de la Résistance.

© Photo de Marc Le Dret, petit-fils de Marcel Le Dret.

© Photo de Marc Le Dret, petit-fils de Marcel Le Dret.

Notes :

[1] Nanterre : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[3] Le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122) sous contrôle militaire allemand, puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

[4] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail”. Cette opération a commencé en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13. Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 375 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Basse-Normandie (2000), citant : Liste établie par Louis Jouvin (45523), du Petit-Quevilly, en 1972 – Liste établie par Louis Eudier (45523), du Havre, en 1973 – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Archives départementales des Hauts-de-Seine, site internet, archives en ligne : registre des naissances de Nanterre, année 1903, acte n° 232 (vue 55/73).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 834 (31702/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-10-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Paul, Louis, MOUGEOT – 45907

Paul, Louis, Minette naît le 18 mai 1905 à Poissons (Haute-Marne – 52), fils de Gustave Mougeot, 27 ans, et d’Émilienne Minette, 38 ans, son épouse, couturière, domiciliés rue de l’Île-d’Aliron, dans le quartier de Saint-Agnan. En 1906, Ses parents hébergent sa grand-mère maternelle, Adeline Collin, 80 ans. À la mi-octobre 1906, la famille s’installe à Thonnance-lès-Joinville (52), où sa sœur cadette, Suzanne Gabrielle Mougeot, naît le 12 février 1907.

En septembre 1908, ils reviennent à Poissons.

Gustave Mougeot, le père de famille – qui a accompli son service militaire de novembre 1898 à octobre 1901, notamment au sein du corps expéditionnaire de Chine -, est rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914 et rejoint comme réserviste, probablement à Troyes, le 20e escadron du Train des équipages (20e ETEM). Compagnie d’Ouvriers Automobiles. En août 1917, il passe au 15e escadron du Train, dans une compagnie qui rejoint l’Armée d’Orient.  Le 16 février 1919, après avoir été rapatrié, Gustave Mougeot est mis en congé illimité de démobilisation et se retire à Poissons, retrouver son épouse et leurs enfants.

En 1921 à Poissons, Paul Mougeot est forgeron dans l’usine Viard-Royer ou Fiard-Royer (?).

Au moment de son arrestation, il est domicilié rue du Moulin ou rue de Voulins à Poissons (n° ?).

Il est célibataire.

Il est ajusteur ou monteur à la Société Métallurgique Haute-marnaise à Joinville.

Lors des élections cantonales d’octobre 1937, le Parti communiste présente Louis Mougeot, monteur, comme candidat au Conseil d’arrondissement dans la circonscription de Poissons.

Le 23 juin 1941, Louis Mougeot est arrêté sur son lieu de travail et interrogé à la Kommandantur de Joinville ; il fait partie de la soixantaine de militants communistes et syndicalistes interpellés en quelques jours dans la Haute-Marne 

[1] (dont 15 futurs “45000”). D’abord détenu à la prison de Chaumont, il est transféré le 27 juin camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le «  camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Louis Mougeot est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Louis Mougeot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45907 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Louis Mougeot est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Affecté à un Kommando de spécialistes (« installeurs ») qui peuvent circuler dans la camp, il participe à la solidarité clandestine avec les “31000”.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À une date et pendant un temps restant à préciser, il est admis au bâtiment de chirurgie (Block 21) de l’hôpital des détenus.
À la mi-août 1943, Louis Mougeot est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I.
Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre, à la suite de la visite du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Louis Mougeot est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 29 août, il est parmi les trente “45000” [2] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “Prominenten” polonais) transférés au KL [3] Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin. À leur arrivée, et jusqu’au 25 septembre, les trente sont assignés au Block 66.

Dans ce camp, Louis Mougeot rencontre Georges Savary, de Saint-Dizier (52), qui y a été déporté dans le convoi du 24 janvier 1943 et auquel il apprend la mort à Auschwitz de deux compagnons de Résistance : Pierre Gazelot et Henri Queruel.

Le 10 octobre, Louis Mougeot et Henri Marti sont transférés au petit Kommando de Trebnitz, où ils restent ensemble.

Le 1er février 1945, tous deux sont évacués vers le Kommando Siemens Stadt, usine de matériel électrique à 12 kilomètres de Berlin, puis dirigés sur le KL Flossenbürg (Haut-Palatinat bavarois, proche de la frontière tchèque). H. Marti conduit lui-même son camarade à l’infirmerie du camp : « Il avait beaucoup de fièvre. il ne pouvait plus manger depuis plusieurs jours. C’était une espèce de dysenterie. Pourtant, depuis que je le connaissais, il n’avait jamais été malade. Comme il était plombier, il a toujours travaillé dans le même Kommando que moi à Auschwitz. (…) J’ai fait tout ce que j’ai pu pour le remonter afin d’éviter son entrée à l’infirmerie. Mais il n’y avait plus rien à faire. Il ne tenait plus sur ses jambes. »

Paul, Louis, Mougeot (matr. 45890 dans ce camp) meurt au KL Flossenbürg le 10 mars 1945.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 14-12-1997).

Notes :

[1] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[2] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).

[3] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

 

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 218, 348 et 349, 367 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, Éditions Graphein, Paris nov. 2000, page page 447, citant la lettre d’Henri Marti à Madame Mougeot du 24 août 1945.
- Site Gallica, Bibliothèque Nationale de France : L’Humanité n° 14080 du 6 juillet 1937, page 4, “huitième liste…”.
- Archives départementales de la Côte-d’Or, Dijon : cote 1630 W, article 252.
- Club Mémoires 52, Déportés et internés de Haute-Marne, Bettancourt-la-Ferrée, avril 2005, p. 39.
- Raymond Jacquot, site internet Mémorial GenWeb, 2002.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Ludwig MOTLOCH – 45904

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Ludwik (ou Ludwig) Motloch naît le 11 avril 1897 à Ostrawa (Tchécoslovaquie), fils de Joseph Motloch et Marie Tomessova. Il a un frère, Aloïs, qui sera mineur en Tchécoslovaquie (Luberia-Osharnia ?).

Le 17 août 1908 à Kuncicky (?), Ludwik Motloch épouse Stépanka Buchlova (ou Stephanka Buchta), née le 27 février 1898 à Ostrawa. Ils ont trois enfants dont Libuse, née le 2 février 1921 à Kuncicky (?), et Bretislaw, né le 25 février 1927 à Tucquegnieux.

La famille arrive en France le 14 septembre 1925.

En novembre 1932, ils sont domiciliés au 15, rue Alexandre-Dreux à Tucquegnieux (Meurthe-et-Moselle – 54).

Ludwig Motloch est mineur, très probablement à la mine de fer de Tucquegnieux appartenant à la Société des Aciéries de Longwy.

Le 13 mars 1934, le préfet de Meurthe-et-Moselle donne un avis favorable à la naturalisation française de Ludwik Motloch et de son épouse. La police considère alors qu’il n’est pas syndiqué.

Mais elle consignera plus tard qu’il est adhérent à la CGT de 1936 à 1937.

En 1939, au début de la “drôle de guerre”, Ludwig Motloch est interné pendant sept semaines au centre de rassemblement des étrangers à Briey, comme son compatriote Joseph Matis, de Tucquegnieux.

Le 21 janvier 1941, le préfet de Meurthe-et-Moselle signe un arrêté ordonnant son internement administratif à la suite d’une distribution de tracts communistes survenue le 18 janvier dans son secteur d’habitation. À partir du 23 janvier, il est interné au centre de séjour surveillé d’Écrouves, près de Toul (54), pendant un temps (15 jours).

Le 28 janvier 1942, il est arrêté par les « autorités allemandes ». Le 30 janvier, il est de nouveau conduit au camp d’Écrouves. Ensuite, il n’est pas clairement établi s’il est relâché ou non.

Dans la nuit du 4 au 5 février 1942, un groupe de résistance communiste mène une action de sabotage contre le transformateur électrique de l’usine sidérurgique d’Auboué qui alimente également dix-sept mines de fer du Pays de Briey. Visant une des sources d’acier de l’industrie de guerre allemande (Hitler lui-même s’en préoccupe), l’opération déclenche dans le département plusieurs vagues d’arrestations pour enquête et représailles qui concerneront des dizaines de futurs “45000”.

Le nom de Ludwig Motloch figure – n°3 – sur une « liste communiquée le 19 (février ?) au soir à la KK (Kreiskommandanturde Briey par le sous-préfet » pour préciser la nationalité de cinquante-trois hommes : il est désigné comme tchécoslovaque (erreur, ou la demande de naturalisation n’a-t-elle finalement pas abouti ?).

Qu’il ait été ou non relâché, il semble que Ludwig Motloch soit désigné comme otage à la fin février 1942.

Le 5 mars, il est parmi les 39 détenus d’Écrouves transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central. Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”) Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Ludwig Motloch est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45904 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Ludwig Motloch.

Il meurt à Auschwitz le 16 août 1942, d’après deux registres établis par l’administration SS du camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74, 368 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 117.
- Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle, Nancy, cote W1304/23 et WM 312 ; fiches du centre de séjour surveillé d’Écrouves (ordre 927 W) ; recherches de Daniel et Jean-Marie Dusselier.
- Jean-Claude et Yves Magrinelli, Antifascisme et parti communiste en Meurthe-et-Moselle, 1920-1945, Jarville, avril 1985, page 349.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 833 (21095/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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André MORTUREUX – 45905

Droits réservés.

