Honoré OURSEL – 45942

 

Honoré Oursel © Simone Oursel

Honoré Oursel © Simone Oursel

Honoré, François, Oursel naît le 7 février 1888 à Criquebeuf-sur-Seine (Eure), sous le nom de sa mère, Eugénie Hattingois, 22 ans, journalière. Il est reconnu et légitimé le 7 octobre 1889 à Criquebeuf par le mariage de sa mère avec François Honoré Oursel, 26 ans, journalier, dont il prend le patronyme.

En 1912, il est domicilié au 3 avenue de Choisy à Villeneuve-Saint-Georges

[2] (Seine-et-Oise / Val-de-Marne – 94).

Le 23 décembre 1912 à Villeneuve-Saint-Georges, Honoré Oursel, 24 ans, marinier, se marie avec Adrienne Alphonsine Finon, 21 ans, épicière. Par ce mariage, les époux reconnaissent et légitiment l’enfant Maurice Armand Finon, né d’Adrienne le 27 août 1909 à Villeneuve-Saint-Georges. Les témoins des mariés sont une tante de l’épouse venue de Oissel (Seine-Inférieure), un autre marinier et deux employés de chemin de fer.

Mobilisé en 1914, Honoré Oursel est fait prisonnier de guerre. Il reste en Allemagne jusqu’en 1919, après sa libération, car il participe aux soins donnés à des soldats atteints du typhus.

Il est capitaine de remorqueur à la compagnie fluviale HPLM [1].Le 12 novembre 1932, à Villeneuve-Saint-Georges, son fils, Maurice Oursel, se marie avec Antoinette Pitton.

Honoré Oursel est capitaine de remorqueur à la compagnie fluviale HPLM [1].

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié impasse Desrues à Villeneuve-le-Roi [2] (94) ; en 1936, il est marinier pour les Sablières de la Seine ; il héberge sa belle-mère, Alphonsine Finon, 77 ans, née en 1859.

Sous l’occupation, Honoré Oursel est marinier, passeur à l’ancien pont de Villeneuve-Saint-Georges [3].

C’est un militant communiste « acharné », selon la police française.

Il reste actif dans la clandestinité, profitant « de sa fonction de passeur pour faire passer [sic] les mots d’ordre parmi les ouvriers empruntant son bateau » (selon la police). Au début d’août 1940, il grave une faucille et un marteau sur la proue de son embarcation.

Fin août, il participe à « la deuxième réunion communiste » dans les fouilles [4] Morillon [5], derrière l’école Paul Bert.

Le 6 octobre 1940, le commissaire de police d’Athis-Mons remplit la « notice individuelle à établir au moment de l’arrestation » ; un formulaire sur lequel le « résumé des motifs… » est déjà complété avec l’activité de militant citée ci-dessus.

Le 13 octobre, Honoré Oursel est arrêté sur décision du préfet de Seine-et-Oise (l’arrêté étant daté du 12 octobre), puis interné administrativement au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé ce même mois dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.

Entrée du centre de séjour surveillé d’Aincourt Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante. Droits réservés.

Entrée du centre de séjour surveillé d’Aincourt Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt
qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante. Droits réservés.

Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.

Le 22 décembre, l’épouse d’Honoré Oursel écrit au préfet de Seine-et-Oise en débutant par une argumentation peu usitée : « …il serait beaucoup mieux à son travail, qu’il ne demande qu’à reprendre bien tranquille, que de perdre tout ce temps là-bas. De plus, il est de ce fait à la charge de l’État, au lieu de se subvenir à lui-même et à ceux des siens comme moi, par exemple, sa femme, et ma mère, qui a 71 ans. Je suis, dans ce cas, obligée de vous demander pour elle et pour moi l’indemnité qui nous est due… », ajoutant « et qui pourrait s’éviter en me rendant mon mari… ». Elle conclue en espérant du préfet qu’il fasse « tout le nécessaire pour [lui] rendre son mari bien innocent ».

Le 29 décembre, attendant la visite autorisée de deux proches, Adrienne et Maurice [?], Honoré Oursel rédige un courrier destiné à « ses chers cousins », auxquels il écrit : « …je suis sous les verrous depuis le 13 octobre, arrêté comme individu dangereux à la sécurité de la France. Ça peut paraître drôle, mais c’est comme cela ». Cette lettre, il prévoit de la « faire passer par Maurice, car elle ne passerait peut-être pas à la censure ». En effet, son contenu est très politique : « …chaque jour qui passe nous apporte la victoire. Le capital pourri est ébranlé et, quoi qu’il fasse, il est condamné à mort… ». Il y décrit également la situation des internés et la perception qu’ils en ont : « …nous sommes enfermés dans un sana [sanatorium]sans feu [sans chauffage]. Nous sommes gardés par des mobiles ; ils sont presque tous habillés dans une peau [de mouton, pour avoir moins froid lors de leur surveillance à l’extérieur] » ; « Ici, nous sommes comme otages. C’est-à-dire qu’au premier choc du dehors, c’est sur nous qu’ils essaieront leurs armes et leurs vengeance. Mais nous sommes bien décidés à vendre notre peau très cher, quoi qu’il arrive ». Finalement, cette lettre est interceptée par l’administration du camp et devient une preuve à charge contre Honoré Oursel. Le 14 janvier 1941, celui-ci est puni de deux jours de cellule « pour avoir transmis frauduleusement une lettre […] où il attaque la garde mobile » [sic] (la mention que les gardiens sont « habillés dans une peau ») ; accusation formulée également ainsi : « pour avoir tenu des propos incorrects sur la gendarmerie ».

Selon le commissaire de police spécial qui dirige le camp, Honoré Oursel, ayant « mauvais esprit », est « un des éléments les plus dangereux » séjournant au camp.

Le même jour, le commandant du camp envoie au préfet un courrier dans lequel il formule un avis défavorable à l’égard de la libération du militant, en y joignant pour preuve la lettre interceptée le 29 décembre.

Le 27 janvier, le secrétaire général pour la Police de Seine-et-Oise, lui, transmet au préfet un avis favorable, en expliquant que, s’il s’agit d’un militant notoire, il « ne doit pas être considéré comme particulièrement dangereux, se bornant surtout à faire des déclamations à tendance communiste. Étant donné le calme qui règne actuellement parmi les ex-militants communistes, il semble que la libération d’Oursel peut être admise, son séjour de trois mois au camp d’Aincourt n’ayant pu que l’inciter à se tenir tranquille à l’avenir. ».

Le 29 janvier, à la demande du préfet, le commissaire de police d’Athis-Mons convoque Alphonsine Oursel pour lui notifier le rejet de la demande de libération de son mari.

Le 26 février, celle-ci réitère sa demande au préfet, évoquant alors une dénonciation par lettre anonyme. Le 23 mars, par l’intermédiaire du commissaire de police, le préfet lui fait connaître que cette deuxième demande est classée sans suite et qu’il est « inopportun de faire de nouvelles demandes de libération étant donné qu’une révision trimestrielle » se fait désormais dans tous les cas d’internement.

Mais la révision du 6 mars, opérée par le chef de camp, renvoyait à son propre rapport du 14 janvier et, le 26 avril, sans nouvelle investigation, le préfet décide du maintien au camp de l’interné.

Le 4 mai, Honoré Oursel écrit au président de la délégation spéciale de Villeneuve-le-Roi – nommée par le préfet afin de remplacer la municipalité déchue : « Depuis bientôt sept mois, le linge que [ma femme] m’a envoyé est dans état d’usure complet et elle est dans l’impossibilité de le renouveler. Beaucoup de municipalités envoient à leurs administrés les effets et vêtements dont ils ont besoin. Je pense, Monsieur le Président, qu’il vous est possible de suivre cet exemple… ». Le 13 mai, l’édile transfère cette demande au préfet de Seine-et-Oise en lui rappelant qu’il a transmis trois demandes semblables cinq jours plus tôt en le priant de bien vouloir lui « indiquer la marche à suivre pour donner satisfaction aux intéressés »

Le 27 juin, Honoré Oursel fait partie d’un groupe de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – alors siège de la Geheime Feldpolizei – où ils sont rejoints par d’autres détenus, arrêtés le même jour et les jours suivants dans le département de la Seine [6]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville (sur la commune des Lilas – 93), élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [7].

Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (Seine / Seine-Saint-Denis) et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Pendant la traversée de la ville, effectuée à pied entre la gare et le camp, la population les regarde passer « sans dire un mot, sans un geste. Tout à coup nous entonnons La Marseillaise et crions “Des Français vendus par Pétain” » [8]. Ils sont parmi les premiers détenus qui inaugurent ce camp créé pour les « ennemis actifs du Reich ».

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne,
futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Dix mois plus tard, le 5 mai 1942, le préfet de Seine-et-Oise transmet au Conseiller supérieur d’administration de guerre [sic] de la Feldkommandantur de Saint-Cloud une liste d’anciens internés d’Aincourt à la libération desquels il donne un avis défavorable – « renseignements et avis formulés tant par [ses] services de police que par le directeur du centre de séjour surveillé » ; liste accompagnée de “notes” individuelles avec copie traduite en allemand, dont celle concernant Honoré Oursel.

Entre fin avril et fin juin, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Honoré Oursel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45942 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Honoré Oursel.Il meurt à Auschwitz le 17 août 1942, selon le registre d’appel (Stärkebuch) et l’acte de décès établis par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [9].

Après la guerre, le conseil municipal de Villeneuve-le-Roi donne son nom à une des rues de la commune.

Son fils, Maurice Armand Oursel décède le 8 mars 1957 à Réau, âgé de 47 ans.

Adrienne Oursel, veuve d’Honoré, décède le 20 octobre 1990, dans sa centième année, à Villeneuve-Saint-Georges.

Notes :

[1]  La compagnie Fluviale HPLM: la Compagnie Générale de Navigation, du Havre à Paris, Lyon et la Méditerranée. Compagnie de transport fluvial, issue de la fusion de deux compagnies, qui a régné sur les rivières et canaux de 1850 à 1972.

[2] Villeneuve-le-Roi : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] L’ancien pont : peut-être l’ancien pont suspendu construit par Marc Seguin et frères en 1843 et démonté en 1939…

[4] Fouilles : ici, lieu d’extraction de sable et de gravier dans la plaine alluviale de la Seine, créant des bassins et canaux.

[5] Morillon Corvol : entreprise créé en 1884 par MM. Morillon et Corvol pour la production de granulats quand se développent les constructions en ciment et béton. Devenue Entreprise Morillon-Corvol-Courbot (EMCC), filiale du groupe RMC France à partir de 1982, lui-même acheté par CEMEX, groupe mexicain, en mars 2005).

[6] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de « Différents communistes actifs que vous désignerez » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris.

Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.

Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés[du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. » Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés.

Le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei. En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.

À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.

Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.

Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.

Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »

[7] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[8] De l’Hôtel Matignon au Frontstalag 122 : témoignage de Marcel Stiquel (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Son récit fait état de 87 internés (la liste en comporte 88) et d’un départ d’Aincourt étalé sur deux jours : les 27 et 28 juin 1941 (voir note ci-dessus).

[9] Différence de date de décès avec celle inscrite au Journal Officiel : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – s’appuyant sur le ministère des Anciens combattants qui avait collecté le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant d’Honoré Oursel, c’est le 15 janvier 1943 qui a été retenu pour certifier son décès (9-05-1946). La parution au J.O. rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 389 et 415.
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi, Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur le transfert depuis Aincourt des 88 de Seine-et-Oise, fin juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Archives départementales de l’Eure, archives en ligne : état civil de Criquebeuf-sur-Seine, registre des naissances de l’année 1888 (8 Mi 4742), acte n°13 (vue 519/548).
- Archives communales de Villeneuve-le-Roi, recherches de Stéphanie Guérin (01-2007).
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, relations avec les autorités allemandes (1W80), dossier individuel (1W144), (1W277).
- Liste des 88 internés d’Aincourt (domiciliés dans l’ancien département de Seine-et-Oise) remis les 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation, et liste Internés de Seine-et-Oise à la suite d’une mesure prise par le préfet de ce département, ayant quitté le centre d’Aincourt, copies de documents des AD 78 communiquées par Fernand Devaux (03 et 11-2007).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 894 (21460/1942).
- Simone Oursel, sa petite-fille (messages 01-2018).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

René OUDOT – 45495

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

René Oudot naît le 3 septembre 1920 à Paris 12e, fils de Jules Oudot et de Georgette Le Breton, son épouse.

Au moment de son arrestation, il habite chez ses parents au 9, rue du Fauconnier à Paris 4e. Il est ouvrier métallurgiste (dans quelle entreprise ? à vérifier…).

Le 14 septembre, il est arrêté « pour distribution de tracts communistes ».

Le 29 octobre, il est condamné à deux mois de prison pour distribution de tracts.

Le 7 novembre, il est écroué à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne). Deus semaines plus tard, le 20 novembre, il est transféré à la prison de Villeneuve-Saint-Georges.

Le 6 janvier 1941, à l’expiration de sa peine, il est libéré.

Le 28 février ou le 4 mars 1941, il signe un contrat de travailleur volontaire pour le IIIe Reich, dans la ville de Steyr (?), en Autriche (Gau Oberdonau), à l’usine Steyr-Daimler-Puch AG. Mais – revenu en France en permission – il ne repart pas.

Le 28 avril 1942, René Oudot est arrêté une seconde à son domicile, comme otage, lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine – avec le concours de la police française – et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin ayant été précédemment l’objet de poursuites judiciaires puis relaxés, sans avoir subi de condamnation ou après avoir purgé leur peine. Les hommes arrêtés sont d’abord rassemblés au camp allemand du fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), puis rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, René Oudot est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, René Oudot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45495 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée). Son nom est mal orthographié dans les listes allemandes (« Dudot » ou« D’Oudot ») ce qui explique son matricule.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, René Oudot est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Le 17 août, il est admis à l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I

[1].

Il meurt à Auschwitz le 26 août 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) et une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, et où est inscrit le matricule n° 45495 (ce local de regroupement temporaire des cadavres est situé au sous-sol du Block 28). Il n’a pas vingt ans.

Notes :

[1] L’ “hôpital d’Auschwitz” : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”. Mais les “31000” et Charlotte Delbo ont connu et utilisé le terme « Revier » : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 370 et 415 ; notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de René Oudot (21 P 522 069).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” (BA ?).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 894 (25201/1942), son nom y est orthographié « D’Oudot ».
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre du Block 4.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Maurice OSTORERO – 45941

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Collection Roger Ostorero. Droits réservés.

Maurice Ostorero naît le 3 février 1910 à Thil, à l’ouest de Villerupt (Meurthe-et-Moselle – 54), fils de Félix Ostorero et de Marceline Dodelingen.

En 1930, il effectue son service militaire au 38e régiment d’aviation à Thionville.

Le 18 mars 1938 à Thil, il se marie avec Marie Louise François. Ils ont un enfant. Au moment de son arrestation, Maurice Ostorero est domicilié au 8 de la Cité Sors à Thil.

Il est électricien.

Syndiqué à la Fédération du Sous-sol, il est délégué des ouvriers de 1936 à 1938.

Selon une liste manuscrite de quarante-quatre internés établie ultérieurement par le chef du centre de séjour surveillé d’Écrouves, Maurice Ostorero “démissionne” de son syndicat à une date restant à préciser.

C’est un militant actif du PC et du Comité de soutien à l’Espagne républicaine avant guerre à Thil.

La police française note qu’il s’est fait remarquer au cours de différentes manifestations communistes.

Le 26 juin 1941, le préfet signe un arrêté ordonnant son internement administratif à la suite d’une distribution de tracts communistes dans son secteur d’habitation. Maurice Ostorero est arrêté par les gendarmes de Briey et interné quinze jours à la Maison d’arrêt de cette ville.

