Francis NÉE – (45919 ?)

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Francis Née.
Collection Madeleine Née.
Droits réservés.

Francis, Léon, Née naît le 4 août 1922 au Mans (Sarthe – 72), fils de Philippe Née, né en 1888 dans le Loir-et-Cher, et de Jeanne Guinfoleau, son épouse, née en 1897 en Vendée. Ses deux frères sont également nés dans la Sarthe : Georges, l’aîné, en 1920 et Jacques, le benjamin, le 13 août 1924 au Mans (décédé en 2003). Bien qu’étant elle-même « très politique », leur mère les place comme enfants de chœur… pour « être tranquille ».

En 1936 et jusqu’à l’arrestation de Francis, la famille est domiciliée dans une toute petite maison du passage Schumann, débouchant au 124 de la rue du Génie à Vitry-sur-Seine

[1] (Seine/ Val-de-Marne), un quartier limitrophe de Villejuif [1] sur le plateau. Le père est boucher à Vitry, ainsi que son frère Georges. Sa mère est chef d’équipe de sellerie chez Renault (femme de caractère, elle tiendra une épicerie rue Vieille-du-Temple à Paris après la guerre et n’assistera pas au mariage de son fils Jacques « faute de temps »).

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Francis et Jacques Née (petite fille inconnue…).
Collection Madeleine Née. Droits réservés.

Francis Née est tourneur sur bois. Il est célibataire (il a 18 ans…).

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Porte cures-dents sculpté par Francis Née.
Collection Madeleine Née. Droits réservés.

Avant guerre, il milite dans le “cercle” des Jeunesses communistes de Villejuif, avec François Daoudal et Paul Guillaume [2], dit “Paulo”. Il continue dans la clandestinité et sous l’occupation.

Le 17 septembre 1940, tous les trois sont arrêtés par la police française, lors d’une distribution de tracts, rue Jean-Baptiste-Baudin à Villejuif. Ils ont affaire à Guimelli, un brigadier de police du commissariat de la circonscription de Gentilly très connu dès avant la guerre par sa violence à l’égard des militants et des élus communistes de sa circonscription.

Le 22 octobre, inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939, tous les trois sont placés sous mandat de dépôt.

Le 20 novembre 1940, à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), Francis Née attire « à nouveau l’attention […] en manifestant en compagnie d’un co-détenu aux cris : “Les soviets partout !” ».

Le 8 février 1941, lors d’une audience au cours de laquelle sont jugés 50 militants et militantes communistes (dit « procès des cinquante »), dont dix-sept futurs “45000”, la chambre des mineurs (15e) du tribunal correctionnel de la Seine condamne Francis Née à six mois d’emprisonnement. Son frère Jacques, polisseur, également inculpé, est considéré « comme ayant agit sans discernement [est] remis purement et simplement à [sa] famille ».

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Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)

Comme les autres condamnés, Francis Née fait appel de la sentence le 28 février. Bien que sa peine soit en partie ou totalement couverte par la détention préventive qu’il a déjà effectué, il n’est pas libéré : dès le lendemain, – sur instruction des Renseignements généraux, « considéré comme dangereux pour la sécurité nationale » – le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif.

Le 27 février suivant, il fait partie d’un groupe de 48 internés administratifs – dont Guy Môquet, Maurice Ténine et seize futurs “45000” – transférés à la Maison centrale de Clairvaux (Aube) où ils en rejoignent d’autres : 187 détenus politiques s’y trouvent alors rassemblés.

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Clairvaux. La Maison centrale. Carte postale. Collection M. Vive.

Le 31 mars, Francis Née est un des six internés de Clairvaux conduits à la Maison d’arrêt de la Santé, (Paris 14e), en préalable à leur passage devant la Cour d’appel de Paris. Le 9 avril, celle-ci examine la situation de cinquante condamnés pour activité communiste. Elle confirme la peine de Francis Née. Il est prévu que celui-ci soit ramené à Clairvaux, mais le quartier de la centrale utilisé comme centre d’internement étant « complet » il reste interné à la Santé.

En septembre 1941, Francis Née fait partie d’un groupe d’internés de la Santé transférés au “centre d’internement administratif” (CIA) de Gaillon (Eure), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle, puis en caserne.

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Le camp de Gaillon, ancien château de l’évêque de Rouen.
Carte postale d’après-guerre. Collection Mémoire Vive.

Selon une note de la police (RG ?) datée du 18 février 1942, il figure sur une liste de 43 « militants particulièrement convaincus, susceptibles de jouer un rôle important dans l’éventualité d’un mouvement insurrectionnel et pour lesquels le Parti semble décidé à tout mettre en œuvre afin de faciliter leur évasion », et qui sont pour la plupart internés au camp de Gaillon.

Le 4 mai 1942, Francis Née fait partie d’un groupe d’internés transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir). Enregistré sous le matricule n° 306, il n’y reste que deux semaines.

Le 20 mai, il est parmi les 28 détenus que viennent chercher des gendarmes français accompagnés de militaires allemands. Pensant qu’on les emmène pour être fusillés, les partants chantent La Marseillaise. En fait, remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci, ils sont conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 –Polizeihaftlager).

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Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central
dont l’ombre se profile sur le sol. Le renfoncement à droite
dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Entre fin avril et fin juin 1942, Francis Née est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Francis Née est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45919, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée). Il se déclare comme fondeur (Giesser).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Francis Née meurt à Auschwitz le 13 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp, qui indique comme cause une « défaillance cardiaque et vasculaire » (Versagen des Herzens und Kreislaufes) ; il a 20 ans. (aucun des treize “45000” de Vitry n’est revenu)

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Acte de décès au camp de Francis Née.
Pour tous les détenus, l’adresse est invariablement :
« Auschwitz, Kasernstrasse » (rue de la caserne).
© Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 18-05-1995).

Le 24 septembre 1942, son frère Jacques est arrêté comme militant des Jeunesses communistes sur ordre des Renseignements généraux. Trois jours plus tard, il est interné au centre d’internement administratif de Pithiviers (Loiret), puis est transféré à celui de Voves (Eure-et-Loir). Très affaiblit, s’évanouissant souvent – un infirmier le gifle pour qu’il se redresse afin de lui faire une prise de sang -, il sera libéré le 7 décembre 1943.

Vers la fin de la guerre, leur père meurt sous un bombardement.

Le 16 octobre 1947, Robert Lambotte signe un document certifiant que Francis Née est décédé à Auschwitz (estimant que sa mort est survenue au mois d’août).

Le nom des Francis Née est inscrit sur le monument « À la mémoire de Vitriotes et des Vitriots exterminés dans les camps nazis » situé place des Martyrs de la Déportation à Vitry.

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Une plaque dédiée aux “45000” vitriots a été apposée
au dos du monument. Elle est parfois masquée par la végétation.
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La plaque apposée pour le 50e anniversaire de la libération
des camps (avril 1995).

Sources :

- Madeleine Née, née Lermite, veuve de Jacques Née, entretient fin septembre 2009.
- Marcelino Gaton et Carlos Escoda, Mémoire pour demain, L’action et les luttes de militants communistes à travers le nom des cellules de la section de Villejuif du Parti communiste français, éditions Graphein, septembre 2000, pages 38 et 40.
- 1939-1945, La Résistance à Vitry, Ville de Vitry-sur-Seine, 1992, page 19.
- Archives communales de Vitry-sur-Seine, listes de recensement de 1936.
- Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
- Archives départementales d’Eure-et-Loir, archives du camp de Voves, dossier de Jacques Née, recherches du Comité du souvenir du camp de Voves, message d’Étienne Égret (01-2014)
- Dominique Ghelfi, Des Tourelles à Buchenwald (daté 1946) in Contre l’oubli, brochure éditée par la Ville de Villejuif, service municipal de l’information, à l’occasion d’une exposition en février 1996, page 59 à 62. D. Ghelfi, n’ayant pas été sélectionné pour le convoi du 6 juillet, a assisté au départ de ses camarades. Lui-même a été déporté à Buchenwald en janvier 1944 (rescapé).
- Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” : BA 2373 (camps d’internement…) ; BA 2397 (liste des internés communistes, 1939-1941).
- Archives nationales, correspondance de la Chancellerie sur des procès pour propagande et activité communistes, BB18 7043.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 390 et 415.
- Archives départementale de Paris, archives judiciaires, registre du greffe du tribunal correctionnel de la Seine, 14 janvier-12 février 1941 ; jugement du samedi 8 février 1941, cote D1U6 3719.
- Archives départementales de l’Eure, Évreux, camp de Gaillon, recherches de Ginette Petiot (messages 08-2012).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 854.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès établi par l’administration SS du camp (35830/1942, daté du 21 octobre).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Francis Née, cotes n° 21 P 520 116 et 21 P 266 476, recherches de Ginette Petiot (message 09-2012) ; liste des internés administratifs de Clairvaux établie en janvier 1945 (message 11-2014).

Carlos Escoda et MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 12-11-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Vitry-sur-Seine et Villejuif : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Paul Guillaume : lors du procès de février 1941, la 15e chambre du tribunal correctionnel de la Seine le condamne à six mois d’emprisonnement.