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André Mortureux

[1] naît le 15 septembre 1901 à Plombières-les-Dijon (Côte-d’Or), fils d’Auguste Mortureux, ouvrier à la minoterie Troubat et Cie dans cette ville, et de Joséphine Ancéry. André est le cinquième de six enfants, dont Pierre.

Au printemps 1921, il est installé à Paris, où il commence à travailler comme infirmier.

Le 6 avril 1921, il est affecté à la 8e section d’infirmiers afin d’y accomplir son service militaire. Il est nommé caporal le 12 novembre 1922. Le 30 mai 1923, il est renvoyé dans ses foyers et se retire au 31, boulevard Sébastopol à Dijon, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

À l’automne 1925, il habite au 14, rue Sewadoni à Paris 20e, et travaille comme comptable.

Le 24 octobre de cette année, à la mairie du 20e arrondissement, André Mortureux épouse Marie Françoise Sébastien, née le 28 février 1899 à Paris 5e, corsetière, habitant alors avec sa mère, veuve, au 4, avenue du Père Lachaise.

En 1926, André Mortureux entre comme employé à l’octroi [2] de Paris (péage où transporteurs et commerçants acquittent une taxe municipale sur certaines marchandises). Deux ans plus tard, il est nommé sous-brigadier.

Début août 1927, le couple habite au 11, rue Méchain à Paris 14e.

En 1934, André et Marie Mortureux est domicilié au 32, avenue Vergniaud à Paris 13e (quartier Maison Blanche). Ils ont un fils, Jacques Auguste François, né le 30 juin 1932.

Fin janvier 1936, ils sont installés au 34, avenue Hoche à Sevran [3] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93).

En 1936, André Mortureux adhère au Parti communiste. Militant actif, secrétaire d’une cellule locale à Sevran, il est également secrétaire du Comité des usagers des chemins de fer et de la route.

En octobre 1937, la famille habite au 2, allée Jean-Baptiste à Sevran.

En 1939, ils emménagent au 61, rue Augustin-Thierry à Sevran, dans un pavillon bâtit grâce à la loi Loucheur, dont le couple est propriétaire, mais dont André doit payer les traites.

Lors de la “drôle de guerre”, après l’interdiction du Parti communiste, il ne désavoue pas ses engagements.

Le 2 septembre 1939, André Mortureux est mobilisé, d’abord comme infirmier-major à l’hôpital complémentaire du lycée Michelet à Vanves (Seine / Hauts-de-Seine), puis à l’hôpital militaire Villemin, au 8, rue des Récollets, Paris 10e, à proximité de la gare de l’Est par laquelle arrivaient déjà les blessés évacués du front en 1914-1918 [4].

André Mortureux et son fils Jacques. Droits réservés.

André Mortureux et son fils Jacques.
Droits réservés.

Il n’est renvoyé dans ses foyers que le 12 octobre 1940 !

Paris 10e. Entrée de l’hôpital militaire Saint-Martin, rue des Récollets. Carte postale oblitérée en 1908. Collection Mémoire Vive.

Paris 10e. Entrée de l’hôpital militaire Saint-Martin,
rue des Récollets. Carte postale oblitérée en 1908. Collection Mémoire Vive.

Entre temps, le 29 décembre 1940, Marie a accouché de leur deuxième enfant : Monique.

Le 21 février 1941, le commissaire de Police de la circonscription de Livry-Gargan écrit au secrétaire général de la Police de Seine-et-Oise, à Versailles, pour lui transmettre un rapport d’enquête approfondie et de surveillance sur 29 individus signalés et domiciliés à Servan, desquelles il résulte que tous sont d’anciens adhérents du parti communiste, certains militants, aucun ne semblant se livrer alors à une « activité subversive en faveur du parti dissous ». Parmi ceux-ci, Maurice Métais et André Mortureux.

Le 24 avril suivant, le commissaire de Livry-Gargan (récemment nommé) écrit au secrétaire général de la Police pour l’informer qu’une distribution d’environ 200 tracts a eu lieu au cours de la nuit précédente dans le quartier de la gare et dans le lotissement des Trèfles, les « auteurs » de cette distribution n’ayant pu être identifiés. Comme mesure de répression, en application de l’arrêté préfectoral du 19 août 1940, il propose l’internement d’André Mortureux au titre de communiste.

La décision semble être transmise par téléphone. Une note interne du cabinet du préfet datée du même jour en atteste : le commissaire de Livry-Gargan, « nouveau fonctionnaire dans la commune », a repéré lui-même André Mortureux. « Mais il s’agit d’un individu non encore astreint à la résidence forcée. Le commissaire craint que, procédant aux formalités d’usage pour l’établissement de sa fiche individuelle, Mortureux, se sentant menacé, ne lui échappe. Il conviendrait donc, à son avis, soit de lui notifier immédiatement la résidence obligatoire, en attendant un internement ultérieur, soit de l’interner, en fait, de suite ». Soumise au directeur de cabinet, la décision est prise : internement immédiat. Instruction est donnée au commissaire de Livry-Gargan, d’appréhender André Mortureux pour le diriger sur le camp d’Aincourt, puis d’envoyer un dossier de propositions ; la police d’État de Seine-et-Oise étant priée de son côté de faire le nécessaire pour ce transfert et de soumettre d’urgence à la signature du préfet l’arrêté d’internement. Celui-ci ne sera transmis que le 28, mais antidaté du 24.

André Mortureux est immédiatement arrêté par la police de Livry-Gargan. Au cours de la perquisition accompagnant cette arrestation, on lui confisque ses livres et ses documents, mais aucun élément compromettant n’est trouvé.

Dirigé sur Versailles, André Mortureux est interné deux jours plus tard au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise /Val-d’Oise), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930. Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin. André Mortureux est assigné à la chambre C.V. 4 bis.

Dès le 27 avril, il débute avec son épouse et son fils un échange de courrier soit officiel (autorisé), soit clandestin, qui se prolongera jusqu’à un message jeté du convoi de déportation… (voir transcriptions en fin de notice).

Le 9 mai, le préfet de Seine-et-Oise écrit au préfet de la Seine – employeur du fonctionnaire d’octroi – pour lui faire savoir qu’il a fait interner André Mortureux, en lui laissant le soin d’apprécier si cette décision doit se traduire par une « décision administrative » [révocation] que lui-même estime « opportune ».

Depuis Plombières-les-Dijon, sa mère, Madame veuve Mortureux, aux besoins de laquelle André ne peut plus subvenir, sollicite une allocation de secours en tant que famille nécessiteuse d’un interné administratif.

Le 1er juin 1941, Marie Mortureux écrit au préfet de Seine-et-Oise pour solliciter la libération de son mari, en s’appuyant sur la bonne réputation de celui-ci et sur le fait qu’elle-même ne peut « faire vivre [ses] deux enfants avec une allocation journalière de 19 francs ».

Le 21 juin, le commissaire de police spéciale commandant le camp, transmet au préfet de Seine-et-Oise un rapport sur André Mortureux, indiquant que plusieurs de ses lettres ont été censurées et relevant dans l’une d’elles : « C’est ici même que je puise cette conviction. Ah, si tu pouvais connaître le moral de tous nos camarades. Ce moral est fondé sur des choses renversantes que tu connaîtras un jour. Alors c’est à moi, qui suis ici, de te dire courage, courage, et surtout patience. »

Le 27 juin – avec cinq autres Sevranais, dont Georges Denancé et Maurice Métais – André Mortureux est inscrit et “pointé” sur une liste de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – désigné comme siège de la Geheime Feldpolizei – où ils sont rejoints par d’autres détenus, arrêtés le même jour et les jours suivants dans le département de la Seine [5]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (93), élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [6].

Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (Seine / Seine-Saint-Denis) et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Polizeihaftlager). Ils sont parmi les premiers détenus qui inaugurent ce camp créé pour les « ennemis actifs du Reich ».

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Cependant, le 11 juillet, le commandant du camp d’Aincourt transmet au cabinet du préfet de Seine-et-Oise « cinq notices individuelles concernant des internés mis à la disposition des autorités allemandes le 29 juillet 1941 » [sic], dont celles d’André Mortureux et Jean Romanet. Concernant le mois, il s’agit d’une faute de saisie, puisqu’un tampon date la réception de ce courrier au 12 juillet. Mais un secrétaire a-t-il également commis une erreur sur la transcription du jour… ?

Le 31 juillet, le préfet de Seine-et-Oise demande au commissaire de police de Sevran de notifier à l’épouse d’André Mortureux sa décision de ne pas autoriser celui-ci à rentrer dans ses foyers « en raison de l’activité politique particulièrement prononcée » de son mari.

Le 5 mai, le préfet transmet au Conseiller supérieur d’administration de guerre [sic] de la Feldkommandantur de Saint-Cloud une liste d’anciens internés d’Aincourt à la libération desquels il donne un avis défavorable – « renseignements et avis formulés tant par [ses] services de police que par le directeur du centre de séjour surveillé » ; liste accompagnée de notes individuelles avec copie traduite en allemand, dont celle d’André Mortureux.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Après que le train ait atteint la gare de Bar-le-Duc, indiquant la direction de l’Allemagne, André Mortureux parvient à faire sortir du wagon une longue lettre qui parviendra à son épouse.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, André Mortureux est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45905 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté André Mortureux.

