Charles DESMARETS – (45473 ?)

Charles Desmarest naît le 31 mai 1905 à Lille (Nord ) fils de Pierre Louis Pollet et de Thérèse van Tieghem.

Pendant un temps, il habite à La Goulette, en Tunisie.

Au printemps 1937, il est domicilié au 17 cité Dehamault à Faches-Thumesnil (59), en zone dépendant du commandement militaire allemand de Bruxelles (Belgique).

Il travaille comme couvreur.

Le 10 avril 1937 à Faches-Thumesnil, âgé de 31 ans, il se marie avec Raymonde Marie Pollet, 37 ans, veuve.

À des dates et pour un motif restant à préciser, il est arrêté puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtimentsdu secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.

TransportAquarelle

Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Charles Desmarets est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45473, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Charles Desmarets.

Il meurt à Auschwitz le 25 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Sources :
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrit, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 221 (38173/1942).
– Archives départementales du Pas-de-Calais, site internet, archives en ligne : registre des naissances de Lille, du 15 mai au 15 juillet 1905 (3 E 15058), acte n° 2541 (vue 85/293) ; registres des mariages de Faches-Thumenil 1934-1940 (3 E 18332), année 1937, acte n° 12 (vue 93/162).

MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 8-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Camille NIVAULT – 45928

Camille, Armand, Nivault naît le 1er septembre 1906 à Paris 17e, fils d’Armand Nivault, employé de la Société des transports en commun de la région parisienne (SCTRP, ancêtre de la RATP), et d’Anna Heimberger, son épouse.

Pendant un temps, Camille Nivault travaille comme menuisier ou ébéniste.

Le 10 novemnre 1926, du 1er bureau de recrutement de la Seine (matricule 5658), il est appelé à effectuer son service militaire comme soldat de 2e classe (au 8e régiment du génie ? à vérifier…). Il est renvoyé dans ses foyers le 16 avril 1928.

Le 24 mai 1930 à Saint-Ouen

[1] (Seine / Seine-Saint-Denis), il se marie avec Suzanne Nali, née le 4 mai 1910 à Reims (Marne),  vendeuse.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 6, avenue des Marronniers à Saint-Ouen).

Pendant un temps, Camille Nivault est employé à la STCRP, comme son père.

Pendant un temps, il est secrétaire des Jeunesses communistes de Saint-Ouen, puis ayant adhéré au PCF en 1938, il sera secrétaire administratif de la section locale.

Après la grève du 30 novembre 1938, à laquelle il participe, il est licencié de son entreprise.Le 4 septembre 1939, après la déclaration de guerre, il est rappelé à l‘activité militaire et affecté au 8e génie en qualité de sapeur-colombophile de 2e classe à la caserne de la Tour-Maubourg à Paris 7e, restant un des animateurs de la section clandestine de Saint-Ouen. Le 7 mars 1940, les renseignements généraux de la préfecture de police effectuent une perquisition à son domicile au cours de laquelle est découvert un tract d’inspiration communiste, le n° 1 du Trait d‘Union, adressé plus particulièrement aux militaires. Il est arrêté avec son épouse, mais ils sont relaxés, leur culpabilité n’ayant pu être établie. Camille Nivault est démobilisé le 18 juillet 1940.
Le 7 août, dès son retour de l’exode, il reprend des responsabilités dans l’action clandestine ; il est considéré par les Renseignements Généraux comme un « meneur communiste très actif » À la veille de son arrestation, il diffuse des tracts « anti-allemands » dans son entreprise, l’usine Charléty, sise rue Blanqui à Saint-Ouen, où il travaille à l’atelier de menuiserie.Le 27 juin 1941, il est appréhendé par la police française sur son lieu de travail dans le cadre d’une vague d’arrestations visant des militants ouvriers : le préfet de police de Paris a signé l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Ces opérations sont menées en concertation avec l’occupant. Camille Nivault est livré le jour-même aux autorités allemandes à l’hôtel Matignon, puis conduit au fort de Romainville qui sert en cette occasion de centre de regroupement, et transféré le 1er juillet au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; il fait partie des militants qui inaugurent ce camp de police [2].Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Camille Nivault est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45928 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Camille Nivault est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Là, il est affecté dans un Kommando de la DAW (Deutsche AusrüstungsWerke, société SS, usine d’armement entre autres).

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, Camille Nivault est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

En février 1944, avec R. Lambotte, R. Montégut et L. Penner, Camille Nivault est transféré au KLBuchenwald, avec plusieurs dizaines de détenus de toutes nationalités, pour répondre à un besoin de main d’œuvre de la SS. Après leur arrivée, le 23 février 1944, ils sont affectés dans des ateliers dépendant encore de la DAW.

Assignés au Block 14, Camille Nivault (matr. 34191), Raymond Montégut et Lucien Penner restent au même poste de travail jusqu’à la libération du camp, le 11 avril 1945. Ce jour-là, la Résistance militaire organisée parmi les détenus – dont Camille Nivault – prend le contrôle de celui-ci à l’approche des troupes américaines. Camille Nivault est rapatrié le 29 avril et passe par le centre de rapatriement de la gare d’Orsay. Il rejoint ensuite une adresse au 14, rue des Envierges à Paris 20e.

Rapidement, il reprend ses activités militantes à Saint-Ouen : membre du Comité de section du PCF.

Dès 1945, il est secrétaire de la section locale de la Fédération nationale des Déportés, Internés et Résistants Patriotes (FNDIRP).

En juin 1948, il habite au 84, boulevard Victor-Hugo, à Saint-Ouen.

Le 3 février 1948, le secrétaire administratif de la fédération de la Seine du Parti communiste français signe une attestation certifiant que Camille Nivault faisait partie de la Résistance dans les rangs du PCF.

Le 7 août suivant, le secrétariat d’État aux Forces armées lui délivre un certificat d’appartenance à la Résistance intérieure française (RIF) au titre de son appartenance au Front national avec le grade fictif de sergent.

Le 7 juillet 1950, le liquidateur du Front national de lutte pour la libération, l’indépendance et la renaissance de la France signe une attestation au nom de Camille Nivault indiquant que celui-ci a fait partie de la Résistance au sein de ce mouvement, participant à sa création sur la région Nord, et plus particulièrement chargé du transport et de la répartition du matériel de propagande à l’intérieur de son usine.

Le 3 septembre 1950, Camille Nivault remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de déporté résistant à en-tête du ministère des Anciens combattants et Victimes de la guerre (ACVG). Le 21 décembre suivant, la commission départementale de la Seine des déportés et internés résistants donne un avis défavorable à cette demande, suivie par le directeur départemental, par la commission nationale, et enfin par le ministère qui rejette la demande le 21 septembre 1953, au motif que : « Il résulte du dossier que l’intéressé ne remplit pas les conditions exigées par les dispositions combinées des articles R.286 et R.287 ». Le 5 novembre 1953, Camille Nivault se voit délivrer la carte de déporté politique n° 1101.07192. Le 24 décembre, il écrit au ministre des ACVG pour lui présenter un recours gracieux contre ce rejet « qui blesse l’équité ». Le 29 mars 1954, la direction du contention des ACVG écrit à la direction des renseignements généraux pour lui demander des renseignements concernant les motifs de son arrestation. Le 20 septembre 1954, Camille Nivault reçoit une fin de non recevoir : « L’article R.286 du Code des Pensions Militaires d’invalidité et des Victimes de la Guerre édicte que le titre de Déporté Résistant est attribué à la condition expresse que la cause déterminante de la déportation soit un des actes qualifiés de résistance à l’ennemi définis à l’article R.287 dudit code. Or, il appert d’un document du dossier que vous avez été arrêté le 27 juin 1941 par la police française en vertu du décret du 18 novembre 1939 relatif à la répression des activité politiques clandestines et non des activités résistantes. Ces faits se trouvent confirmés par les renseignements recueillis postérieurement à la décision de rejet qui ne peut être modifiée ».

Le 26 avril 1953, Camille Niveau est élu Conseiller municipal du quartier Victor-Hugo sur la liste du Parti communiste.

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Saint-Ouen. La mairie après guerre.
Carte postale sans date (années 1950 ?). Coll. M. Vive.

Camille Nivault décède le 13 décembre 1982.

À Saint-Ouen, son nom est inscrit sur la stèle érigée en « Hommage aux résistants, femmes, hommes, déportés à Auschwitz-Birkenau ».

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Le monument dédié aux dix-sept “45000” de Saint-Ouen
et à Marie-Jeanne Bauer, “31000”, inauguré le 24 avril 2005
dans le square des 45000 et des 31000.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 346, 359, 387 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 44.
- Fernand Devaux, de Saint-Denis, 45472, rescapé, note.
- Le Réveil, 30-07-1945, Archives communales de Saint-Ouen.
- Archives de la préfecture de police, Seine / Paris ; cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Camille Nivault (21 P 605 410), recherches de Ginette Petiot (message 06-2016).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 20-06-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Saint-Ouen : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Georges NIQUET – 45927

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Collection Marie Ayrault. Droits réservés.