Daniel NAGLIOUCK – 45916

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…en 1956. D.R.

Daniel Nagliouck naît le 18 octobre 1897 à Kolki, située à 50 km au nord-est de Loutsk, capitale administrative de l’oblast de Volhynie (alors en Ukraine annexée par la Russie), fils de Josef Nagliouck et Gisela Calenda (Fekla Koleda).

En 1916, au cours de la première guerre mondiale, Daniel Nagliouck arrive en France comme adjudant à l’état-major du corps expéditionnaire russe sur le front français.

À la fin du conflit, il décide de ne pas retourner dans son pays, transformé par la révolution soviétique.

En France, il conserve la nationalité russe (mais sera considéré comme “apatride”).

Au moment de son arrestation, Daniel Nagliouck est domicilié au 31, rue du Pré (de la Bataille ?) à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime 

[1] – 76). Il est célibataire.

Il est alors ajusteur-mécanicien au garage Peugeot de l’avenue du Mont-Riboudet, proche de son domicile.

En juin 1940, il entre en contact avec des membres du Parti communiste clandestin de son secteur.

À partir de mai 1941, sous l’Occupation, il est actif dans la clandestinité au sein du Front national [2], dirigé localement par André Pican : diffusion de la presse clandestine et de tracts anti-allemand, liaisons dans la vallée du Cailly et – à partir de juillet – actions de sabotage sur des véhicules de la Werhmacht en réparation dans le garage où il travaille, réquisitionné par l’armée allemande.

Daniel Nagliouck est également en contact avec des ouvriers du garage Renault de Rouen, qu’il rencontre dans le petit restaurant voisin où ils prennent leur repas, discutant avec eux de l’organisation de sabotages.

Le 15 septembre, un dizaine de camions équipés de moteurs neufs partent du garage Renault en direction de Paris, « chargés de matériel de guerre ». Après 50 km de route, les pistons, chauffés, se bloquent et les moteurs sont « littéralement pulvérisés ». L’enquête menée par l’armée d’occupation auprès des ouvriers du garage Renault révèle des contacts réguliers avec Daniel Nagliouck. Celui-ci est arrêté et conduit au siège de la Gestapo où il est violemment frappé lors de son interrogatoire. La perquisition effectuée pendant ce temps à son domicile ne donnant rien et lui-même ne lâchant aucune information, les Allemands le ramènent à son garage. Il y travaille jusqu’au lendemain, 18 septembre, où ils reviennent pour l’arrêter définitivement. Daniel Nagliouck pourrait avoir été dénoncé pour avoir été précédemment surpris en train de verser de la limaille de fer dans l’huile des moteurs. Un document allemand ultérieur indique seulement : « Arrêté par le SD pour soupçon d’activité communiste ».

Pendant cinq semaines, il est interné au Palais de Justice de Rouen.

Rouen. Le Palais de Justice. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Rouen. Le Palais de Justice. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 30 octobre, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule n° 2093.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 9 février 1942, la Feldkommandantur de Rouen propose qu’il fasse partie d’une liste de fusillés en représailles de l’attentat d’Elbeuf [4].

Sa fiche d’otage, n° 16, annexée à la liste (« Geiselliste ») établie le 25 février, le désigne comme “juif”, mais, selon C.-P. Couture, cette appartenance n’est pas certaine : à l’époque, on désignait parfois des immigrés venus de pays de l’Est comme juifs à leur insu, pour avoir un plus grand choix d’otages. Sur les listes pour la constitution du convoi, il figure comme “politique” et semble avoir traité comme tel dans les camps.

Entre fin avril et fin juin 1942, Daniel Nagliouck est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Daniel Nagliouck est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45918. Ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard. Sa photo n’a pas été retrouvée.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Le 4 juillet 1943, comme les autres “politiques” français (essentiellement des “45000” rescapés), il reçoit l’autorisation d’écrire à sa famille, en allemand et sous la censure et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.

À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) et mis en “quarantaine” au premier étage du Block 11. Ceux-ci sont exemptés de travail et d’appel extérieur, mais témoins des exécutions massives de résistants, d’otages et de détenus dans la cour mitoyenne.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues –
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 4 novembre, le nom de Daniel Nagliouck est inscrit sur un registre de l’hôpital (Block 21, chirurgie).

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de “récupérer”, les “politiques” français sont renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Courant avril 1944, Daniel Nagliouck est conduit à pied à Birkenau, avec Francis Joly, Marceau Lannoy, Albert Rossé et Gustave Rémy (un “123000”). Ils sont assignés au Block 10 du sous-camp des hommes (BIId) et doivent travailler au Kommando 301 B Zerlegebetrieb, composé d’environ mille hommes – dont beaucoup de prisonniers russes – chargé de démonter et récupérer les matériaux d’avions militaires abattus, allemands ou alliés, pour l’entreprise LwB.Rorück. L’aire de démontage est située au sud de Birkenau, de part et d’autre d’une voie annexe de la ligne de chemin de fer permettant d’acheminer les carcasses d’avions dans un sens et les pièces démontées dans l’autre. Ils sont surveillés par deux capitaines et des sous-officiers de la Luftwaffe. Comme cet atelier est classé dans les Kommandos de force, ils reçoivent également une ration supplémentaire de nourriture.

Le 3 août 1944, Daniel Nagliouck est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” [5] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “proeminenten” polonais) transférés au KL [6] Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin.

Le 20 avril, Daniel Nagliouck est pris dans les colonnes de détenus évacués du camp et conduits à marche forcée sur les routes. Le 2 mai, sa colonne est libérée près de Schwering par l’avancée de l’armée américaine.

Pendant un temps, il est hospitalisé à Haguenau (Bas-Rhin).

Le 9 juin 1945, Daniel Nagliouck est rapatrié, passant par le Centre parisien de l’hôtel Lutetia.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Il se rend ensuite au 1, rue des Boucheries-Saint-Ouen, à Rouen (qui l’héberge ?).

Le 14 juin 1950, le ministère de la Défense nationale lui délivre un certificat d’appartenance à la Résistance intérieure française (RIF) au titre du Front national, avec le grade fictif de soldat ; homologation confirmée par un arrêté ministériel du 24 septembre 1951.

Le 10 mai 1951, Daniel Nagliouck remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de Déporté Résistant. En juin 1951, le préfet de Seine-Inférieure émet un avis favorable à sa demande au nom de la Commission départementale d’attribution. Mais la Commission nationale émet un avis réservé en mai 1955, puis un avis défavorable en mars 1956. En avril, le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre ne lui délivre donc que le titre de Déporté politique (carte n° 1103.20590). Le 23 juillet suivant, Daniel Nagliouck écrit au ministre pour protester contre ce refus qu’il estime infondé et demander un réexamen de ses droits par voie de recours gracieux, ajoutant une nouvelle attestation concernant les conditions de son arrestation. Sa démarche est appuyée par André Marie, ancien Président du Conseil et député de Seine-Maritime. La décision est renvoyée au Tribunal administratif de Rouen, alors seul compétent pour statuer (l’a-t-il fait ?). Daniel Nagliock obtient encore une attestation circonstanciée de Germaine Pican, datée du 12 avril 1957. Le 29 mai 1958, la décision de refus est rapportée et Daniel Nagliouck se voit accorder le titre de Déporté Résistant (carte n° 1003.15304).

En novembre 1955, il vit en ménage avec Madeleine L. Il est alors ajusteur-mécanicien à la Compagnie française des métaux.

Daniel Nagliouck décède le 4 octobre 1963.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

[4] L’attentat d’Elbeuf : en janvier 1942, une sentinelle allemande est abattue à Elbeuf ; neuf otages seront fusillés le 14 février :

AVIS

Le 21 janvier dernier, à Elbeuf, des coups de feu étaient tirés sur une sentinelle de l’armée allemande qui fut grièvement blessée. À la suite de cet attentat, j’ai ordonné l’exécution des personnes qui ont commis des actes criminels contre l’armée allemande.

Der Chef des Militaerverw. Bezirkes A

(avis paru dans Le Journal de Rouen du 16 février 1942)

[5] Les trente d’Auschwitz vers Sachso (ordre des matricules, noms de G à P) : Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).