Il meurt à Auschwitz le 8 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Le 16 janvier 1943, Marie Mortureux écrit au préfet de Seine-et-Oise pour savoir ce qu’est devenu son mari, car elle « ignore s’il est encore en vie ». « Pourquoi, Monsieur le préfet, ne les laisse-t-on pas écrire ? Ils sont sans vêtements chauds, sans colis, sans nouvelles des leurs depuis bientôt sept mois. Si au moins la Croix-Rouge pouvait envoyer des colis. Mais impossible, puisqu’elle-même ne sait pas où ils sont ». Le 25 janvier, le préfet répond : « … j’ai l’honneur de vous informer que seules les autorités occupantes sont susceptibles de vous renseigner sur le sort de votre mari, les détenus administratif de cette catégorie échappant à mon contrôle ». Il la laisse se débrouiller en lui conseillant d’écrire au « Directeur du Fronstalag 122 à Compiègne ».

Le 25 juin 1945, Auguste Monjauvis, de Paris 13e, rapatrié depuis un mois, écrit à Marie Mortureux pour lui dire qu’il n’y a guère de chance que son mari réapparaisse. Lui-même ne l’a pas revu lors de la “quarantaine” des “45000” regroupés au Block 11 d’Auschwitz-I : « Il est malheureux de vous dire, si vous n’avez pas reçu de nouvelles de juillet 1943 à juillet 44, de ne conserver que très peu d’espoir, car les survivants ont envoyé dans cette année au moins 20 lettres. » (voir la transcription de sa lettre en fin de notice)

Après la guerre, le conseil municipal de Sevran donne le nom d’André Mortureux à une rue de la ville.

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Sevran, situé dans le cimetière communal.

 

Notes :

[1] André Mortureux : sur certains documents, son patronyme est parfois orthographié « MONTHUREUX ».

[2] L’octroi : sous l’occupation, l’octroi accroissait encore plus les difficultés d’approvisionnement des denrées pour les Parisiens. Il fut supprimé définitivement par la loi n° 379 du 2 juillet 1943 portant suppression de l’octroi à la date du 1er août du gouvernement Pierre Laval. (source : Wikipedia)

[3] Sevran : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[4] L’hôpital militaire Villemin, installé dans l’ancien couvent des Récollets : devenu trop vétuste, il ferme ses portes en 1968 et est évacué en 1971.

[5] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de «  Différents communistes actifs que vous désignerez  » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris.

Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.

Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés[du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. » Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés.

Le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei. En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.

À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.

Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.

Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.

Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »

[6] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 386 et 414.
- Archives départementales de Côte-d’Or (AD 21), Dijon.
- Archives départementales de Côte-d’Or, site internet, archives en ligne ; registres matricules du recrutement militaire, bureau de Dijon, classe 1921 (R2571), matricule 1561 (vue 81/360).
- Monique Houssin, Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis, Un nom, une rue, une histoire, Les éditions de l’Atelier/ Les éditions Ouvrières, Paris 2004, pages 197 et 198.
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi, Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur le transfert depuis Aincourt des 88 de Seine-et-Oise, fin juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt ; relations avec les autorités allemandes (1w73, 1w80), dossier individuel (1w142), Liste des 88 internés d’Aincourt remis les 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation (1w277).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 830 (34111/1942).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
- Site Mémorial GenWeb, 93-Sevran, relevé d’Alain Claudeville (2000-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-08-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.


Mémoires d’hier et d’aujourd’hui, journal de la Société de l’histoire et de la vie à Sevran, n° 3, Sevran 1940-1944, Occupation, Libération, octobre 1994 (document communiqué par Daniel Mougin, petit-fils de Marcel Mougin, d’Alfortville).

DE SEVRAN À AUSCHWITZ 

LETTRES D’ANDRÉ MORTUREUX 

Au début de l’année 1941, la police française arrêta plusieurs militants et anciens conseillers municipaux communistes (la municipalité élue en 1935 avait été destituée à la suite du pacte germano-soviétique). Parmi ces internés, on relève les noms de Jean Cayet, Georges Denancé, Gaston Lévy, Albert Métais, Conques, Deneux, Antoine Noaillat, Georges Triplet et André Mortureux.

Ce dernier a entretenu avec son épouse une nombreuse correspondance que son fils, Monsieur Jacques Mortureux, a bien voulu nous confier. Au-delà de leur caractère très émouvant, ces lettres nous permettent de suivre la destinée de plusieurs Sevranais arrêtés pour des raisons politiques et que la répression conduisit pour certains dans les camps d’internement d’Aincourt puis de Compiègne jusqu’aux camps de la mort.

Nous publions ici de larges extraits de cette correspondance ainsi que le récit d’un survivant qui témoigne de la disparition d’André Mortureux et des conditions de la vie à Auschwitz. 

LA CORRESPONDANCE D’ANDRÉ MORTUREUX 

Aincourt, le 27 avril 1941,

Nous sommes arrivés ici à deux, à 2 h 15, mon camarade qui venait de purger une peine de 6 mois à Poissy. Il ne m’a pas été possible de t’écrire de Versailles, car en arrivant on nous a conduits au service d’anthropométrie : empreintes, photos de face, profil et 3/4, mensurations du crâne. Tous les internés et emprisonnés passent par là. Voici donc en quoi consiste la « visite à Mr le Préfet ». 

Deux repas pris ici ne suffisent pas pour donner une appréciation précise sur la nourriture. Voici le dîner d’hier : potage aux légumes, suffisamment épais. Jardinière de légumes composée de pomme de terre, carottes et topinambours. Confiture genre crème de marrons. Déjeuner dimanche : même potage, une mince tranche de rôti de boeuf, nouilles et confiture. Le tout d’assez bonne qualité et bien préparé. Le matin, café noir. Si nous voulons du pain, il faut rogner sur notre ration du dîner qui est insuffisante. 

Le nombre d’internés augmentant sans cesse (650 actuellement) beaucoup couchent dans les couloirs, faute de place. Je n’étais pas sitôt arrivé que j’étais entouré par tous les camarades de Sevran : Lévy, Denancé, Noaillat, Conques, Métais, Triplet. Si j’ajoute qu’ici il y a jeux d’échecs, cartes, ping-pong, bibliothèque, je peux conclure que s’il est dur pour d’honnêtes gens de se voir priver de leur liberté, de priver aussi les familles de leur soutien moral et maternel, je peux dire que les conditions de vie ici sont supportables. 

Le camp est limité par une double rangée de piquets formant une haie de 1,50 m d’épaisseur avec l’adjonction de fil de fer barbelé s’enchevêtrant dans tous les sens. Des gardes mobiles en faction fusil sur l’épaule circulant entre leurs guérites, distantes de 30 m environ. Pour nous, la promenade est permise en semaine de 12 h à 14 h et de 17 h à 19 h. En moins de 10 mn on a fait le tour du camp. 

Aincourt, le 7 mai 1941,

… Je comprends que tu voudrais bien me voir revenir à la maison, mais cela ne dépend pas de moi. On m’a remis aujourd’hui la copie de l’arrêté pris par le Préfet motivant mon envoi ici. Cet arrêté est pris en application de la loi du 3 septembre 1940 relative aux mesures à prendre sur instructions du gouvernement à l’égard des individus dangereux pour la Défense nationale ou la sécurité publique. C’est un motif très discutable, mais ici on n’a pas le droit de discuter. Il te suffit de savoir que ton papa est un honnête homme qui n’a jamais fait de tort de quoi que ce soit à ses semblables et qui a toujours fait face à ses engagements. 

Ton papa est un homme qui considère le bonheur de ses semblables comme sacré, il s’est toujours efforcé dans le cours de sa vie de ne jamais rien faire pour le diminuer, bien au contraire, il a consacré ses forces et son modeste savoir à augmenter ce bonheur. 

Et c’est justement en raison de la « criminelle » prétention de vouloir le bonheur de mes semblables qu’on me classe parmi les « individus dangereux pour la sécurité publique » comme les voleurs et les assassins. 

Ici chacun passe son temps selon ses goûts et ses capacités. Beaucoup façonnent dans le bois toutes sortes d’objets : ronds de serviettes, couverts à salade. J’ai même vu un camarade tressant une semelle de corde pour se faire des espadrilles. La nourriture étant insuffisante, un peu partout des camarades installent des popotes en plein air. Un vieux seau percé remplace le fourneau. Des légumes et des pâtes cuisent dans des boites de conserve. Les plus déshérités vont près des cuisines et choisissent dans les épluchures ce qu’il y a de meilleur pour faire une soupe. 

Aincourt, le 18 mai, 

… Je vois que tu as un grand espoir que je sorte bientôt d’ici. Tu me parles de démarches sur lesquelles tu aurais un faible espoir. J’ignore la nature de ces démarches, mais j’espère qu’elles ne mettront pas en balance ma dignité d’homme et tiens à t’avertir que de toute façon, je ne sortirai d’ici que la tête haute… 

Aincourt, le 1er juin 1941,

… Tu me demandes d’écrire au Maréchal, mais c’est par ordre de ce bon maréchal que j’ai été envoyé ici. Dès son arrivée au pouvoir notre bon Papa Pétain n’a-t-il pas dit que nous devions nous préparer à souffrir si nous voulons que la France renaisse ? 

En apprenant que vous n’aviez pas de viande depuis 15 jours, j’en arrivais presque à regretter de t’avoir demandé de m’envoyer de la nourriture. Et pourtant si tu savais comme nous avons faim… 

Paris, le 27 juin 1941 – 14 h 30,

Ma chère Marie,

Partis à 70 d’Aincourt pour une destination inconnue.

