Émile OBEL – 45933

Émile, Jean, Obel naît le 13 janvier 1896 à Courbevoie

[1] (Seine / Hauts-de-Seine), chez sa mère, Charlotte, Jeanne, Obel, 23 ans, couturière, domiciliée au 49, quai de Courbevoie, de père « non dénommé ». Pour son enregistrement à l’état civil, le nouveau-né est présenté par la sage-femme qui l’a accouché. Sa mère vient le reconnaître en mairie trois semaines plus tard.

Pendant un temps, Émile Obel habite à Paris 19e.

De la classe 1916, il est incorporé le 13 avril 1915 comme solat de 2e classe au 20e régiment de chasseurs. Il monte au front le 10 octobre 1916. En août et septembre 1917, à Verdun, chargeur à la 2e section de mitrailleurs, il se fait remarquer par sa bravoure et son sang froid. Le 29 avril 1918, au Bois-le-Prêtre, au cours d’un violent bombardement, il est blessé par éclats d’obus à l‘index droit et à l’avant-bras gauche. Il ne consent à se laisser conduire au poste de secours qu’à la fin de l’attaque. Il est cité à l’ordre du 20e chasseurs le 9 mai suivant et reçoit la Croix de guerre. Le 16 juillet, il est affecté au 500e régiment d’artillerie d’assaut et rejoint cette unité le 16 août. Le 13 septembre suivant, il passe au 82e bataillon d’artillerie (?). Le 6 novembre, il passe « renfort Bouron » (?). Le 25 septembre 1919, étant en permission, à Paris, il est mis en congé illimité de démobilisation par le dépôt du 13e RAC, à Vincennes, titulaire d’un certificat de bonne conduite (il recevra la Croix de combattant en mai 1930). En décembre 1931, tout en le maintenant dans la réserve du service armé, la 5e commission de réforme de la Seine constatera une « laryngite catarrhale chronique, cordes vocales épaissies, congestionnées, rougeur des aryténoïdes [cartilages du larynx qui tendent les cordes vocales], dysphonie ; reliquats de conjonctivite due au gaz (déclaration de l’intéressé)… ». En 1933, la 1ère commission de réforme ajoutera « …dysphonie et voix éraillée ».

Émile Obel est marié et père de deux enfants.

Il est mécanicien-ajusteur.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 4, rue Émile-Duployé à Paris 18e, à l’angle de la rue Stephenson.

Le 1er avril 1939, il est victime d’un accident à la main droite, entraînant une limitation de la flexion de ses doigts.

En 1939, à la suite de la déclaration de guerre, il n’est pas mobilisé. Le 8 avril 1940, la 1ère commission de réforme de la Seine le classe réformé temporaire n° 2 pour « laryngite catarrhale chronique simple avec dysphonie et séquelles de fracture à la main droite entraînant une limitation des mouvements ». Le 8 avril 1940, la 1ère commission de réforme de la Seine le classe réformé définitif n° 1 pour les mêmes causes.

Le 13 novembre 1940, Émile Obel est arrêté au café des Marronniers, boulevard Rochechouart à Paris 18e, par la police française, « pour propos anti-allemands » en même temps que trois autres hommes : Georges Fabre (décédé le 1er février 1942 au camp de Rouillé), Jean Maninchelli et Ernest Pichard. Émile Obel est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (à Paris 14e). À un moment restant à préciser, il passe sous le statut d’interné administratif.

En mars 1941, il est transféré à la Maison centrale de Fontevraud-L’Abbaye [2], près de Saumur (Maine-et-Loire), puis, en mai, à celle de Clairvaux (Aube).

Le 26 septembre 1941, Émile Obel fait partie de la centaine d’internés de Clairvaux transférés en train, via Paris, au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).

Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 148 détenus (pour la plupart déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; il est le premier de la liste rédigée à cette effet.

Entre fin avril et fin juin 1942, Émile Obel est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Émile Obel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45933 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Émile Obel est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Là, il contracte le typhus, puis une broncho-pneumonie.

En juillet 1943, comme les autres détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”), il reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.

À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Émile Obel est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” [3] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “Prominenten” polonais) transférés au KL Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin (matr. 94282 ).

Le 21 avril 1945, Émile Obel est pris dans les colonnes de détenus évacués du camp et conduits à marche forcée sur les routes en direction de la mer Baltique. Début mai, sa colonne est libérée par l’avancée des troupes soviétiques.

Émile Obel est hospitalisé pendant un mois et demi à Haguenau (Bas-Rhin).

Au cours d’un examen médical, il déclare avoir eu le typhus et trois broncho-pneumonies. Son état général est coché « mauvais » et son amaigrissement global est estimé à 10 kg.

Le 9 juin 1945, Émile Obel est rapatrié en avion à Paris, passant par le Centre parisien de l’hôtel Lutetia et la « rue d’Artois ».

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Au début des années 1950, il habite à La Rochelle (Charente-Maritime).

Le 27 novembre 1953, Émile Obel remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de Déporté politique. Dans sa séance du 12 juillet 1955, la Commission d’attribution de La Rochelle émet un avis favorable à sa demande, à partir duquel la délégation interdépartementale de Bordeaux du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre lui délivre le 15 juillet suivant le titre de Déporté politique (carte n° 1133.0373).

Émile Obel décède à Bordeaux le 20 décembre 1962.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 348 et 350, 359, 373 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier statut) – Mémorial de Sachsenhausen – État civil de la Mairie de Courbevoie.
- Archives départementales des Hauts-de-Seine (AD 92), site internet du conseil général, archives en ligne ; registre des naissances de Courbevoie, année 1896 (E NUM COU N1896), acte n° 27 (10/140).
- Archives communales de Courbevoie ; relevé de la mention marginale portée sur l’acte de naissance, transmis à G. Petiot (message 01-2014).
- Archives de Paris ; registre des matricules militaires, recrutement de Paris, classe 1916, 1er bureau, volume 1501-2000 (D4R1 1897), Obel Émile, Jean…, matricule 1739.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris) ; cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 1.
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier d’Émile Obel (21 P 606 191), recherches de Ginette Petiot (message 01-2014).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 28-12-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Courbevoie : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Fontevraud-L’Abbaye, souvent orthographié Fontevrault-L’Abbaye au 19e siècle.

[3] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon(45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung(45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux(45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais(45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin(45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté(45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean(45976) et Germain Pierron (45985).

Henri NOZIÈRES – (45932 ?)

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IDENTIFICATION INCERTAINE
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Henri Nozières naît le 2 août 1904 à la maternité de l’hôpital Saint-Louis à Paris 10e, fils d’Henri Eugène Nozières, 31 ans, sellier, et de Louise Eugénie Lobjoit, 26 ans, son épouse, domiciliés au 24, rue du Terrage. Ses parents ont précédemment eu un premier fils, Eugène Auguste, né 22 août 1903, mais décédé chez eux un mois plus tard.

Après la naissance d’Henri, les Nozières ont deux filles : Lucienne, née le 25 octobre 1905, puis Marie Louise, née le 21 avril 1909, alors que la famille est domiciliée au 11, rue Sainte-Marthe.

En 1914, la famille a emménagé rue du Parc à Bobigny

[1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), probablement dans un nouveau secteur de lotissement divisé en terrains de petites tailles.

Dans la nuit du 1er au 2 février 1920, le père de famille, alors veilleur de nuit, décède route des Petits Ponts, devenue rue Henri-Barbusse, à Bobigny (décès déclaré par un garde champêtre et un appariteur de la ville).

Henri Nozières vit ensuite avec sa mère et ses sœurs dans une maisonnette en bois dite « Villa Bien Gagnée », située (en 1924) entre les n° 16 et 34, rue du Parc prolongée à Bobigny ; très probablement le domicile où ils vivent déjà depuis plusieurs années.

Le jeune homme commence à travailler comme mouleur ou fondeur à La Folie.

Le 20 novembre 1923, Henri Nozières est élu secrétaire du groupe de Bobigny des Jeunesses communistes de la Seine. Cinq jours plus tard, il est élu membre de la commission exécutive des Pupilles de la 4e Entente. Le 20 juillet 1924, il est élu membre du Cercle d’Études de cette C.E. Il est alors employé au service du nettoiement de la commune de Bobigny. En septembre de cette année, il fait l’objet d’une note des Renseignements généraux de la préfecture de police mentionnant ses engagements politiques, document qui servira une vingtaine d’années plus tard à justifier la répression le visant.

Entre temps, le 14 décembre 1923, sa sœur Lucienne s’est mariée à Bobigny, quittant le foyer.

Le 10 novembre 1924, Henri Nozières est appelé à accomplir son service militaire et rejoint, quatre jours plus tard, l’artillerie de la 3e division légère. Alors qu’il est sous les drapeaux, la Fédération nationale des JC lui adresse le journal La Caserne et son supplément La page de J. Le Goin du 20 février 1925. Le 8 mai 1926, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

Le 2 avril 1927 à Drancy, Henri Nozières se marie avec Marthe Brigitte Bouvenot, née le 5 janvier 1905 à Pantin.

En 1931, Henri Nozières est employé communal comme cantonnier à Bobigny.