Georges Niquet naît le 6 avril 1903 à Saint-Ouen-de-Sècherouvre, près de Mortagne-au-Perche (Orne), fils de Louise Amandine Chandebois, 26 ans, domestique, et d’un « père non dénommé » ; c’est sa grand-mère qui le présente à la mairie. Le 26 novembre 1926, à Maisons-Alfort 

[1] (Seine / Val-de-Marne – 94), quand Amandine épouse Eugène Niquet, blessé sur le front en 1914-1918 et amputé d’une jambe, maraîcher. Celui-ci adopte Georges (23 ans) et lui donne son nom.

Georges Niquet se marie une première fois à Créteil (94) en avril 1930. Le couple a deux fils, dont André (né Chandebois avant le changement de nom de son père ?), puis divorce.

Le 9 juin 1934 à Maisons-Alfort, Georges Niquet épouse Madeleine, Renée, Soulier, née en 1912, sténo-dactylo rencontrée lors du bal des pompiers.

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Collection Marie Ayrault. Droits réservés.

Ils ont neuf ans de différence et les parents de Madeleine sont d’abord opposés à cette union.

Au moment de son arrestation, Georges Niquet est domicilié au 11, rue de Brest à Maisons-Alfort, dans le petit pavillon construit par le père de son épouse.

Employé communal, il est chauffeur à la mairie de Maisons-Alfort, conduisant le maire.

Maisons-Alfort, la mairie. Carte postale oblitérée en février 1940. Coll. Mémoire Vive.

Maisons-Alfort, la mairie. Carte postale oblitérée en février 1940. Coll. Mémoire Vive.

Passionné d’automobile, Georges Niquet possède une “traction” qui sera réquisitionnée quelques jours après son arrestation.

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Une Traction Avant Citroën 7.

Pendant ses loisirs, il est également chasseur.

Il est adhérent du Parti communiste (ses propres parents étant hostiles à ses idées politiques).

Toujours titulaire de son emploi après la déclaration de guerre, Georges Niquet est actif dans la clandestinité : distribution de tracts et collage d’affiches après le couvre-feu. D’ailleurs, la police le considère comme un « militant actif, meneur de la propagande clandestine ». Dans ces actions, Madeleine, qui ne partage pas ses convictions, l’assiste pour rester à ses côtés, dissimulant des tracts dans un soutien-gorge surdimensionné (alors qu’elle est très menue).

Le 4 octobre 1940 au soir ou le 5 octobre à l’aube, Georges Niquet est arrêté à son domicile par deux inspecteurs français et emmené au commissariat de la circonscription de Charenton-le-Pont, en même temps que Lucien Frichot, un ami du voisinage. Comme les policiers lui ont dit qu’il s’agissait d’une simple vérification d’identité, Georges Niquet pense revenir deux heures plus tard et n’emporte rien avec lui. C’est Madame Frichot qui, après s’être renseignée, viendra dans la nuit prévenir Madeleine Niquet qu’il s’agit d’une véritable arrestation. Georges Niquet aurait été dénoncé par Albert Vassart [2], maire de Maisons-Alfort et son employeur, lequel avait publiquement rompu avec le Parti communiste en décembre 1939, mais fut néanmoins arrêté quelques jours plus tard, condamné à cinq ans de prison en mai 1940 et libéré en septembre 1941 à la suite de démarches de Gitton et Barbé. Cependant, c’est peut-être sa situation ultérieure de “renégat” politique – auquel on peut prêter toutes les trahisons – qui lui a valu cette accusation de délateur.

Georges Niquet est pris dans la grande vague d’arrestations organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain contre des hommes connus avant guerre pour être des responsables communistes (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant. Après avoir été regroupés en différents lieux, 182 militants de la Seine sont conduits le jour-même en internement administratif au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé à cette occasion dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930. Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche.
Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.

Le 6 mars 1941, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Georges Niquet, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné « est resté communiste, son internement n’a modifié en rien ses opinions » et bien qu’il lui reconnaisse une « attitude correcte ».

À la différence d’un autre Maisonnais rencontré fortuitement par son épouse, après la guerre, Georges Niquet refuse de signer un document déclarant qu’il renie le Parti communiste ; démarche qui lui aurait peut-être permis d’être libéré…

Bien qu’elle n’ait jamais été adhérente du Parti communiste, Madeleine Niquet craint d’être arrêtée à son tour et quitte son domicile sur le conseil d’une voisine pour se réfugier chez son père, dans la Creuse, entre Guéret et La Souterraine (Puy-de-Vautry ?) ; le pavillon de Maisons-Alfort sera pillé durant son absence.

Le 6 septembre 1941, Georges Niquet fait partie des 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 9 février 1942, il est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Lors de son internement, Georges Niquet sculpte une paire de sabots miniatures « gros comme le pouce » (disparus depuis). Comme il souffre d’un ulcère d’estomac, son épouse vend différents biens – dont ses propres instruments de musique (violon, piano) – pour lui procurer des médicaments.

Entre fin avril et fin juin, Georges Niquet est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Georges Niquet parvient à jeter sur la voie un message qui parviendra à son épouse.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Georges Niquet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45927 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Georges Niquet est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Là, il est assigné au Block 23 A.

Le 21 juillet, il est admis à l’hôpital des détenus d’Auschwitz, dans le Block 20, celui des maladies contagieuses, avec Jean Coltey, de Langres, et François Juvin, d’Orvault. Il en sort le 3 août.

Georges Niquet meurt à Auschwitz le 13 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [3] ; le même jour que Marcel Nevraumont, de Maisons-Alfort. Selon le témoignage d’un déporté rescapé [4], Georges Niquet tombe inanimé lors d’un appel, est emporté et n’est plus revu par ses camarades.

Après la guerre (années 1955-1960), le PCF local donne son nom à une cellule du parti sans l’accord de son épouse, Madeleine. Celle-ci, travaillant comme secrétaire dans les bureaux des moutardes Vert Pré à Maisons-Alfort, est licenciée par son patron auquel a été transmis un tract signé de la cellule Georges Niquet. N’arrivant pas à obtenir la reconnaissance officielle du décès de son mari, Madeleine Niquet ne reçoit aucune pension.

Bien qu’inconsolable de sa disparition, elle se met en ménage avec un homme de 45 ans, divorcé ayant obtenu la garde des trois enfants nés de son premier mariage ; ceci afin de mettre au monde son propre enfant, une fille, Marie, née en 1946, refusant que son compagnon en reconnaisse la paternité.

Madeleine meurt à 62 ans, alors qu’elle est encore employée à la préfecture du Val-de-Marne. Resté dans le pavillon de Maison-Alfort, son compagnon détruira par jalousie tous les souvenirs de Georges Niquet conservés jusque-là (lettres, photos, objets…).

Après la guerre, le nom de Georges Niquet a figuré sur une plaque installée dans le cimetière et rendant hommage aux déportés Maisonnais (aujourd’hui disparue).

La mention “Mort pour la France” lui est attribuée par décision ministérielle le 11 février 1946.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 28-07-1995).

Notes :

[1] Maisons-Alfort : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Albert Vassart (1898-1958), militant chevronné du Parti communiste et de la CGTU à partir de 1923, est “parachuté” avec succès à Maisons-Alfort, dont il devient le premier maire communiste. À la suite de la signature du pacte germano-soviétique, il prend ses distances avec le PC (novembre 1940). Il est néanmoins arrêté et condamné à cinq ans de prison en tant que communiste. Mais il est libéré en septembre 1941 à la suite de démarches de Marcel Gitton et Henri Barbé (dirigeant du PC exclu en 1932). Albert Vassart adhère au Parti ouvrier et paysan français (POPF) – collaborationniste – de Gitton et y accepte des responsabilités aux côtés d’une vingtaine d’autres anciens parlementaires et élus communistes. Il fait ensuite équipe avec Barbé et Capron pour obtenir la libération de militants communistes emprisonnés bien qu’en rupture avec leur parti. Le 27 juin 1942, Albert Vassart échappe à une tentative d’élimination devant son domicile.

[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Georges Niquet, c’est le mois de septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

[4] Le rescapé non-identifié pourrait être Pierre Monjault, de Maisons-Alfort, rentré le 13 juin 1945.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 389 et 415.
- Témoignage de Marie Ayrault, fille de Madeleine (01-2007, 09-2009) ; lecture du site et correction (04-2011).
- Archives municipales de Maisons-Alfort.
- Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” : BA 2214 (communistes fonctionnaires internés…) : Le préfet de police au préfet de la Seine, courrier et liste du 7 octobre 1940.
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, relevé trimestriel (1w74), dossier individuel (1w144).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), documents d’archives : liste du Block n° 20, hôpital d’Auschwitz-I ; registre d’appel, liste des détenus décédés le 13 août.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 864 (20391/1942)orthographié « Niguet ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 18-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Eugène NICOT – 45925

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Eugène Nicot nait le 14 octobre 1888 au lieu-dit Nouallet sur la commune de Sardent (Creuse – 23), au domicile de ses parents, Silvain Nicot, 32 ans, maçon, et Angélique Thomas, son épouse, 26 ans.

Pendant un temps, Eugène Nicot travaille comme cultivateur.