Si tu es quelques jours sans nouvelles, ne t’inquiète pas. Je ne serai peut-être pas plus mal où nous allons. Métais, Cayet, Deneux, Conques, Denancé sont avec moi. Je t’écris de l’autocar qui nous emmène. 

Compiègne, le 2 juillet 1941,

Arrivés hier après avoir passé trois jours au fort de Romainville. Nous sommes sous l’autorité allemande depuis le 27 juin. Nous ne pouvons écrire qu’une carte tous les 15 jours et une lettre par mois, mais on peut nous écrire autant qu’on veut. 

Lettre clandestine du 13 juillet 1941 :

Ma chère Marie, 

Je profite d’une circonstance tout à fait exceptionnelle pour te faire parvenir cette lettre qui te permettra de connaître notre situation exacte. 

Nous sommes environ 1200 internés. Il en arrive toujours des nouveaux et de différentes régions (Nancy, Rennes, Dijon). A l’instant il vient d’en arriver encore une trentaine, dont trois femmes. L’une d’elles est mère de trois enfants; il y avait ici trois autres femmes. 

J’ai retrouvé ici Maitre Hajje, ainsi que Messieurs Boitel et Pitard, et Henri Sellier, ancien ministre socialiste, et une centaine de Russes blancs dont un prince Romanoff héritier du Tsar. Depuis quelques jours, tous les Russes (soviétiques compris) ont été mis à part derrière des barbelés. 

Notre vie ici serait acceptable si ce n’était l’insuffisance de nourriture. Nous touchons 1/4 de boule de pain pour 24 h (moins qu’à Aincourt). À midi, une demi-assiettée de légumes avec un morceau de viande gros comme le pouce et une demi-cuillère à soupe de confiture ersatz. Le soir une cuillère à soupe de graisse sans saveur qui ressemble à de la graisse de bœuf et une demie cuillerée de confiture. Deux fois par semaine, nous avons la soupe le soir avec un petit morceau de viande. Inutile de te dire qu’avec un tel régime nous sommes continuellement affamés quoique la cuisine soit meilleure qu’à Aincourt. 

Quant à l’hygiène, cela laisse beaucoup à désirer. Il y a bien des lavabos dans tous les bâtiments, mais par manque de pression on ne peut guère s’y laver; il faut aller au lavoir où il n’y a que deux robinets. Pas de douches. Des médecins, mais pas de dentistes. Après avoir été 24 et 26 par chambre nous sommes maintenant 20. 

Nous ne travaillons pas en dehors des corvées habituelles de soupe et de nettoyage. La discipline est moins dure qu’à Aincourt. Nous sommes libres de nous promener toute la journée à travers le camp, qui est bien dix fois plus vaste que celui d’Aincourt. Appel le matin à 7 h et le soir à 18 h 30. Nous pouvons nous promener jusqu’à 22 h. Ici, nous avons le droit de lire des journaux dont la lecture des communiqués sur la guerre germano-soviétique constitue pour nous une partie de rigolade. 

Compiègne, le 17 juillet 1941,

Il y aura trois mois le 24 que je suis arrêté, et je m’étonne que l’enquête me concernant ne soit pas encore terminée. Ce qui est sûr, c’est qu’il te faut de l’argent pour vivre, toi et nos deux enfants. L’Administration me doit mes versements pour la retraite. Insiste pour obtenir une avance, ou qu’on vous aide à vivre d’une façon ou d’une autre. 

Lettre clandestine du 6 août 1941 :

… Les rations ont encore diminué : 4 cuillerées à soupe de lentilles dans des petites louches de bouillons. Le matin 1/4 de café et toujours 1/4 de boule de pain (200 grammes environ) pour 24 heures. Il n’y a que le mardi et vendredi que nous mangeons mieux, car nous avons des pâtes ou du riz sucrés et très épais. 

Notre vie ici devient toujours plus intéressante par certains côtés. Depuis lundi ont commencés, avec l’autorisation du commandant de camp, différents cours. Je suis des cours de français, arithmétique-géométrie, algèbre, géographie, électricité et solfège. Mais il y a aussi des cours d’anglais, allemand, latin, italien, sciences usuelles, droit ouvrier. De plus, ont lieu chaque jour des conférences professionnelles. Cette semaine : agriculture, théâtre, urbanisme, architecture. Ici nous avons toutes les professions et parmi les intellectuels : médecins, dentistes, ingénieurs, avocats, architectes, etc. 

Comme plusieurs camarades, j’ai adressé au commandant de camp une demande de libération par l’intermédiaire d’un camarade avocat. Mais il ne faut pas fonder un grand espoir là-dessus. 

Hier, un sous-off allemand nous a appris qu’il y aurait prochainement plus de 200 libérations. Mais il est à présumer que les Russes blancs et les internés non communistes ou non sympathisants formeront ce contingent de libérés. Il y a eu 20 libérés parmi lesquels le Prince Romanoff. Des miradors élevant la sentinelle à 6 m du sol ont été construits aux 4 coins du camp. Une autre sentinelle circule entre deux miradors. 

Une caisse de solidarité a été créée entre nous avec l’assentiment du commandant du camp. Cette caisse (cotisation 2 fr par mois) a été créée dans le but de venir en aide aux internés et à leurs familles. 

Compiègne, le 19 août 1941,

Ma chère petite femme, 

Je remercie de l’effort que tu fais présentement pour m’envoyer des colis, mais encore une fois je ne voudrais pas que cela impose de trop grandes privations. J’ai reçu le 16 celui du 13 et celui du 14. 

Il y a eu des libérations le 14. Il parait que d’autres départs suivraient, j’espère être du nombre qui serait important. 

Tu ne m’as toujours pas envoyé mon cahier de chansons, joins-y aussi quelques morceaux d’opérette, car ici la musique est indispensable. Je chante non seulement avec la chorale, mais seul dans les concerts que nous organisons. Le professeur a trouvé que c’est comme chanteur à voix que je devais être utilisé. 

À l’instant je viens de recevoir de toi deux nouveaux colis : couvertures, vêtements, légumes, saucissons, anchois, poires, etc.

Avec tous ces colis successifs, ma faim s’apaise. 

Lettre clandestine du 3 septembre 1941 :

… Depuis le 12 août, je t’ai écrit deux lettres illégales. Je ferai mon possible pour t’écrire de cette façon, mais tu dois deviner que ce n’est pas commode. D’ailleurs, ils ont été mis au courant par un voleur-mouchard et il y a eu avant-hier une perquisition et fouille générale dans le but de trouver enveloppes et timbres. Tâche de me faire parvenir encore quelques enveloppes et timbres dans le pain fendu en biseau quand il est frais, et recolle ensuite en le pressant. 

Contrairement à ce que je t’ai écrit, il est inutile que tu viennes me voir. En effet, ils se sont aperçus qu’il y avait des visites à travers les barbelés et ils ont fait placer une palissade en plancher à l’endroit que je t’avais indiqué, plus une limite à ne pas dépasser, faute de quoi la sentinelle a ordre de tirer. Cela est déjà arrivé plusieurs fois, mais en l’air jusqu’à ce jour… 

… Je suis peiné en pensant qu’on nous maintient dans une oisiveté presque totale alors que nos femmes sont surmenées par le travail et l’inquiétude dans un moment où la nourriture déjà trop rationnée doit être partagée avec l’interné. Et à ce propos, ma chère Marie, ton poids de 40,200 kg indique assez tes sacrifices. 

Avec les colis que je reçois à raison de un par semaine, même s’il n’y avait dedans que du pain, je pourrais tenir. 

… À son fils :

Mon cher petit Jacques, 

Merci de ta carte du 27 qui m’a fait grand plaisir. J’ai compris que ton professeur de piano ne voulait plus te donner de leçons gratuites. Mais console-toi : plus tard, tous les enfants auront une vie plus belle et, avec la musique, tu auras toutes facilités pour apprendre une foule de choses et jouir d’une quantité de distractions. Continue à bien aider maman, et ton petit papa sera plus heureux… 

Lettre clandestine du 16 septembre 1941 :

La commission des interrogatoires fonctionne à nouveau depuis samedi. Il y aurait, paraît-il de 60 à 80 % de libérations. J’espère être du nombre… Mais ne te réjouis pas trop, car nous pourrions être déçus. 

Je t’avais dit de me supprimer deux colis, c’est que j’avais pensé que mes provisions dureraient plus longtemps. Maintenant, je n’ai plus rien d’avance et attends depuis plusieurs jours le prochain colis avec une grande impatience, car la faim me torture à nouveau. 

Compiègne, le 14 octobre 1941,

(les colis constituent toujours l’essentiel de la correspondance légale) 

… Pas de lettres de toi depuis celle du 23.

Reçu vendredi le colis de mémère contenant 1 kg de pain, 400 gr de pain d’épices, 300 gr d’haricots secs. Reçu hier colis de Louise : 500 gr de pain d’épices, 250 gr de chocolat, 500 gr de biscottes, 300 gr de crème de gruyère.

Je suis très gâté en ce moment, aussi, je sens mes forces revenir. 

Compiègne, le 27 octobre 1941,

Ma chère petite Marie, 

Dans deux jours, notre Monique aura un an. Pauvre petite enfant qui n’a presque pas connu son père. Il y eut 8 mois le 24 que je la quittais. Immobile dans son berceau, elle ne pouvait deviner ni comprendre le drame qui bouleverserait notre foyer. Que de tourments pour toi chère Marie, sur qui pesait désormais toute la responsabilité de la subsistance de notre progéniture. 