Il habite alors rue Louise-Michel avec son épouse, sa mère, alors ouvrière chez Rousselle, et sa sœur Marie, ouvrière chez Chire à Paris ; il est très probable que leur domicile soit resté le même, mais que la rue ait changé de nom sur décision du conseil municipal (à vérifier…).

Henri Nozières est employé communal (cantonnier).

Sa sœur Marie Louise se marie à Drancy le 3 décembre 1932, quittant à son tour le foyer.

Le 25 mars 1933, Henri et Marthe Nozières ont un fils, Daniel, né à Paris 10e.

Dans la période de lutte du Front populaire, Henri Nozières participe aux réunions politiques.

Le 2 septembre 1939, il est rappelé à l’activité militaire et affecté au 38e régiment d’artillerie divisionnaire (E.M.2), où il arrive six jours plus tard. Son unité rejoint la 7e division d’infanterie dans les Ardennes, à la frontière où auront lieu les premiers combats. Son unité ayant été réformée, il est reversé au 84e R.A. de la 59e division légère d’infanterie et participe à la bataille de la Marne (?) et à la défense de la Loire. Ayant fait l’objet d’une citation, il reçoit la Croix de guerre. Le 27 juin 1940, n’ayant pas été fait prisonnier, il est démobilisé par le centre de démobilisation du camp d’Uzerche (Corrèze), mais ne rentre chez lui qu’en août.

Le 18 septembre 1940, les Renseignements généraux rédigent un rapport accusateur sur la gestion de la commune de Bobigny par la deuxième Délégation spéciale nommée à la tête de la mairie en remplacement de ses élus. Henri Nozières est alors désigné parmi trois employés ex-militants considérés comme ayant un rôle plus effacé que d’autres, qui ne cachent pas le maintien de leurs opinions.

Son adresse est alors toujours mentionnée comme étant le 6, rue du Parc prolongée.

En juillet 1941, le commissaire de police de la circonscription de Pantin propose au préfet de police de prononcer l’internement administratif d’Henri Nozières, « en raison de l’active propagande antigouvernementale qu’il [poursuit] pendant son travail », lequel lui permet d’entrer en relation avec la population de Bobigny.

Le 19 juillet 1941, à la suite d’un arrêté pris par le préfet de police en application du décret du 18 novembre 1939, Henri Nozières est immédiatement appréhendé et conduit à la caserne désaffectée des Tourelles, 141 boulevard Mortier (Paris 20e), “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police et gardé par un groupe de gendarmerie. Enregistré comme « détenu communiste » sous le matricule n° 103, il est assigné à la chambre 18 du bâtiment A.

La caserne des Tourelles, vers la Porte des Lilas, entre l’avenue Gambetta, à gauche, et le boulevard Mortier. Le bâtiment A est parallèle au “stade nautique”, dont on aperçoit les gradins au deuxième plan. Carte postale d’après guerre. Coll. Mémoire Vive.

La caserne des Tourelles, vers la Porte des Lilas, entre l’avenue Gambetta, à gauche, et le boulevard Mortier.
Le bâtiment A est parallèle au “stade nautique”, dont on aperçoit les gradins au deuxième plan.
Carte postale d’après guerre. Coll. Mémoire Vive.

Le jour même, le préfet de la Seine, informé par le maire de Bobigny de l’internement de quatre agents de sa commune, demande au préfet de police les raisons ayant motivé leurs arrestations afin de leur appliquer d’éventuelles sanctions administratives (le préfet de police ne transmettra les rapports demandés que le 23 janvier 1942).

Le 18 août suivant, dans l’après-midi, Henri Nozières est autorisé à assister aux obsèques de son beau-père à Drancy, escorté de deux inspecteurs de la 1re section des R.G.

Le 28 novembre, Henri Nozières écrit au préfet de police pour solliciter sa libération, puisque aucun motif justifiant son internement ne lui fût donné lors de son arrestation, et demandant qu’un supplément d’enquête soit réalisé à son sujet. Le 20 décembre, les RG rédigent une courte notice indiquant que c’est bien le commissaire de Pantin qui l’a désigné comme « meneur communiste particulièrement actif », tout en exhumant la note relative à son adhésion à la JC en 1923.

Le 23 avril 1942, son épouse écrit pour la deuxième fois au préfet de police, afin d’attirer son attention sur le cas de son mari, « Ayant appris par les journaux que des mesures de libération allaient être prises en faveur des internés administratifs » (probablement à l’occasion de la fête du 1er mai, récupérée par l’État français pétainiste). Elle explique : « De retour à la maison (après sa démobilisation), mon mari a repris son travail, ne s’occupant ni de politique, ni de quoi que ce soit pouvant nuire à l’intérêt du pays, menant une vie régulière et tranquille entre son fils qu’il aime tant et moi, sa femme. » Le 29 avril, la lettre est transmise aux RG, auquel il est demandé d’établir une nouvelle note.

Le 5 mai 1942, à l’aube, Henri Nozières fait partie des 24 internés des Tourelles, pour moitié anciens Brigadistes, que vient chercher une escorte de Feldgendarmes afin de les conduire à la gare du Nord, où ils rejoignent 13 communistes extraits du dépôt et 14 « internés administratifs de la police judiciaire ». Un train amène tous les détenus au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central.  Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)  Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 6 juin, le bureau du préfet demande aux R.G. de rédiger une nouvelle note concernant Henri Nozières avec « leur avis sur l’opportunité d’une intervention auprès des AA (autorités allemandes) en vue d’une libération ». Le 17 juin, les RG  concluent une notice “calquant” les précédentes par l’avis suivant : « sa libération ne paraît donc pas devoir être envisagée dans les circonstances actuelles ». Le 30 juin, le chef du 1er bureau du cabinet du préfet demande au commissaire de police de Pantin de faire connaître à la demandeuse que « sa requête ne peut être accueillie favorablement dans les circonstances actuelles ». Le 2 juillet – sans doute convoquée au commissariat -, Marthe Nozières signe ce courrier afin d’attester qu’elle en a reçu communication.

Entre fin avril et fin juin 1942, Henri Nozières a été sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandises d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandises
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Henri Nozières est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45932, selon les listes reconstituées (la photo d’immatriculation correspondant à ce matricule a été retrouvée, mais n’a pu être identifiée à ce jour) ; cependant, les quelques informations de physionomie enregistrées sur la page de registre de son matricule militaire n’entrent pas en contradiction avec le “portrait” de ce concentrationnaire : « Cheveux : bruns ; Yeux : bleus ; Front : rectiligne ; Nez : droit ; Visage : ovale… » (voir en haut de page).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Henri Nozières se déclare travailleur ou ouvrier (Arbeiter). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Henri Nozières.

Il meurt à Auschwitz le 20 août 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) qui indique « pneumonie » (Lungenentzündung) pour cause, certainement mensongère, de sa mort.

Le 14 octobre 1942, Marthe Nozières écrit à l’administration du Bureau des réfugiés et internés administratifs afin d’obtenir un certificat attestant que son mari est bien vivant ainsi que son « lieu de séjour », afin que la mère de celui-ci, sans ressources, puisse toucher une pension de vieillesse. Elle ajoute : « Mon mari ayant quitté Compiègne le 5 juillet, ceci à ce jour fait 3 mois sans savoir où il est ». Le 26 octobre, le chef du 1er bureau du cabinet du préfet demande au commissaire de Pantin de faire connaître à la demandeuse que « le sort de l’intéressé n’est pas connu de mes services et qu’il n’est pas possible, dans ces conditions, de lui donner satisfaction ».

Le 23 février 1944, les services de François (de) Brinon, Délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, écrivent au préfet de police afin que celui-ci leur transmette les renseignements en sa possession concernant les motifs de l’arrestation d’Henri Nozières « par les Autorités allemandes » (sic).

Le nom d’Henri Nozières est inscrit sur la plaque apposée dans le hall de la mairie de Bobigny et dédiée par la section syndicale du personnel « à la mémoire des employés communaux morts en déportation, victimes du militarisme allemand ».

Le 4 novembre 1950, à la suite d’une demande de pension formulée par sa veuve (la date exacte de sa déportation étant alors connue), la direction interdépartementale des Anciens combattants et victimes de la guerre de Paris demande au préfet de police les motifs de l’arrestation d’Henri Nozières. Le 5 décembre, les services de préfecture renvoient un courrier rassemblant les informations concernant cinq déportés, dont Henri Nozières et Élie Gaudefroy.

Marthe Nozières se remarie le 16 juin 1951 à Bobigny avec André L. Elle décède à Argentat (Corrèze) le 31 décembre 1972.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès d’Henri Nozières (J.O. du 18-08-1995).

Notes :

[1] Bobigny : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 384 et 415.
- Archives de Paris, archives en ligne : registre des naissances du 10e arrondissement, année 1904 (10N 348), acte 3275 (vue 24/31).
- Archives de Paris : registres matricules du recrutement militaire, 1er bureau, classe 1924 (D4R1 2459), n° 2629.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, (BA ?) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 86-92398) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 1195-61550).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes (4061).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 874 (23244/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 23244/1942.
- Site Mémorial GenWeb, 93-Bobigny, relevé de Frédéric Charlatte (11-2007).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 13-05-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Paul NOYER – 45931

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Paul, Pierre, Casimir, Noyer naît le 25 janvier 1894 à Paris 20e, chez ses parents, Pierre Noyer, 47 ans, et Marie Jarrous, son épouse, 35 ans, charbonniers, domiciliés au 65, rue de Ménilmontant.