Dans la nuit du 4 au 5 février 1942, un groupe de résistance communiste mène une action de sabotage contre le transformateur électrique de l’usine sidérurgique d’Auboué qui alimente également dix-sept mines de fer du Pays de Briey. Visant une des sources d’acier de l’industrie de guerre allemande (Hitler lui-même s’en préoccupe), l’opération déclenche dans le département plusieurs vagues d’arrestations pour enquête et représailles qui concerneront des dizaines de futurs “45000”.

Le nom de Maurice Ostorero figure – n°28 – sur une « liste communiquée le 19 (février ?) au soir à la KK (Kreiskommandantur) de Briey par le sous-préfet » pour préciser la nationalité de cinquante-trois hommes de ce secteur.

Le 23 février, il est arrêté par la police allemande et conduit au centre de séjour surveillé d’Écrouves, près de Toul (54), dans un groupe de vingt-cinq otages en attente « d’être dirigés sur un autre camp sous contrôle allemand en France ou en Allemagne » ; ils y rejoignent quatorze autres otages arrivés la veille.

Et, effectivement, le 5 mars, Maurice Ostorero est parmi les trente-neuf détenus transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Aussitôt, le sous-préfet de Briey intervient auprès du préfet de Meurthe-et-Moselle pour qu’au moins sept d’entre eux, dont Maurice Ostorero, ne soient pas considérés comme otages.

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La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers
bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan, sur l’autre rive de l’Oise,
l’usine qui fut la cible de plusieurs bombardements
avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Maurice Ostorero est définitivement sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée. Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

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Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Le 8 juillet 1942, Maurice Ostorero est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45941 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Maurice Ostorero est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).À la mi-août 1943, Maurice Ostorero est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”.

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Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres
partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Maurice Ostorero est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” 

[1] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “Prominenten” polonais) transférés au KL [2] Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin. À leur arrivée, et jusqu’au 25 septembre, les trente sont assignés au Block 66. Il semble que Maurice Ostorero reste dans ce camp jusqu’à sa libération, fin avril 1945.

Maurice Ostorero décède le 25 avril 1959 ; il a 49 ans.

Notes :

[1] Les trente d’Auschwitz vers Sachso (ordre des matricules, noms de G à P) : Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).

[2] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74, 348 et 349, 359, 368 et 401.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 117.
- Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle, Nancy, cotes W1304/23 et WM 312 ; fiches du centre de séjour surveillé d’Écrouves (ordre 927 W) ; recherches de Daniel et Jean-Marie Dusselier.
- Jean-Claude et Yves Magrinelli, Antifascisme et parti communiste en Meurthe-et-Moselle, 1920-1945, Jarville, avril 1985, page 246, 345.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 16-05-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

 

Antoine OSSOT – (45940 ?)

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IDENTIFICATION INCERTAINE…
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

François, Antoine, Ossot naît le 21 décembre 1903 à Ebersheim (Bas-Rhin), fils de Xavier Ossot et de Madeleine Mahr (ou Maar).

Au moment de son arrestation, Antoine Ossot est domicilié au 157, avenue Victor-Hugo à Aubervilliers

[1] (Seine / Seine-Saint-Denis) ; mais il n’apparaît pas sur les listes électorales de la commune en 1939 (où il est inconnu de l’état civil).

Il est célibataire.

Manœuvre, il est au chômage au moment de son arrestation.

Le 14 juillet 1941, Antoine Ossot est arrêté par les services du commissariat du quartier de Clignancourt après qu’un passant l’ai désigné des gardiens de la paix comme distributeur de tracts communistes. Fouillé, il est trouvé porteur de trois tracts intitulé « L’armée Rouge victorieuse ». Interrogé, il déclare n’avoir jamais appartenu au Parti communiste et avoir distribué aux passants des tracts trouvé sur la voie publique, jetés par paquets d’une rame du métro aérien au-dessus du boulevard Barbès. Pendant un temps, il est détenu au dépôt de la préfecture de police (la Conciergerie, sous le Palais de Justice, île de la Cité)

Deux jours plus tard, le 16 juillet, cinq prévenus, dont également Marcel Chabot, de Nanterre, comparaissent devant la 14e chambre du tribunal correctionnel de la Seine. Antoine Ossot et Marcel Chabot sont condamnés chacun à quatre mois d’emprisonnement.

Le 29 juillet, tous deux sont conduits à la Maison de correction de l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne). Deux jours plus tard, le 1er août, Antoine Ossot est transféré à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines). Il y sera rejoint par son compagnon trois jours après.

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.  Carte postale. Collection Mémoire Vive

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.
Carte postale. Collection Mémoire Vive

Le 2 octobre, en « exécution de la note préfectorale » du 14 novembre 1940, le directeur de la prison transmet au bureau politique du cabinet du préfet de Seine-et-Oise sept notices de détenus de la Seine devant être libérés à l’expiration de leur peine au cours du mois suivant, Antoine Ossot étant libérable le 8 novembre. Le 10 octobre, le préfet de Seine-et-Oise transmet le dossier au préfet de police, direction des services des Renseignements généraux. Le 17 octobre, le préfet de police écrit au directeur de la Centrale pour lui demander de maintenir Antoine Ossot en détention à l’expiration de sa peine, ainsi que trois autres hommes dont Marcel Chabot et René Solard.

Le 8 novembre, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant l’internement administratif d’Antoine Ossot, en application du décret du 18 novembre 1939.

Le 3 janvier 1942, Antoine Ossot fait partie d’un groupe de 38 internés politiques (parmi eux, seize futurs “45000”) et douze “indésirables” (droit commun) extraits du du dépôt et transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé (Vienne). Ils sont conduits en car, sous escorte, jusqu’à la gare d’Austerlitz où les attend un wagon de voyageurs réservé (10 compartiments ; départ 7h55 – arrivée 18h51).

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le 22 mai, Antoine Ossott fait partie d’un groupe de 156 internés de Rouillé – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 –Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Antoine Ossott est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45940, selon les listes reconstituées (la photo d’immatriculation correspondant à ce matricule a été retrouvée, mais n’a pu être identifiée à ce jour).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Antoine Ossot.

Il meurt à Auschwitz le 20 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Notes :

[1] Aubervilliers : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 384 et 415.
- Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 5 juin au 22 septembre 1941 (D1u6-5857).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : carton “occupation allemande” : camps d’internement… (BA 2374) ; dossier individuel des RG (77 W 80-92719) ; registre de main courante du commissariat du quartier de Clignancourt (C B 70 96), n° 3464.
- Archives départementales du Val-de-Marne (AD 94), Créteil : archives de l’établissement pénitentiaire de Fresnes, maison de correction, registre d’écrou 152 (2742w 19), n° 9554.
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : bureau politique du cabinet du préfet (1W69).
- Archives départementales de la Vienne ; camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 891 (24322/1942), orthographié « Ossott, Antoni ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 4-03-2019)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Pierre ORSATTI – 45939

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Pierre, Hippolyte, André, Orsatti naît le 26 avril 1892 à Feins (Ille-et-Vilaine – 35), fils de Paul Orsatti, 40 ans, garde particulier à Champbellé, et de Anna Marie Truet, son épouse, 27 ans.

Pendant un temps, Pierre Orsatti est mécanicien à bord du Pistolet, basé à Saïgon, alors en « Cochinchine » (Vietnam).

Le 7 avril 1909, il entre comme apprenti-marin au 3e dépôt de la Flotte (Marine nationale). Le 1er mai suivant, à la mairie de Lorient (Morbihan), il s’engage dans la marine comme matelot de 2e classe selon les conditions de la loi du 28 juillet 1886

[?]. Le 1er juin 1912, il est nommé quartier-maître mécanicien.

Il est mobilisé dans les campagne contre l’Allemagne du 2 août 1914 au 14 juin 1919. Le 15 juin 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation et se retire au 1, rue de Nemours à Rennes, titulaire d’un certificat d’assez bonne conduite [sic].

En avril 1922, Pierre Orsatti habite au 41, rue Voltaire, au Havre (Seine-Maritime). En février 1923, il demeure au 7, rue de la Smala, à Paris 15e.