L’année nouvelle nous verra à nouveau réunis et nous apportera une vie paisible, soies en persuadée. En attendant, patience et courage… 

Reçu le 24 le colis de légumes, fruits, etc. J’insiste pour que tu ne m’envoies plus que deux colis par mois : avec tes 38 kg, tu as besoin de te remonter. Jacques à l’avenir, ne doit plus se priver de son chocolat ni de ses biscuits vitaminés. Garde tes pommes de terre et les carottes, tu en as trop peu. Mes camarades bourguignons qui reçoivent beaucoup de légumes m’ont beaucoup aidé depuis un mois… 

Compiègne, le 20 novembre 1941,

… Reçu aujourd’hui le colis de pain, dont je te remercie. Ne m’envoie plus de légumes dont tu manquerais plus tard. Je suis embauché comme éplucheur de légumes, travail pour lequel je touche une ration supplémentaire tous les jours.

Je n’ai été que deux jours à la menuiserie.

Je veux que tu me dises ton poids tous les 15 jours si tu manges bien, tu dois reprendre progressivement les kilos perdus. 

Depuis que je travaille, je ne suis plus de cours, mais je fais encore partie de la chorale… 

Compiègne, le 9 janvier 1942, 

… Pour les fêtes, j’ai été doublement gâté. En plus des colis reçus, la Croix-Rouge a donné à la cuisine des pois cassés qui ont fourni un plat supplémentaire pendant plusieurs jours. Enfin nous avons réveillonné en commun à nos frais pour Noël.

Du 24 décembre au 2 janvier un programme distractif a été mis debout par les internés avec l’assentiment des autorités allemandes : une exposition (peinture, dessins, sculptures, poésies, produits régionaux) le tout classé par régions. À la scène, des sketches, chansons, poésies, folklore, théâtre, conférences, sport.

Le 4 a eu lieu une vente aux enchères au profit de notre caisse de solidarité. 

Compiègne, le 25 janvier 1942, 

Ma chère petite femme, 

Merci du colis reçu le 22 janvier. Les légumes avaient un peu souffert du gel, mais cet arrivage a été bien accueilli par tous car, depuis le 28 décembre, nous mettons légumes, pâtes, café, potages concentrés en commun pour faire une seule cuisine (économie de combustible) et fournir un plat chaud chaque soir à chacun, et surtout à ceux qui ne reçoivent que peu ou pas de colis. Tous les soirs, nous faisons la soupe pour 27 ou un plat de pâtes ou légumes lorsque le stock le permet.

Manges-tu réellement mieux ? J’ai peur que tu me dises cela pour calmer mon inquiétude et que tu t’imposes de grandes privations. 

(Probablement un courrier de Marie, son épouse…)

… On a froid, on a faim. Partout on n’entend parler que de misère et de mort. Les enfants à la cantine n’ont eu, aujourd’hui, qu’une soupe, un fromage, une orange. Après le déjeuner, ils sont dehors par n’importe quel temps… et combien d’autres choses que je pourrais te citer. Et tu voudrais que l’on ait bon moral !… 

Compiègne, le 12 février 1942,

… Des visites sont actuellement accordées individuellement. Il faut faire ta demande au Commandant du camp. Je serais si heureux de te voir avec les enfants. Visite de 10 minutes. 

Lettre clandestine du 16 avril 1942 :

… L’interruption des sanctions nous a permis de mieux nous alimenter et je me sens mieux. Je te demande de m’envoyer à nouveau 600 francs chaque mois en raison du prix élevé de la cantine. Et puis un gros effort est fait ici pour notre caisse de solidarité pour venir en aide aux internés nécessiteux et à leur famille. Et j’aime mieux me priver de manger que de manquer à ma cotisation habituelle. Il faut penser aux familles sans ressources, qui n’ont même pas la maigre allocation aux internés. J’espère avoir bientôt ta visite avec nos deux enfants. 

Lettre de son épouse (retournée à l’envoyeur)

Sevran, le 21 juin 1942, 

Mon cher petit André, 

Sans nouvelles de toi depuis le 30 mai.

Il est 18 h 30, nous revenons de promenade. Le dimanche, je ne suis jamais à la maison. Je vais toujours chez des amis. Ils m’ont donné une bouteille de haricots verts en conserve pour toi. Les dimanches sont toujours très tristes : tout le monde est en famille. J’ai bien du travail et du mal, je te certifie : je n’ai pas le temps de coudre un point. Les jours passent vite malgré tout et l’on demande tous les jours à être plus vieux. 

Monique grandit, mais elle a grandi ! C’est vraiment gentil à cet âge-là, et je suis bien heureuse de l’avoir. Sans elle je ne sais ce que je deviendrais : la vie est si triste et si bête. Le jardin me prend beaucoup de temps, il est assez beau. Il fait un temps superbe : vous pouvez prendre des bains de soleil pendant que nous travaillons comme des nègres. 

Je pense que tu auras tes colis gratuits par la Croix-Rouge et que je toucherai quelque chose pour les enfants. Nous attendons toujours le mois de mai, pas encore payé. 

Tes trois chéris qui l’aiment 

Marie. 

Dernière lettre d’André, jetée du train qui le conduisait à Auschwitz le 6 juillet 1942 :

Ma chère petite femme, 

Je ne sais si cette lettre te parviendra, car, à l’heure où je t’écris, j’ignore encore de quelle façon je vais pouvoir l’expédier… Je t’écris d’un « 40 hommes, 8 chevaux » qui va nous conduire (1000 environ) nous ne savons où ; mais nous savons que nos anges gardiens manquent de bras et il est possible, même probable qu’ils nous envoient dans leur pays. En tous cas, nous partons pour un long voyage, car nous avons touché des vivres pour trois jours. 

Conques, Deneux et Cayet ne sont pas du voyage, restés où ils sont avec 600 autres parmi lesquels certains seront libérés.

Toi qui voulais que je travaille, et bien je vais travailler.

Ma pauvre chérie, tu dois être bien inquiète, car dans mon avant-dernière carte, écrite le 26/06, m’a été retournée. Prétexte : écrit trop fin. Je faisais allusion au bombardement du camp par avion, car je tenais à te rassurer pour que tu ne croies pas que j’étais parmi les victimes (3 morts, une dizaine de blessés). Quinze bombes sont bien tombées sur le camp à 1 h 30 du matin. Les bâtiments A3 et A4 ont été touchés. C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu plus de victimes.

Tu dois avoir maintenant le colis retourné (trop lourd). Ils ont appliqué la mesure avant la date en représailles de l’évasion de 19 internés parmi lesquels Cogniot, notre doyen. Cette période est fertile en évènements.

Sois pleinement rassurée sur ma santé : notre bâtiment n’a pas été atteint par le bombardement, aucun copain de notre patelin n’est victime. 

Malgré le colis retourné, je n’ai pas trop souffert de la faim, mais cela tombe mal, car le premier colis de juillet n’est pas arrivé avant notre départ. Je me demande si ce colis va suivre. 

À la fouille, on m’a pris 100 francs. Je n’ai donc plus d’argent. Ne fais aucune réclamation avant que tu reçoives de moi la première lettre de ma nouvelle adresse. Nous supposons que s’ils nous font travailler nous serons mieux nourris, mais ce n’est qu’une supposition. 

Et toi, ma chère Marie, comment vas-tu ? Il ne faut pas que mon départ là-bas te crée de nouvelles inquiétudes. Autrement dit, il faut que tu sois courageuse, toujours et jusqu’à mon retour, comme tu l’as été jusqu’alors. Le retour est peut-être plus proche que nous pouvons le prévoir. Et Jacques, et Monique ? Leur santé est-elle meilleure ? Pauvres chéris, heureusement que j’ai eu la chance de les voir il y a peu de temps. Soignez-vous bien tous trois, l’essentiel étant de conserver la santé. Quant à moi, je suis en bonne forme en ce moment, et le travail manuel (s’il n’est pas trop dur) ne pourra que me faire du bien. 

Il est 13 h 30, nous sommes à Châlons-sur-Marne. Partis ce matin à 9 h 30 de Compiègne ; on nous a réveillés à 3 h… 15 h pas de doute ! Nous sommes à Bar-le-Duc (direction l’Allemagne).

Quoiqu’il arrive, bon courage, confiance et patience.

Je vous embrasse bien des fois mes trois chéris.

André.


LETTRE D’AUGUSTE MONJAUVIS, RAPATRIÉ LE 24 MAI 1945

Saint-Étienne, le 25 juin 1945,

Chère camarade,

Je comprends votre anxiété envers votre mari, et vous n’avez pas d’excuses à me faire en demandant de répondre à toutes vos questions posées. Pour moi, c’est un devoir très cher d’y répondre. Mais je regrette que ce ne soit pas de bonnes nouvelles que je vous apporte. 

J’ai connu votre mari comme tant d’autres camarades dans ce camp de Compiègne, Métais, Denancé, Véron, etc. Nous étions solidaires, d’autant plus que notre organisation était magnifique en discipline et dévouement dans les années 1941-42. 

Je m’excuse d’être un peu long dans mes explications, elles sont nécessaires pour vous montrer les difficultés que j’ai à préciser les réponses aux renseignements que vous me demandez. 