[6] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 66, 377 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et les “31000” de Seine-Maritime, réalisée à Rouen en 2000, citant : Claude-Paul Couture, chercheur, courrier 30/4/1992 -Documents allemands, Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Paris – Fiche d’otage du 25 février 1942 – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Gustave Rémy, ouvrier aux établissements Kiener à Éloyes (Vosges), en zone interdite, envoyé à Terniz (Autriche) en novembre 1942 au titre du STO, arrêté par la Gestapo après avoir envoyé à son frère prisonnier de guerre une lettre exprimant son dégoût de travailler pour le Reich, enregistré à Auschwitz à la fin mai 1942 (matricule “123000”), passé par la “quarantaine” du Block 11 ; récit dactylographié envoyé à Renée Joly en septembre 1992.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (message 24-03-2010).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Daniel Nagliouck (21 P 603 861), recherches de Ginette Petiot (message 01-2014).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-08-2023

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Jean NAGEOT – 45917

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jean, Alfred, Petit naît le 8 mai 1899 à Ludes, village à la lisière de la Forêt de la montagne de Reims (Marne – 51), fils de Noëlie, Rœgina, Petit, 27 ans (11 septembre 1872), manouvrière (puis cuisinière) ; Joseph ? Alfred Petit, 57 ans, vigneron, sans doute son grand-père, est un des deux témoins lors de l’enregistrement du nouveau-né à l’état civil. Le 7 décembre 1901, Eugène Nageot, alors âgé de 32 ans, « domestique de culture » chez un propriétaire vigneron rue des Murreaux à Bouzy (51), 12 km au sud-est de Ludes 1901, reconnaît et légitime l’enfant en se mariant avec sa mère à la mairie de Ludes.

En 1911, la famille est installée au 5, rue Veuve Pommery à Verzenay (51), 5 km à l’est de Ludes. Le père de famille est charretier chez Walbaum. Jean a trois sœurs plus jeunes : Marguerite, née en 1904 à Bouzy, Yolande, née en 1906, et Jeanne, née en 1910, toutes deux à Verzenay.

Au début de la Première Guerre mondiale, vivant avec sa mère, alors veuve, Jean Nageot commence à travailler comme vigneron.

Le 21 avril 1918, il est mobilisé comme soldat de 2e classe au 168e régiment d’infanterie afin d’y recevoir sa formation militaire. Le 15 juillet suivant, il passe au 36e R.I. Le 16 janvier 1919, il est nommé soldat de 1re classe. Le 12 septembre, il est nommé caporal. À partir du 24 octobre, il participe à l’occupation des Pays Rhénans. Le 8 mars 1920, il est nommé sergent. Le 23 mars 1921, il est renvoyé dans ses foyers et se retire à Ludes, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 24 juin 1922 à Bazancourt (51), Jean Nageot se marie avec Lucienne Renée Cousin, née le 19 octobre 1902 à Verzenay.

Pendant un temps, il est employé de commerce.

En juillet 1925, il est domicilié au 28, rue de Rü à Verdun (Meuse). Il est alors employé commercial pour Le Bon Génie – Paris. À partir de 1931, et jusqu’au moment de son arrestation, il habite au 21, avenue de la 42e Division, avec son épouse et leur fils Jean Gilbert, né en 1929 à Verdun. En 1931, Jean Nageot est voyageur de commerce pour Mondial Nouveautés, et, en 1936, il est employé commercial pour les Classes Laborieuses (une coopérative ?).

En 1938, lors de la crise des Sudètes, achevée par les “accords” de Munich (30 septembre), il est rappelé à l’activité militaire au sein du 46e R.I.F., arrivant au corps le 25 septembre et rentrant chez lui le 2 octobre.

Le 27 août 1939, avant la déclaration de guerre, Jean Nageot est rappelé à l’activité militaire et rejoint le dépôt d’infanterie 66. Mais, le 1er décembre suivant, il est classé dans l’affectation spéciale comme métallurgiste (?) aux usines Renault de Boulogne-Billancourt (Seine / Hauts-de-Seine).

À des dates et pour un motif restant à préciser, Jean Nageot est arrêté puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Il peut écrire une lettre à sa femme depuis se camp.

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Nageot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45917 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Jean Nageot se déclare comme « jardinier » (Gärtner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jean Nageot.

Il meurt à Auschwitz le 22 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique « typhus » (Fleckfieber) pour cause crédible – mais pas forcément véridique – de sa mort.

Il semble qu’un rescapé écrive à son épouse pour lui apprendre la mort de son mari.

Le nom de Jean Nageot est inscrit sur le monument à la mémoire des Enfants de Verdun morts pour la France (guerre 1939-1945) comme « prisonnier ou déporté ».

Lucienne Nageot décède à Verdun le 5 décembre 1993.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Jean Nageot (J.O. 26-04-1995).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 369 et 415.
- Jean Éloi, son neveu (message 29-03-2006).
- Archives départementales de la Marne (AD 51), site internet, archives en ligne : état civil de Ludes, registre des naissances, année 1899 (2 E 380/12), acte n° 17 (vue 57/313) ; registre des mariages (2 E 380/12), année 1901, acte n° 11 (vue 231/313) ; registres matricules du recrutement militaire, bureau de Reims, classe 1919 matr. 1-500 (1 R 1462) n° 78 (vue 93/630).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 848.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; relevé clandestin du registre de la morgue.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 23836/1942.
- Site Mémorial GenWeb, relevé de Bernard Butet (02-2008).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-05-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Georges MUSSET – (45916 ?)

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Probablement photographié
au camp de Rouillé. BAVCC.

Georges, Louis, Musset naît le 3 octobre 1897 à Paris 11e, chez ses parents, Louis Musset, 31 ans, employé de commerce, et Pauline David, son épouse, 26 ans, sans profession (ou marchande de vin), domiciliés au 51, avenue de la République. Il est légitimé par leur mariage, officialisé le 19 mars 1898.

Pendant un temps, il habite chez ses parents, alors domicilié au 61, rue de Strasbourg, à Saint-Denis

[1] (Seine / Seine-Saint-Denis) et travaille comme mécanicien-fraiseur.

De la classe 1917, Georges Musset est incorporé le 11 janvier 1916 comme canonnier de 2e classe au 104e régiment d’artillerie lourde. Il part « aux armées » le 3 février 1917. Le 10 août 1918, il passe au 313e RAL, puis, le 22 juin 1919, il passe au 121e RAL. Le 30 septembre suivant, il est envoyé en congé illimité de démobilisation.

Le 15 avril 1920 à la mairie de Saint-Denis, Georges Musset se marie avec Madeleine Collomb, employée.

En mai 1921, le couple habite au 19, Grande rue Saint-Marcel à Saint-Denis. En août 1923, ils demeurent au 18, rue du Port, toujours à Saint-Denis.

Leur fille Odette naît à Nanterre [1] (Seine / Hauts-de-Seine) le 22 avril 1924. Bien qu’ayant une formation de mécanicien-fraiseur, Georges Musset se déclare marchand de vins dès 1925. En août 1929, la famille loge au 29, rue Ernest Renan, à Nanterre, puis, pendant un temps, au 4, rue des Amandiers à Nanterre. Mais, à Auschwitz, Georges Musset se déclarera « séparé » (geschieden). En janvier 1938 et jusqu’au moment de son arrestation, son adresse déclarée est le 48, rue du Vieux-Pont, où il vit avec sa mère, alors veuve.

Sympathisant communiste, il est élu conseiller municipal de Nanterre le 12 mai 1935, en dernière position sur la liste conduite par Pierre Brandy et Raymond Barbet. Par la suite, il adhère au Parti communiste et devient secrétaire d’une cellule.

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Nanterre. La mairie et son parc dans les années 1920.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

En décembre 1938, l’armée classe Georges Musset dans l’affectation spéciale au titre de la Société nationale de construction de moteurs « Loviaume » (Lioré et Olivier ?), à Argenteuil ; est-ce son lieu de travail ?

Le 5 octobre 1939, comme pour de nombreuses villes de la “banlieue rouge », le conseil municipal de Nanterre est “suspendu” par décret du président de la République (sur proposition du ministre de l’Intérieur) et remplacé par une délégation spéciale nommée par le préfet. Le 29 février 1940, comme beaucoup d’autres élus, Georges Musset est déchu de son mandat par le Conseil de préfecture pour appartenance au Parti communiste (dissous et interdit depuis le 26 septembre 1939).

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L’Œuvre, édition du 18 mars 1940.
Archives de la préfecture de police. Paris.

Au début de l’occupation, la police française le soupçonne de « propagande communiste clandestine ».

Le 22 septembre 1940 à 6 heures du matin, Georges Musset est arrêté chez lui par le commissaire de police de la circonscription de Puteaux, accompagné d’inspecteurs en civil qui perquisitionnent son domicile sans trouver de documents compromettants. Détenu pendant trois jours au commissariat de Puteaux, Georges Musset est ensuite écroué à la Maison d’Arrêt de la Santé, à Paris 14e.

Le 15 octobre, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif et celui d’André Doucet : quatre jours plus tard, ils sont conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé au début du mois dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930. Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 6 mars 1941, sa mère écrit au préfet de Seine-et-Oise pour présenter une requête dont le contenu reste à préciser : autorisation de visite ou demande de libération. Le haut fonctionnaire départemental renvoie la décision au préfet de police de Paris, direction des services des renseignements généraux (la suite donnée est inconnue).

Le même 6 mars, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Georges Musset, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, n’exprime pas son avis mais constate que cet interné est un « communiste certain, mais non actif – il y aurait lieu d’envisager l’astreinte à résidence » (à son domicile), ajoutant à sa décharge : « très correcte ».

Le 6 septembre, Georges Musset est parmi les 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le 13 septembre, il écrit à Henri Boulay, de Fresnes (Seine / Val-de-Marne), resté à Aincourt, pour donner des nouvelles des transférés : « Le gars Géry est mon voisin comme de juste. […] Bien le bonjour de ma part ainsi que de Denizou » [2].