Le 6 octobre 1909, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 50e régiment d’infanterie afin d’accomplir son service militaire. Le 24 septembre 1911, il est « envoyé dans la disponibilité », titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914, Eugène Nicot rejoint deux jours plus tard son unité, le 50e R.I. , caserné à Périgueux. Le régiment part combattre en Belgique, puis fait retraite. Le 4 septembre, avant la bataille de la Marne, Eugène Nicot est admis à l’hôpital de Nogent-le-Rotrou pour fièvre. Vers le 22 octobre, après plusieurs jours de convalescence, il rejoint son unité au front (« aux armées ») en Champagne, dans le secteur de Prosnes. Le 1er mai 1916, il passe au 278e régiment d’infanterie. Le 29 juillet suivant, il est évacué sur les ambulances 14/20 puis 3/12 s.p. 200 pour « crise appendiculaire ». Deux jours plus tard, il rejoint son unité. Le 13 novembre, il est évacué sur l’ambulance 7/21 s.p. 116 pour « coliques appendiculaires », puis dirigé sur l’hôpital de Cayeux(-en-Santerre ?). Quand il en sort, il rejoint son unité sur le front. Le 10 février 1917, il est de nouveau évacué, sur l’ambulance 3/154 s.p. 86, pour « crise appendiculaire » (de violentes douleurs somatiques ?). Le lendemain, il rejoint son unité au front. Le 16 mai 1917, alors que le 278e R.I. vient à peine de s’installer dans les tranchées du secteur du moulin de Laffaux (Aisne), il est soumis à une violente offensive allemande, qui bouscule les premières lignes. Au soir de cette journée, le régiment compte 29 tués dont 3 officiers, 130 blessés dont 7 officiers et 168 disparus dont 1 officier. Au nombre de ces derniers, Eugène Nicot est fait prisonnier par l’armée adverse. Il est interné à Limburg-sur-Lahn (Limburg an der Lahn), en Hesse (Allemagne). Le 29 décembre 1918, il est rapatrié. Le 6 janvier 1919, il est admis à l’hôpital complémentaire 48 de Bourgoin (Isère) pour « bronchite, mauvais état général, anémie ». Il y reste une semaine, puis part pour une convalescence de deux mois. Il rentre au dépôt le 14 mars. Le 29 juillet, il est envoyé en congé illimité de démobilisation et se retire à Sardant. Plus tard, Eugène Nicot fera le compte : « sept années soldat, trente-deux mois au front, dont vingt mois prisonnier… ». Plusieurs commissions de réforme successives lui diagnostiqueront un emphysème.

Le 2 mars 1920 à La Chapelle-Taillefert (23), Eugène Nicot se marie avec Adélaïde Valladeau, née le 23 août 1897 au “village” de Lavaud, sur cette commune.

En juin 1921, le couple habite au 45, rue Mouffetard, à Paris 5e. Ils auront un fils, Robert Auguste, né le 15 mars 1924 à Paris 14e.

Lors du recensement de population de 1931 et jusqu’à l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domicilié allée Sauret (rue Sauret-Châtelier) à Villeneuve-le-Roi 

[1] (Seine-et-Oise / Val-de-Marne).

Eugène Nicot est maçon stucateur. À partir du 21 août 1934, il est employé par la société Louis Thory et fils, ciments – béton armé – canalisation, dont le siège est à Paris 12e.

Syndiqué à la CGTU et également militant communiste au sein de la cellule du Haut-Plateau, il est élu en mai 1935 conseiller municipal communiste de Villeneuve-le-Roi.

Villeneuve-le-Roi. La mairie dans les années 1900. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Villeneuve-le-Roi. La mairie dans les années 1900.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Après l’interdiction du Parti communiste, il poursuit ses activités politiques et est déchu de son mandat municipal.

Au cours de la guerre, il est un des rares élus présents sur la commune. La police française le soupçonne de prendre part, « en compagnie de sa femme », aux diffusions de tracts communistes. Selon un rapport ultérieur, il forme un « état-major » clandestin avec Gangne, L’Heureux, Perré et Gaston Van Weddingen.

Le 28 juillet 1940, avec un autre ex-conseiller municipal, Perré, il écrit à la Kommandantur de Villeneuve-le-Roi pour demander la libération de l’ancien maire communiste, Pierre Bonneval, et de François Berholon, 1er adjoint, alors prisonniers de guerre.

Le 12 ou 13 octobre, Eugène Nicot est arrêté par le commissaire de police de la circonscription d’Athis-Mons sur décision du préfet de Seine-et-Oise, puis interné administrativement au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé au début du mois dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930. Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.

Plusieurs des lettres d’Eugène Nicot sont censurées par l’administration du camp. Le 28 décembre 1940, il écrit : « Nous arrivons à la croisée des chemins. Le mien est pris… À la classe ouvrière de choisir le sien. L’heure est finie [sic] pour une poignée d’individus vivant de la sueur des autres. Il faut qu’ils rendent gorge : une société nouvelle doit sortir… ». Cette citation est le principal objet du formulaire de révision trimestrielle rempli par le commissaire de police spécial qui dirige le camp d’Aincourt et qui l’amène à donner un avis défavorable « sur l’éventualité d’une mesure de libération ».

En février 1941, Adélaïde Nicot écrit au préfet de Seine-et-Oise pour solliciter la libération de son mari en argumentant : « Depuis la guerre et ces évènements nouveaux, mon mari ne s’est livré à aucun excès politique justifiant son arrestation et a toujours conservé son honnêteté primordiale, son bon goût à son travail et à sa famille ».

Le 3 mars, le préfet écrit au commissaire de police spécial qui dirige le camp pour lui demander son « avis personnel sur l’intéressé ainsi que sur l’opportunité de la libération sollicitée ».

Le 8 mars, un inspecteur du commissariat d’Athis-Mons rend compte au commissaire de l’enquête que celui-ci lui a demandée. Aucun fait nouveau n’apparaît, et pour cause. Mais le policier conclue : « La libération du sieur Nicot ne semble pas devoir être envisagée sans risquer une recrudescence de propagande et d’activité politique à Villeneuve-le-Roi ». Deux jours plus tard, le commissaire transmet ce compte-rendu au préfet, accompagné de son propre commentaire.

Le 13 mars, le commandant du camp adresse un rapport négatif au préfet indiquant : « Cet interné doit être considéré comme un militant acharné du Parti communiste ».

Le 2 avril, l’ancien patron d’Eugène Nicot écrit au préfet pour lui demander « d’user de [son] influence pour faire relâcher cet ouvrier qui, à l’heure actuelle où nombre de ses camarades sont prisonniers [de guerre] et où le travail de ravalement en plâtre donne à plein, me fait grand besoin ». Deux semaines plus tard, le préfet répond en précisant que cet ouvrier a été interné en vertu d’un arrêté pris par ses soins et « qu’en raison des renseignements défavorables recueillis » il ne peut autoriser la libération sollicitée.

Le 4 mai, en même temps que Maurice Loriguet et G. Van Weddignen, Eugène s’adresse au président de la délégation spéciale de Villeneuve-le-Roi – nommée pour remplacer la municipalité déchue – afin de solliciter une attribution de vêtements, les siens étant complètement usés après sept mois de présence au camp. Quatre jour plus tard, l’édile transmet la demande au préfet, qui l’envoie au délégué général du Secours national de Seine-et-Oise – un général – lequel semble répondre qu’il ne prend pas en charge les internés (manuscrit peu lisible).

Le 27 juin, Eugène Nicot fait partie d’un groupe de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – alors siège de la Geheime Feldpolizei – où ils sont rejoints par d’autres détenus, arrêtés le même jour et les jours suivants dans le département de la Seine [2]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville (sur la commune des Lilas, Seine / Seine-Saint-Denis), élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [3].

Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (Seine / Seine-Saint-Denis) et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Polizeihaftlager). Pendant la traversée de la ville, effectuée à pied entre la gare et le camp, la population les regarde passer « sans dire un mot, sans un geste. Tout à coup nous entonnons La Marseillaise et crions “Des Français vendus par Pétain” » [4]. Ils sont parmi les premiers détenus qui inaugurent ce camp créé pour les « ennemis actifs du Reich ».

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Dix mois plus tard, le 5 mai, le préfet de Seine-et-Oise transmet au Conseiller supérieur d’administration de guerre [sic] de la Feldkommandantur de Saint-Cloud une liste d’anciens internés d’Aincourt à la libération desquels il donne un avis défavorable – « renseignements et avis formulés tant par [ses] services de police que par le directeur du centre de séjour surveillé » ; liste accompagnée de « notes » individuelles avec copie traduite en allemand, dont celle concernant Eugène Nicot.

Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le 8 juillet, Eugène Nicot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45925 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Eugène Nicot est enregistré comme sculpteur (Bildhauer). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Eugène Nicot.

Il meurt à Auschwitz le 20 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [5], trois semaines après l’arrivée de son convoi. La cause – crédible mais pas forcément véridique – indiquée pour sa mort est « typhus » (Fleckfieber).

Le 19 décembre 1942, le président de la délégation spéciale de Villeneuve-le-Roi écrit au préfet de Seine-et-Oise en réponse à un courrier que lui a adressé celui-ci et dans lequel il l’informe que, depuis le 5 juillet, « Mesdames Nicot et Oursel n’ont reçu aucune nouvelle d’eux ».

Après la guerre, à une date restant à préciser, le Conseil municipal de Villeneuve-le-Roi donne le nom d’Eugène Nicot à une rue de la commune.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 28-07-1995).