Au début de notre déportation, en juillet 1942, dans un climat enfiévré, en plein typhus, dans cette Pologne du Sud, nous avons été séparés en deux tronçons après avoir été pillés de tous nos maigres biens, sans papiers d’identité et rasés des pieds à la tête. 600 camarades restèrent au camp de Birkenau, 600 autres partirent à Auschwitz où j’étais, séparés encore dans des kommandos et par blocks. 

Nous nous retrouvions 10 d’un côté, 20 ou 30 de l’autre, notre séparation ne se terminait que dans des chambres surchargées et malsaines. Nous ne pouvions tenir de conversation sans risquer des coups de schlagues, mêlés à des hommes devenus bêtes, de tous les pays d’Europe. Notre langue maternelle n’était pas entendue, nous étions perdus. À quelques-uns, dans des rares moments de répit, nous nous retrouvions difficilement, pour nous dire quelques paroles d’espoir. 

Les jours, les premiers mois passèrent dans une chaleur épidémique et, avec les mauvais traitements connus, nous nous rendions vaguement compte des mortalités innombrables de Polonais, de Russes, de Français, de Tchèques, de Belges et des Juifs de tous pays d’Europe. Nous étions absorbés par la discipline du camp et du kommando, par les appels interminables, les travaux exténuants et la nourriture combien insuffisante. Chaque jour nos camarades s’en allaient à l’hôpital épuisés, très peu revenaient. Quelques noms de camarades décédés nous étaient donnés, mais ces noms sont partis de mon cerveau affaibli. 

Puis vinrent les mauvais temps et les hivers rudes en Haute-Silésie ; très peu vêtus, là encore notre nombre diminua. 

En mars 1943, quelques camarades venant de Birkenau, se trouvant à deux ou trois kilomètres d’Auschwitz, nous annoncèrent qu’ils restaient 17 survivants sur 600. Et, en juillet 1943, sur un ordre de Berlin, après un an de cette déportation, on donna aux Français le droit d’écrire et de recevoir des paquets. Puis on nous rassembla dans un block spécial, soit disant en quarantaine, afin d’être rapatriés ou envoyés dans un camp de l’ouest de l’Allemagne. Tous les Français du convoi du 6 juillet 1942, politiques ou non, se sont connus là pendant quatre mois, s’organisant pour vivre dans une atmosphère d’assassinat. Notre nombre était bien diminué : sur 1200, nous n’étions plus que 120. Dans ce petit nombre, je n’ai pas revu votre mari, ni Métais, ni Denancé, ni Véron que je me souvienne.

Mais nous n’avions pas terminé nos souffrances, puisqu’en décembre 1943, nous recommencions la vie pénible du même camp d’Auschwitz.

Ce n’est qu’en août 1944 que nous sommes partis par quatre trentaines : nous avons été envoyés dans différents camps d’Allemagne, et je fus des 30 qui allèrent à Orienbourg. 

Là, on nous sépara encore par kommando. Je me retrouvais avec deux camarades de ce convoi de juillet 1942 pour passer l’automne, l’hiver 1944 et le printemps 1945 chez Siemens, près de Berlin. 

Puis ce fut avril, les bombardements massifs et dangereux, les marches forcées. Je perdis mes deux camarades. J’ai appris qu’ils étaient de retour dans leur famille.

Toutes ces raisons vous montrent, ma chère camarade, que nous ne pouvons connaître à l’heure actuelle combien nous sommes de survivants de ce convoi du 6 juillet 1942. 

Nous nous sommes déjà perdus de vue au départ de cette vie infernale et davantage encore au fur et à mesure que les années s’écoulaient. Notre mémoire, la mienne en particulier, me fait souvent défaut : je ne peux apporter ni précisions ni preuves sur le décès de mes camarades de convoi.

Il est malheureux de vous dire, si vous n’avez pas reçu de nouvelles de juillet 1943 à juillet 44, de ne conserver que très peu d’espoir, car les survivants ont envoyé dans cette année au moins 20 lettres. 

Ayez du courage, comme précédemment dans l’attente. Nous pensons tous à eux, encore plus dans ces moments pénibles. Leur souvenir, leur pensée ne s’effaceront pas.

Chère camarade, si vous croyez que mes renseignements ne sont pas suffisants, restez en liaison avec l’Amicale des Déportés d’Auschwitz, rue Leroux : peut-être rencontreront-ils un déporté plus précis que moi. À toutes nos familles de martyrs, notre devoir doit être de ne pas vous laisser dans une continuelle inquiétude.

Croyez à mes sincères sentiments.

A. Monjauvis

Marcel MOROY – 45902

Marcel Désiré Moroy naît le 17 décembre 1921 au Pré-Saint-Gervais 
[1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), fils de Charles Théophile Moroy, 37 ans, et de Juliette Charlotte Abry, 35 ans, son épouse.Marcel a une sœur de dix ans son aînée, Alice Marie, née le soir du 24 décembre 1911, chez leurs parents au 34, rue Grande au Pré-Saint-Gervais.Du 15 avril 1915 au 18 mars 1919, leur père – exempté de service militaire en 1904 pour « perte de la vision à droite » – avait néanmoins été mobilisé dans un escadron du train (transport automobile).En 1921, Charles Moroy est mécanicien dans les ateliers de la Société des cycles Gladiator, établie au Pré-Saint-Gervais.

En septembre 1925, la famille s’installe au 14, rue Fontaine à Bondy [1] (93).

En 1931, Alice est magasinière dans une entreprise des frères Lautenbacher, « industriels » à Bondy : Adolphe, né le 17 juin 1900 à Paris 11e, Paul, né le 1er août 1905, et Frédéric, né le 11 septembre 1906, tous deux à Paris 10e. Ils habitent au 121, avenue Galliéni à Bondy. 

Le 16 décembre 1933, à Noisy-le-Sec, Alice Moroy épouse Frédéric Lautenbacher. Plus tard, le couple s’installe à Lure (Haute-Saône).

Marcel Moroy et sa sœur Alice, vers 1937, probablement à Lure (Haute-Saône). © Jean Philippe Lautenbacher.

Marcel Moroy et sa sœur Alice, vers 1937, probablement à Lure (Haute-Saône).
© Jean Philippe Lautenbacher.

Marcel Moroy et Frédéric Lautenbacher, époux de sa sœur, photographiés dans les mêmes circonstances. © Jean Philippe Lautenbacher.

Marcel Moroy et Frédéric Lautenbacher, époux de sa sœur, photographiés dans les mêmes circonstances.
© Jean Philippe Lautenbacher.

Son père décède en 1932 ou 1933 (cette année-là, Charles Moroy est radié de la liste électorale de Bondy, arrêtée le 31 mars).

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Marcel Moroy habite seul avec sa mère, qui travaille comme femme de ménage. Ils sont toujours domiciliés au 14, rue Fontaine à Bondy.

Lui est célibataire.

Il travaille comme manœuvre.

Le 2 ou 3 août 1940, sur le marché de Bondy, en compagnie de Robert Douvillez, menuisier de 23 ans, et de deux autres militants des Jeunesses communistes clandestines, Marcel Moroy distribue L’Avant-Garde n° 16 datée de juillet 1940 et titrée « Gloire à la jeunesse soviétique ». Soit pris en flagrant délit, soit dénoncés par un entrepreneur en maçonnerie de Bondy qui aurait intercepté un tract conservé par sa fille de 17 ans, ils sont appréhendés le 3 août par des gardiens de la paix du commissariat de la circonscription de Noisy-le-Sec. Le lendemain, 4 août, Robert Massiquat, de Bondy (qui sera déporté avec lui), est arrêté comme fournisseur des tracts, imprimés aux Lilas. Le commissaire fait conduire les cinq jeunes gens au Dépôt de la préfecture de police, à disposition de la justice militaire allemande sous l’inculpation d’infraction à l’ordonnance du gouverneur militaire de la région de Paris du 20 juin 1940.

Le 22 octobre suivant, Marcel Moroy est placé sous mandat de dépôt ou d’écrou.

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)

Le 8 février 1941, lors d’une audience au cours de laquelle sont jugés 48 militants communistes (dit « procès des cinquante » ?), dont dix-sept futurs “45000”, la chambre des mineurs (15e) du tribunal correctionnel de la Seine condamne Marcel Moroy à huit mois d’emprisonnement pour infraction au décret du 26 septembre 1939. Il est libéré (il a déjà été détenu six mois…). Néanmoins, comme les autres condamnés, il fait appel de la sentence le 28 février.

Marcel Moroy, portrait de studio, probablement sous l’occupation. © Jean Philippe Lautenbacher.

Marcel Moroy, portrait de studio, probablement sous l’occupation.
© Jean Philippe Lautenbacher.

Le 28 avril 1942, vers 5 heures du matin, il est arrêté au domicile familial par des Feldgendarmes accompagnés d’un policier français. Sa mère, qui ignore son activité clandestine, les questionne en vain. Puis il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Marcel Moroy est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Marcel Moroy est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), sous le numéro 45902 ; la photo d’immatriculation correspondant à ce matricule a été identifiée par comparaison avec son portrait civil.

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Marcel Moroy se déclare alors comme protestant (« evangelisch »). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Moroy.

Il meurt à Auschwitz le 5 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; il a 21 ans.

Sa sœur Alice conservera un portrait au fusain réalisé à partir de sa photo avec son mari.

© Jean Philippe Lautenbacher.

© Jean Philippe Lautenbacher.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. 14-12-1997).