Le 1er décembre 1899, son père – âgé de 52 ans – décède prématurément à leur domicile.

Lors du conseil de révision, Paul Noyer habite avec sa mère. Il est boucher.

Après la déclenchement de la Première Guerre mondiale, il est incorporé à compter du 1er septembre 1914 comme canonnier de 2e classe, rejoignant quinze jours plus tard le 40e régiment d’artillerie au camp de Châlons. Le 20 février 1915, il rejoint les armées avec cette unité. Le 27 mai 1916, près de Verdun, il est blessé au bras droit (“plaie en séton” : blessure constituée de deux orifices dans la peau, faite par un projectile). Il rejoint les armées le 11 novembre suivant. Le 7 décembre, il passe au 5e régiment d’artillerie à pied. Le 9 septembre 1919, envoyé en congé illimité de démobilisation, il retourne chez sa mère.

Le 4 mars 1922 à Paris 19e, il se marie avec Émilie Mathis, dite Lily, sténo-dactylo. Ils ont deux enfants : Marcel, né en 1924, et Paule, née le 31 juillet 1935.

Début 1929, ils emménagent au 37 avenue Maurice-Berteaux à Bezons (Seine-et-Oise / Essonne – 91) 

[1].

Début février 1935, ils s’installent au 5 boulevard des Ormes ou avenue des Ormes (La villa), à Draveil (91).

Paul Noyer est garçon boucher sur les marchés, puis chauffeur, puis terrassier.

C’est un militant communiste, secrétaire de cellule à Draveil.

Le 28 septembre 1938, lors la crise internationale des Sudètes au cours de laquelle Hitler déclare vouloir annexer cette région germanophone de Tchécoslovaquie, Paul Noyer est rappelé à l’activité militaire au 401e régiment de D.C.A. Les accords de Munich étant signés, il rentre chez lui le 3 octobre suivant.

Le 7 décembre 1939, il est arrêté « pour reconstitution de ligue dissoute » (après l’interdiction du Parti communiste) avec Fernand Julian et Maurice Bruneteau, il est écroué en détention préventive à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Lors de l’exode (mai-juin 1940), il fait partie des détenus transférés au camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques). Le 5 décembre 1940, le tribunal militaire de Périgueux (Dordogne), le condamne à six mois de prison pour détention d’armes et de munitions de guerre sans autorisation. Sa peine ayant été couverte par la détention préventive, il est libéré.

Dans le cadre de la lutte clandestine – dans laquelle son épouse et son fils sont également engagés -, il est hébergé au 5 ou au 23, rue Pasteur à Ivry-sur-Seine [2] (Seine / Val-de-Marne) par un militant communiste, Raffret (employé communal, chauffeur à la Mairie d’Ivry). Il travaille alors comme terrassier chez Campenon Bernard, entreprise de travaux publics, sur un chantier installant des canalisations reliant les égouts de Paris à la station d’épuration d’Achères.

Le 17 mai 1941, Mounette Dutilleul, agent de liaison de la direction clandestine du PCF (notamment de Benoît Frachon), est arrêtée sous la fausse identité de Jeanne Dessart en possession d’un cabas dans lequel se trouvent divers documents dont les biographies de vingt-sept militants communistes proposés pour des responsabilités au niveau de la cellule ou de la section, dont celle de Paul Noyer, accompagnée d’un rapport dans lequel lui-même rend compte de son activité depuis le début de la guerre (la bio est au nom de « Charles Boyer » ?). Dix-huit d’entre eux sont arrêtés.

Le 28 mai 1941, Paul Noyer est de nouveau arrêté par les services du commissariat de police de la circonscription d’Asnières pour distribution de tracts d’inspiration communiste et inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939, puis il passe aux mains des Brigades spéciales de la préfecture de police dans le cadre de “l’affaire Catelas”.

Vingt-trois personnes sont écrouées à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e) sous l’inculpation d’infraction au décret du 26 septembre 1939. Le procès doit avoir lieu devant le Tribunal de première instance de la Seine qui mène l’instruction.

Mais, après le coup de feu du colonel Fabien du 21 août, l’occupant exige en représailles l’exécution par l’État français de six communistes. Cette pression accélère la mise en place de juridictions spéciales précédemment envisagées : le 28 août, trois militants sont guillotinés après un simulacre de procès devant la Section spéciale qui vient d’être créée. Mais cette justice n’est pas considérée comme assez répressive.

Le 7 septembre 1941 est créé un Tribunal d’État devant lequel le gouvernement Pétain prévoit d’abord de déférer Gabriel Péri. Puis – parallèlement à deux autres procès : affaires Guyot et Woog – il donne la priorité à l’ « affaire Catelas et autres ». Les vingt-trois prévenus sont jugés entre le samedi 20 et le dimanche 21 septembre à midi. Alors que le motif d’inculpation est le même pour tous – avec des dossiers très peu fournis – les peines vont d’un extrême à l’autre. Excepté pour Jean Catelas, dont la décision de mise à mort résulte d’une volonté politique contre un membre du Comité central du PCF (il est guillotiné le 24 septembre), la répartition des peines attribuées semble avoir surtout pour objectif de construire l’image d’une justice demeurée impartiale : un homme est condamné à six ans de travaux forcés, d’autres – hommes et femmes – sont condamnés à des peines de travaux forcés ou de prison, six sont relaxés mais maintenus en internement administratif. Un seul est acquitté, faute de preuve : Paul Noyer. Mais il est maintenu à la disposition de l’autorité administrative.

Les Renseignements généraux le considère comme un « militant communiste notoire (participant) à l’action communiste clandestine » et, le 23 septembre, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif. Pendant un temps, il est détenu au dépôt de la préfecture de police de Paris (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité).

Le 9 octobre, il est parmi les 60 militants communistes (40 détenus venant du dépôt, 20 venant de la caserne des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.

Le 9 février 1942, il est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin, Paul Noyer est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée (suivant un ordre de Hitler) en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée d’occupation.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Paul Noyer est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45931 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Paul Noyer.Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [3].

(aucun des quatorze “45000” ivryens n’est revenu)

L’épouse de Paul – Émilie – a été arrêtée le 31 août 1943 par la Brigade spéciale, pour impression et diffusion de tracts appelant à la lutte contre l’envahisseur. Jugée par la Section spéciale, elle est condamnée à 18 mois de prison et 1200 F d’amende. Lors de sa détention préventive à la Petite Roquette, elle devient responsable politique d’un atelier de détenues à la suite de Françoise Mahé (Annick) et se lie d’amitié avec France Hamelin. Puis elle est transférée à la Maison centrale de Rennes (Ille-et-Vilaine). Elle est ensuite internée au camp allemand du Fort de Romainville (commune des Lilas, Seine / Seine-Saint-Denis).

Après son arrestation, leur fils Marcel, 18 ans, peut se débrouiller seul et prendre en charge sa sœur Paule, âgée de 8 ans. La petite fille est ensuite recueillie par Fernand et Margot Julian, puis, plus tard, par France Hamelin. Celle-ci, internée administrative à la caserne des Tourelles s’évade de l’hôpital Tenon (Paris 20e) avec son bébé qui vient de naître (8 avril 1944) grâce à Marcel Noyer.

Entrée de l’Hôpital Tenon, vue depuis le square E. Vaillant. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Entrée de l’Hôpital Tenon, vue depuis le square E. Vaillant.
Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Déportée depuis Paris (gare de l’Est), Émilie Noyer arrive à Sarrebruck (camp de Neue Bremm) le 30 mai 1944.

Elle est ensuite transférée au KL [4] Ravensbrück (matr. 42206). Puis elle est affectée au Kommando de travail forcé de Leipzig, dépendant du KL Buchenwald.

Libérée, elle est rapatriée le 21 mai 1945.

Paul Noyer est homologué dans la Résistance Intérieure Française pour son activité de résistant au sein du Front national [5], avec le grade fictif de sergent.

Son nom est inscrit sur le monument « Aux morts de la guerre 1939-1945 et théâtres d’opérations extérieures » à Draveil, dans le cimetière de Sénart.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 18-08-1995).

Notes :

[1] Draveil : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Ivry-sur-Seine : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.).

[4] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration).