Notes :

[1] Villeneuve-le-Roi : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de « Différents communistes actifs que vous désignerez » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris.

Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.

Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés[du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. » Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés.

Le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei. En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.

À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.

Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.

Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.

Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »

[3] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[4] De l’Hôtel Matignon au Frontstalag 122 : témoignage de Marcel Stiquel (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Son récit fait état de 87 internés (la liste en comporte 88) et d’un départ d’Aincourt étalé sur deux jours : les 27 et 28 juin 1941 (voir note ci-dessus).

[5] Différence de date de décès avec celle inscrite au Journal Officiel : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – s’appuyant sur le ministère des Anciens combattants qui avait collecté le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ : concernant Eugène Nicot, c’est le 15 février 1943 qui a été retenu pour certifier son décès (2-07-1946). La parution au J.O. rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 356, 389 et 415.
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Les Éditions de l’Atelier/Les Éditions Ouvrières, 1990-1997, CD-rom (citant : Arch. Dép. Seine-et-Oise, 2 M 30/52, 1 W 71, 73 et 143 – Tract électoral – mairie de Villeneuve-le-Roi).
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi, Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur le transfert depuis Aincourt des 88 de Seine-et-Oise, fin juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Nadia Ténine-Michel, Le camp d’Aincourt (Seine-et-Oise), 5 octobre 1940 – 15 septembre 1942, article in Les communistes français de Munich à Châteaubriant (1938-1941), sous la direction de Jean-Pierre Rioux, Antoine Prost et Jean-Pierre Azéma, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, novembre 1987.
- Archives départementales de la Creuse (AD 23), site internet du Conseil général, archives en ligne : registre des naissances de Sardent (4E279/29), acte n° 34 (vue 172/215) ; registre matricule du recrutement militaire, classe 1908, recrutement de Guéret-Limoges n° 882-3030 (1 R 538), matricule 934 (vues 103-105/571).
- Site internet Mémoire des Hommes, ministère de la Défense : Journal des marches et opérations (J.M.O.) du 278e régiment d’infanterie, période du 1er janvier 1917 au 15 janvier 1918 (26 N 737/5, vue 28/61).
- Archives communales de Villeneuve-le-Roi, recherches de Stéphanie Guérin (01-2007).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, cotes 1w73, 1w80 (relations avec les autorités allemandes), 1w143 (dossier individuel), 1w277 (Liste des 88 internés d’Aincourt remis les 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation) ; et recherches parallèles de Claude Delesque.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 861.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 23008/1942.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 16-04-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP ( Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Arduino NICOLAZZO – 45924

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Droits réservés.

Arduino, Valentino, Nicolazzo naît le 22 juin 1900 à Schio, en Italie, fils de Francesco (François) Nicolazzo, 31 ans, maçon, et de Silvia (Sylvie) Ghilesie, 31, ans, son épouse.  Il a une sœur plus âgée, Elvire (?), et un frère plus jeune, Amaro (Armand), né le 5 ou 6 avril 1904 à Bruggero (Suisse).

En juin 1918, il est mobilisé en Italie.

Le 8 octobre 1923, Arduino Nicolazzo arrive en France (avec ses parents ?). Le 3 novembre suivant, il est domicilié au 26 rue Serpente à Argenteuil

[1] (Seine-et-Oise / Val-d’Oise – 95).

À une date restant à préciser, il emménage au 8, avenue des Genêts.

Le 14 novembre 1925 à Argenteuil, il se marie avec Olimpia Vittoria Lupano, née le 6 avril 1905 à Occimiano (Italie), ouvrière d’usine.

De 1925 à 1927, le couple loge chez une certaine Madame Girard, rue du Midi à Sannois (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), ville voisine.

Le 5 février 1927, leur fille Elvire (recevant le même prénom que sa tante) naît à Sannois.

Le 17 octobre 1927, Arduino Nicolazzo entre comme magasinier à l’usine de la Société française Gardy, appareillage électrique haute et basse tension, 23 rue de La Voie-des-Bancs, à Argenteuil.

La famille habite alors au 28 route de Sannois.

Le 15 juin 1931, Arduino Nicolazzo naturalisé français, ainsi que son épouse et sa fille.

Il suit les cours de formation politique du Parti communiste et l’école de section des cadres. Il est également adhérent du Secours populaire de France (ex-Secours Rouge). Son épouse partage ses convictions.

À l’été 1936, lors des mouvements de grève suivants l’élection du gouvernement de Front populaire, la police française le désigne comme « militant acharné » du PC, « très bon instigateur et un des principaux meneurs ». « Responsable de la cellule de l’usine Gardy, éternel mécontent, il [incite] à chaque instant les ouvriers à cesser le travail pour poser à la Direction des revendications injustifiées. »

En septembre 1938, il mène « une campagne violente contre [le pacte de Munich] » livrant la Tchécoslovaquie à Hitler.

En septembre 1939, après la dissolution et l’interdiction du Parti communiste, Arduino Nicolazzo ne désavoue pas ses engagements. Le 2 octobre, le commissaire de police du 2e arrondissement à Argenteuil commence à interroger par procès-verbal deux de ses collègues, puis deux membres de l’encadrement, transmettant deux jours plus tard son rapport au Parquet de Versailles. Le premier ouvrier interrogé rapporte : « Au moment où les troupes russes entraient en Pologne, il parlait de Staline comme étant un défenseur du peuple français. » Les  deux cadres semblent surtout lui reprocher des discussions politiques au sein de l’usine, qui, par elles-mêmes, en divisant les ouvriers, entraveraient la bonne marche du travail. Bien que le chef des ateliers admette : « Depuis le début des hostilités, je n’ai rien constaté de particulier chez cet employé avec qui, je n’ai que des relations peu suivies. » Et que le contremaître d’un autre atelier déclare : « Depuis la déclaration de guerre, je n’ai rien constaté de particulier sur cet individu avec lequel d’ailleurs je n’ai pas de relations, même pour le travail. »

Remontées d’une manière ou d’une autre à la direction de l’entreprise, ces dénonciations entraînent son licenciement.

Le 27 octobre, le préfet écrit au ministère de l’Intérieur pour lui demander d’« entamer la procédure prévue au décret du 9 septembre tendant à la déchéance de la qualité de citoyen français du nommé Nicolazzo, qui s’est comporté, en fait, comme le national d’un pays étranger ». Le 6 décembre, la demande sera transmise au service des naturalisations du ministère de la Justice.

Le 21 novembre 1939, Arduino Nicolazzo est affecté au dépôt d’infanterie n° 181 par mesure répressive.
Le 2 août 1940, son père décède à Argenteuil.

Au moment de son arrestation, Arduino Nicolazzo s’est installé chez sa mère – avec son épouse et leur fille -, au 31, rue Serpente, à Argenteuil. secteur Est.

Le 26 septembre 1940, la commission de révision des naturalisations du ministère de la Justice préconise le retrait de sa naturalisation ; une note manuscrite annexe indique : « … propagandiste communiste dangereux dont le loyalisme n’est pas assuré. » Par le décret du 1er novembre suivant (publié six jours plus tard au Journal officiel), Arduino Nicolazzo et sa famille sont déchus de la nationalité française. Dès lors, le préfet décide d’autorisations de séjour annuelles renouvelables.

Le 24 novembre 1940, le préfet de Seine-et-Oise signe un arrêté ordonnant l’assignation à résidence sur le territoire de leur commune de domicile « individus dangereux pour la Défense nationale et la sécurité publique », selon les termes du décret du 18 novembre 1939 ; parmi ceux-ci, Arduino Nicolazzo.

Le 16 janvier 1941, le commissaire central du 2e district (Argenteuil) propose qu’il soit appréhendé et conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), à la suite de distribution de tracts dans le secteur où il habite, en exécution des prescriptions de l’arrêté préfectoral du 19 octobre 1940.

Le 21 janvier, le préfet de Seine-et-Oise signe l’arrêté ordonnant cet internement administratif. Le jour même, Arduino Nicolazzol est arrêté par la police français et conduit au camp d’Aincourt, créé au début du mois d’octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement. Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement.
Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Selon le commissaire de police spécial qui dirige le camp, Arduino Nicolazzo fait preuve « du plus mauvais esprit », raison pour laquelle sa correspondance est censurée à plusieurs reprises. Le 15 mai 1941, le détenu écrit : « Les vérités ne sont pas toujours bonnes à dire. La vérité est une chose qui effraie, c’est un spectre dont on a peur. On a toujours tort d’avoir raison : il ne suffit que de dire la vérité pour être targué de communiste ou de révolutionnaire ».

Le 7 juin, le commissaire de police d’Argenteuil, à la recherche de propagande communiste, mène une perquisition infructueuse au domicile familial du 31, rue Serpente.

Le 27 juin 1941, Arduino Nicolazzo fait partie d’un groupe de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – alors désigné comme siège de la Geheime Feldpolizei – où ils sont rejoints par d’autres détenus, arrêtés le même jour et les jours suivants dans le département de la Seine [2]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [3].

Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (93) pour être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Polizeihaftlager). Pendant la traversée de la ville, effectuée à pied entre la gare de Margny-les-Compiègne et le camp, la population les regarde passer « sans dire un mot, sans un geste. Tout à coup nous entonnons La Marseillaise et crions “Des Français vendus par Pétain” » [4]. Ils sont parmi les premiers détenus qui inaugurent ce camp créé pour les « ennemis actifs du Reich ».

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Dix mois plus tard, le 5 mai, le préfet de Seine-et-Oise transmet au Conseiller supérieur d’administration de guerre [sic] de la Feldkommandantur de Saint-Cloud une liste d’anciens internés d’Aincourt à la libération desquels il donne un avis défavorable – « renseignements et avis formulés tant par [ses]services de police que par le directeur du centre de séjour surveillé » ; liste accompagnée de « notes » individuelles avec copie traduite en allemand, dont celle concernant Arduino Nicolazzo.

Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Arduino Nicolazzo est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45924 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Arduino Nicolazzo est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Les 2 et 4 novembre 1942, il est présent dans la chambrée n° 5 de l’infirmerie (Revier) du sous-camp, où il reçoit 12 gouttes d’Anisine (un bactéricide) et 6 comprimés de charbon (Kohle), probablement utilisé contre la dysenterie. Le 6 novembre, son nom n’apparaît plus sur le registre de délivrance de médicaments.

On ignore la date exacte de la mort d’Arduino Nicolazzo à Auschwitz-Birkenau, survenue avant la mi-mars 1943 [5].

Le 24 septembre 1942, son frère Amaro, célibataire, artisan-maçon, qui était venu habiter au 31, rue Serpente avec leur mère, est arrêté à son tour comme militant communiste actif sur « décision ministérielle » et conduit trois jours plus tard au camp de Pithiviers (Loiret), où il est affecté à la fabrication d’engrais.

Le 14 avril 1943, ne s’étant pas fait remarquer pour ses opinions politiques, Amaro reçoit un avis favorable à sa libération par le chef de camp. Mais, le 20 janvier 1944, les services de police (de Paris) émettent un avis défavorable. Le 23 février, Amaro Nicolazzo fait partie d’un groupe de 23 internés transférés au camp de Laleu, à la Rochelle (Charente-Maritime).

Le nom d’Arduino Nicolazzo est inscrit sur le Monument aux morts d’Argenteuil, dans le cimetière communal, rue de Calais. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 28-07-1995).

Le 10 octobre 1944, une note de service prévoit de convoquer son épouse pour lui rendre l’ampliation de leur décret de naturalisation.

Notes :

[1] Argenteuil : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de « Différents communistes actifs que vous désignerez » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris. Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.

Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés [du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. » Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés. En effet, le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei. En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.

À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.

Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.

Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.

Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »

[3] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[4] De l’Hôtel Matignon au Frontstalag 122 : témoignage de Marcel Stiquel (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Son récit fait état de 87 internés (la liste en comporte 88) et d’un départ d’Aincourt étalé sur deux jours : les 27 et 28 juin 1941 (voir note ci-dessus).

[5] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Arduino Nicolazzo, c’est « le 11 juillet 1942 à Auschwitz et non le 6 juillet 1942 à Auschwitz » qui a été retenu pour certifier son décès, ajoutant d’office cinq jours à la date d’arrivée du convoi. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 390 et 415.
- Archives nationales : dossier de naturalisation (BB/34/476 – cote 7243 X 31).
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi, Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur le transfert depuis Aincourt des 88 de Seine-et-Oise, fin juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, bureau politique du cabinet du préfet de Seine-et-Oise (1W69), relations avec les autorités allemandes (1W80), dossier individuel (1W143), 1W277, 300W46 ; et recherches parallèles de Claude Delesque.
- Liste des 88 internés d’Aincourt (domiciliés dans l’ancien département de Seine-et-Oise) remis les 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation, et liste Internés de Seine-et-Oise à la suite d’une mesure prise par le préfet de ce département, ayant quitté le centre d’Aincourt, copies de documents des AD 78 communiquées par Fernand Devaux (03 et 11-2007).
- Site Mémorial GenWeb, 95-Argenteuil, relevé de Joël Godin (2005).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-11-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Jean NICOLAÏ – 45923

Droits réservés.

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Jean, Simon, César, NicolaÏ naît le 30 avril 1921, à Paris 14e, fils de Don Jacques Nicolaï, 33 ans, cordonnier natif de Corse, et d’Élise Dufois, 26 ans, employée de bureau, son épouse.

Il effectue une partie de sa scolarité à l’école Jean-Baptiste Say, 11 bis, rue d’Auteuil à Paris 16e, où il fait la connaissance de Camille Gianni, frère cadet de Paul Gianni, et de Jean Christian, et où il obtient le brevet élémentaire et le brevet d’études primaires supérieures.

L’école Jean-Baptiste Say dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

L’école Jean-Baptiste Say dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

De sa naissance au moment de son arrestation, Jean Nicolaï habite chez ses parents, dans un logement au 225, rue d’Alésia à Paris 14e, à hauteur de la rue de l’Ouest. Il est célibataire.

En septembre 1939, son père décède subitement à l’âge de 52 ans.

Jean Nicolaï est étudiant à l’École d’administration des Ponts et Chaussées, en suivant des cours par correspondance à son domicile.

Sportif, il est adhérent de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail).

Sous l’Occupation, il donne son adhésion au Parti communiste “dans l’illégalité” et se joint à un groupe actif qui réussit plusieurs sabotages d’installations allemandes (voir René Deslandes).

À partir de septembre 1940, il intègre un “triangle” des Jeunesses communistes clandestines (trois garçons – lui-même, Jean Christian et Paul Gianni – sous l’autorité d’une responsable : Jeannine Gagnebin

[1]) qui fabrique des tracts et des papillons puis les distribue et les colle. Jean NicolaÏ pourrait plus particulièrement être chargé des jeunes chômeurs : en compagnie de Jean Christian, il dactylographie un tract intitulé Union des comités populaires des jeunes chômeurs de Paris.

Dans la nuit du 15 décembre 1940, vers 22 heures, alors que Jean Christian et Camille Gianni collent des affiches (« Pour que vos enfants aient du pain »), ils sont surpris par une patrouille d’agents cyclistes. Camille Gianni parvient à s’enfuir, mais Jean Christian est appréhendé. Interrogé par le commissaire de police  du quartier et, devant les preuves qui l’accablent, le jeune homme livre toutes les informations qu’il possède sur son groupe.

Le 17 ou 18 décembre 1940, Jean Nicolaï est arrêté à son domicile par des agents du commissariat de son quartier (Plaisance ou Necker), en même temps que Jeannine Gagnerin, une jeune femme et trois autres garçons (dont les frères Camille et Paul Gianni). Une perquisition au domicile de Jean NicolaÏ permet à la police française de trouver une machine à écrire, un tampon encreur et un timbre sec permettant la confection de bons à tarif réduit pour un Comité Populaire de jeunes chômeurs.

Inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939 par un juge d’instruction du tribunal de première instance de la Seine, tous sont placés sous mandat de dépôt. Après un passage par la Conciergerie, Jean NicolaÏ est écroué le lendemain à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Le 11 janvier 1941, lors du procès verbal d’interrogatoire et de confrontation conduit par le juge d’instruction dans son cabinet, il est assisté par Maîtres Hajje et Santarelli.

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)

Le 1er mars, les cinq garçons et les deux jeunes filles comparaissent devant la chambre des mineurs (15e) du Tribunal correctionnel de la Seine. Celle-ci condamne Jean NicolaÏ à trois mois d’emprisonnement, car il n’a pas d’antécédent judiciaire ni ne fait l’objet de renseignement défavorable. Sa peine ayant déjà été largement couverte par sa détention préventive, il est libéré le 18 mars.

À partir de septembre 1941, il entre comme employé de bureau à la Société industrielle des téléphones (SIT), sise au 2, rue des Entrepreneurs (Paris 15e).

Le 28 avril 1942, il est arrêté à son domicile, comme otage, lors d’une grande vague d’arrestations collectives (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine, visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin. Avec lui sont arrêtés Jean Christian et Paul Gianni. Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Jean Nicolaï y est enregistré sous le matricule n° 4064 et assigné au bâtiment C2.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Peut-être écrit-il à sa mère un dernier courrier daté du 28 juin (date mentionnée dans un rapport de police).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Nicolaï est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45923 selon les listes reconstituées et par comparaison de la photo du détenu portant ce matricule avec un portrait “civil” datant d’avant son arrestation.

À Auschwitz-I, le 8 juillet 1942. Collection numérique Mémoire Vive, © Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.

À Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Collection numérique Mémoire Vive,
© Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Jean Nicolaï.

En France, peu après avoir s’être vue retourner une lettre adressée à son fils au camp de Royallieu avec la mention « Parti. Retour à l’envoyeur », sa mère écrit à une autorité française qui la met en contact avec la Délégation générale du Gouvernement français dans les territoires occupés. Le 18 juillet, elle répond à un courrier de cette administration posté deux jours plus tôt.

Jean Nicolaï meurt à Auschwitz le 9 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [1].

Le 4 avril 1946, Élise Nicolaï, sa mère, complète et signe à la mairie du 14e un formulaire du ministère des Anciens combattants et victimes de la Guerre (ACVG) en vue d’obtenir la régularisation de l’état-civil d’un “non-rentré” ; elle sait alors que son fils a été déporté le 6 juillet 1942 pour un « camp présumé à Auschwitz ».