Notes :

[1] Le Pré-Saint-Gervais et Bondy : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 384 et 414.
- Archives nationales : correspondance de la Chancellerie sur des procès pour propagande et activité communistes (BB18 7042).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 3589-353136) ; registre de main courante du commissariat de Noisy-le-Sec (C B 108 art. 7) ; registre de main courante du commissariat de Noisy-le-Sec (C B 108 art. 7).
- Archives de Paris : archives judiciaires, registre du greffe du tribunal correctionnel de la Seine, 14 janvier-12 février 1941.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 829 (28184/1942).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
- Jean Philippe Lautenbacher, son neveu (fils de sa sœur Alice Marie Moroy, épouse Lautenbacher), message 04-2017 : souvenirs familiaux, photos.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 3-09-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Jacques MORON – 45901

Jacques, Raymond, Moron naît le 1er décembre 1920 à Châtellerault (Vienne – 86), au 25 rue de Villevert, fils de Julien Moron, mercier, 28 ans, et de Désirée Raymonde Ernest, 27 ans, son épouse. Jacques a un frère, Michel, né en 1918, et une sœur, Simone, née en 1929, tous deux à Châtellerault.

Au printemps 1936, Jacques habite chez ses parents, au 3 rue des Scieurs à Châtellerault. Àgé de 15 ans, il travaille comme distillateur chez Lafoy (?). Son père et son frère sont employés de commerce.

En 1936-1937, il serait membre de la cellule communiste de Cénon-sur-Vienne.

Au moment de son arrestation, il est domicilié à Chézelles, commune de Naintré (86).

Jacques Moron est tourneur sur métaux à la Manufacture nationale d’armes de la Vienne, à Châtellerault. « Travailleur sérieux, sobre et honnête », il est bien considéré par ses chefs de service.

Avant-guerre, il est secrétaire du “rayon” des Jeunesses communistes de Châtellerault.

Le 22 février 1941, à Châtellerault, il se marie avec Suzanne, Désirée, Joffrette, Destouches. Ils n’auront pas d’enfant.

De 1940 à 1941, il fait partie du triangle de direction clandestin des J.C. avec Paul Bailly et Marcel Pillorget. Avec d’autres communistes, il participe aux inscriptions sur le pont Henri IV, à l’occasion du 1er mai 1941.

Châtellerault. Le pont Henry IV. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Châtellerault. Le pont Henry IV. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 23 juin 1941, dans la matinée, un agent subalterne du commissaire de police spéciale de la Sûreté nationale à Châtellerault reçoit du capitaine de la Kommandantur dans cette ville l’ordre de lui communiquer une liste de membres connus du parti communiste local. Il refuse et en informe le sous-préfet de Châtellerault. Au début de l’après-midi, le commissaire spécial lui-même reçoit cet ordre par écrit. Il en réfère alors au sous-préfet, qui se met lui-même immédiatement en communication avec le préfet de la Vienne, auquel il indique les noms figurant sur une liste de dirigeants du PC avant l’interdiction, établie par un inspecteur de la Sûreté le 28 mai. Le préfet autorise finalement communication de ces noms aux autorités occupantes. Le commandant de la section de gendarmerie de Châtellerault est alors impliqué dans les opérations : « … à 15 h 30, les autorités allemandes, par l’intermédiaire du commissaire de police, donnent l’ordre de mettre à leur disposition, et pour 16 h 15, sept gendarmes. La mission donnée était d’inviter (sic) des personnes dont les autorités d’occupation avaient la liste à se présenter à la Feldgendarmerie. »

Dans la soirée, Jacques Moron est arrêté par des Feldgendarmes et des policiers et gendarmes français. Le commandant de gendarmerie rendra compte : « À 22 h 30, une quinzaine de personnes retenues parmi celles qui s’étaient présentées (re-sic) à la Feldgendarmerie étaient transportées dans deux voitures cellulaires vers un destination inconnue. » Ils sont conduits au camp de la Chauvinerie, à Poitiers, caserne réquisitionnée par l’occupant (selon Maurice Rideau, 33 communistes sont arrêtés ce jour-là dans la Vienne

[1] ; 28 sont conduits à la Chauvinerie, 14 seront des “45000”).

Poitiers. L’entrée du quartier (caserne) de la Chauvinerie dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Poitiers. L’entrée du quartier (caserne) de la Chauvinerie dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 12 juillet, Jacques Moron fait partie d’un groupe de détenus embarqués à la gare de Poitiers pour être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; matricule 1201.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jacques Moron est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45901 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jacques Moron est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Là, il est affecté au Block 15 avec Louis Cerceau, de Domines (86).

Jacques Moron meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [2]).

Le 29 janvier 1947, un jugement du Tribunal civil de Châtellerault le déclare « décédé le 1er juillet 1942 en Allemagne ».

Son nom est inscrit sur la plaque apposée dans le hall de la mairie de Châtellerault en « Hommage aux victimes de la guerre 1939-1945 de la commune ».

Son nom est également inscrit sur un plaque dédiée aux « victimes de la guerre 1939-1945 » et apposée sur le Monument aux morts de Naintré.

Notes :

[1] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), créé à cette occasion pour la détention des “ennemis actifs du Reich” sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui partiront dans le convoi du 6 juillet 1942.

[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 379 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Deux-Sèvres et de la Vienne (2001), citant : Témoignages de Maurice Rideau, de Raymond Montégut, de Raymond Jamain (FNDIRP) et d’Émile Lecointre – Correspondance avec Michel Bloch, historien.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 829 (31451/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 86-Châtellerault, relevé de Monique Ingé (2006).
- Site Les plaques commémoratives, sources de mémoire (aujourd’hui désactivé – nov. 2013), photographie de Jean-Jacques Guilloteau.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

François MORIN – (45899 ?)

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Portrait de François Morin,
probablement dessiné
lors de son service militaire.
Collection “guittmfm”,
son neveu.

François, Eugène, Morin naît le 13 août 1906 à Notre-Dame-du-Touchet (Manche).

Au moment de son arrestation, il est domicilié Route de Vaux à Bayeux (Calvados – 14) et se déclare comme bûcheron.

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François Morin en 1941, au mariage
de son frère. Collection “guittmfm”.

Marié, il est père de cinq enfants.

Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, François Morin est arrêté à son domicile par la police française. Figurant comme “communiste” sur une liste d’arrestations demandées par la Feldkommandantur 723 de Caen, à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) 

[1], il est conduit à la gendarmerie avec 17 autres habitants de la ville (selon le Comité local de Libération). Il y reste deux jours.

La gendarmerie et la  prison de Bayeux dans les années 1900, ancienne chapelle de la Charité. Carte postale, collection Mémoire Vive.

La gendarmerie et la prison de Bayeux dans les années 1900, ancienne chapelle de la Charité.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 3 mai, François Morin est transféré en camion à Caen. Remis aux autorités d’occupation, il est conduit au “petit lycée” de Caen où sont rassemblés les otages du Calvados.

Le 4 mai au soir, il fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandises de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le lendemain, 5 mai, en soirée. Sa femme reçoit une carte depuis ce camp, datée du 30 mai et donnant quelques nouvelles.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre début mai et fin juin 1942, François Morin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, François Morin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45899, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté François Morin.

Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement gazés [2]).

En juillet 1945, ayant appris le retour d’André Montagne, de Caen, le Comité de libération de Bayeux le sollicite pour connaître le sort de François Morin et celui de six autres Bayeusains (aucun n’est revenu).

Droits réservés.

Droits réservés.

Le nom de François Morin est gravé sur le monument aux déportés de Bayeux, apposé sur l’ancien évêché, rue Larchet.

Bayeux, monument de la déportation, façade du palais épiscopal, Georges et Gilbert Hallier, architectes, bas-relief d’Ulysse Gemignani, sculpteur, 1906-1973. Qu’importe comment s’appelle Cette clarté sur leurs pas Que l’un fut de la chapelle Et l’autre s’y dérobât Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas Tous les deux étaient fidèles Des lèvres du cœur des bras Et tous les deux disaient qu’elle Vive et qui vivra verra Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas Quand les blés sont sous la grêle Fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles Au cœur du commun combat Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas (La rose et le réséda, extraits, Louis Aragon)

Bayeux, monument de la déportation,
façade du palais épiscopal,
Georges et Gilbert Hallier, architectes,
bas-relief d’Ulysse Gemignani, sculpteur, 1906-1973.
Qu’importe comment s’appelle
Cette clarté sur leurs pas
Que l’un fut de la chapelle
Et l’autre s’y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du cœur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
(La rose et le réséda, extraits, Louis Aragon)

Photos : Daniel Mougin, 2024.

Photos : Daniel Mougin, 2024.

Le 26 août 1987, à Caen, suite aux démarches de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.

Le nom de François Morin est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir de l’attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage. Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht.

Au total plus de la moitié des détenus sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au fort du Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 150 et 153, 360 et 414.
- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, page 91 ; notice de Cl. Cardon-Hamet page 121.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 132 (n° 46) et 138.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 829 (31804/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-11-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Albert MORIN – (45898 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Albert Morin naît le 14 août 1897 à Paris 12e, probablement à la maternité de l’hôpital Saint-Antoine, fils de Marie Juliette Morin, 23 ans, domestique, domiciliée au 2, rue de Cotte, proche de l’hôpital, et d’un « père non dénommé ».