[5] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

Sources :

- Marcel Noyer, son fils, entretien téléphonique (23-02-2007) ; Marcel Noyer est décédé le 10 juillet 2014 à Argenteuil.
- Martine Garcin, site internet http://perso.wanadoo.fr/aujourdhui/…
- Archives municipales d’Ivry-sur-Seine, dossier individuel rassemblé par Michèle Rault, conservatrice, à partir de différentes sources.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 20e arrondissement à la date du 27-01-1894 (V4E 10671), acte n°362 (vue 7/31) ; registre matricule du recrutement militaire, classe 1914, 1er bureau, n° 3053 (D4R1 1780).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes (une adresse : 83, rue de Seine à Alfortville).
- Roger Bourderon, La Négociation, été 1940, : crise au PCF, Éditions Syllepse, février 2001, pages 150 à 194 (surtout p. 152 et 153, 162, 182).
- France Hamelin, Femmes dans la nuit, l’internement à la Petite Roquette et au camp des Tourelles, 1939-1944, Éd. Renaudot et Cie, 1988, pages 154, 162 et 163, 344 à 346).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection Mémoires, 2005, pages 150 et 153, 388 et 415.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 w 690-24811).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 874 (31835/1942).
Mémorial GenWeb, relevé initial de Christian Dusaussoy (10-2009).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 11-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Moïse NOVAK – (46303 ?)

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Moïse Novak naît le 23 août 1887 à Tcherkass ou Cherkessk (Russie), fils de Jacob Novak et de Lüba Weber. Il a trois frères, qui resteront en Russie.

Fin septembre 1908, il arrive à Paris, où il trouve un emploi de casquetier. Il habite au 82 rue Marcadet Paris 18e), puis au 60 rue Vieille du Temple (Paris 3e), dans le quartier du Marais.

En avril ou juillet 1914, il part à Morteau (Doubs).

Le 21 août 1914, à la sous-intendance militaire de Bourg (Ain), âgé de 24 ans, Moïse Novak s’engage volontairement pour la durée de la guerre dans la Légion étrangère. Corrélativement à cet engagement, par application de la loi du 5 août 1914, il demande la nationalité française. Il est affecté au dépôt du 1er régiment étranger à Lyon. Le 6 décembre suivant, à Bordeaux, le bureau du Sceau ouvre un formulaire de demande de naturalisation (« La présente notice ne doit jamais être remise à l’intéressé »). Le 15 juin 1915, il est évacué sur une formation sanitaire inconnue (blessé ?). Le 16 août suivant, il est placé en subsistance au 13e régiment d’artillerie, groupe auto, à Vincennes. Le 24 septembre, à Paris, l’administration ouvre un nouveau formulaire de demande de naturalisation. Le 1er novembre, il passe en subsistance au 85e régiment d’artillerie. Le 24 décembre, il est évacué (?). Il rentre de convalescence le 20 mai 1916.

Le 4 mai 1917, Moïse Novak est affecté en subsistance au dépôt français des troupes russes. Le 16 juin, il est détaché de la 821e batterie du 115e régiment d’artillerie lourd (R.A.L.) auprès de la batterie d’artillerie de la division russe. Le 13 juillet suivant, il est affecté comme brigadier interprète auprès des troupes russes en France. Le 1er mars 1918, il est classé au détachement français n° 5 de la division d’Infanterie russe. Il recevra la plaque d’argent avec cordon de l’ordre de Saint-Stanislas, probablement décernée par le gouvernement provisoire russe (après la révolution bolchevique de 1917).

Il est démobilisé le 25 janvier 1919, s’installant bientôt en hôtel au 100 rue de Turenne à Paris 3e et reprenant son emploi de casquettier.

Le 25 septembre 1919, à la mairie d’arrondissement, Moïse Novak se marie avec Lucienne Savignac, née le 25 avril 1897 à Rochefort-sur-Mer (Charente-Inférieure / Charente-Maritime), sténo-dactylo domiciliée au 13, rue des Beaux-Arts (Paris 6e). Par la suite, ils s’installeront au 98, rue Ordener (Paris 18e).

Le 21 octobre suivant, un nouveau dossier de naturalisation est ouvert à leurs deux noms. Moïse est alors déclaré comme représentant de commerce.

Ils ont un fils, Jean Robert, né le 13 juin 1920 à Paris 14e. Mais Lucienne Novak décède un mois après, le 15 juillet 1920, à l’hôpital Cochin, 123, boulevard de Port-Royal (Paris 14e), probablement des suites de l’accouchement.

À une date restant à préciser, Moïse Novak est naturalisé français.Début 1922, il habite au 98, rue Ordener à Paris 18e.Le 4 mars 1922, à la mairie de Choisy-le-Roi (Seine / Val-de-Marne), Moïse Novak se marie avec Jeanne Françoise Adolphe Bonifaci, née le 28 janvier 1901 à Paris 18e, mécanicienne, habitant jusque-là chez ses parents, passage Bertrand à Choisy. Ensemble, ils auront un fils : Albert.En mars 1936, Moïse et Jeanne Novak habitent avec leur fils Jean à Cambes(-en-Plaine) (Calvados – 14), peut-être rue Principale. Avec son épouse, ils sont installés comme épiciers-débitants.

Au moment de son arrestation, Moïse Novak est domicilié à Grainville-sur-Odon (14) et se déclare comme ouvrier agricole ; il a probablement été dépossédé de son commerce comme Juif.

Le 2 mai 1942, Moïse Novak est arrêté à son domicile par la police française, comme Juif : il figure sur une liste d’arrestations demandées par la Kommandantur de Caen à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) 
[1] . Le soir, il est conduit à la Maison centrale de la Maladrerie à Caen.Le 3 mai, remis aux autorités d’occupation, il est emmené au “petit lycée” où sont rassemblés les otages du Calvados et où ils passent la nuit. Le 4 mai, Moïse Novak fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandise de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils y arrivent le 5 mai, en soirée.
Entre fin avril et fin juin 1942, Moïse Novak est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.transportaquarelleLe 8 juillet 1942, Moïse Novak est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46303, selon les listes reconstituées ; les cinquante otages déportés comme Juifs ont reçu les matricules de 46267 à 46316 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Moïse Novak.

On ignore la date de sa mort à Auschwitz ; peut-être le 24 juillet 1942 (à vérifier…).

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Grainville-sur-Odon, dans le cimetière à côté de l’église.

Le 26 août 1987, à Caen, à la demande de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.

Le nom de Moïse Novak est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005). De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état de 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés
de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005).
De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

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Inscrit sur le Mur des noms…

Notes :

[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice de Claudine Cardon-Hamet page 126.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 362 et 415.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 136 et 138.
- Yves Lecouturier, Shoah en Normandie, 1940-1944, éditions Cheminements, Le-Coudray-Macouard (Maine-et-Loire), mai 2004, pages 115-118, liste p. 246.
- Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine : naturalisations, sous-série BB/11 (6238), dossier 21820 X 14.
- Message de Manuela Wyler (01-2005) : feuille de témoignage remplie par Albert Novak en 1993 pour le Comité français pour Yad Washem.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-11-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Marcel NOUVIAN – 46253

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Droits réservés.

Marcel Nouvian naît le 24 août 1918 à Aubervilliers 

[1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), au domicile de ses parents, Lucien Nouvian, 25 ans, plombier, et Hélène Beaurain, 20 ans. Il a un frère, André, né en 1922.

Le 12 septembre 1936, à Aubervilliers, il épouse Louise Michon, née le le 12 septembre 1918 à Paris 11e, journalière. Ils ont trois enfants : Odette, née le 22 février 1937, Monique, née le 17 mars 1940, et André, né le 17 juin 1941 (huit mois après l’arrestation de son père).

Au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 19, rue Hemet à Aubervilliers.

Marcel Nouvian est modeleur-mécanicien (en 1936, chez Bordes à Saint-Ouen – 93). Militant du Parti communiste, membre de la section d’Aubervilliers, il participe aux grèves de 1936.

Le 13 novembre 1939, dans la période de mobilisation, il est réformé pour raison de santé et exerce son métier aux établissements Roche Aviation, à la Courneuve (peut-être “affecté spécial” dans l’usine où il travaillait avant-guerre).

Sous l’occupation, il est considéré par les Renseignements Généraux comme un « militant communiste très actif ». Il dirige plusieurs groupes de diffusion de propagande clandestine et les approvisionne en tracts

Le 24 ou le 26 octobre 1940, il est arrêté. La police détient alors des éléments pour engager une poursuite judiciaire.

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)

Le 28 octobre, la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine condamne Marcel Nouvian à huit mois d’emprisonnement pour infraction au décret du 26-9-1939 (dissolution et interdiction des organisations communistes). Il est alors écroué à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines).

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

À l’expiration de sa peine, il n’est pas relaxé : « Interné administrativement par arrêté de M. le Préfet de Police en date du 19 juin 1941, jour de sa libération de la Maison centrale de Poissy – son lieu d’internement lui a été fixé par M. le Préfet de Seine-et-Oise. » Faute de place au centre de séjour surveillé d’Aincourt, alors saturé, Marcel Nouvian est maintenu en détention à Poissy.

Refusant le fait que son époux ne soit pas libéré après avoir purgé sa condamnation et rappelant qu’il est père de trois très jeunes enfants, Louise Nouvian tente deux démarches auprès des autorités françaises pour obtenir sa libération. Le 2 juillet, elle écrit directement au maréchal Pétain, puis, le 21 septembre, elle s’adresse au « Ministre de l’Intérieur » à « Paris ». Le 14 octobre, le préfet délégué du Ministère de l’intérieur transmet sa requête au préfet de police, lequel estime que « dans les circonstances actuelles (…) la libération de l’intéressé serait inopportune. »

Étant privée du salaire de son époux, Louise Nouvian trouve du travail à la mairie d’Aubervilliers, dans le service qui gère les cartes de ravitaillement. Elle envoie ses deux filles dans une famille d’accueil à la campagne, à Rogny-les-Sept-écluses, sur le canal de Briare (Yonne). Quand son très jeune fils André est un peu plus grand, elle l’envoie rejoindre ses sœurs.