Le 28 juillet 1923 à Paris 15e, il se marie avec Reine, Armandine, Augustine, Dessez, née le 8 janvier 1901 à Puteaux. Ils n’auront pas d’enfant.

En janvier 1928, le couple se trouve au clos Marie, rue Voltaire, à La Seyne(-sur-Mer), à l’ouest de la rade de Toulon (Var). En juillet 1932, ils demeurent au 80, rue des Chênes, à Suresnes [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92).

Pendant un temps, Pierre Orsatti est ouvrier aux usines Citroën.

Début novembre, 1934, ils habitent un logement de trois pièces dans les HBM du 29, rue Cartault à Puteaux [1] (92) ; escalier 2, bâtiment F, sur cour, porte à gauche, n° 15 bis, rez-de-chaussée. Dans la même cité vit la famille Bourneix.

Puteaux. Groupe Nord des HBM de la rue Cartault. Carte postale oblitérée en 1934. Coll. Mémoire Vive.

Puteaux. Groupe Nord des HBM de la rue Cartault.
Carte postale oblitérée en 1934. Coll. Mémoire Vive.

Son épouse tient un commerce de mercerie communiquant avec leur appartement et ouvrant de l’autre côté de l’immeuble, au 2 bis, rue Bernard-Palissy.

Puteaux. La rue Bernard Palissy et ses commerces à la fin des années 1920. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Puteaux. La rue Bernard Palissy et ses commerces à la fin des années 1920.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

En octobre 1935, l’armée classe Pierre Orsatti dans l’affectation spéciale au titre du tableau III à la société française Hispano-Suiza, rue du capitaine-Guynemer, à Bois-Colombes, en qualité d’ajusteur (au service du montage des moteurs).

Le 16 février 1940, le chef d’état-major du gouverneur militaire de Paris transmet une fiche de renseignements à la direction des R.G. de la préfecture de police pour enquête complémentaire et renseignements. Le document décrit Pierre Orsatti ainsi : « communiste notoire et propagandiste très actif, serait encore en relations suivies avec certains membres de l’ex-parti moscoutaire. Très mal considéré dans le quartier qu’il habite par suite de ses idées extrémistes de gauche. Très mauvais esprit ».

Le 12 mars suivant, le rapport des R.G. va dans le même sens : « Les époux Orsatti manifestent, dit-on, une hostilité très marquée envers le Gouvernement actuel et haïssent ceux qui l’approuvent. » Cependant, « les membres de l’ex-parti moscoutaire avec qui les époux Orsatti seraient en relation n’ont pu être identifiés. »

Le 15 novembre suivant, Pierre Orsatti est arrêté pour « violences à agents, rébellion et propagande communiste », mais bénéficie d’un non-lieu dix jours plus tard.

Il est finalement désigné par le commissaire de police de la circonscription de Puteaux comme un « meneur particulièrement actif ».

Le 26 juin 1941, Pierre Orsatti est arrêté (probablement à son domicile, en même temps que le père de Pierre Bourneix) par le commissaire de police de la circonscription de Puteaux, qui le désigne comme un « meneur particulièrement actif ». Le préfet de police a signé l’arrêté ordonnant son internement administratif « en application du décret du 18 novembre 1939 ». Mais, en réalité, il est pris dans le cadre d’une vaste opération menée en concertation avec l’occupant [2]. En effet, pendant quelques jours, plusieurs dizaines de militants de Paris et de la “petite couronne” arrêtés dans les mêmes conditions sont aussitôt conduits dans la cour de l’Hôtel (de) Matignon [3] – alors désigné comme siège de la Geheime Feldpolizei (GFP) – pour y être “mis à la disposition des Autorités d’occupation”. Tous sont ensuite regroupés au Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément du Frontstalag 122 ; considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp. De là, ils sont conduits à la gare du Bourget et un train les transporte à Compiègne (Oise), où ils sont les premiers internés du camp allemand de Royallieu (Polizeihaftlager – extension du Frontstalag 122), administré et gardé par la Wehrmacht [4].

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 31 mars 1942, une autorité allemande (Reiser ?) écrit à la préfecture de police : « La propriétaire d’un magasin de mode à Puteaux, Madame Orsatti (…), est une communiste connue et est toujours en relation avec d’autres membres du P.C. français. Dans son logement des tracts seraient dissimulés. Il y a quelques temps, elle a distribué elle-même de ces tracts. On est prié de procéder à des recherches précises, de faire des vérifications et de transmettre à notre service un rapport détaillé… ». Le 8 avril, un inspecteur de la 1re section des R.G. rend son rapport : « Militante trop avertie et désireuse de ne pas être poursuivie ou internée, elle s’entoure du maximum de précaution pour accentuer sa propagande clandestine et ne se manifeste plus en public. Récemment, une distribution de tracts communistes a été faite rue des Chênes à Puteaux. Madame Orsatti est indiquée comme étant l’auteur de cette distribution, attendu que ce jour-là elle a quitté son domicile à 5 heures à bicyclette et a emprunté la dite rue. Dans son entourage, elle est considérée comme plus dangereuse au point de vue national que son mari, actuellement interné pour propagande communiste clandestine au stalag 122 à Compiègne… » Une lettre de dénonciation anonyme non datée en rajoute : « Puteaux. Rue Bernard Palissy, il y a une mercerie – c’est la seule, à côté du lavoir municipal et d’une bijouterie. Le mari est interné, mais la femme, dénommée Reine de son prénom, va tous les samedis et dimanches, en compagnie de plusieurs femmes d’internés, porter des mots d’ordre ou des tracts. »

Lors de surveillances, la police française constate la venue chez Reine Orsatti de Roger et Simone Choury, demeurant au 11 rue Denis Papin à Puteaux.

Entre fin avril et fin juin 1942, Pierre Orsatti est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Pierre Orsatti est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45939 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Pierre Orsatti est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I ; l’état civil français y a situé son décès (en septembre 1942).

Il meurt à Auschwitz le 23 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

(aucun “45000” de Puteaux n’a survécu)

Le 5 septembre 1942, Reine Orsatti quitte son domicile pour les Petits Andélys (Eure), peut-être de façon provisoire. Mais, à la suite de l’arrestation de plusieurs militants communistes clandestins, elle évite de rentrer chez elle. Le 5 novembre, une note des R.G. prévoit son internement…

Notes :

[1] Suresnes et Puteaux : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré par la Wehrmacht, réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich” et qui ouvre en tant que camp de police.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[3] L’hôtel Matignon, 57 rue de Varenne (Paris 7e) : le 8 septembre 1940, les Renseignements généraux de la préfecture de police constatent la réquisition de l’hôtel pour le bureau de cantonnement des hommes de la police militaire secrète : Geheime Feldpolizei – Dienstelle – Männer-Unterkunft (source : Cécile Desprairies, Paris dans la Collaboration, éditions du Seuil, mars 2009, page 268).

[4] Les arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, trois témoignages :
Jean Lyraud (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Le 26 juin, à 5 heures du matin, il est réveillé par des policiers français : « Veuillez nous suivre au poste avec une couverture et deux jours de vivres. » Un autobus le prend bientôt avec trois autres personnes arrêtées. Le véhicule fait le tour des commissariats de Montreuil et du 11e arrondissement. Après un crochet à l’hôtel Matignon où les “internés administratifs” sont livrés à l’armée d’occupation, c’est le transport jusqu’au Fort de Romainville où ils passent la nuit dans les casemates transformées en cachots. « Le lendemain 27 juin dans l’après-midi, nous embarquons en gare du Bourget dans des wagons spéciaux pour Compiègne. Nos gardes ont le revolver au poing et le fusil chargé, prêts à faire feu. Dans la soirée nous arrivons au camp. Quelques jours après, d’autres contingents de la région parisienne nous rejoignent. »
Henri Pasdeloup (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943), cheminot de Saint-Mihiel (Meuse), est arrêté le 23 juin 1941 par la Gestapo qui le conduit à la prison de la ville. Le 27 juin, avec d’autres détenus emmenés à bord de deux cars Citroën, il arrive devant le camp de Royallieu vers 16 h 30 : « À l’arrivée face au camp, nos gardiens nous font descendre. Alignement sur la route, comptages et recomptages. En rangs par trois nous passons les barbelés… À 19 heures, environ 400 prisonniers en provenance de la région parisienne entrent en chantant L’Internationale… Le lendemain 28 juin, réveil à 7 heures : contrôle d’identité, toise, matricule. J’ai le numéro 556. Pour notre groupe de la Meuse, cela va de 542 à 564. Ceux de la région parisienne, bien qu’arrivés après nous, sont immatriculés avant… »
Henri Rollin : « Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention “communiste”, soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 383 et 415.
- Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (AD 35), site internet du conseil général, archives en ligne ; état civil de Feins, registre des naissances de l’année 1892 (10 NUM 35110 492), acte n°8 (vue 3/6) ; registre des matricules militaires, bureau de Rennes, classe 1912, vol. 5, matricules de 2001 à 2500 (1 R 2115), matricule 2456 (vue 865/950).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1585-57798).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 889 (24322/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 25-06-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Adrien ORSAL – (45938 ?)