Le service de censure de l’administration d’Aincourt intercepte cette correspondance à l’arrivée. Le 20 septembre, le commandant du camp communique ces courriers et leurs transcriptions au cabinet du préfet de Seine-et-Oise pour suggérer le laxisme avec lequel est géré le camp de Rouillé : « la population parvient à communiquer avec les détenus », citant la lettre de Georges Musset : « avec cela, une population très sympathique, dont quelques-uns n’hésitent pas à apporter quelques denrées pour nous… ». Le chef de camp poursuit sa comparaison : « 7 internés ont déjà quitté le camp de Rouillé pour l’hôpital de Poitiers. Même lorsque l’effectif du Centre d’Aincourt était de 700 internés, jamais le nombre d’hospitalisés n’a dépassé le chiffre de 3 ». G. Musset précise dans sa lettre qu’ « ils étaient déjà malades depuis longtemps, des copains tuber…  ».

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le 22 mai 1942, Georges Musset fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Georges Musset est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45916, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire – au cours duquel Georges Musset se déclare « coiffeur » ! (Friseur) -, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Georges Musset.

Il meurt à Auschwitz le 23 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp [3] ; la cause mensongère de sa mort mentionnée est « insuffisance du myocarde » (Myocardinsuffizienz).

Le 9 avril 1947, au nom de l’Amicale d’Auschwitz, Lucien Penner, rescapé du convoi, signe une attestation certifiant du décès de Georges Musset à Auschwitz, qu’il estime avoir eu lieu à la fin de l’année 1942.

Déclaré “Mort pour la France” (7-7-1947), Georges Musset est homologué comme “Déporté politique”.

Son nom est inscrit (sans prénom) parmi les déportés sur le Monument aux morts de Nanterre, dans le parc des Anciennes Mairies.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 14-12-1997).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 383 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen – Archives municipales de Nanterre.
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, dirigé par Jean Maitron, t. 37, p. 198, citant : Arch. Dép. Seine, D M3, versement 10451/76/1.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris,) ; cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397), camps d’internement… (BA 2374).
- Archives de Paris ; registre des matricules militaires, recrutement de Paris, classe 1917, 1er bureau, volume 5501-6000 (D4R1 1966), Musset Georges, matricule n° 5874.
- Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “Occupation allemande” : BA 2397 (liste des internés communistes, 1939-1941) ; BA 2374 (camps d’internement…).
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1w70, 1w74 (révision trimestrielle), 1w80, 1w144 (dossier individuel) ; recherches parallèles de Claude Delesque.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : liste XLI-42, n° 137.
- Archives départementales de la Vienne ; camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 844.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès (37175/1942).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen ; dossier de Georges Musset (21 P 519 428, recherches de Ginette Petiot (message 11-2012).
- Site Mémorial GenWeb, 92-Nanterre, relevé de Gilles Gauthier (12-2005).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 18-12-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Saint-Denis et Nanterre : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Géry Dénizou, conseiller municipal communiste de Fresnes, né le 12 janvier 1894 à Eymoutiers (Haute-Vienne), emballeur, marié, deux enfants, déporté le 24 janvier 1943 vers le KL Sachsenhausen, mort en août 1944.

[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant Georges Musset, c’est le mois de juillet 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Louis MUEL – (45915 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Louis, Lucien, Antoine, Muel naît le 5 janvier 1909 à Rachecourt-sur-Marne (Haute-Marne), 19 km au sud-est de Saint-Dizier, premier fils d’Antoine Muel et de Joséphine, Henriette, Cabartier, son épouse (sœur d’Auguste Cabartier), tous deux décédés en 1911. Louis a – au moins – un frère, Marius, Henri, né le 29 juillet 1910.

Le 11 mars 1933, à Rachecourt, Louis Muel se marie avec Georgette, Eugénie, Louise, Emma, Lemineur, née en 1912 à Maurupt-le-Montois (Marne). Ils auront trois enfants : Lucien, né le 23 novembre 1931, Antoine, né le 30 décembre 1934, et Geneviève, née le 10 juillet 1939, tous à Rachecourt.

Jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée à Rachecourt, dans ce que l’on appelle les Cours : des rangées doubles de maisons avec juste un jardinet sur le pas de porte, l’arrière étant occupé par d’autres familles mais sans entrée commune.

Louis Muel est lamineur à la forge de Rachecourt – appartenant à la Société Métallurgique de Champagne – comme son oncle Auguste Cabartier (la forge sera détruite en 1961).

Rachecourt, l’usine et le barrage sur la Marne. Carte postale non datée (vers 1910 ?). Collection Mémoire Vive.

Rachecourt, l’usine et le barrage sur la Marne. Carte postale
non datée (vers 1910 ?). Collection Mémoire Vive.

Le 22 juin 1941, Louis Muel est arrêté, avec Auguste Cabartier, parmi une soixantaine de militants communistes et syndicalistes interpellés en quelques jours dans la Haute-Marne

[1] (dont 15 futurs “45000”). D’abord détenu à la prison de Chaumont, il est transféré le 27 juin au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Louis Muel est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commue de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Louis Muel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45915, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Louis Muel.On ignore la date exacte de sa mort à Auschwitz ; probablement avant la mi-mars 1943. L’état civil français a fixé la date de son décès au 15 août 1942 [2].

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. 14-12-1997).

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Rachecourt-sur-Marne.

Après l’arrestation de Louis Muel, son frère Marius aide sa veuve à élever les trois enfants. Ils se marient le 14 décembre 1946.

Notes :

[1] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 127 et 128, 367 et 415.
- Catherine Lefranc, petit-nièce d’Auguste et Marthe Cabartier (messages 05-2011 et 04-2016).
- Club Mémoires 52, Déportés et internés de Haute-Marne, Bettancourt-la-Ferrée, avril 2005, p. 39.
- Raymond Jacquot, site internet Mémorial GenWeb, 2004.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 29-09-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Raymond MOYEN – (45914 ?)

Raymond, Victor, Moyen naît le 18 mai 1912 à Paris 20e, de Pierre Moyen et Marguerite Wilhem. Il a une sœur, Jeanne

En 1929 ou 1930, alors qu’il fréquente le Club athlétique sportif du 20e arrondissement, Raymond Moyen fait la connaissance de Juliette Zalkinow, sténo-dactylo, née le 28 septembre 1915 à Paris, sœur de Rachel et Fernand Zalkinow

[1] (qui sera le second de Gilbert Brustlein, fils de Suzanne Momon).

Le 11 février 1936 à la mairie du 20e, ils se marient. Ils n’auront pas d’enfant.

Avant la guerre, Raymond Moyen appartient à l’association Les Amis de la Nature. Lors d’une fête donnée à Garches (la fête du journal L’Humanité ?), il est invité par la FSGT à participer à un défilé et reçoit comme récompense des organisateurs deux plaquettes de métal avec les effigies de Marcel Cachin et Paul Vaillant-Couturier.

Après avoir peut-être habité au 53, rue des Amandiers, le couple est domicilié au 12, rue Étienne-Dolet à Paris 20e (quartier de Ménilmontant) au moment de son arrestation.

Le 2 septembre 1939, Raymond est mobilisé au 47e régiment d’infanterie.

Le 30 décembre, les services de la préfecture de police mettent à la disposition du procureur de la République trois personnes arrêtées pour distribution de tracts ronéotypés émanant de l’ex-parti communiste, peut-être prises dans la même affaire : Juliette Moyen, de Paris 20e, Louis Boccard, de Boulogne-Billancourt, et Théophile Six, de Paris 19e.

En mai 1940, le tribunal militaire de Paris condamne Juliette Moyen à deux (ou trois) ans de prison avec sursis pour infraction au décret du 26 septembre 1939 (détention de tracts communistes). Le juge lui adresse une sévère mise en garde au cas où elle récidiverait.

Raymond Moyen est démobilisé le 13 août 1940.

À partir d’avril 1941, il travaille comme tourneur mécanicien chez OPIC, un fabriquant de machines pour l’industrie de la chaussure, au 13 rue Pajol à Paris 18e. Juliette fait des remplacements comme sténo-dactylo, en dernier lieu à Saint-Denis.

Le 30 octobre, le frère de celle-ci, Fernand Zalnikow, 18 ans, est arrêté dans la planque  qu’il partage avec Gilbert Brustlein au 126, avenue Philippe-Auguste (Paris 20e), et trouvé en possession d’un pistolet automatique 6/35.

Le samedi matin 1er novembre 1941, dans la matinée, Juliette Moyen se rend au domicile de ses parents, rue des Amandiers. Par des voisins, elle apprend que son frère a été arrêté et leurs parents à la suite (sa sœur Rachel également ?). Raymond et elle pensent alors que ceux-ci vont être relâchés dans la journée.

Le dimanche matin, 2 novembre, Raymond se rend à son tour au domicile de ses beaux-parents. C’est alors qu’il est arrêté ; de son côté, son épouse est partie faire des courses dans le quartier. Dans l’après-midi, alors que les policiers procèdent à une perquisition à leur domicile avec son mari, elle n’est pas encore revenue.