Le 28 novembre 1941, Marcel Nouvian fait partie d’un groupe de neuf internés de Poissy transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne). Parmi eux, quatre autres futurs “45000” : Alfred Chapat, Raymond Langlois, Pierre Marin et Eugène Thédé.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 9 décembre, le préfet de Seine-et-Oise écrit au “Conseiller supérieur d’administration de guerre” de la Feldkommandantur de Saint-Cloud comme suite à ses instructions du 13 novembre, afin de lui transmettre les avis de transfert des neuf hommes.

Le 18 mars 1942, Marcel Nouvian est parmi les treize “jeunes” communistes (tous futurs “45000” sauf André Giraudon, de Bourges, fusillé au Mont-Valérien le 9 mai 1942) « extraits par les autorités allemandes et transférés, pour des raisons qui n’ont pas été indiquées » au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; il y est enregistré sous le matricule n° 3797.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Marcel Nouvian laisse tomber un message de son wagon, indiquant qu’il est « déporté en Allemagne ». Il demande à son épouse de prévenir celle d’Albert Valette, de Malaunay (Seine-Maritime), du départ de son mari.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Marcel Nouvian est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46253 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Marcel Nouvian se déclare alors sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Marcel Nouvian est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.
Entre le 1er et le 19 novembre, son nom apparaît plusieurs fois sur la liste des détenus de la chambre (Stube) n°3 du Revier de Birkenau (Block n° 8 du secteur BIb) – dont Marcel Colin, Daniel Germa, Albert Faugeron, Marcel Lenglet, Marcel Nonnet, Jean Paupy, Gaston Sansoulet et Georges Vinsous -, qui reçoivent des médicaments (Anisine – un bactéricide -, EubasinBromurBolus Alba/Bol blanc…).

Marcel Nouvian meurt à Birkenau le 14 janvier 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2].

Le 8 mars 1946, Marceau Lannoy (“45000”), d’Aubervilliers, signe un formulaire de la FNDIRP attestant du décès de Marcel Nouvian. Cette année-là, Louise Nouvian reprend ses trois enfants.

Les 1er et 2 juillet 1949, Jules Rumeaux et Henri Paupy, d’Aubervilliers, signent chacun une attestation de l’engagement de Marcel Nouvian dans la Résistance à leurs côtés. Mais celui-ci n’obtient, à titre posthume, que le statut de déporté politique (carte n° 1101.12117 du 16-7-1954)

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts d’Aubervilliers, situé dans le cimetière communal.

Le 17 décembre 1961, le conseil municipal d’Aubervilliers donne son nom à une allée (« M. Nouvian ») de la cité Gabriel Péri (OPHLM) dans laquelle se trouve une école.

Il est déclaré “Mort pour la France”.

La mention “Mort en déportation” est portée sur l’acte de naissance (J.O. du 18-08-1995).

Notes :

[1] Aubervilliers : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Marcel Nouvian, c’est le 31 décembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 385 et 421.
- Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 22.
- André Nouvian, son fils, réponses à un questionnaire et documents (copies du registre des détenus ayant reçu des médicaments à Birkenau, archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau (APMAB), Oświęcim, Pologne).
- Archives communales d’Aubervilliers : recensement de population de 1936, extrait d’acte de naissance, extrait d’acte de mariage.
- Archives de Paris, rôle du greffe du tribunal correctionnel de la Seine, 15 mai-15 novembre 1940, D1u6 5849.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande”, camps d’internements… (BA 2374), liste des internés communistes (BA 2397).
- Archives départementales des Yvelines (78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, cotes 1W76, 1W77.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 868 (2337/1943).
- Irena Strzelecka, Les hôpitaux dans le camp de concentration d’Auschwitz, in Auschwitz 1940-1945, tome 2, Les détenus – La vie et le travail, chap. 9, p. 364-365, éditions du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, 2011.
- Site Mémorial GenWeb, 93-Aubervilliers, relevé d’Alain Claudeville (2000-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Gustave NOURRY – 45930

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Gustave, Marcel, Louis, Joseph, Nourry naît le 18 mars 1890 à Guérigny (Nièvre), chez ses parents, Hubert Nourry, 29 ans, lamineur, Marie Lavache, 27 ans. pour « l’État », et Marie Lavache, 27 ans, couturière, son épouse, domiciliés rue de Châtres. Gustave a – au moins – un frère, Robert né le 16 mars 1888, et une sœur, Andrée, née vers 1906.

Pendant un temps, Gustave Nourry travaille comme « ouvrier de marine », pilonnier (ouvrier forgeron particulièrement chargé du maniement du marteau pilon dans une aciérie), aux Forges nationales de la Chaussade, à Guérigny, dédiées par la Marine nationale à la construction navale.

Guérigny, les Forges de la Chaussade. Carte postale “voyagée” en juillet 1916. Collection Mémoire Vive.

Guérigny, les Forges de la Chaussade. Carte postale “voyagée” en juillet 1916.
Collection Mémoire Vive.

Le 1er octobre 1911, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 90e régiment d’infanterie pour y accomplir son service militaire. Cependant, la commission spéciale de Châteauroux le réforme temporairement pour « musculature insuffisante ; maladie antérieure à l’incorporation. » Il est rappelé à l’activité militaire le 15 octobre 1912. Un mois plus tard, il passe à la 9e section de secrétaires d’état-major.

Le 10 avril 1915, à Guérigny, Gustave Nourry se marie avec Yvonne Proteau, née le 2 novembre 1895 à Déols (Indre). Ils auront une fille, Huberte, née le 3 février 1916 à Déols.

Le 20 octobre 1915, Gustave Nourry est classé non affecté comme aide-ouvrier aux Forges de la Chaussade. Congédié le 8 juin 1920, il est réaffecté au 13 régiment d’infanterie. Le 9 décembre suivant, il est classé dans l’affectation spéciale comme manœuvre employé par la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans (PO), à Châteauroux (Indre). En septembre 1920, il habite à Déols, commune limitrophe. Il est peut-être définitivement démobilisé le 23 août 1921, titulaire d’un certificat de bonne conduite.

En février 1925, il habite rue Lavoisier, dans le quartier de Vésine, à Châlette(-sur-Loing), commune limitrophe de Montargis (Loiret – 45). Au moment de son arrestation, il habite au 7, rue Pascal.

Gustave Nourry est ouvrier à l’usine de caoutchouc Hutchinson de Châlette, au lieu-dit Langlée ; comme l’aurait été le jeune Paul Chenel, arrêté le 10 février 1941.

L’usine Hutchinson de Langlée. Carte postale oblitérée en 1932. Coll. Mémoire Vive.

L’usine Hutchinson de Langlée. Carte postale oblitérée en 1932. Coll. Mémoire Vive.

Militant communiste, Gustave Nourry est secrétaire de la cellule de Vésine.

Il reste actif sous l’Occupation en participant à la diffusion de tracts, notamment dans son entreprise.

Le 22 juin 1941, à 19 heures, Gustave Nourry est arrêté à son domicile par trois Feldgendarmen et conduit à la « prison » d’Orléans – à la Maison d’arrêt de la ville, rue Émile-Zola, ou à la prison militaire du 14, rue Eugène-Vignat -, comme Henri Gaget, de Dadonville. Simultanément trois gendarmes allemands se présentent au domicile de René Mazoyer, ancien secrétaire du Parti communiste à Montargis, mais celui-ci est déjà en détention administrative sur arrêté du préfet.

À une date restant à préciser, la Feldkommandantur établit une courte liste de cinq « dirigeants communistes qui furent arrêtés le 22.6.41 et incarcérés à la prison d’Orléans »

[1]. Aux noms de Nourry et Gaget s’ajoutent ceux de Fernand Courtat (46 ans), de Gien, de Paul Rebeche (61 ans), d’Olivet, et de Roger Clément (28 ans), de Dhuizon, en Loir-et-Cher, qui sera déporté le 6 juillet 1942.

Après avoir été détenus quelques jours à Orléans, Gustave Nourry, Henri Gaget et Roger Clément sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où Nourry est enregistré sous le matricule n° 1026.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny (Oise), et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Depuis le convoi, Henri Gaget jette un message qui parviendra à sa famille, évoquant le wagon : « (40 hommes, chevaux en long 8), où nous sommes 45. […] Nous sommes 1200 dans ce train avec 4 jours de vivre, et d’autres en réserve en plus dans le train ». Il demande que soient prévenues les familles de quelques camarades : « Clément Roger : sa femme Paulette Clément, Dhuizon du Loir et Cher. Paul Chenel à son père Charles Chenel, 16 route de Blainville, Meurthe et Moselle. André Lioret à ses Parents, Amilly, Loiret. Nourry, à sa femme, Chalette sur Loing, Loiret. » Par la suite, ces familles formeront un réseau d’entraide et de partage d’information.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Gustave Nourry est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45930 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Gustave Nourry est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Pendant un temps, il est assigné au Block 4.