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IDENTIFICATION INCERTAINE…
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942. 
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 
Oświęcim, Pologne. 
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Adrien, Jean, René, Orsal naît le 27 mai 1904 à Paris 11e (75), fils de Pierre, Jean, Orsal et de Marie, Jeanne, Rosalie, Coulet, son épouse.

Adrien Orsal est célibataire. Une fiche de police le déclare « infirme » (?) ; de la classe 1924, il a été exempté de service militaire.

Il travaille comme garçon de café (« restaurateur ») dans le restaurant tenu par son père au 119, rue Saint-Maur à Paris 11e. C’est également à cette adresse qu’il est domicilié, ayant une chambre chez ses parents.

Il adhère au Parti communiste en 1935 et y appartient jusqu’à sa dissolution. Selon la police, c’est un « militant communiste notoire », membre des Amis de l’U.R.S.S. et d’autres organisations proches du PCF.

À partir de mars 1939, Adrien Orsal passe régulièrement la nuit chez son amie Suzanne C., 31 ans, divorcée, cartonnière, domiciliée au 1, passage de la Fonderie à Paris 11e.

Il reste actif au sein du PCF clandestin après l’interdiction de celui-ci en septembre 1939.

En novembre 1940, le commissaire André Baillet, de la Brigade spéciale 1 des renseignements généraux, charge trois inspecteurs de son service « de procéder à une enquête en vue d’identifier et d’appréhender les auteurs de la propagande communiste clandestine s’exerçant dans certains arrondissements de la rive droite et plus particulièrement dans le 11e » arrondissement. « Une série d’enquêtes et de surveillances

[amènent ceux-ci] à soupçonner le nommé Orsal d’en être un des auteurs ».

Le 23 novembre 1940, « de jour », les inspecteurs viennent l’arrêter au domicile de son amie, passage de la Fonderie. Au moment où il est appréhendé, Adrien Orsal est « trouvé porteur d’un tract intitulé “Pour la défense de la science française, contre la mise au pas de l’Université” », « ainsi que d’une lettre à lui adressée par l’ex-député communiste Nozeray, détenu à la Santé ». Avant que le logement de son amie soit perquisitionné, il remet « spontanément » aux policiers un rouleau déposé sur la table de nuit et comprenant quatre exemplaires de L’Humanité, trois exemplaires de La Voix de Paris, et deux tracts intitulés Lettre à un travailleur socialiste, imprimés ou ronéotypés, ainsi qu’une serviette contenant du papier pour machine à écrire et du papier carbone. Appréhendée avec lui et interrogée, son amie déclare qu’elle avait elle-même demandé ce papier « pour permettre à [sa] nièce, âgée de 10 ans, de s’amuser », alors que lui-même dit s’en servir « pour faire [ses] comptes ou diverses écritures ». Dans sa chambre, chez ses parents, seront également trouvés et saisis deux exemplaires de L’Humanité datée du 30 septembre 1940, un certain nombre de brochures (Histoire du Parti communiste et Agenda de L’Humanité), des notes et des convocations anciennes du PCF, du papier blanc et une plaque circulaire en tôle permettant de dessiner des lettres (pochoirs ?).

Le lendemain, Adrien Orsal et Suzanne C. sont tous deux inculpés d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 et conduits au dépôt de la préfecture de police, à disposition du procureur de la République.

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Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. 
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée. 
(montage photographique)

Deux jours plus tard, le 25 novembre, ils comparaissent devant la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine qui condamne Adrien Orsal à six mois d’emprisonnement. Il est écroué à la Maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne).

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La maison d’arrêt de Fresnes après guerre. 
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

À l’expiration de sa peine, il n’est pas libéré. Le 8 avril 1941, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif.

Le 21 avril, Adrien Orsal fait partie d’un groupe d’internés transférés (depuis le dépôt ?) au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Val-d’Oise – 95), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

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Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930. 
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments. 
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 24 juin, Adrien Orsal fait partie d’une trentaine de « meneurs indésirables » écroués à la Maison d’arrêt de Rambouillet (Yvelines – 78), à la suite d’ « actes d’indiscipline » collectifs.

Le 27 septembre, il est parmi les 23 internés administratifs de la Seine transférés de Rambouillet au “centre d’internement administratif” (CIA) de Gaillon (Eure – 27), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle, puis en caserne. Adrien Orsal est assigné au bâtiment F, 2e étage, chambre 4, lit 46.

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Le camp de Gaillon, ancien château de l’évêque de Rouen. 
Carte postale d’après-guerre. Collection Mémoire Vive.

Le 5 mars 1942, Adrien Orsal fait partie des seize internés administratifs de Gaillon (dont neuf futurs “45000”) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits en autocar au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 –Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne – sur la commune de Margny – et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Adrien Orsal est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45938, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule a été retrouvée, mais n’a pu être identifiée à ce jour).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire – au cours duquel Adrien Orsal se déclare sans religion (Glaubenslos) -, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Adrien Orsal.

Il meurt à Auschwitz le 27 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp.

La mention Mort pour la France est inscrite sur les registres d’état civil.

Adrien Orsal est homologué comme “Déporté politique”.

Après la guerre, son père demeure à la Souque, sur la commune de Nayrac (Aveyron).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 381 et 419. 
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : BAVCC (fichier central) – Actes d’état civil de la Mairie du 11e – Liste partielle du convoi établie par le Musée d’Auschwitz. 
- Archives de la préfecture de police (Paris) site du Pré-Saint-Gervais ; cartons “Occupation allemande” BA 2374 (camps d’internement…) ; dossiers de la BS1 (GB 52), n° 39, « Affaire Orsal  et C. », 24-11-1940. 
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cote 1W76. 
- Archives départementales de l’Eure, Évreux, camp de Gaillon, recherches de Ginette Petiot (messages 08-2012). 
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 889 (37600/1942). 
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier d’Adrien Orsal, cote n° 21 P 521 847, recherches de Ginette Petiot (message 09-2012).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 10-12-2014)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

 

Eugène OMPHALIUS – (45937 ?)

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IDENTIFICATION INCERTAINE…
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Eugène, Paul, Louis, Omphalius naît le 6 janvier 1921 à Rosny-sous-Bois 

[1] (Seine-Saint-Denis – 93), fils d’Auguste Omphalius et de Marie Platrier, son épouse La famille compte sept enfants, dont un frère plus âgé, Henri.

Leur père décède en 1929. Pendant un temps (notamment en 1941), leur mère confectionne des matelas « pour les particuliers ».

Jusqu’à son arrestation, Eugène Omphalius est domicilié chez sa mère au 17, rue des Quinconces à Rosny-sous-Bois. Il est célibataire (il a dix-neuf ans…).

Eugène Omphalius travaille comme manœuvre (plâtrier).

Adhérent du PCF, il milite à la section de Rosny-sous-Bois. Par ailleurs, il est trésorier-adjoint du club Rosny Sportif Ouvrier.

Après la dissolution du PCF, il reste actif dans la clandestinité.