Interrogé par le commissaire Veber, Raymond Moyen dément avoir eu la moindre connaissance des activités de résistance de son beau-frère.

Raymond est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

À une date restant à préciser, il passe dans le secteur “allemand” de la prison, administré par la Wehrmacht.

Le 12 février 1942, Juliette Moyen est arrêtée alors qu’elle se présente au domicile des époux Lefebvre, au 131 boulevard de la Villette, où elle a rendez-vous avec Simone Schloss, précédemment arrêtée (affaire Tisot). Le 27 février, Juliette est mise à la disposition des autorités d’occupation sur leur demande et écrouée dans le quartier allemand de la Maison d’arrêt de la Santé.

Le 13 mars, Raymond Moyen fait partie d’un groupe de quatorze hommes et femmes de la même affaire « mis à la disposition » de la préfecture de police (renseignements généraux) sur ordre des autorités d’occupation : trois sont libérés, les onze autres sont internés administrativement (mis en séjour surveillé), en urgence sur prescription des autorités allemandes, en application du décret du 18 novembre 1939, parmi lesquels Raymond Moyen, Henri Chlevitsky et Yvan Hanlet (fils).

Les trois mêmes sont dans le groupe de cinq détenus écroués au dépôt de la préfecture de police de Paris (sous-sol de la Conciergerie, île de la Cité) en attendant leur transfert dans un camp, tandis que deux hommes de nationalité étrangère sont envoyés à la caserne des Tourelles, boulevard Mortier (Paris 20e). Les quatre femmes (dont Suzanne Momon et Rachel Zalkinow) sont internées à la prison de la Petite-Roquette. Transférées ensuite à la caserne des Tourelles, elles seront de nouveau remises aux Allemands le 7 août 1942.

Le 27 avril, le préfet de police signe – à la demande des autorités allemandes et en urgence – un arrêté ordonnant l’internement administratif de Juliette Moyen au camp de la caserne des Tourelles.

Le 29 avril, l’interne de service de l’infirmerie spéciale de la préfecture de police prescrit l’envoi à l’Hôtel-Dieu de Raymond Moyen où celui-ci doit suivre « un traitement que nécessite son état ». Le détenu y est escorté par des inspecteurs de la préfecture.

Le 5 mai 1942, Raymond Moyen fait partie d’un groupe de treize « communistes » conduits à la gare du Nord pour y être remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci, avec vingt-quatre communistes extraits de la caserne des Tourelles et quatorze « internés administratifs de la police judiciaire ». Par le train de 5 h 50, tous sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Raymond Moyen y est enregistré sous le matricule 5161.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Raymond Moyen est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Raymond Moyen est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45914, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Raymond Moyen.

Il meurt à Auschwitz le 4 novembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Juliette Moyen, née Zalnikow, désignée à plusieurs reprises comme israélite dans les documents de police, est déportée le 25 mars 1943 dans le convoi du génocide n° 53, qui part de Drancy en direction de Sobibor, à l’est de la Pologne occupée (« gouvernement général »), un centre de mise à mort immédiate des populations juives ; sur 1008 personnes déportées, 970 sont gazées (cinq survivants à la libération des camps).

En 1957, Jeanne, épouse Huard, sœur de Raymond Moyen, remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de déporté-résistant au nom de son frère.

Déclaré “Mort pour la France”, Raymond Moyen est homologué comme “Déporté politique”.

Sources :

[1] Fernand Zalkinow. Le 4 mars 1942 s’ouvre au Palais Bourbon le procès de sept jeunes communistes âgés de 17 à 27 ans, comparaissant pour 17 attentats et sabotages contre l’armée d’occupation. Après trois jours d’une parodie de procès, Roger Hanlet, Acher Semahya, Roger Peltier, Christian Rizo, Tony Bloncourt, Pierre Milan et Fernand Zalkinow sont condamnés à mort et fusillés au Mont-Valérien le 9 mars. Rachel Zalkinow, née le 16 juin 1918 à Tours, est déportée le 22 juin 1942, dans le convoi n°3 parti de Drancy pour Auschwitz ; considéré comme convoi d’otages (pas de sélection à l’arrivée), il est le premier convoi de Juifs partis de France dans lequel se trouve des femmes.


Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 374 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central) – Liste partielle du convoi établie par le Musée d’Auschwitz.
- Boris Dänzer-Kantof, message (avril 2005).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais ; cartons “occupation allemande” (BA ?) ; dossiers de la BS1 (GB 49), « affaire Brulstein – Peltier… » ; cabinet du préfet (1w76), dossier commun de Boccard Louis, Moyen Raymond, Moyen-Zalnikow Juliette, Six Théophile (30776).
- Site internet du Mémorial de la Shoah, Paris, moteur de recherche, liste du convoi, page  40, n° 663.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 834 (38794/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

André MOUTARD – 45913

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

André, Lucien, Moutard naît le 25 septembre 1903 au Raincy 

[1] (Seine-Saint-Denis – 93), fils de Joseph Moutard (décédé au moment de son arrestation) et d’Anaïse Parent. Il a, au moins un frère, Lucien.

À une date restant à préciser, André Moutard épouse Virginie M. Ils ont deux filles, Jeannine et Andrée, âgées de 12 et 8 ans au début 1941. Mais le couple divorce.

Au moment de son arrestation, André Moutard est domicilié au 8, rue des Amiraux à Paris 18e (75) et vit maritalement avec Émilie P., née le 22 mars 1902 à Saint-Denis, qui a trois enfants d’un premier lit (12 ans, 8 ans et 6 ans au début 1942). André Moutard héberge également sa propre mère, alors âgée de 70 ans.
André Moutard est régleur.

Pendant la guerre de 1939-1940, il est mobilisé comme « affecté spécial » aux usines Citroën (jusqu’au 22 mai 1940, date du repli). Il participe à l’exode, puis après la signature de l’armistice, revient travailler dans cette entreprise.

Le 21 juin 1940, il fait l’objet d’une lettre anonyme le dénonçant comme communiste, de laquelle il aura – ou sa famille – connaissance.

Sous l’occupation, la police française le considère comme un « meneur communiste très actif ».

Le 6 décembre 1940, André Moutard est appréhendé par des agents du commissariat de Clignancourt lors d’une vague d’arrestation collective visant 69 hommes dans tout le département de la Seine. Le préfet de police vient de signer leurs arrêtés d’internement, en application des décrets des 18 novembre 1939 et 3 septembre 1940, et ils sont conduits le jour même au “centre de séjour surveillé” d’Aincourt (Val-d’Oise – 95), créé en octobre dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt. La perquisition conduite chez André Moutard au moment de son arrestation n’a donné aucun résultat.

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Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 9 juillet 1941, son frère, Lucien Moutard, écrit au préfet de police, à Paris, pour solliciter l’autorisation de rendre visite à André lors d’un congé à venir, du 28 juillet au 3 août, afin notamment de lui donner des nouvelles de ses deux filles, que lui-même a prises en charge. Le 29 juillet, la préfecture de police transmet cette demande au préfet de Seine-et-Oise. Le 5 août, celui-ci répond à la préfecture de police pour inviter celle-ci à notifier à l’intéressé que les visites seront autorisées à partir du 25 août…

Le 6 septembre, André Moutard fait partie d’un groupe de 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne – 86), pour l’ouverture de celui-ci.

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Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”,
vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne),
Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le 2 février 1942, la mère d’André Moutard écrit au préfet de police pour solliciter la libération de son fils, en exposant les charges de famille de celui-ci.

Le 22 mai 1942, André Moutard fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, André Moutard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45913 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – André Moutard est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

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Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.

À une date inconnue, il est admis au Block 21a (chirurgie) de l’hôpital [2].

Il meurt à Auschwitz le 16 août 1942, d’après les registres du camp  [3].

Fin 1963, début 1964, sa fille Jeannine, alors mariée, engage les démarches afin d’obtenir de titre de déporté politique pour son père.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 14-12-1997).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 373 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : liste des déportés présents au Revier d’Auschwitz – Liste partielle du convoi, Musée d’Auschwitz.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 136.
- Archives de la préfecture de police (de la Seine), site du Pré-Saint-Gervais ; cartons “occupation allemande” (BA 2397) liste des internés communistes ; dossiers individuels du cabinet du préfet (1w0031), n° 17052.
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1w73, 1w143 (notice individuelle).
- Archives départementales de la Vienne, cote 109W75 (camp de Rouillé).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 1, cahier photos pages 92, 93 et 94, tome 3, page 834 (21376/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8–07-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Le Raincy : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’hôpital. En allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB) : hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”. Mais les « 31000 » et Charlotte Delbo ont connu et utilisé le terme « Revier » : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient « révir », car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France… Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

S’agissant d’André Moutard, c’est le 1er février 1943 qui a été retenu pour certifier son décès.

Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Raymond MOURET – (45911 ?)

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Droits réservés.