À une date restant à préciser, il est admis au Block 28 – de « convalescents » – de l’hôpital d’Auschwitz [2].

Gustave Nourry meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [1]. La cause, très probablement mensongère, indiquée pour sa mort est « infection par phlegmon » (Sepsis bei Phlegmone).

Le 26 septembre 1942, le cabinet du préfet délégué du Loiret écrit à Madame Nourry : « En réponse à votre lettre du 18 septembre courant, j’ai l’honneur de vous faire connaître que je ne possède aucune indication sur le lieu ou votre mari se trouverait actuellement interné. J’ajoute que l’indication de la mention “otage” portée sur votre feuille trimestrielle d’allocation résulte d’une instruction prescrivant l’apposition de cette mention sur les cartes délivrées aux familles de personnes internées par les autorités d’occupation. C’est uniquement en vertu de ces instructions que la mention “otage” a été substituée à celle qui figurait primitivement sur votre carte. »

Le 12 avril 1943, l’Agence centrale des prisonniers de guerre du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), basée à Genève (Suisse), écrit à la Croix-Rouge allemande (Deutsche Rote Kreuz – DRK) à Berlin pour la prier de bien vouloir la renseigner sur le séjour actuel et l’état de santé de Gustave Nourry : « Sa femme a appris qu’il a été emmené le 4 juillet (1942) pour une destination inconnue, et depuis, il n’y a plus de nouvelles ».

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Le 27 juin suivant, la DRK soumet la demande au Bureau central de sécurité du Reich (Gestapo) à Berlin. Le 19 février 1944, par un formulaire sur lequel il suffit de rayer les mentions inutiles, bureau IV D 4 de la Gestapo répond au service de l’Étranger de la DRK : « À votre demande du 29.7.1943 concernant le ressortissant (Staatsangehörigen) français Gustave Nourry, le renseignement suivant est donné : b – Pour des raisons de police d’État, aucun renseignement ne peut être donné sur son lieu de séjour ni sur son état de santé. ». Le 10 mars, la DRK, alors délocalisée (Auslandsdienst) à Ettal, transmet cette réponse au CICR. Le 27 mars 1944, « le CICR accuse réception de la lettre ci-dessus mentionnée et vous remercie pour ce renseignement. »

Au début de l’été 1945, Yvonne Nourry s’adresse à l’Amicale d’Auschwitz, intégrée à la Fédération nationale des centres d’entraide des internés et déportés politiques (future FNDIRP), pour lui demander d’effectuer des recherches afin de connaître le sort de son mari.

Le 5 juillet 1945, la secrétaire de l’Amicale écrit au maire de Chalette pour le prier d’avertir Yvonne Nourry du décès de son mari, ayant appris que « Monsieur Nourry est mort à Birkenau (près d’Auschwitz) en septembre 1942 ». « … nous nous permettons d’insister auprès de vous pour examiner, le cas échéant, la situation matérielle de Madame Nourry afin de lui venir en aide si besoin est ». Deux jours, celle-ci écrit à Thérèse Gaget, mère d’Henri Gaget, de Dadonville, en lui faisant ainsi connaître, pour la première fois, la destination du convoi. Le 18 septembre suivant, le secrétaire général de la Fédération écrit directement à Madame Nourry en précisant que ce sont des déportés rapatriés qui ont témoigné, de manière officieuse, du décès à Auschwitz de son mari : Étienne Pessot, de Cachan, et Georges Brumm, de Montreuil-sous-Bois. « Les éléments d’information servant de base à cet avis ne permettent pas, dans l’état actuel de la législation, d’établir l’acte officiel correspondant. Celui-ci sera délivré par le Ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, 83, avenue Foch (qui a été averti également par nos soins), dès que la législation nouvelle sera promulguée, ses modalités d’application définies ».

Le 22 avril 1946, Yvonne Nourry remplit un formulaire du ministère des anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG) pour demander l’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique. Mais un tel document n’a pas encore été officiellement établi en France…

Le 20 novembre suivant, Yvonne Nourry complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander la régularisation de l’état civil d’un « non-rentré ». Le 10 décembre, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des anciens combattants et victimes de guerre dresse l’acte de décès officiel de Gustave Nourry « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour », en reprenant la date portée sur le Sterbebücher (très probablement en se fondant sur la Liste officielle n° 3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée par le ministère le 26 septembre 1946). Le même jour, le service central de l’état civil du ministère demande par courrier au maire de Guérigny de transcrire cet acte dans les registres de sa commune. L’année suivante, le 22 septembre 1947, le bureau de l’état civil-déportés du ministère demande par courrier au maire de Châlette d’inscrire la mention “Mort pour la France” dans l’acte de décès de Gustave Nourry.

Le 3 novembre 1950, Albert Rigal (1900-1984), député communiste du Loiret (1945-1951), rédige une attestation par laquelle il certifie que Gustave Nourry « fut arrêté en juin 1941 en raison de son activité anti-allemande dans toute la région de Montargis (distribution de tracts) ».

Le 25 juillet 1951, le préfet du Loiret transmet au secrétaire d’État aux Forces armées-Guerre une note de ses services de police disant : « Est-ce sur dénonciation individuelle que les Allemands décidèrent de son internement ? Il faut plutôt faire un rapprochement entre le cas de Nourry et celui de nombreux militants communistes déportés à cette époque en tant que membres influents. À ma connaissance, il n’appartenait à aucun réseau de Résistance. Les motifs exacts de cette arrestation n’ont jamais été bien déterminés. » Le 2 octobre suivant, le 6e bureau du secrétariat d’État écrit à Yvonne Nourry pour l’informer que sur décision ministérielle, suivant l’avis de la Commission nationale d’homologation de la Résistance intérieure française, n’a pas été homologué.

Le 26 février 1952, Yvonne Nourry – en qualité de conjointe – complète et signe un formulaire du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre (ACVG) pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son mari à titre posthume. À la rubrique VI, « Renseignements relatifs à l’acte qualifié de résistance à l’ennemi qui a été la cause déterminante de l’exécution de l’internement ou de la déportation », elle inscrit « Ayant distribué des tracts appelant les ouvriers d’usine au soulèvement contre les troupes d’occupation dans la semaine du 5 au 22 juin 1941, il a sans doute été dénoncé… ». Cependant, vers le 23 novembre, elle rencontre le président de la section départementale de la FNDIRP qui la dissuade probablement d’aller jusqu’au bout de sa démarche, car elle sollicite alors que son dossier soit passé d’une demande du statut de Déporté Résistant à celle du statut de Déporté Politique. Le processus s’accélère : la Commission départementale de contrôle des déportés politiques rend un avis favorable le 14 décembre 1953. Le 1er avril 1954, le ministère des ACVG décide de l’attribution à Gustave Nourry du titre de déporté politique. La carte n° 1145.0035 est délivrée à sa veuve.

Le nom de Gustave Nourry est inscrit sur le monument aux morts de Châlette-sur-Loing, et, à une date restant à préciser, le conseil municipal donne son nom à la rue menant vers l’usine Hutchinson.

Yvonne Nourry décède à Montargis le 22 novembre 1983.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. 18-08-1995).

Notes :

[1] L’ “Aktion Theoderich” : Le 22 juin 1941, l’attaque de l’Union soviétique se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.
En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés en zone occupée par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.
Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Les autorités d’Occupation opéreront un tri et certains seront libérés. Mais, fin août, deux cents d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[2] L’hôpital d’Auschwitz : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
Mais les « 31000 » et Charlotte Delbo – qui ont connu l’hôpital de Birkenau – ont utilisé le terme “Revier” : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 365 et 415.
- Archives départementales de Maine-et-Loire (AD 49), site internet du Conseil départemental, archives en ligne ; état civil de Guérigny, registres des naissances 1883-1894 (2 Mi EC 237), année 1890, acte 12 (vue 145/281) ; registres des matricules du recrutement militaire, bureau de Nevers, classe 1910, 253-668 (1R 379), n° 608 (vue 647/736).
- Archives départementales du Loiret, Centre des archives modernes et contemporaines, Orléans : civils condamnés par les autorités d’occupation, 1941-1944, de M à Z (109 W-20808) ; internements administratifs, listes, dossiers individuels et collectifs, correspondance, 1940-1945 (138 W-25856).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 867 (31815/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 521-063).
- Site Mémorial GenWeb, 45-Châlette-sur-Loing, relevé de Éric Louis, informations de Claude Richard (2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-03-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Marcel NONNET – 45929

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Document extrait de De Caen à Auschwitz,
par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée
Malherbe de Caen, éditions Cahiers du Temps,
page 31. Droits réservés.

Marcel Nonnet naît le 20 avril 1910 à Buzançais (Indre), fils de Benjamin Nonnet, 20 ans, et de Jeanne tapissier, et de Jeanne Nonet, son épouse, 21 ans, domiciliés au 13, rue des Renards.