Après la défaite de mai-juin 1940, un de ses frères est prisonnier de guerre en Allemagne.

Le 1er août 1940, Eugène Omphalius  est arrêté par les services de la préfecture de police à la suite d’une distribution de tracts (L’Avant-Garde, journal des JC), avec René Beaulieu, Faustin (dit Gaston) Jouy et probablement Albert Rossé.

Inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (interdiction des organisations communistes et de leur propagande), il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e.

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Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)

Le 8 février 1941, lors d’une audience au cours de laquelle sont jugés 48 militants et militantes communistes (dit « procès des cinquante »), dont dix-sept futurs “45000”, la chambre des mineurs (15e) du tribunal correctionnel de la Seine condamne Eugène Omphalius à six mois d’emprisonnement. Comme les autres condamnés, il fait appel de la sentence le 26 février. Bien que sa peine soit couverte par la détention préventive effectuée, il n’est pas libéré : dès le lendemain, – sur instruction des Renseignements généraux qui le considèrent comme un « meneur communiste très actif » – le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939.

Le 27 février suivant, il fait partie des douze internés administratifs de la Santé, mêlés à d’autres (pris au dépôt de la préfecture ?) pour constituer un groupe de 48 détenus – dont Guy Môquet, Maurice Ténine et seize futurs “45000” – transférés à la Maison centrale de Clairvaux (Aube – 10) où ils en rejoignent d’autres : 187 détenus politiques s’y trouvent alors rassemblés.

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Clairvaux. La Maison centrale. Carte postale. Collection M. Vive.

Le 31 mars, avec Robert Massiquat, Francis Née, Albert Rosse et Thomas Sanchez, Eugène Omphalius est parmi les sept internés de Clairvaux conduits à la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e, en préalable à leur passage devant la cour d’Appel. Le 9 avril, celle-ci confirme sa peine. Il est prévu qu’il soit ramené à Clairvaux, mais le quartier de la centrale utilisé comme centre d’internement étant « complet » il reste interné à la Santé, 14e division, cellule 6 ter.

Le 17 mai, Marie Omphalius, sa mère, fait écrire au directeur de la police judiciaire pour solliciter sa libération, indiquant qu’il aura immédiatement du travail à la « société téléphérique » – peut-être une entreprise de travaux publics -, où son frère aîné, Henri, est chef d’équipe.

Le 18 mai, Eugène écrit au préfet de police pour « décrire la situation arbitraire » dans laquelle il se trouve à la Santé, « interné administratif politique subissant le même régime que les détenus de droit commun ».

Le 30 mai, Madame Omphalius fait écrire autre une lettre destinée au préfet de police pour solliciter sa libération, précisant qu’elle a encore trois enfants à charge, dont son fils prisonnier de guerre. Le 18 juin, le chef du 1er bureau de la préfecture écrit au commissaire de police de la circonscription de Noisy-le-Sec pour lui demander de « faire connaître à Mme Vve Omphalius […] que cette mesure ne peut être envisagée dans les circonstances actuelles ». Après qu’allé ait été convoquée au commissariat, mention est portée sur ce courrier qu’elle a « reçu avis le 24-6-1941 – ne sait pas signer ».

En juin, Eugène Omphalius envoie une nouvelle demande de libération qui parvient aux services de François de Brinon, à la Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés. À cette date, il été réintégré à Clairvaux.

En septembre 1941, Eugène Omphalius fait partie d’un groupe d’internés transférés au “centre d’internement administratif” (CIA) de Gaillon (Eure – 27), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle. Il est assigné au bâtiment F (aile Est du pavillon Colbert [2]), 1er étage, chambre 1, lit 33.

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Le camp de Gaillon, ancien château de l’évêque de Rouen.
Carte postale d’après-guerre. Collection Mémoire Vive.

Selon une note de la police (RG ?) datée du 18 février 1942, le nom d’Omphalius est inscrit (orthographié « Omphalins ») sur une liste de 43 « militants particulièrement convaincus, susceptibles de jouer un rôle important dans l’éventualité d’un mouvement insurrectionnel et pour lesquels le Parti semble décidé à tout mettre en œuvre afin de faciliter leur évasion », et qui sont pour la plupart internés au camp de Gaillon.

Le 4 mai 1942, Eugène Omphalius fait partie d’un groupe de détenus transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir – 28). Enregistré sous le matricule n° 308, il n’y reste que deux semaines.

Le 20 mai, il est parmi les 28 internés que viennent chercher des gendarmes français. Pensant qu’on les emmène pour être fusillés, les partants chantent La Marseillaise. En fait, remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci, ils sont conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Eugène Omphalius y retrouve ses trois camarades et Édouard Beaulieu, le père de René, arrêté le 5 octobre 1940.

Entre fin avril et fin juin 1942, Eugène Omphalius est sélectionné – avec cinq autres Rosnéens – parmi plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Eugène Omphalius est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45937, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule a été retrouvée, mais n’a pu être identifiée à ce jour).

Il meurt à Auschwitz le 26 août 1942, selon les registres du camp. Il a 21 ans.

En mai 1954, sa mère reçoit sa carte d’interné politique (n° 11011 0457).

Son nom n’est pas inscrit sur le Monument aux morts de Rosny-sous-Bois.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 386 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 39.
- Archives départementale de Paris, archives judiciaires, registre du greffe du tribunal correctionnel de la Seine, 14 janvier-12 février 1941.
- Archives départementales de l’Eure, Évreux, camp de Gaillon, recherches de Ginette Petiot (message 08-2012).
- Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
- Archives de la préfecture de police, Paris/Le-Pré-Saint-Gervais ; cartons “Occupation allemande” : camps d’internement… (BA 2373 et 2374), liste des internés communistes 1939-1941 (BA 2397) ; cabinet du préfet, dossiers individuels (1w0748), n° 27116.
- Archives départementales de l’Eure, Évreux, camp de Gaillon, recherches de Ginette Petiot (messages 08-2012).
- Témoignage de Dominique Ghelfi (daté 1946), Contre l’oubli, brochure éditée par la mairie de Villejuif en février 1996, page 61. D. Ghelfi, n’ayant pas été sélectionné pour le convoi du 6 juillet, a assisté au départ de ses camarades. Lui-même a été déporté à Buchenwald en janvier 1944 (rescapé).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 884 (25327/1942).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier d’Eugène Omphalius (n° 21 P 521 637), recherches de Ginette Petiot (message 09-2012) ; liste des internés administratifs de Clairvaux établie en janvier 1945 (message 11-2014).
- Site Mémorial GenWeb, Rosny-sous-Bois, relevé de Christiane Level-Debray (02/2004).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 3-11-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Rosny-sous-Bois : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Château de Gaillon. Le pavillon Colbert, sur la terrasse du jardin haut, a été dessiné par Jules-Hardoin Mansard vers 1700 pour l’archevêque Jacques-Nicolas Colbert, second fils du ministre de Louis XIV.

Antoine OMNÈS – 45936

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942. 
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 
Oświęcim, Pologne. 
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Antoine, Jean-Baptiste Omnès naît le 15 juillet 1913 au Havre (Seine-Maritime [1] – 76).

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 55, rue du Général-Faidherbe, au Havre. Il est navigateur.

En février 1942, pris en otage après l’attentat de la place de l’Arsenal [2] En représailles, il y aura de nombreuses arrestations d’otages et vingt seront fusillés le 31 mars suivant [3].

Antoine Omnès passe « trois ou quatre mois en cellule » dans la prison de Rouen, peut-être à la prisonBonne Nouvelle, avant son transfert au camp allemand de Royallieu à Compiègne [4] (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Antoine Omnès est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Antoine Omnès est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45936 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée). Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartisdans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Il est inscrit au Revier [5] d’Auschwitz en septembre 1942 ; il en sortirait le 17 septembre.