Le 1er juin 1948, Lucien Penner, de Paris, rescapé du convoi, complète et signe un formulaire à en-tête de l’amicale d’Auschwitz-FNDIRP, par lequel il certifie que Jean Nicolaï est décédé au camp d’Auschwitz à la date de « mars 1943 ».

Le 5 juin suivant, Élise Nicolaï compète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique. Elle indique décédé à « Auschwitz-Birkenau ».

Le 9 juin, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre dresse l’acte de décès officiel de Jean Nicolaï « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (probablement le témoignage de L. Penner) et en fixant la date à mars 1943 [2].

En février 1951, Madame Nicolaï complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son fils. À la rubrique “renseignements relatifs à l’acte qualifié de résistance à l’ennemi qui a été la cause déterminante de l’exécution de l’internement ou de la déportation”, elle indique sommairement « Front national » [3], conformément au certificat d’appartenance à la Résistance intérieure française (RIF) établi en décembre 1948. Le 10 juillet 1952, la Commission départementale des Déportés Résistants rend un avis défavorable, suivie par la Commission nationale le 8 janvier 1954. Une semaine plus tard, la Commission nationale des Déportés Politiques rend un avis favorable à l’attribution de cet autre titre. Le 12 février suivant, le ministère des ACVG notifie cette décision à Madame Nicolaï, en lui envoyant à la carte n° 1.101.09283.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Jean Nicolaï (J.O. du 28-07-1995).

Notes :

[1] Jeannine Gagnebin, épouse Gianni (Camille ?), née le 10 janvier 1923 à Paris 15e), secrétaire, demeurant avenue Victor-Hugo à Thiais (Seine, Val-de-Marne) après la guerre, est élue conseillère municipale communiste de Thiais le 26 avril 1953, sur une liste dirigée Émile Zimmermann (mandat achevé en 1959). Source : Maitron en ligne.

[2] Concernant la différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil… Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

S’agissant de Jean NicolaÏ, c’est le mois de mars 1943 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

[3] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 372 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier statut) – M. Cottard, Revue d’Histoire du 14e, n°29, fév. 1989, p. 71.
- Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, jugement du samedi 1er mars 1941 (D1u6-3733).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” (BA ?) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 273-145724).
- Musée de la Résistance nationale de Champigny (94) : fonds Deslandes (nombreux documents rassemblés par André Deslandes à la mémoire de son père Gaston et de son frère René).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 861 (34950/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen ; dossier de Nicolaï Jean (21 P 520 484), recherches de Ginette Petiot (message 01-2019).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-02-2019)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Marcel NÉVRAUMONT – 45922

Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Marcel, Auguste, Joseph, Névraumont naît le 29 novembre 1889 à Reims (Marne), chez ses parents, Joseph Névraumont, 31 ans, citoyen belge, valet de chambre, et Marie Bocquillon, 32 ans, son épouse, domiciliés au 5, impasse du Parvis. Marcel a trois frères : Robert, né en 1891 à Reims, et les jumeaux André et Raymond, nés en 1896, tous deux à Ballay (Ardennes).

En 1911, la famille habite au 41 rue du Chemin-Vert à Maisons-Alfort

[1] (Seine / Val-de-Marne – 94). Le père est manœuvre chez Courtine. Robert, 20 ans, est “professeur” (instituteur privé). André, 15 ans, est journalier chez Springer. Raymond, 15 ans, est cordonnier.

Le 1er juillet 1909, à Commercy (Meuse), Marcel, 19 ans, s’était engagé volontairement pour cinq ans comme soldat de 2e classe au 6e régiment de hussards. Il est libéré du service actif le 14 juillet 1914, titulaire d’un certificat de “bonne conduite”. Mais, dès le 3 août suivant, il est rappelé à l’activité militaire par le décret du 1er août ordonnant la mobilisation générale, et rejoint son corps. Le 16 janvier 1917, il passe au 81e régiment d’artillerie lourde. Le 1er mai 1918, il passe au 500e régiment d’artillerie. Il reste mobilisé jusqu’au 15 juillet 1919. Il a enchainé dix ans “sous les drapeaux” !

Les quatre frères ont été mobilisés. Le 24 janvier 1919, son frère André est mort de maladie à hôpital 5/2 de Gemersheim, ou Landau ? (Allemagne).

En 1921, le couple parental ainsi que Marcel et son frère Raymond habitent toujours au 41 rue du Chemin-Vert à Maisons-Alfort. Marcel est bottier, Raymond est ouvrier sur cuir (?).

Le 12 mai 1935, Marcel Névraumont est élu conseiller municipal communiste de Maisons-Alfort sur la liste d’Albert Vassart [2].

Maisons-Alfort, la mairie. Carte postale oblitérée en février 1940. Coll. Mémoire Vive.

Maisons-Alfort, la mairie. Carte postale oblitérée en février 1940. Coll. Mémoire Vive.

Le 25 août suivant, il interpelle deux gardiens de la paix du commissariat de police de la circonscription de Charenton-le-Pont qu’il découvre en train de lacérer des affiches (probablement éditées par le Parti communiste), leur disant : « Qu’est-ce que vous faites ? Je suis conseiller municipal. Donnez-moi votre numéro… ». Il est conduit au commissariat pour interrogatoire (suite à préciser…).

Le 11 décembre 1935s son père décède à Maisons-Alfort.

Le 4 octobre 1939, le Président de la République – Albert Lebrun -, par décret et « sur la proposition du ministre de l’intérieur, suspend jusqu’à cessation des hostilités les Conseils municipaux » de 27 communes de la banlieue parisienne à majorité communiste, dont celui de Maisons-Alfort, et les remplace par des Délégations spéciales composées de notables désignés.

Le 15 mars 1940, la mère de Marcel Névraumont décède à Maisons-Alfort.

Au moment de son arrestation, célibataire, sans enfant, il habite toujours au 41, rue du Chemin-Vert à Maisons-Alfort ; ou au 95, rue Jean-Jaurès d’après les listes électorales de février 1945, sur lesquelles il sera déclaré comme négociant en chaussures ou bottier (déclaré aussi chauffeur d’auto, petit commerçant et cordonnier par la police).

Le 25 juillet 1940, Marcel Névraumont est, avec Fernand Saguet, l’un des principaux organisateurs de la manifestation visant à reprendre la mairie de Maisons-Alfort. Six anciens élus du conseil municipal pénètrent dans l’hôtel de ville pour y rencontrer le président de la délégation spéciale et lui demander d’adresser un rapport au préfet de la Seine, puis se maintiennent dans les lieux. Les services du commissariat Charenton viennent les y arrêter, au motif d’un attroupement de rue non approuvé par les autorités allemandes. Amenés au commissariat, ils y retrouvent des élus d’Alfortville ayant organisé une initiative identique, parmi lesquels Henri Hannhart et Gaston Ruan. Dans la nuit, tous sont conduits au commissariat du 12e arrondissement, puis au dépôt de la préfecture de police de Paris (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité). Enfin, le lendemain, ils sont écroués à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Le 4 octobre, Marcel Névraumont est relâché avec les autres élus, à l’initiative semble-t-il de l’administration militaire allemande pour laquelle «  vu la fragilité de (leur) cas, rien ne peut être retenu contre (eux) », et après qu’ils aient signé un engagement à « ne pas faire de propagande contre lesautorités occupantes ».

Mais, le 7 octobre, le commissaire de Charenton en appelle au directeur des Renseignements généraux afin que tous soient de nouveau arrêtés, précisant : « Il est à peu près certain que tous ces militants vont reprendre une activité. Leur arrestation paraît s’imposer. »

Le 10 octobre suivant, les mêmes hommes sont de nouveau arrêtés par des inspecteurs de Charenton et passent de nouveau une nuit à la Conciergerie. Internés administrativement en application du décret du 18 novembre 1939, tous sont conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), ouvert cinq jours plus tôt dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement. Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement.
Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.

Le 6 mars 1941, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Marcel Névraumont, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné « est resté communiste certain », ajoutant à sa charge : « propagandiste ».

Le 6 septembre 1941, Marcel Névraumont est parmi les 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 9 février 1942, il est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin, Marcel Névraumont, 52 ans, est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Marcel Névraumont est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45922 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [3]).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Marcel Névraumont est probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

En effet, à une date restant à préciser, il est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus du camp souche.

Il meurt à Auschwitz le 13 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; cinq semaines après l’arrivée du convoi (le même jour que Georges Niquet, de Maisons-Alfort). Il a 52 ans.

Notes :

[1] Maisons-Alfort : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Albert Vassart (1898-1958), militant chevronné du Parti communiste et de la CGTU à partir de 1923, est “parachuté” avec succès à Maisons-Alfort, dont il devient le premier maire communiste. À la suite de la signature du pacte germano-soviétique, il prend ses distances avec le PC (novembre 1940). Il est néanmoins arrêté et condamné à cinq ans de prison en tant que communiste. Mais il est libéré en septembre 1941 à la suite de démarches de Marcel Gitton et Henri Barbé (dirigeant du PC exclu en 1932). Albert Vassart adhère au Parti ouvrier et paysan français (POPF) – collaborationniste – de Gitton et y accepte des responsabilités aux côtés d’une vingtaine d’autres anciens parlementaires et élus communistes. Il fait ensuite équipe avec Barbé et Capron pour obtenir la libération de militants communistes emprisonnés bien qu’en rupture avec leur parti. Le 27 juin 1942, Albert Vassart échappe à une tentative d’élimination devant son domicile.