Raymond Mouret naît le 4 janvier 1910 à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime 

[1] – 76), fils de Lucien Mouret et de Joséphine Demarest, son épouse.

À une date restant à préciser, il se marie avec Madeleine Prunier. Ils auront une fille.

Au moment de son arrestation, Raymond Mouret est domicilié au 13 bis, rue Sainte-Geneviève-du-Mont, à Rouen (un autre document indique le 16, rue du Carrefour).

Pendant trois ans, il est employé de bureau aux Assurances sociales, selon la police.

Il est secrétaire et/ou trésorier de la section rouennaise de l’Association des Amis de l’URSS, comme son beau-frère, Raoul Mary.

Après le décret-loi du 26 septembre 1939, interdisant toute activité et propagande communiste, et dissolvant les organisations assimilées au PC, son domicile est perquisitionné par la police (selon une brève notice établie le 4 novembre).

Le 21 juin 1941, Raymond Mouret est arrêté en même temps que Raoul Mary, comme militant communiste, probablement dans le cadre des arrestations préventives organisées par les autorités allemandes au début de l’invasion de l’Union Soviétique [2]. À une date restant à préciser, il est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central.  Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)  Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Raymond Mouret est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45911, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Raymond Mouret se déclare comme simple « travailleur » (Arbeiter). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Raymond Mouret.

Il meurt à Auschwitz le 1er septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause certainement mensongère de sa mort « arrêt du cœur avec… illisible », (Herzschwäche bei…).

Raymond Mouret est homologué comme “Déporté politique” en 1953. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 14-12-1997).

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, administré par la Wehrmacht et réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich”. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 377 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie réalisée en 2000 à Rouen, citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946 ; individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Lh à Q (51 W 419), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 834.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 26972/1942.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 9-05-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Robert MOURA – (45910 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Robert, Émile, Léon, Moura naît le 14 novembre 1898 à Paris 19e arrondissement, chez ses parents, Louis Moura, 29 ans, employé de commerce, et Mathilde Robinot, son épouse, 31 ans, domiciliés au 179, rue de Flandre. Il est fils unique.

Pendant un temps, Robert Moura habite chez ses parents, au 79, rue de Crimée à Paris 19e.

Le 26 novembre 1915, bien qu’appartenant à la classe 1918 – il a 17 ans -, il se porte volontaire pour la durée de la guerre à la mairie du 10e arrondissement. Le 15 avril 1916, il passe au 11e régiment d’artillerie. Le 25 février 1917, il passe au 6e régiment d’artillerie de campagne. Le 5 mars 1917, il passe au 81e régiment d’artillerie lourde. Le 7 janvier 1918, il manque à l’appel. Trois jours plus tard, il est déclaré déserteur, mais rayé des contrôles de la désertion dès le 15 janvier. Le 1er mai, il passe au 500 R.A.L. Le 22 septembre 1919, il est envoyé en congé illimité de démobilisation. Le certificat de bonne conduite lui est refusé, peut-être à la suite de son absence non autorisée. Dès le 16 août, il indique une adresse au 130, rue de Belleville, à Paris 20e, où habitent ses parents.

Du 4 septembre 1920 au 17 janvier 1922, Robert Moura est classé par l’armée dans l’“affectation spéciale” dans la 6e section des chemins de fer de campagne comme employé de la Compagnie des chemins de fer de l’Est.

Le 26 juin 1920 à Paris 20e, il se marie avec Charlotte Céline Vasseur, née le 20 novembre 1899 à Effry (Aisne), employée de chemin de fer. Ils ont un fils, Pierre Robert Georges, né le 27 décembre 1923 à Paris 20e. Mais le couple se séparera rapidement.

En août 1922, Robert Moura déclare habiter au 35, rue des Trois fontaines à Reims (Marne). En janvier 1923, il est retourné vivre chez ses parents.

Dès novembre 1924, Robert Moura vit maritalement avec une nouvelle compagne, Marcelle M.

Le 2 janvier 1928, son père, âgé de 59 ans, décède en son domicile, rue de Belleville, à Paris.

On ignore à quelle date Robert Moura quitte les chemins de fer ; pendant un temps, il est manœuvre (ouvrier spécialisé).

Militant communiste, il est trésorier de la cellule du lotissement ouvrier de La Lutèce à Garges-lès-Gonesse

[1] (Seine-et-Oise / Val-d’Oise).

Selon un rapport ultérieur de la police, il part en Espagne combattre dans les Brigades internationales. Lui-même relate qu’il est parti en décembre 1936 et que, vers avril 1937, il est affecté au consulat français à Valence où il passe trois mois avant d’être rapatrié en juin suivant.

En juillet 1937 et jusqu’au moment de son arrestation, Robert Moura est domicilié au 12, rue Perrin-Maréchal à Garges-lès-Gonesse.

Le 9 juin 1938, le divorce d’avec sa première épouse est prononcé par le tribunal civil de Pontoise.

Au début de la guerre, Robert Moura se met à la disposition de la mairie de Garges pour organiser la défense passive, puis il travaille dans l’aviation (?).

Le 13 mars 1940, Robert Moura est rappelé à l’activité militaire au dépôt d’artillerie 21, puis affecté à l’atelier de chargement de Salbris (21/42 compagnie de T.M., travailleurs militaires). Le 22 avril, il passe au dépôt 225 B.O.A. Il rentre dans ses foyers le 23 ou 24 août.

À Garges, il travaille pour l’armée d’occupation jusqu’au départ de celle-ci de la commune, le 15 octobre.

Sous l’occupation, il exprime ouvertement le maintien de ses convictions.

À la suite d’une distribution de tracts dans son secteur d’habitation, le commissaire de Gonesse demande son internement administratif en application de l’arrêté préfectoral du 19 octobre 1940 [2].

Le 30 octobre, le nom de Robert Moura figure sur une liste établie par la préfecture de Seine-et-Oise de douze « individus proposés pour être dirigé sur le centre de séjour surveillé d’Aincourt », sur laquelle est également inscrit Yves Cariou, du Blanc-Mesnil.

Le lendemain, 31 octobre, le préfet signe l’arrêté ordonnant cet internement. Le 1er ou 2 novembre, Robert Moura est conduit au camp d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé au début du mois dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan,  le pavillon qui fut transformé en camp d’internement.  Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement.
Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Le 31 décembre 1940, Marcelle M., la compagne de Robert Moura, peut lui rendre visite au camp lors d’une « visite régulière ». À l’occasion des fêtes de Noël et du nouvel an, ces premières visites sont accordées aux seuls internés de Seine-et-Oise, le préfet de police de Paris ne les ayant pas autorisées pour les internés du département de la Seine.

Le 11 janvier 1941, Marcelle M. écrit au préfet de Seine-et-Oise pour solliciter la libération de son ami,assurant que celui-ci « est bien décidé à s’abstenir, comme depuis la dissolution du Parti, de toute activité politique et à se consacrer uniquement à son foyer ». Elle ajoute qu’il est « le seul soutien de sa mère, veuve et âgé de 74 ans et malade ».

Le 18 janvier, le préfet demande l’avis du commissaire de police spécial commandant le camp d’Aincourt sur l’opportunité de la libération sollicitée. Quatre jours plus tard, celui-ci répond : « Cet interné a manifesté au Centre un assez bon esprit. Il a participé à certaines corvées. Toutefois, Moura est un communiste convaincu, il ne cache pas ses opinions […] Son internement n’a modifié en rien ses convictions et j’émets, à l’égard de sa libération, un avis défavorable ».

Le 21 janvier, « n’ayant pas obtenu satisfaction », Marcelle M. réitère la demande de libération de son compagnon, reprenant les mêmes arguments, mais ajoutant que la mère de Robert Moura est atteinte d’une maladie incurable (cancer).

Interrogé également par le préfet le 23 janvier, le commissaire de Gonesse – à l’origine de la mesure d’internement – retourne sa réponse deux jours plus tard : considérant que « Robert Moura est un individu activité et dangereux pour l’ordre public », lui aussi émet un avis défavorable.

Le 27 janvier, le préfet demande au commissaire de notifier à Madame M. le rejet de sa demande de libération. Notification que la “pétitionnaire” signe le 4 février.

Le 29 janvier, Madame Moura mère, habitant au 130, rue de Belleville, s’adresse à son tour au préfet pour demander la libération de son fils, qui est le seul dont elle peut espérer un peu de secours. Le certificat médical joint à sa lettre indique que « son état de santé ne lui permet d’occuper aucun emploi ».

Dès le 11 février, Marcelle M. écrit de nouveau au préfet, croyant sans doute que le maintien en internement de son ami résulte de ce « qu’il y a eu de nouveaux tracts de distribués dans la commune. Mais peut-on en faire porter la responsabilité sur des hommes internés, alors même qu’aux dernières arrestations opérées, de l’aveu même de l’inspecteur, ces tracts ne pouvaient venir que de Stains ou Pierrefitte ». Elle lui demande de « rendre le soutien de deux femmes dans la misère », elle-même et la mère de Robert Moura.