Il meurt à Auschwitz le 4 novembre 1942, d’après les registres du camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 376 et 415. 
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie, réalisée à Rouen en 2000, citant : Archives municipales du Havre (Madame S. Barot, Conservateur, 18/11/1993) – Bulletin de naissance – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen. 
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 884 (38795/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-06-2008)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] L’action de la place de l’Arsenal et la rafle de février 1942 : « Le 23 février 1942, place de l’Arsenal au Havre, les jeunes des premiers “Bataillons de la Jeunesse” incorporés dans l’O.S., attaquent à la grenade un détachement de l’armée allemande. L’O.S. est l’ Organisation Spéciale qui à partir de septembre 1940 est la structure militante chargée de la protection des colleurs d’affiches et des distributeurs de tracts, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée. Il y a là Michel Muzard, Jean Hascouet et le groupe “Léon Lioust”. C’est une des premières attaques d’un détachement de l’armée allemande dans la France occupée. » Albert Ouzoulias,Les bataillons de la Jeunesse, Éditions Sociales, Paris 1967, p. 201, 202. Claude-Paul Couture désigne comme auteur de l’attentat « le groupe Chatel de la 2e Cie FTP », En Seine-Maritime de 1939 à 1945, CRDP de Rouen, 1986, p. 15.

[3] AVIS

De nouveau, un attentat a été commis au Havre contre l’armée allemande et cela contre une colonne en route.

Jusqu’à présent, le coupable n’a pas été découvert.

Si, dans un délai de douze jours, c’est-à-dire jusqu’au 6 mars 1942 à midi, le coupable n’est pas retrouvé, trente communistes et juifs, parmi lesquels le coupable doit être recherché, seront fusillés sur l’ordre du Militaerbefehlshaber in Frankreich.

Pour éviter cette sanction, la population est invitée à coopérer de toutes ses forces à la recherche et à l’arrestation du coupable.

Der Chef des Militaerbefehlshaber in Frankreich Von der Lippe, Generalleutnant Journal de Rouen du 25 février 1942.

AVIS

Le 23 février 1942, au Havre, on a jeté un engin explosif sur une colonne de route de la Kriegsmarine. Deux soldats allemands ont été blessés. Jusqu’à aujourd’hui, malgré ma demande à la population havraise, les auteurs de cette attaque si lâche sont restés inconnus.

En suite, le vom Frankreich a ordonné, comme je l’ai menacé l’autre jour, la fusillade de communistes et juifs – dont appartiennent les malfaiteurs – pour expier cette nouvelle attaque.

La fusillade a été exécutée aujourd’hui.

Saint-Germain-en-Laye, le 31 mars 1942 Der Chef des Militaerverwaltung Bezirkes A. Gez : Von der Lippe, Generalleutnant Journal de Rouen des 4 et 5 avril 1942.


[4] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine-Saint-Denis – 93).

[5] Revier, selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemandHäftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.

 

François OLIVO – 45935

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

François Olivo naît le 14 novembre 1899 à Guern (Morbihan), “au bourg”, fils de Joseph Olivo, 61 ans (sic), journalier, et d’Anne Le Pennec, 30 ans.

À une date restant à préciser, il rejoint la région parisienne, s’installant au 59 rue de Saint-Denis à Bobigny (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), et travaillant comme manœuvre.

Le 23 avril 1918, il est mobilisé au 118e régiment d’infanterie comme soldat de 2e classe. Le 28 août suivant, il rejoint le 116e R.I. “aux armées”.

Le 14 décembre 1918 – certainement lors d’une permission -, François Olivo se marie à Bobigny avec Henriette Turpin, née le 20 février 1900 à Saizy (Nièvre).

Le 9 mai 1919, il est affecté à la 9e compagnie. Le 26 juillet, il passe au 2e régiment de chasseurs. Il participe à l’occupation des Pays Rhénans.

En 1920, à Stains (93), naît sa fille Simonne (?).

Le 25 mars 1921, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite et se retire au 159 route de Bobigny à Saint-Denis (93).

Le 4 mai suivant, il est rappelé à l’activité militaire. Cinq jours plus tard, il passe au 18e régiment de dragons. Le 3 juin, il est réaffecté au 2e régiment de chasseurs. Quatre jours plus tard, il est de nouveau renvoyé dans ses foyers.

Fin mars 1921 (?), il habite à Orsonville (Seine-et-Oise / Yvelines – 78) à la pointe sud du département. Lors du recensement, Henriette Taupin habite rue d’Aunay (31) et travaille comme journalière chez Charles Pitbois, patron cultivateur. Leur fils Roger Lucien François y naît le 14 décembre de cette année.

François Olivo travaille alors comme maraîcher.

Le 16 mars 1923, il est embauché par la Compagnie de chemin de fer de Paris à Orléans (P.O. – Chemins de fer d’Orléans et du Midi) qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938

[1].

En avril suivant, il habite à Chalo-Saint-Mars (Seine-et-Oise / Essonne), limitrophe d’Étampes. Sa fille René y naît en 1924, et son fils René en 1926. Cette année-là, François est « agent de la voie », Henriette est nourrice, et le foyer accueille deux nourrissons parisiens.

En septembre 1927, il habite à Ablis-Paray (78).

Début mai 1931 et jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée à Boinville-le-Gaillard, commune voisine (78).

François Olivo est alors cantonnier à la gare SNCF de Paray-Douaville (78), secteur d’Ablis-Paray.

Paray-Douaville, la gare. Carte postale, première moitié du 20e siècle. Collection Mémoire vive.

Paray-Douaville, la gare.
Carte postale, première moitié du 20e siècle. Collection Mémoire vive.

Communiste, il continue « de défendre les droits des agriculteurs », indique son fils.

Au cours de la “drôle de guerre”, François Olivo est arrêté pour « distribution de tracts d’origine étrangère ».Le 13 septembre 1939, il est révoqué de son emploi, selon une note ultérieure de la SNCF.

Un tribunal militaire le condamne à six mois d’emprisonnement.

Le 22 février 1940, il est en détention à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne).

Le 31 janvier 1940, François Olivo a été définitivement révoqué de son emploi à la SNCF par arrêté ministériel pour « menées antinationales depuis le début de la guerre » [sic].

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le 22 juin 1941, il est à arrêté par la police allemande [2] à Orsonville et interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), Frontstalag 122 – Polizeihaftlager. François Olivo y est enregistré sous le matricule n° 1342.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, François Olivo est enregistré à Auschwitz, peut-être sous le numéro 45935, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté François Olivo.

Il meurt Auschwitz le 19 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [3]).

Il est déclaré “Mort pour la France” (11/8/1950). Son nom figure sur le Monument aux Morts de Boinville-le-Gaillard. Une plaque a été apposée dans la gare de Paray-Douaville.

Henriette Olivo décède le 7 décembre 1959 à Boinville-le-Gaillard.

Notes :

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, administré par la Wehrmacht et réservé à la détention des « ennemis actifs du Reich ». Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à liquider des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 378 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et les “31000” de Bretagne (22-29-35-44), 2002, citant : Acte de mariage – Bureau des archives du monde combattant : fichier national des déplacés de la Seconde guerre mondiale.
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, dossier individuel comme communiste du département, liste de révoqués de la SNCF datée du 13 février 1942 (1W144).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 : relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrit, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 882 (31738/1942).
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 1107-1108.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 6-11-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Aimé OBOEUF – 45934

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Aimé, Florival, Robert, Obœuf, naît le 16 avril 1912 à Burbure, à l’ouest de Béthune (Pas-de-Calais), fils de Florival Obœuf, 32 ans, alors mineur de fond (houilleur à la Compagnie des mines de Marles), et de Jeanne Danel, 23 ans, son épouse, dans une famille de huit enfants, parmi lesquels Marguerite, née le 27 mai 1908, Albert, né 1910, tous deux à Burbure.

Burbure, entrée du village par la rue de Pernes. Carte postale des années 1900. Collection Mémoire Vive.

Burbure, entrée du village par la rue de Pernes.
Carte postale des années 1900. Collection Mémoire Vive.