“Enfant assisté” du département de la Seine, Albert Morin vient habiter à Lépine (Pas-de-Calais – 62), et commence à travailler comme charretier. Pas trouvé au recensement de 1911, 8 vues utiles

Le 9 août 1916, Albert Morin est incorporé comme soldat de 2e classe au 43e régiment d’infanterie. Il est « aux armées » le 16 février 1917. Le 8 août 1917, il passe au D.D. du 344e R.I. Le 5 septembre 1918, affecté sur le front de la Somme avec son unité, il est brûlé par les gaz de combat et évacué. Le 10 septembre, il est admis à l’hôpital complémentaire de Tours. Le 20 octobre, il est de retour « aux armées ». Le 23 mars 1919, il est dirigé sur le dépôt, après avoir été dans une unité combattante pendant 1 an, 11 mois et 24 jours.

Son régiment ayant participé à certaines opérations, Albert Morin a droit au port de la fourragère aux couleurs de la Croix de guerre.

Le 15 septembre 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation, titulaire d’un certificat de bonne conduite, et se retire à Lépine. Dans la réserve, il est affecté au Génie du chemin de fer.

Le 10 novembre 1919, Albert Morin est embauché comme chauffeur de route par la Compagnie des chemins de fer du Nord, qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938

[1].

Le 14 février 1920 à Amiens (Somme – 80), il épouse Françoise Virginie Labitte, née le 16 novembre 1898 à Nempont-Saint-Firmin (62). Ils ont un fils, Jean, né en 1920 à Amiens.

Fin août 1927, il habite au 191 rue de la Voirie.

Au moment de son arrestation, Albert Morin habite une maison cheminote avec jardin au 22, rue Lapostolle à Amiens, proche des ateliers de la gare d’Amiens longés par la rue Dejean.

Il est alors mécanicien de route au dépôt SNCF d’Amiens.

Façade de la gare d’Amiens dans les années 1920. Carte Postale. Collection Mémoire Vive.

Façade de la gare d’Amiens dans les années 1920.
Carte Postale. Collection Mémoire Vive.

Il est délégué syndical CGTU de 1933 à 1935.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.  Collection Mémoire Vive.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.
Collection Mémoire Vive.

Le 30 novembre 1938 (jour d’une tentative de grève générale mise en échec par le gouvernement et le patronat), il commet « une infraction grave contre la discipline » (?).

Il est également membre du Parti communiste.

Le 10 mai 1942, Albert Morin est arrêté comme otage par la police allemande, parmi quatorze cheminots du dépôt d’Amiens dans la même période, à la suite du sabotage de la grue de relevage du dépôt SNCF d’Amiens dans la nuit du 30 avril au 1er mai. Il est écroué à la Maison d’arrêt d’Amiens « à la disposition des autorités allemandes ».

Dans une notice individuelle réalisée après coup par la police française, il est dit de lui : « N’a jamais manifesté de sentiments politiques depuis 1939 ».

Le 10 juin, ils sont dix cheminots du dépôt d’Amiens (dont neuf futurs “45000”) [2] à être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Albert Morin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Albert Morin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45898 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Albert Morin se déclare alors comme cheminot (Eisenbahner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Albert Morin.

Il meurt à Auschwitz le 7 octobre 1942, d’après l’acte de décès du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « insuffisance (du muscle) cardiaque » (Herzmuskelinsuffizienz) ; l’état civil français a enregistré la date du 30 décembre 1942.

Notes :

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] Les neuf cheminots, futurs “45000” : Roger Allou et Clovis Dehorter, de Camon ; Émile Poyen, de Longeau ; Paul Baheu, Fernand Boulanger, Fernand Charlot, Albert Morin, Georges Poiret et François Viaud, d’Amiens (ce dernier étant le seul rescapé des “45000” d’Amiens, Camon et Longueau).

Le dixième cheminot interné à Compiègne est Joseph Bourrel, mécanicien de manœuvre, domicilié au 102 rue Richard-de-Fournival à Amiens. Son sort en détention reste à préciser (il n’est pas déporté, selon le mémorial FMD)…

Un onzième cheminot reste à la prison d’Amiens, Jean Mayer, ouvrier au dépôt, domicilié au 36 rue Capperonnier à Amiens, arrêté la nuit même de l’attentat. Il est probablement condamné par un tribunal militaire allemand. Le 26 avril 1943, il est transféré dans une prison du Reich à Fribourg-en-Brisgau. Il est libéré à Creussen le 11 mai 1945.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 369 et 414.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : extrait du registre des naissances du 12e arrondissement à la date du 15-08-1897 (registre V4E 9390), acte n° 2207 (vue 20/31).
- Archives départementales de la Somme, Amiens : correspondance de la préfecture sous l’occupation (26w592).
- Base de données des archives historiques SNCF : service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 1070-1071
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 829 (34713/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copie de l’acte de décès du camp.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Roger MORIN – 45900

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Roger, Célestin, Morin naît le 30 octobre 1912 à Tours (Indre-et-Loire – 37), chez ses parents, Édouard Joseph Morin, 42 ans, brigadier chargeur des Postes, et Célestine Vennevier, 32 ans, son épouse, domiciliés au 24 rue Chambert. Roger a une sœur, Yvonne, née en 1901, et un frère, Robert, né en 1907, tous deux à Tours.

Roger Morin acquiert un bon niveau de formation, se déclarant comme archiviste dessinateur lors du conseil de révision.

Le 25 octobre 1933, il est affecté au 2e régiment d’aviation afin d’y accomplir son service militaire. Mais, le 21 novembre suivant, la commission de réforme de Tours le réforme définitivement n° 2 pour « insuffisance mitrale, souffle systolique de la pointe propagée à l’aisselle ». Il est aussitôt “renvoyé dans ses foyers” et se retire chez ses parents au 24 rue Chambord à Tours.

Le 2 décembre 1933, à Saint-Pierre-des-Corps, alors âgé de 21 ans, comptable, Roger Morin se marie avec France Marcelline Albertine Blanvillain, née le 8 avril 1907 à Tours, domiciliée au 105 rue de la Noue à Saint-Pierre-des-Corps (37), commune implantée entre le Cher et la Loire, chez son père, alors veuf et retraité de la Compagnie  de chemin de fer de Paris à Orléans (P.O.).

René et France ont – au moins – une fille, Éliette, née en 1934 à Tours.

En 1936, tous trois habitent au 105, rue de la Noue. Roger Morin est employé de bureau à la Compagnie Générale de construction et d’entretien du matériel de chemin de fer (CGCEM), entreprise privée qui devient Compagnie Industrielle de Matériel de Transport (CIMT) cette même année.

Saint-Pierre-des-Corps, vue générale des ateliers de la CGCEM. Carte postale “voyagée” en 1935, collection Mémoire Vive.

Saint-Pierre-des-Corps, vue générale des ateliers de la CGCEM.
Carte postale “voyagée” en 1935, collection Mémoire Vive.

Morin est arrêté puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Roger Morin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45900 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Roger Morin.

Il meurt à Auschwitz le 9 août 1942, d’après le registre d’appel du camp (Stärkebuch) ; un mois après l’arrivée de son convoi. En France, cette date sera portée en marge de son acte de naissance.

Le nom de Roger Morin est inscrit sur le Monument aux morts de Saint-Pierre-des-Corps.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 364 et 414.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995, tome 3 : Annexes, relevé du registre d‘appel, Stärkebuch  (Stb. 2, 281-284), page 1555.
- Site Mémorial GenWeb, relevé de Stéphane Le Barh et Catherine Rouquet (08-2003).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Robert MORICCI – (45897 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Robert, Alphonse, Moricci naît le 22 février 1922 à Paris.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 48, rue Victor-Hugo, dans le quartier de la Plaine des Sables, à Draveil (Seine-et-Oise / Essonne) 

[1].

Robert Moricci entre dans le groupe d’enfants de la section draveilloise du Secours Ouvrier International (SOI) créé en 1931, où il se lie d’amitié avec Maurice Le Berre. Militant des Jeunesses communistes. Il a 17 ans en 1939. Il est coupeur de bois, garçon de café.

Robert Moricci est arrêté dans la nuit du 13 au 14 juillet 1941 par la police française (commissariat de la circonscription de Montgeron, préfecture de Versailles pour le compte de la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud) pour distribution de tracts du Front national [2] préparant les manifestations du 14 juillet contre l’occupant, avec Pierre Bonnot (interné à Beaune-la-Rolande), Marcel Linard (fusillé comme otage le 9 mai 1942 à Clairvaux), André Rousseau (futur “45000” lui aussi ).

Le 29 juillet, Robert Moricci est condamné par le tribunal militaire allemand de Saint-Cloud à six mois de prison pour propagande communiste, comme André Rousseau. Il est successivement emprisonné à la prison militaire du Cherche-Midi, à Paris (juillet-août 1941), à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne (août-octobre), puis à Villeneuve-Saint-Georges (octobre 1941-janvier 1942).

Le 15 janvier 1942, à l’expiration de sa peine, il n’est pas libéré, car il figure (depuis novembre) sur les listes allemandes d’otages susceptibles d’être fusillés ou déportés : deux jours plus tard, il est transféré avec André Rousseau au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Robert Moricci est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45897, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Robert Moricci.

Il meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [3]).

Déclaré “Mort pour la France”, il est homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 14-12-1997).

Notes :

[1] Draveil : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 378 et 414.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Yvelines (2002), citant : Archives du monde combattant, Caen (“Liste communiquée par M. VAN DE LAAR, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948”, établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz) – Liste FNDIRP.
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, Centre de documentation juive contemporaine, XLV-29 et XLVa-2.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 829 (31516/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 7-06-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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