Le 6 mars, le formulaire de “révision trimestrielle” rempli par le commandant du camp renvoie laconiquement à son propre rapport du 22 janvier : « avis défavorable ».

Le 25 mars, Marcelle M. revient à la charge auprès du préfet de Seine-et-Oise, ajoutant, aux personnes nécessitant la libération de son ami, sa propre mère « qui n’a aucune ressource, ne touchant même rien de l’Assistance aux vieillards, puisque, dans la petite localité qu’elle habite, il n’y a aucun secours ».

Le 27 juin, Robert Moura fait partie d’un groupe de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – alors déclaré comme siège de la Geheime Feldpolizei – où ils rejoignent des hommes appréhendés le jour même dans les départements de la Seine-et-Oise et de la Seine par la police française en application d’arrêtés d’internement administratifs [3]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), alors camp allemand, premier élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [4].

Le fort de Romainville, sur les hauteurs de la commune des Lilas. Transformé en camp allemand sous l’occupation,  l’entrée était complétée d’un mirador surplombant la porte depuis l’intérieur de l’enceinte. Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive

Le fort de Romainville, sur les hauteurs de la commune des Lilas. Transformé en camp allemand sous l’occupation, l’entrée était complétée d’un mirador surplombant la porte depuis l’intérieur de l’enceinte.
Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive

Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (93) pour être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Polizeihaftlager). Pendant la traversée de la ville, effectuée à pied entre la gare et le camp, la population les regarde passer « sans dire un mot, sans un geste. Tout à coup nous entonnons La Marseillaise et crions “Des Français vendus par Pétain” » [5]. Ils sont parmi les premiers détenus qui inaugurent ce camp créé pour les « ennemis actifs du Reich ».

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Neuf mois plus tard, le 19 mars 1942, le préfet de Seine-et-Oise transmet au Conseiller supérieur d’administration de guerre [sic] de la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud une liste d’anciens internés d’Aincourt à la libération desquels il oppose un avis défavorable – « renseignements et avis formulés tant par [ses] services de police que par le directeur du centre de séjour surveillé » ; liste accompagnée de « notes » individuelles avec copie traduite en allemand, dont celle concernant Robert Moura.

Entre fin avril et fin juin 1942, Celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Robert Moura est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 45910, selon les listes reconstituées (la photo d’immatriculation correspondant à ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Robert Moura.Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS (Sterbebücher) [6], alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [7]).

Le nom de Robert Moura est inscrit sur le monument aux morts de Garges-lès-Gonesse, dans le cimetière municipal.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 14-12-1997).

Notes :

[1] Garges-les-Gonesse : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’arrêté préfectoral du 19 octobre 1940 :


CABINET du PRÉFET de SEINE-et-OISE

Versailles, le 19 octobre 1940

Le PRÉFET de SEINE-et-OISE, OFFICIER de la LÉGION d’HONNEUR,

Vu le décret-loi du 26 septembre 1939 ;

Vu la loi du 3 septembre 1940 ;

Considérant que la diffusion de tracts est interdite par les ordonnances des autorités d’occupation et par les lois françaises et qu’elle est, à ce double titre, illégale ;

Considérant que ces tracts sont d’inspiration communiste et que leur diffusion ne peut avoir lieu qu’avec la complicité de militants du parti, ainsi que l’ont prouvé de nombreuses perquisitions domiciliaires ;

ARRÊTE :

Article 1er. – Toute découverte de tracts à caractère communiste sur le territoire d’une commune du département de Seine-et-Oise entraînera l’internement administratif immédiat d’un ou de plusieurs militants communistes notoirement connus résidant sur le territoire de cette commune, sans préjudice des poursuites judiciaires dûment engagées.

Article 1er. – MM. le Secrétaire Général de la Préfecture pour la Police, les Sous-Préfets, le Directeur de la Police d’État, le Chef d’Escadron, Commandant la Compagnie de Gendarmerie de Seine-et-Oise, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté.

Fait à Versailles, le 19 octobre 1940.

Le PRÉFET de SEINE-et-OISE, signé : Marc CHEVALIER

Pour ampliation, Le Sous-Préfet, Directeur du Cabinet.


[3] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder dès le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de « Différents communistes actifs que vous désignerez » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris.

Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.

Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés[du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. »

Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés. Le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei. En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.

À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.

Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.

Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.

Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »

[4] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[5] De l’Hôtel Matignon au Frontstalag 122 : témoignage de Marcel Stiquel (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Son récit fait état de 87 internés (la liste en comporte 88) et d’un départ d’Aincourt étalé sur deux jours : les 27 et 28 juin 1941 (voir note ci-dessus).

[6] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Robert Moura, c’est 15 février 1943 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

[7] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 150 et 153, 380 et 405.
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi, Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur le transfert depuis Aincourt des 88 de Seine-et-Oise, fin juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 19e arrondissement à la date du 16-11-1898 (V4E 10591), acte n°2912 (vue 10/31) ; registre des mariages du 20e arrondissement, année 1920 (20M 336), acte n° 1820 (vue 15/31) ; table décennales des naissances du 20e, décennie 1923-1932 (V11E 724).
- Archives de Paris : registre des matricules militaires, classe 1918, 1er bureau du recrutement de la Seine, volume 1501-2000 (D4R1 2024), n° 1697.
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1w73, 1w76, 1w80 (relations avec les autorités allemandes), 1w142 (dossier individuel), 1w277 (Liste des 88 internés d’Aincourt remis les 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 834 (31900/1942).
- Site Mémorial GenWeb, Garges-lès-Gonesse, relevé de Philippe Frilley (juin 2011).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 20-03-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Marcel MOUGIN – (45908 ?)

Marcel Mougin, vers1930. Extrait d’une photo ci-dessous. © Collection Marcel Mougin, son petit-fils.

Marcel Mougin, vers 1930.
Extrait d’une photo ci-dessous.
© Collection Marcel Mougin,
son petit-fils.

Marcel, Henri, Mougin naît le 25 novembre 1899 à Paris 12e arrondissement, fils de Louis Mougin, 32 ans, terrassier qui deviendra livreur, et de Marie Bernard, son épouse, 32 ans, domiciliés au 235, rue de Charenton ; originaires de Godoncourt (Vosges), ils sont venus à Paris quelques années auparavant pour trouver du travail.
Pendant un temps, Marcel habite avec ses parents au 172, rue de Paris à Charenton-le-Pont (Seine / Val-de-Marne – 94)
[1] et travaille comme camionneur.
Le 19 avril 1918, il est mobilisé comme soldat de 2e classe au 56e régiment d’infanterie, rejoignant son corps deux jours plus tard, considéré aussitôt comme en campagne contre l’Allemagne. Le 29 août, il passe au 191e RI. Le 27 janvier 1919, il passe au 56e RI. Le 4 décembre, il est envoyé au Maroc en guerre. Le 28 août 1920, il passe au 1er régiment de zouaves. Le 16 août suivant, il est nommé caporal. Le 29 janvier 1921, il est ramené en France. Le 23 mars, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite ainsi que de la médaille coloniale avec agrafe “Maroc”. En mars 1926, il sera nommé sergent dans la réserve.
Le 17 février 1921 à Charenton, Marcel Mougin, encore soldat, épouse Suzanne Bouvier, née le 13 novembre 1898 à Paris 5e. Leur fils René est né le 21 janvier 1920 à Paris 12e.
En 1925, Marcel Mougin adhère au Parti communiste, devenant membre du rayon d’Alfortville de la région Paris-Est du PC. Il est également adhérent de la section locale du Secours rouge international.Le 12 mai 1929, Marcel Mougin est élu conseiller municipal d’Alfortville sur la liste du Parti communiste conduite par Marcel Capron [2] et réélu aux élections municipales du 5 mai 1935 ; il est présent à toutes les séances du conseil.

Alfortville, la mairie après la guerre. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Alfortville, la mairie après la guerre.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

À partir d’août 1933 et jusqu’à son arrestation, Marcel Mougin est domicilié dans le groupe d’HBM (habitations à bon marché) de la commune d’Alfortville, au 101, rue Édouard-Vaillant, où il est concierge.

Alfortville, les HBM de la rue Édouard Vaillant. Carte postale recadrée.

Alfortville, les HBM de la rue Édouard Vaillant.
Carte postale recadrée.

Il adhère au Syndicat unitaire des employés et ouvriers des communes de la Seine, proche du Parti communiste.

Le 20 octobre 1935, il est délégué aux élections sénatoriales.

Dans les années 1930, une partie de campagne en famille, avec une amie. © Collection Marcel Mougin, son petit-fils.

Dans les années 1930, une “partie de campagne” en famille, avec une amie, Juliette (tendant son verre sur la photo de gauche).
© Collection Marcel Mougin, son petit-fils.

En 1937, son fils René (17 ans) entre en qualité de commis à la Recette municipale d’Alfortville. Il est membre de la section locale des Jeunesses communistes.

Au sein du rayon d’Alfortville du Parti communiste, les Mougin militent aux côtés de la famille Hanriot-Dupuis, qui habite dans le même groupe HBM : le père, André [à compléter…].