En novembre 1912, la famille habite à Saint-Symphorien, près de Tours (Indre-et-Loire).

Rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914 en tant que caporal au 90e régiment d’infanterie, rassemblé à Châteauroux, son père rejoint le front le 9 août. Dès le 10 septembre suivant, lors de la Bataille de la Marne (bataille des marais de Saint-Gond), à Écury-le-Repos, près de la Sère-Champenoise, « en se portant à l’attaque des positions ennemies », il est grièvement blessé par balle à la jambe gauche, puis évacué le lendemain vers un hôpital de Limoges. Cité à l’ordre de son régiment, il reçoit la Croix de guerre. Plus tard, il sera déclaré reformé définitivement n° 1 avec une pension de 60% pour ankylose tibia-tarsienne gauche complète à 100 % avec déformation du pied, immobilité des orteils en griffe.

Fin juin 1932, Benjamin Nonnet, habite dans un immeuble HBM au 7, boulevard Bourceron à Argenteuil (Seine-et-Oise / Val-d’Oise).

Le 17 octobre 1932, Marcel Nonnet, qui possède une formation de comptable, entre comme employé aux écritures dans le service de l’économat de la Compagnie des chemins de fer de l’État, dont le siège est à Paris (n° d’agent 403564).

Le 22 mars 1934, alors qu’il habite Argenteuil, il sollicite son admission dans le cadre permanent de la société. Le 17 mai suivant, une réponse favorable lui propose un emploi de facteur mixte à la gare de Mézidon, dans l’arrondissement de l’Exploitation de Caen, poste qu’il occupe à partir du 8 septembre 1936 (pourquoi ce décalage ?).

Mézidon, extérieur de la gare. Carte postale oblitérée en 1948, mais probablement éditée dans les années 1930. Collection Mémoire Vive.

Mézidon, extérieur de la gare. Carte postale oblitérée en 1948, mais probablement éditée dans les années 1930.
Collection Mémoire Vive.

Au moment de son arrestation, Marcel Nonnet est domicilié dans le petit village de Bretteville-sur-Dives, à 10 km au sud-est de Mézidon (Calvados). Marié à Stéphanie Legrand (sa troisième épouse), il est père de cinq enfants (dont Claudette Marcelle Nonnet, née le 27 juin 1941 à Bretteville ?).

Il milite à la fois à la CGT et au Parti communiste, où il serait secrétaire de cellule.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.  Collection Mémoire Vive.

Carte syndicale CGT, Fédération des chemins de fer.
Collection Mémoire Vive.

Selon l’attestation ultérieure du Front national 

[1], Marcel Nonnet est actif sous l’occupation, dans un groupe de résistance dirigé par René Fairant (fusillé par l’occupant le 14 août 1943) : il participe notamment à des distributions de tracts dans les dépôts du service de la Traction à Mézidon. Le signataire de l’attestation, Michel de Bouard, rapporte que, dans cette période, les Allemands furent renseignés par un agent de la SNCF lui-même surveillé par la Résistance jusqu’à ce que soient établi « de façon certaine, en 1943, [ses] agissements criminels ». En juillet 1946, le chef de gare de Mézidon considère que Marcel Nonnet a été désigné comme otage pour avoir « appartenu, dit-on, à une cellule communiste d’Argenteuil ou de Paris » plusieurs années avant la guerre ; seul motif avancé également par le préfet du Calvados en octobre 1942. Enfin, selon André Montagne, de Caen, Marcel Nonnet et André Ridel « accusaient un gendarme de la responsabilité de leurs arrestations ».

Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, Marcel Nonnet est arrêté à son domicile par la police française (des gendarmes de la brigade de Lisieux ?) en même temps qu’André Ridel de Mézidon ; il figure comme “communiste” sur une liste d’arrestations demandées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) [2].

Lisieux, la gendarmerie dans les années 1900 (longue façade blanche), boulevard Duchesne-Fournet. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Lisieux, la gendarmerie dans les années 1900 (longue façade blanche), boulevard Duchesne-Fournet.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, remis aux autorités d’occupation, il est emmené au “petit lycée” Malherbe de Caen où sont rassemblés les otages du Calvados. Le soir même, il fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandises de Caen pour être transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Selon Emmanuel Michel, des complicités parmi les cheminots (dont le chef de train Roussel) font arrêter brièvement le train en gare de Mézidon où sept détenus peuvent faire leurs adieux à leurs familles qui avaient été alertées.

Intérieur de la gare de Mézidon. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Intérieur de la gare de Mézidon. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Le convoi arrive à Compiègne le 5 mai, en soirée.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

André Montagne a bien connu Marcel Nonnet dans ce camp. Il avait fait sa connaissance au lycée Malherbe de Caen lorsque les otages y étaient rassemblés et ils dorment dans des lits voisins à Royallieu, ce qui leur donne la possibilité de discuter. Marcel Nonnet arrive à envoyer quelques lettres à son épouse. D’autres cheminots du département ont été pris lors de cette rafle, mais l’ampleur de cette répression est telle que le fonctionnement du service en est gêné, et la SNCF obtient la libération de huit cheminots du Calvados, considérés comme de “bons éléments” et détenus à Royallieu. Mais d’autres n’auront pas cette chance, comme Georges Auguste et Albert Coispeau, de Caen, Georges Bigot et Pierre Duchemin, de Bayeux, Robert Dupont, de Mondeville, Pierre Lebreton, de Vire, Alphonse Marie, de Saint-Jacques-de-Lisieux, Emmanuel Michel, de Trouville ; tous retenus comme communistes.

Entre fin avril et fin juin 1942, Marcel Nonnet est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). Le 1er juillet, le préfet du Calvados intervient auprès de la Feldkommandantur 723 en vue d’obtenir sa libération, mais c’est le Chef de la Police de Sûreté (Gestapo) de Rouen qui lui répond par une fin de non recevoir le 19 août suivant.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Comme beaucoup d’autres déportés, Marcel Nonnet jette un message sur la voie – sous la forme d’une feuille de papier repliée – à destination de son épouse. Pour l’acheminement de celui-ci, il dit sa confiance au collègue cheminot qui le trouvera (lequel précisera au verso la direction prise par le convoi).

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Marcel Nonnet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), sous le numéro 45929 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Marcel Nonnet est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.
Entre le 1er novembre 1942 et le 4 janvier 1943, il est enregistré plusieurs fois sur le registre de distribution des médicaments au Revier de Birkenau (chambre – Stube – n°3).Marcel Nonnet meurt à Birkenau le 16 janvier 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Le 16 juillet 1942, une carte imprimée en allemand avait été envoyé à sa famille depuis Compiègne indiquant : « Par décision de nos services, le détenu susnommé a été transféré dans un camp pour y travailler. Sa destination étant inconnue, il vous faudra attendre pour avoir de ses nouvelles. »

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Document extrait de De Caen à Auschwitz,
par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée
Malherbe de Caen, éditions Cahiers du Temps.
Droits réservés.

André Montagne, de Caen, rescapé, annonce la mort de Marcel Nonnet à l’épouse de celui-ci après son retour. Le 1er septembre 1945 (?), il écrit à la mère de son compagnon pour confirmer sa disparition à Birkenau. Dans ce courrier, il précise qu’ils n’étaient pas dans le même wagon le 6 juillet 1942, mais qu’ils s’étaient retrouvés à Birkenau quand tous les “45000” y avaient été conduits au lendemain de leur arrivée.

Le 26 août 1987, à Caen, suite aux démarches de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.

Le nom de Marcel Nonnet est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

© Photo Mémoire Vive.

© Photo Mémoire Vive.

Notes :

[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

[2] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.

Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).

Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au fort du Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen..

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).

[3] De Brinon : ancien journaliste et “ultra” de la collaboration, Fernand de Brinon était Délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités militaires allemandes d’occupation. Quand des requêtes étaient formulées par les familles des détenus auprès de l’administration française, la Délégation générale les transmettait à la Commission d’armistice (bipartite), après enquête de la police ou de la gendarmerie pour s’assurer des conditions d’arrestation et de l’honorabilité du détenu. Une lettre était ensuite adressée aux familles sous couvert de l’organisme qui en avait fait la demande : elle leur annonçait que l’intervention avait eu lieu et leur faisait part de la réponse fournie par les autorités allemandes.

Ainsi, un très grand nombre de fiches de la Délégation générale portent le nom de “45000” ; surtout après le départ du convoi, le 6 juillet 1942, et l’absence de nouvelles résultant de leur statut “NN”.

La plupart de ces fiches se trouvent dans les dossiers d’état civil des déportés conservés au BAVCC (anciennement archives du secrétariat d’État aux Anciens Combattants).