[3] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin Après Auschwitz, n° 21 de mai-juin 1948 ; son nom est orthographié « Nevaument »).

Sources :

V Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 356, 389 et 415.
V Claude Pennetier, notice sur A. Vassart dans le Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Les Éditions de l’Atelier/Les Éditions Ouvrières, 1990-1997, CD-rom, version 3.61.
V Henri Hannhart, Un épisode des années 40, Matricule : F 45652 (les intérêts de certains ont fait le malheur des autres), trois cahiers dactylographiés par son fils Claude ; notamment une liste, page 23.
V Ville de Reims, Archives municipales, site internet, archives en ligne : registre des naissances de l’année 1889, acte n° 2751, (vue 737/851).
V Archives de Paris : registres matricules du recrutement militaire, classe 1908, 4e bureau de la Seine (D4R1 1539), n° 3267.
V Archives de Paris, site internet, archives en ligne : fichier des électeurs du département de la Seine (1860-1939) (D4M2 668).
V Archives municipales de Maisons-Alfort, recherches de Madame Loubrieu.
V Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, révision trimestrielle (1w74), (1w76), notice individuelle (1w143).
V Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “Occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; registre des mains courantes du commissariat de police de la circonscription de Charenton 8/11/1937 / 26-11-1940 (C B 94.10), n° 958.
V Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
V Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 860 (19945/1942).
V Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), document extrait des archives : page du registre d’appel avec la liste des détenus décédés le 13 août 1942.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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Ernest NEVEUX – 45921

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Ernest Neveux naît le 9 mai 1906 à Mareuil-les-Meaux (Seine-et-Marne – 77), fils de Jules Neveux, né en 1870 à Mareuil, ouvrier agricole puis manouvrier à l’usine à plâtre de M. Massiot, et de Lucie Bourdon, son épouse, née en 1880, domiciliés rue du Couplet. Ernest a deux sœurs plus âgées, Yvonne, née en 1894, Espérance, née en 1902, et un frère plus jeune, Lucien, né en 1908, tous à Mareuil.

De la classe 1926, il effectue son service militaire au 182e régiment d’artillerie à Vincennes (Seine / Val-de-Marne).

Le 15 mars 1930, à Mareuil, Ernest Neveux se marie avec Germaine Émilienne Frère, née le 19 juillet 1909 à Mareuil.

En 1931, ils habitent place Gambetta. Ernest est mécanicien-ajusteur aux Établissements Verdier. Germaine y est manutentionnaire.

En 1936 et jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domicilié au 33, rue Pasteur à Mareuil-les-Meaux.

Ernest Neveux adhère au parti communiste de 1936 à 1939.

Le couple a un fils, François, né vers 1940.

Le dimanche 19 octobre 1941, Ernest Neveux appréhendé lors d’une vague d’arrestations décidée par l’occupant contre des communistes de Seine-et-Marne, pris comme otages en représailles de distributions de tracts et de destructions de récolte – meules, hangars – ayant eu lieu dans le département.

Ernest Neveux est rapidement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule n° 1798, il est assigné au bâtiment A3, « groupe 8 » (une chambrée ?).

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.

TransportAquarelle

Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Ernest Neveux est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45921 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée 

[1]).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement, et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Ernest Neveux est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. En effet, il est ensuite admis au Block 28 (pour “convalescents”) de l’hôpital d’Auschwitz-I [2].

Il meurt à Auschwitz le 5 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [3].

Lors du recensement de 1946, Ernest Neveux est inscrit comme « déporté politique en Allemagne, non rentré » ; Germaine accueille alors deux “pensionnaires” : Christiane et Julien Goëtz, nés respectivement en 1933 et 1937.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès d’Ernest Neveux (J.O. du 18-05-1995).

Notes :

[1] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin Après Auschwitz, n°21 de mai-juin 1948).

[2] L’hôpital d’Auschwitz : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
Mais les “31000” et Charlotte Delbo – qui ont connu l’hôpital de Birkenau – ont utilisé le terme “Revier” : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant d’Ernest Neveux, c’est le 1er septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 127 et 128, 378 et 415.
- Archives départementales de Seine-et-Marne, site internet : recensement de 1911, canton de Meaux (10M448 1911), Mareuil-les-Meaux, vue 254/380.
- Archives départementales de Seine-et-Marne, Dammarie-les-Lys, cabinet du préfet : arrestations collectives octobre 1941 (M11409) ; arrestations allemandes, secteur de Meaux, dossiers individuels M-Z (Sc51228).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 860 (36018/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 1-07-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Israël NEIMAN – 46302

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Collection Marcel Neiman. Droits réservés.

Israël Neiman naît le 31 août 1901 à Thighina (Roumanie).

Vivant en France depuis 1920, il est domicilié au 12, rue Poulet à Paris 18e, près de Château-Rouge.

À une date restant à préciser, il se marie, avec Ida Chouvalsky née le 30 mai 1907 à Paris 18e. Ils ont un fils : Marcel, le 12 juin 1931 à Paris 18e.

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Ida, Marcel et Israël Neiman au pied du Sacré-Cœur.
Collection Marcel Neiman. Droits réservés.

À partir du 21 juin 1923 et jusqu’à son arrestation, Israël Neiman travaille comme assortisseur en pelleteries pour la Compagnie Franco-canadienne, 16 rue Martel à Paris 10e (en face des éditions d’art Yvon).

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Devant l’atelier…
Collection Marcel Neiman. Droits réservés.

Le 14 mai 1940, au début de l’invasion allemande, Israël Neiman s’engage à l’Intendance Militaire de Paris comme volontaire étranger pour la durée de la guerre. Deux jours plus tard, il incorporé au Dépôt d’artillerie n°5 à Orléans comme 2e canonnier, classé à la 104e batterie. Le 4 août 1940, il est rendu à la vie civile par le Centre démobilisateur du canton de La Souterraine .

Sous l’occupation, l’entreprise de fourrure où il a retrouvé son travail ayant des propriétaires juifs, elle est mise sous tutelle dans le cadre de l’aryanisation. Cependant, elle fournit l’armée allemande en canadiennes en peau de mouton pour les conducteurs de char, ce qui semble la faire bénéficier – ainsi que ses employés – d’une relative protection.

En octobre 1941, Israël Neiman est dénoncé par une lettre anonyme dont on ignore le contenu.

Le 28 avril 1942, il est arrêté lors d’une vague d’arrestations déclenchée à l’initiative des “autorités d’occupation” et interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Israël Neiman y est enregistré sous le matricule 4218.

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Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central
dont l’ombre se profile sur le sol. Le renfoncement à droite
dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Il parvient à communiquer et à recevoir des colis par l’intermédiaire de l’épouse de Gaston Bocquillon (45261), domiciliée à Juvisy (celle-ci sera tuée lors d’un bombardement, laissant deux orphelines : Huguette et Georgette).

Entre fin avril et fin juin 1942, Israël Neiman est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). Israël Neimann semble être déporté comme otage juif.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Comme d’autres déportés, Israël Neiman jette depuis le train un dernier message adressé à sa famille 

[1]. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Israël Neiman est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46302 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Israël Neimann.

On ignore également la date exacte de sa mort à Auschwitz, certainement avant la mi-mars 1943  [2].

Son nom a été inscrit sur le Mur des Noms du Mémorial de la Shoah, rue Jeoffroy-Lasnier à Paris, mais – par erreur – dans le convoi du 5 juin 1942 au lieu du 6 juillet.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 18-05-1995).

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Sur le Mur des noms du Mémorial de la Shoah,
au 17 rue Geoffroy-l’Asnier à Paris 4e,
parmi les déportés de l’année 1942.

Comme Israël Neiman l’évoque dans son dernier message (note ci-dessous), son employeur a continué à verser son salaire à son épouse jusqu’aux quinze ans de son fils. Marcel Neiman avait onze ans au moment de l’arrestation de son père et il a porté l’étoile jaune tout au long de la guerre, sans être aucunement mis à l’index par les enseignants ou les élèves.

Ida Neiman décède le 1er octobre 1993 à Paris 11e.

Notes :

[1] Compiègne le 6/7-42

Nous sommes dans le train et partons pour une destination inconnue.

Je vous ai déjà écris plusieurs mots au sujet de notre départ, mais je vous prépare celle-ci et tâcherai vous la faire parvenir. A la dernière minute je suis transféré chez les Juifs et nous partons 54 Juifs + 1120 du camp français (dit communiste) mais nous sommes séparés d’eux.

Je pars avec un moral excellent car vendredi j’eu ta lettre du 25/6, laquelle m’a rassuré à votre sujet, car n’ayant pas de nouvelles je me faisais du mauvais sang. Les lettres qui ont été retournées, c’est une erreur du bureau du camp, qui me croyait parti avec les Juifs le 5/6. Le colis que tu …

(feuillet 2)

m’annonce être envoyé le 22/6 au nom de Bo(u)quillon est arrivé. Mais il est retourné, car depuis quelques jours ils retournent les colis lourds par représailles (car il avait 19 évasions).