Le 13 septembre 1939, Marcel Mougin est rappelé à l’activité militaire et affecté au CM.Cie 21-223e régiment de Travailleurs.

Le 4 octobre suivant, le Président de la République – Albert Lebrun -, par décret et « sur la proposition du ministre de l’intérieur, suspend jusqu’à cessation des hostilités les Conseils municipaux » de 27 communes de la banlieue parisienne à majorité communiste, dont celui d’Alfortville, et les remplace par des Délégations spéciales composées de notables désignés.

Le 29 février 1940, le conseil de préfecture de la Seine déchoit Marcel Mougin de son mandat électoral pour n’avoir pas «  répudié catégoriquement toute adhésion au parti communiste… », comme 17 autres élus municipaux d’Alforville (dont Henri Hannhart et Gaston Ruan) – avec effet rétroactif au 21 janvier. À la suite de cette décision, Marcel Mougin adresse au préfet de la Seine une lettre dans laquelle il déclare « désavouer la politique du parti communiste et signifie sa décision de s’en désolidariser ». Selon la 1re brigade des Renseignements généraux de la préfecture de police, il donne la preuve qu’il a abandonné toute relation avec les organisations dissoutes, « tant par son attitude anti-révolutionnaire que par ses déclarations publiques ».

Le 9 juin, alors « aux armées », il adresse simultanément au préfet de police et à la direction des HBM d’Alfortville une lettre attestant qu’il n’appartient plus au Parti communiste. Il signera une circulaire de la préfecture en ce sens.

Le même jour (9 juin), son fils René est mobilisé au Chantier de Jeunesse n° 27.

Le 30 août, Marcel Mougin est démobilisé. Il ne reprend ensuite aucun contact « avec quiconque s’occupant d’une politique ou d’une autre ».

Les 12 et 13 décembre 1940, des agents du commissariat de la circonscription de Charenton-le-Pont (accompagnés d’inspecteurs de police judiciaire et des RG) procèdent à des perquisitions chez trois personnes « suspectes » d’Alfortville – dont Marcel Mougin – qui se révèlent infructueuses.

Marcel et Suzanne devant la loge en 1940 ou 1941. © Collection Marcel Mougin, son petit-fils.

Marcel et Suzanne devant la loge en 1940 ou 1941.
© Collection Marcel Mougin, son petit-fils.

Le 1er février 1941, son fils René est démobilisé des Chantiers de Jeunesse et retrouve son emploi sous l’autorité de la Délégation spéciale nommée à la mairie d’Alfortville.

En mars 1941, les RG notent que « les derniers renseignements obtenus auprès de la Délégation spéciale siégeant à la mairie d’Alfortville confirment la sincérité de [Marcel] Mougin dans ses résolutions politiques », ce qui lui vaut d’être « en butte aux sarcasmes sournois de certains éléments de la localité ayant conservé leurs sympathies pour les organisations extrémistes et de faire l’objet de dénonciations calomnieuses et anonymes adressées à la mairie ».

Le 15 juillet, Marcel Mougin est arrêté « par les soins du commissaire de police de Charenton » qui rédige le rapport suivant : « communiste notoire, cet individu a hier protégé la fuite d’une militante que nous recherchions pour complicité de distribution de tracts ». Les RG le désignent alors comme un « meneur particulièrement actif » et le conduisent comme « détenu communiste » à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier, Paris 20e, “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police, où il est assigné au bâtiment A, chambre 17. Le même jour, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939.

La caserne des Tourelles, vers la Porte des Lilas, entre l’avenue Gambetta, à gauche, et le boulevard Mortier. Le bâtiment A est parallèle au “stade nautique”, dont on aperçoit les gradins au deuxième plan. Carte postale d’après guerre. Coll. Mémoire Vive.

La caserne des Tourelles, vers la Porte des Lilas, entre l’avenue Gambetta, à gauche, et le boulevard Mortier.
Le bâtiment A est parallèle au “stade nautique”, dont on aperçoit les gradins au deuxième plan.
Carte postale d’après guerre. Coll. Mémoire Vive.

Le 20 juillet, Marcel Mougin adresse au préfet de police un argumentaire en trois points pour solliciter un supplément d’enquête sur son cas. Concernant le motif précis de son arrestation, il joue sur les mots : « Accusé d’avoir favorisé la fuite d’une militante, ou soi-disant telle, j’affirme que cette personne n’a jamais rentrée chez moi, donc elle ne pouvait s’y cacher en attendant de pouvoir fuir. »

Le 9 octobre, il est parmi les 60 militants communistes (40 détenus venant du dépôt, 20 venant des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 9 février 1942, Marcel Mougin est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Marcel Mougin y est enregistré sous le matricule 3544 et assigné au bâtiment A1.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 18 mai, il écrit à son épouse sur un feuillet à trois volets fourni par l’administration postale du camp. Mais celui-ci n’est pas envoyé, la censure allemande estimant qu’il « dépasse le nombre autorisé du courrier » ; peut-être parce qu’il a écrit trop petit au goût du censeur…

Entre fin avril et fin juin 1942, Marcel Mougin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Marcel Mougin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45908, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Mougin.

Il contracte le typhus, selon le témoignage ultérieur d’un rescapé (?).

Il meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942 [3], d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [4]). Cette date est inscrite sur les registres d’état civil de la mairie d’Alfortville le 14 octobre 1946.

Le 20 juillet 1944, quand Simone Hanriot – la compagne de son fils René – donne naissance à un garçon, le couple décide de le prénommer Marcel, par affection pour ce grand-père paternel dont la famille espère le retour. Restant sans nouvelles, le couple décidera cependant de se marier en novembre 1944.

Marcel, son petit-fils, et Suzanne, le 5 février 1946. © Collection Marcel Mougin.

Marcel, son petit-fils, et Suzanne, le 5 février 1946.
© Collection Marcel Mougin.

Au printemps 1945, un rescapé du convoi – dont l’identité reste à préciser – informe la famille que Marcel Mougin ne reviendra pas.

Le 29 décembre 1945, Ona Mahitta Rounds, une érudite californienne habitant à San José (USA), écrit à la famille Mougin qu’elle parrainera l’enfant Marcel, en solidarité avec les proches de Marcel, son grand-père disparu. Cette marraine d’outre-Atlantique enverra ainsi régulièrement de nombreux colis (jouets, vêtements, oranges…). La marraine et sont filleul communiqueront pendant vingt ans.

Lettre d’Ona pour son filleul Marcel, février 1966. © Collection Marcel Mougin, son petit-fils.

Lettre d’Ona pour son filleul Marcel, février 1966.
© Collection Marcel Mougin, son petit-fils.

Le poney en tissu envoyé par Ona en 1945 ou 1946. © Collection Marcel Mougin, son petit-fils.

Le poney en tissu envoyé par Ona en 1945 ou 1946.
© Collection Marcel Mougin, son petit-fils.

Le 24 octobre 1946, le décès de Marcel Mougin est inscrit à l’état civil français, reprenant la date figurant sur le registre d’Auschwitz [4].

La mention “Mort pour la France” est apposée sur cet acte de décès le 13 octobre 1948, puis la mention “Mort en déportation” (J.O. du 14-12-1997).

Le nom de Marcel Mougin est inscrit sur une plaque apposée devant le monument aux morts dans le square de la Mairie, « Hommage aux habitants d’Alfortville fusillés ou morts en déportation » (70 noms).

Photo collection Daniel Mougin.

Photo collection Daniel Mougin.

Notes :

[1] Charenton-le-Pont et Alfortville : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Marcel Capron : peu après la signature du pacte germano-soviétique, le député-maire prend ses distances avec la direction du PCF et finit par s’associer avec Marcel Gitton dans une tentative pour rallier le milieu ouvrier à la collaboration, notamment auprès des internés des camps.

[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

[4] L’acte d’état civil dressé par le Ministère des anciens combattants et victimes de guerre le 8 octobre 1946 indique pour son décès un horaire précis – « quinze heures dix minutes » : une telle précision indique que l’information vient directement d’une copie de l’acte de décès du camp d’Auschwitz parvenue en France.

Sources :

- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 1990-1997 CD-Rom (citant : Arch. dép. Seine, D M3, versements 10451/76/1 et 10441/64/2 – État civil).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 356, 387 et 415.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : extrait du registre des naissances du 12e arrondissement à la date du 20-11-1899 (registre V4E 9421, acte n° 3482, vue 2/31).
- Archives de Paris :  registres matricules du recrutement militaire, classe 1919, 4e bureau de recrutement de la Seine (D4R1 2138), matricule 3523.
- Archives municipales d’Alfortville, recherches menées par Corinne Nortier (divers documents…).
- Le nazisme à Alfortville (1940-1944), les victimes, document élaboré par la section FNDIRP d’Alfortville (après 1987…).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397), internés dans différents camps… (BA 1837) ; registre des mains courantes du commissariat de police de la circonscription de Charenton-le-Pont, 12-12-1940, n° 2424, et 15-07-1941, n° 1828 RG (C B 94.11), 26-10-1941 (C B 94.12) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 1724-100124).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
-  Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 834 (31665/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 30-11-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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