 

Sources :

- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’associationMémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, pages 56, 91 ; notice biographique par Claudine Cardon-Hamet page 31.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 360 et 415.
- Annick Sillard, courrier à François Legros et à Mémoire Vive, avec copies de documents : courrier du préfet du Calvados à de Brinon [3], attestation du chef de gare de Mézidon au Comité de libération de Bretteville-sur-Dives, attestation d’appartenance au Front national, lettre d’André montagne à la mère de Marcel Nonnet (03-2010).
- Claude Doktor, Le Calvados et Dives-sur-Mer sous l’Occupation, 1940-1944, La répression, éditions Charles Corlet, novembre 2000, Condé-sur-Noireau, page 206.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 132 (n° 48) et 138.
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 1102-1103.
- Liste de détenus ayant reçu des médicaments à Birkenau, transmise par André Nouvian.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 866 (2491/1943).
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 23-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

(Robert BASTIAN ?) – 45202

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IDENTIFICATION INCERTAINE…
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

S’agit-il de Robert, Fernand, Bastian, né le 29 décembre 1921  à l’hôpital Beaujon (208 rue du Faubourg-Saint-Honoré) à Paris 8e, fils de François Bastian et de Françoise Boucharel, son épouse, 22 ans, native de Corrèze, qui habitent Asnières depuis, au moins, 1919 ?

Fin 1938, à Paris, Robert Bastian s’engage pour cinq ans dans la Marine nationale. Le 6 janvier 1939, il est incorporé comme matelot de 2e classe au 3e dépôt des équipages de la flotte, à Toulon. Le 14 février, il rejoint l’école des fusiliers. Mais il est réformé pour inaptitude physique et congédié le 5 avril suivant.

Il retourne alors chez ses parents, chez lesquels il restera officiellement domicilié, au 17, rue Daniel à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine – 92) ; une rue perpendiculaire à la Seine, près du pont de Clichy. Il est célibataire.

Au moment de son arrestation, il est apprenti-coiffeur depuis quelques semaines, n’ayant jamais travaillé auparavant. « Dans son entourage, il ne fait l’objet d’aucune remarque au point de vue politique » : il n’appartient donc pas à un réseau de militants qui auraient pu le connaître (… et le reconnaître).

« Au point de vue moral, il est assez défavorablement représenté et

[passe] pour être peu honnête et peu scrupuleux ». Pendant plusieurs années, il ne vit que d’expédients, fréquentant « le milieu spécial des souteneurs et des trafiquants de stupéfiants de Montmartre ».

Le 10 juin 1940, à Paris, il est condamné à treize mois d’emprisonnement avec sursis pour vol. Le 3 septembre suivant, à Paris, il est condamné à treize mois pour « stupéfiants », ayant été associé avec un trafiquant de drogue notoire, Roger d’Alençon. Il est écroué à la Maison d’arrêt de Fresnes (Seine / Val-de-Marne). Le 4 octobre 1941, il est condamné à quatre mois pour un vol commis le 10 août précédent. Une interdiction de séjour lui est notifiée le 24 septembre. Il est libéré le 10 novembre (libération effective ?).

Ne paraissant pas « susceptible de s’amender » et n’offrant « aucune garantie du point de vue familial », considérant surtout qu’il représente « un danger pour la sécurité publique », la préfecture de police décide de son internement administratif. Pendant un temps, il est détenu au dépôt (la Conciergerie, sous le palais de Justice).

Le 3 janvier 1942, Robert Bastian fait partie des douze internés administratifs « indésirables » relevant de la police judiciaire qui partent avec 38 internés politiques relevant des Renseignements généraux de la préfecture de police qui sont extraits du dépôt et conduits en autobus sous escorte motorisée à la gare d’Austerlitz pour y prendre un train à destination du centre de séjour surveillé de Rouillé (Vienne) ; départ 7h55, arrivée prévue à 18h51 via Poitiers..

Le 22 mai suivant, Robert Bastian fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 126 futurs “45000” – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).Son nom trouve une place “vacante” dans les listes alphabétiques reconstituées des déportés du 6 juillet 1942, et le visage du détenu portant le matricule 45202 pourrait correspondre à son âge : 21 ans. La page du registre du recrutement militaire indique comme signalement : « cheveux châtains, yeux marrons, front petit, nez rectiligne, visage ovale… ». Si le fait que sa tête soit rasée ne permet guère de se rendre compte de la couleur de ses cheveux, le reste de la description est plutôt en accord avec la photo d’Auschwitz.

Son statut de droit commun l’a peut-être isolé : s’il a bien été déporté à Auschwitz au sein de leur convoi, aucun rescapé “45000” n’a mentionné son existence.

Aucun acte de décès ayant pu être établi à son nom par l’administration SS du camp n’a été retrouvé (faisant peut-être partie de ceux qui ont été détruits lors de l’évacuation de janvier 1945) ; les archives du Musée d’Auschwitz-Birkenau ne conservent aucun document portant son nom…

En avril 1945, les services de la préfecture de la Seine envoient une demande de renseignements à la préfecture de police concernant Robert Bastian, déclaré « non-rapatrié à ce jour ».

Le 14 novembre 1946, à la mairie d’Asnières, sa mère – veuve ? – remplit un formulaire dactylographié à en-tête du ministère des anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) « en vue d’obtenir la régularisation de l’état-civil d’un “non rentré” ». Dans l’espace destiné à indiquer « les précisions sur la capture ou l’arrestation et sur les renseignements parvenus depuis ce moment », Madame Bastian écrit seulement : « arrêté au début juillet 1942 dans la rue Asnières, interné à Compiègne et transféré en Allemagne, dates et destination inconnues, sans nouvelles depuis son arrestation ».

Le 5 décembre suivant, elle renouvelle sa demande sur un formulaire identique mais imprimé. Désignant son fis comme « déporté politique », elle donne comme précision : « Arrêté Asnières vers le 20 juillet 1942 et suis sans nouvelle depuis son arrestation, envoyé dans un camp à Compiègne et dirigé sur l’Allemagne, c’est tout ce que je peux savoir de mon fils ». Sur la dernière ligne à compléter du formulaire, elle indique que son fils n’a pas reparu à son domicile depuis le « 20 juillet 1942 ». Plus haut dans son courrier, Françoise Bastian mentionne que l’allocation perçue pour un non rentré lui a été supprimée en mars précédent. Les indications fournies serviront de base à l’établissement de l’acte de disparition du 18 décembre 1946.

Dans aucun des deux formulaires, Madame Bastian ne fait allusion aux peines d’emprisonnement subies par son fils, ni à son internement au camp de Rouillé : depuis combien de temps a-t-elle perdu le contact avec lui ? Son témoignage semble peu probant. Cependant, le ministère des ACVG se fondera sur celui-ci pour construire son dossier. Aucun autre témoin ni association de déportés n’est sollicité.

Le fait que sa mère ait indiqué qu’il a été arrêté dans la rue à Asnières a conduit à la formulation que c’était « au cours d’une rafle ». Les familles juives étant nombreuses à avoir été arrêtées ainsi, notamment lors de la rafle du Vel d’Hiv, un employé du ministère s’est cru autorisé à faire le lien et a indiqué : « Arrêté le 12 juillet 1942. Interné au Grand Palais puis transféré à Compiègne… » (Avis destiné au bureau des fichiers de la direction de l’état civil et des recherches, 2 octobre 1948).

Le 9 octobre 1953, le tribunal civil de la Seine rend un jugement déclaratif de décès selon lequel Robert Bastian est mort à Compiègne en juillet 1942.

Le 18 octobre 1960, Madame Bastian remplit un formulaire d’attribution du titre de déporté politique pour son fils. Cette fois-ci, elle fixe la date de l’arrestation de son fils au 13 juillet 1942, indiquant comme situation au moment de l’arrestation : « réfractaire au travail obligatoire ». Elle met un point d’interrogation aux rubriques « Autorité qui à procédé à l’arrestation » et « Circonstances ». À la rubrique « …indiquer la date et le lieu des dernières nouvelles », elle écrit : « Compiègne juillet 1942 ». Cette indication réitérée du courant juillet laisse supposer qu’elle a reçu dans cette période – le 20 ? – la carte-formulaire envoyée aux familles par l’administration militaire du Frontstalag 122.

Dans sa séance du 14 juin 1962, la commission départementale d’attribution, ayant certainement pris connaissance des informations transmises par la police, rend un avis défavorable, au motif que Robert Bastian : « semble avoir été maintenu en prison après l’arrestation en raison de ses antécédents ». Après un avis identique de la commission nationale, le ministère des ACVG prononce un rejet de la demande d’attribution du titre de déporté politique qui est transmis à Madame Bastian le 27 février 1963.

Sources :

- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande”, État des internés de la Seine ayant quitté le camp de Rouillé au 10 septembre 1942 ; cabinet du préfet (1w1388), dossier de Robert Bastian (74778).
- Archives départementales de la Vienne, Poitiers : préfecture de la Vienne, camp de Rouillé, dossier d’interné (109 W 85) ; camp de Rouillé, dossier d’interné (109 W 384), demande de Ginette Petiot.
- Division des archives des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Robert Bastian consulté par Ginette Petiot (message 09-2015).
- Ministère de la Défense, Marine nationale, direction du personnel militaire de la Marine, centre DPMM Lamalgue, BCRM Toulon, bureaux de réserve militaire et maritime des matricules ; registre matricule du bureau de recrutement de Toulon, classe 1939, n° 1902, transmis par G. Petiot.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour le 28-06-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

 

? MAR…/MAYER (identité inconnue) – 46300

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

 

? LEGER/LEG… (identité inconnue) – 45769

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

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