Ne vous inquiétez pas pour moi. Avec l’argent que j’avais et que j’ai encore, je me suis débrouillé au mieux.

Je ne sais pas si tu as fait le nécessaire pour tout ce que je te demandais dans les lettres précédentes : bicyclette, graissage. A prendre, l’allumage que j’ai laissé sur mon bureau et aussi un pantalon que j’ai laissé où je mettais mon chapeau. Il faut que tu reprenne mon complet qui est chez Bac. S’il peut le finir tel que, sans essayage, ou tel que je l’ai laissé. Range-les dans la valise avec les autres tissus. Tâche d’ajouter …

(3)

de la Naphtaline.

Aussi, en dehors de ma paie du mois d’avril, je devais toucher 2 Francs par gilet livré et il y (en) avait environ 2000 déjà livrés. Donc, tu devrais toucher 4000 F en plus.

Tu peux toujours dire à la maison que, si je suis dans ce bain, c’est à cause de la fameuse lettre anonyme du mois d’octobre par laquelle (on a ?) cherché à atteindre la maison plutôt que moi. Et après c’est la certitude d’être libéré en cas d’arrestation. Et , pour ces raisons, la maison ferait pas mal de te donner, si pas tout, au moins une partie des mensualités.

Je suis très content du fiston et ça m’a fait plaisir le résultat de son examen. Qu’il tâche d’être gentil.

(4)

Je fais tout mon possible pour écrire bien, que tu puisses lire. Mais c’est difficile, dans le train qui marche, d’écrire sur le genou.

Malgré tout, continuez à vivre comme par le passé, sans vous priver de rien. Et moi, de mon côté, je continuerai d’avoir l’espérance et un bon moral. Et je suis sûr que, d’ici peu, nous serons tous ensemble.

Je t’ai envoyé la nouvelle valise avec quelques affaires que je n’ai pas voulu traîner avec moi.

Si tout arrive à notre destination, à mon avis c’est en Allemagne que nous allons pour travailler. Et comme j’ai encore de l’argent (Draizentouz), je tâcherai …

(5)

de vous faire parvenir un mot pour vous dire où nous nous trouvons et ce que nous faisons.

Vendredi soir, comme j’étais déjà dans le camp juif, on a fait un (minien pour minha et mariv ?) et j’en ai profité pour dire (le) Kaddish. On y a pensé aussi pour samedi, mais on a été occupés avec les préparatifs de départ.

Tu peux écrire à Madame Boquillon que son mari est aussi parti avec le même train que nous.

Si tu as reçu mon bulletin de présence au camp, si tu t’es pas encore inscrite, fais-le maintenant de t’inscrire pour toucher l’allocation, et par la suite tu pourras avoir des autres avantages et aussi l’entrée facile dans les bureaux de la Croix-Rouge …

(6)

où tu pourras, si des fois je n’arrivais pas à te donner des nouvelles, te renseigner à mon sujet en rappelant mon n(uméro) de matricule 4218, départ de Compiègne le 6/7 – 54 Juifs. Il faut spécifier, car ils s’occupent de nous mieux que des autres.

Un camarade qui joint une lettre pour envoyer à sa femme. Tu lui indiquera l’endroit que sera indiqué sur l’enveloppe estampillé de la Poste, c’est – (interruption probable)

J’aimerais écrire encore, mais impossible ici.

Donc je t’embrasse bien fort et aussi le petit fiston, et à bientôt.

Votre Hi(?) qui pense à vous.

Embrasse bien ta mère, Georges, Sarah, Huguette et Monique, Margot, Jean et Serzik. Bien le bonjour à Diadia, à la mère de Sarah. Et aussi embrasse, si tu les vois, Rose et Hélène. Et un bonjour au 15 rue du Paradis et à tous les amis et connaissances, à notre concierge et voisin.

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

S’agissant d’Israël Neiman, c’est « le 11 juillet 1942 à Auschwitz (Pologne) et non le 6 juillet 1942 à Compiègne (Oise) » qui a été retenu pour certifier son décès.

Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 373 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (liste partielle du convoi, Musée d’Auschwitz).
- Marcel Neiman, son fils, témoignage, informations complémentaires.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 22-04-2012)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Félix NÉEL – 45920

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Félix, Émile, Néel naît le 13 avril 1905 à Paris 12e, fils de Félix Néel et d’Ernestine Aveline.

Le 30 juin 1923 à Paris 11e, il se marie avec Yvonne Lamboley, dite “Denise”, née le 2 février 1907 à Paris 11e (à vérifier…). Ils auront cinq enfants, dont Maurice, né le 26 juillet 1924 à Paris 12e, les autres étant respectivement âgés de 14, 12, 10 et 4 ans en février 1941.

Au moment de son arrestation, Félix Néel est domicilié au 39, rue des Noyers à Romainville 

[1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93).

Il est polisseur de métaux. Son dernier employeur est la Maison Krauss, 18-20, rue du Faubourg-du-Temple, à Paris 10e.

Militant communiste, Félix Néel est élu conseiller municipal de Romainville le 12 mai 1935.

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Romainville. La Mairie.
Carte postale oblitérée en 1947. Coll. Mémoire Vive.

Le 5 octobre 1939 – comme pour de nombreuses villes de la “banlieue rouge » – le conseil municipal de Romainville est “suspendu” par décret du président de la République (sur proposition du ministre de l’Intérieur) et remplacé par une délégation spéciale nommée par le préfet.

Le 15 février 1940, Félix Néel est officiellement déchu de son mandat, avec 25 autres conseillers, pour ne pas avoir « répudié catégoriquement toute adhésion au Parti communiste ».

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Extrait de la presse quotidienne,
sans titre ni date.
Archives de la préfecture de police, Paris.

Sous l’occupation, la police française le considère comme un « propagandiste très actif ».

Le 9 novembre 1940, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif. Félix Néel est probablement arrêté le même jour par des agents du commissariat des Lilas et rapidement conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé au début du mois d’octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre. Pendant un temps, Félix Néel est assigné à la chambre n° 34.

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Centre de séjour surveillé d’Aincourt. Plan de l’enceinte
montrant les points d’impact après le bombardement
par un avion anglais dans la nuit du 8 au 9 décembre 1940.
Arch. dép. des Yvelines, cote 1W71.

Le 8 février 1941, lors d’une audience au cours de laquelle sont jugés 50 militants communistes (dit « procès des cinquante »), dont dix-sept futurs “45000”, la chambre des mineurs (15e) du tribunal correctionnel de la Seine condamne son fils Maurice à quatre mois d’emprisonnement pour infraction au décret de 29 septembre 1939 (dissolution et interdiction du PC, propagande). Son fils étant mineur, il est possible que Félix Néel ait été assigné à comparaître à audience comme civilement responsable (à vérifier…). Le 9 avril, la Cour d’appel de Paris confirme le jugement et la durée de la peine.

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)

Le 11 février 1941, en réponse à une directive du chef de camp concernant la révision du dossier de certains internés, Félix Néel transmet à celui-ci une demande logique : « N’ayant jamais été au courant de ledit dossier et ne sachant sur quoi il peut être basé, je considère mon arrestation comme arbitraire du fait de n’avoir commis aucun délit ni aucune condamnation [sic]. Je considère donc que la plus élémentaire justice est ma mise en liberté ».

Le 26 février, Yvonne Néel écrit au préfet de Seine-et-Oise pour solliciter l’autorisation de rendre visite à son mari, accompagnée de ses enfants. Le préfet accorde cette autorisation et en informe la préfecture de police le 22 mars et le commandant du camp le 2 avril.

Le 6 mars, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Félix Néel, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné « suit les directives du parti communiste », ajoutant à sa charge : « propagandiste actif ».

Le 6 septembre, Félix Néel est parmi les 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 9 février 1942, est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Félix Néel est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Félix Néel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45920 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Félix Néel est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est assigné au Block 4.

Félix Néel meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [2]).

Après la guerre, le conseil municipal de Romainville donne son nom à une rue de la commune. Celui-ci figure également sur la plaque commémorative apposée à son ancienne adresse.

Son nom est inscrit sur une des plaques commémoratives (« mort dans la résistance ») apposées dans le hall de la mairie de Romainville.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 18-05-1995).

Notes :

[1] Romainville : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Monique Houssin, Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis, Un nom, une rue, une histoire, Les éditions de l’Atelier/ Les éditions Ouvrières, Paris 2004, page 168.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 356, 386 et 415.
- Archives nationales : correspondance de la Chancellerie sur des procès pour propagande et activité communistes (BB18 7043).
- Archives de Paris : archives judiciaires, registre du greffe du tribunal correctionnel de la Seine, 14 janvier-12 février 1941 ; jugement du 8 février 1941 (D1u6-3719).
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1w74 (révision trimestrielle), 1w143 (notice individuelle).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” : BA 2374 (camps d’internement…) : BA 2397 (liste des internés communistes, 1939-1941).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 854 (31855/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 93-Romainville, relevé de Christiane Level-Debray (06-2004).
- Site Les plaques commémoratives, sources de mémoire (aujourd’hui désactivé – nov. 2013).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 25-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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