En 1914-1918, le Front est proche de leur domicile : son père est mobilisé, la famille dort dans la cave. Aimé voit arriver et repartir les soldats venant de divers pays de l’empire britannique. Puis la famille est évacuée à Morlaix (Côtes-du-Nord / Côtes-d’Armor) et y reste pendant quatre ans. Après avoir combattu à Verdun, gazé, souffrant de névralgies à l’épaule, son père est démobilisé et vient les rejoindre à Morlaix où il est affecté dans une usine de munitions. Une autre enfant Jeannine, naît le 16 juin 1920 à Morlaix.

Puis la famille rentre dans le Pas-de-Calais. Le père retourne à la mine. Il est délégué des mineurs et organise des réunions syndicales. Il est également conseiller municipal à (?), aux côtés d’un militant communiste.

À treize ans, Aimé Obœuf descend à son tour travailler au fond de la mine ; pendant cinq ans. Au contact de mineurs polonais, il apprend des rudiments de leur langue… qui lui serviront plus tard.

Son père devient commerçant sur les marchés et, avec sa femme, vend d’abord des chemises, des casquettes, des chapeaux. Puis ils se lancent dans la vente de cacahuètes qu’ils font griller dans un four à pain.

Au moment de la crise de 1929, la mère de famille décide que ses enfants n’iront plus à la mine. Ils s’installent à Fontenay-sous-Bois 

[1] (Seine / Val-de-Marne – 94), puis à Vincennes [1].

En 1932, Aimé Obœuf est appelé au service militaire. Dans son unité, avec un camarade de Beauvais, il monte une section clandestine du Mouvement de la Paix : il est déjà catalogué comme “rouge”.

Démobilisé en 1934, il se marie en décembre avec Hélène Liska, née le 25 janvier 1915 à Budapest (Hongrie). Ils ont un fils, Aimé, né le 8 mars 1936 à Paris 14e.

Au recensement de 1936 et jusqu’à son arrestation, Aimé Obœuf est domicilié au 79, rue Defrance à Vincennes.

En 1935, il se rend avec son frère à une réunion du Parti communiste auquel il adhère. Dès lors, il participe pleinement et pour longtemps à l’action militante : il est désigné un temps comme « champion de France des vendeurs de L’Humanité ».

En 1936, il se déclare comme chef manœuvre à l’entreprise Grenelle (à ?) Charenton-le-Pont (94).

Dans la période 1936-1937, il participe à l’organisation d’une grève de sept mois dans l’entreprise où il travaille, mettant au point une « brigade de motos » allant à la recherche de soutien alimentaire sur les marchés. Dans son entreprise, les négociations pour la reprise du travail, dans laquelle intervient un ministre, se soldent par une importante majoration des salaires. Mais Aimé Obœuf est licencié en tant que délégué syndical.

Il travaille alors dans un restaurant dont la patronne lui donne les restes de repas afin qu’il les emporte à la maison.

Au moment de la guerre d’Espagne, il se porte volontaire lors d’une réunion de cellule du PCF, mais sa proposition est rejetée ; probablement parce qu’il est considéré comme un bon collecteur de la solidarité et plus utile à ce poste.

En 1938, il est mobilisé comme réserviste, probablement lors des tensions bellicistes qui précèdent les accords de Munich. Mais il se blesse (trois doigts écrasés) et rentre spontanément dans ses foyers après avoir prévenu les gendarmes ; il ne sera pas poursuivi.

Sur la liste électorale de Vincennes en 1939, il se déclare comme verrier. Au moment de son arrestation, il est déclaré comme commis de chai.

En 1940, il est de nouveau mobilisé, à Sedan, dans l’artillerie. En février 1940, sa sœur Marguerite, mariée avec Marceau Garel, alors mobilisé, habite peut-être chez lui. Aimé Obœuf reste prudent sur le plan de l’action et de l’expression politique. D’autant que, le 21 février, une perquisition – infructueuse – est menée par les services du commissariat de la circonscription de Vincennes chez ses parents, alors domiciliés au 124, avenue de la République à Fontenay-sous-Bois, à la recherche de propagande communiste. Lors de la débâcle, son cheval est tué à Épernay et il continue la route à vélo jusqu’à Castres (1400 km parcourus). Alors brigadier, il est chargé de garder le pont de la ville. Après avoir craint d’être envoyé au Moyen-Orient selon des rumeurs, il est finalement démobilisé le 30 août 1940 et remonte sur Paris.

Dès le 6 septembre, il entre dans un groupe clandestin de trois militants, avec Marcel (?) d’origine italienne, né à Saint-Dié, fusillé pendant l’occupation après s’être évadé d’un wagon (?), et Merlin (ou Mayer), qu’il soupçonne d’avoir été ensuite un dénonciateur. Dans cette période, Aimé Obœuf colle des affiches, distribue des tracts, notamment L’Appel du 10 juillet, signé Jacques Duclos et Maurice Thorez. Il commence des actions de sabotage en crevant de pneus. Puis il est rapidement désigné pour passer à l’Organisation spéciale. Après avoir pris contact avec un responsable appelé “Léon” au marché aux puces de Montreuil, il rencontre ses contacts au canal Saint-Martin. Il ne revient plus chez lui que de temps en temps.

Dans cette période, il surveille et file Charles Delval, élu conseiller général communiste du canton Charenton-Alfortville les 26 mai et 2 juin 1935. Charles Delval, en désaccord avec le pacte germano-soviétique, a non seulement rompu publiquement avec le parti communiste le 11 novembre 1939, mais il a rejoint le Parti ouvrier et paysan français (POPF) – collaborationniste – de Marcel Gitton et Marcel Capron, au sein duquel il est membre du comité central au printemps 1942. Aimé Obœuf témoigne qu’il est chargé de l’abattre, ainsi qu’un autre homme. Mais, étant lui-même surveillé par la police française qui le considère comme un « membre très agissant de l’ex-Parti communiste, irréductible dans ses convictions », il est arrêté avant d’avoir pu mener cette action…

Le 28 avril 1942, à 7 heures du matin, Aimé Oboeuf est arrêté à son domicile par un soldat allemand accompagné d’un gardien de la paix, lors d’une grande rafle visant des militants communistes de la région parisienne, avec Luc (?), postier à Vincennes qui écrivait dans La Voix de l’Est sous le pseudonyme de Latude (un temps président de la FNDIRP du 20e après la Libération ?). Les deux hommes sont conduits à la mairie du 20e arrondissement, centre de regroupement où ils sont rapidement interrogés, puis, avec d’autres victimes de la vague d’arrestations, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où Aimé Obœuf est enregistré le lendemain. Là, il est l’objet d’une mise à l’écart qui l’exclut des groupes de solidarité. Il interroge le responsable de ceux-ci – Roger Bonnifet, de Déville-lès-Rouen – sur cette situation, mais n’obtient aucune explication.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin, Aimé Oboeuf est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Aimé Obœuf est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45934 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Partageant un mégot de cigarette avec deux autres détenus, Aimé Obœuf est repéré par le chef de Block qui lui administre aussitôt 15 coups de bâton sur les fesses ; il pense avoir été le premier puni de cette manière.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. Aimé Obœuf transporte notamment des sacs de ciment venant de Belgique avec David Badache, lequel entend des kapos polonais envisager de se débarrasser des Français : « Un par jour. » L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Aimé Obœuf est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Affecté au Kommando Schtumbau (?), Aimé Obœuf monte des miradors à Birkenau. Son Kapo est un antifasciste allemand qui le protège. Depuis ce poste, il est témoin de l’arrivée des détenus sélectionnés qui sont amenés, nus, dans des camions jusqu’à une des deux premières chambres à gaz (Bunker I ou II) et de leur incinération sur des troncs d’arbres dans des fosses.`

Ensuite (?) assigné au Block 5, il est affecté dans le même Kommando (Terrasse ?) que David Badache, Henri Migdal, Roland Pannetrat, Léon Thibert et Marius Zanzi. Il est également en contact avec André Lanvert, de Paris 11e, également arrêté le 28 avril. Celui-ci échange régulièrement sa ration de pain contre des cigarettes : il ne survivra pas.

Aimé Obœuf contracte successivement le typhus, la tuberculose et la malaria : au Revier, il aperçoit les deux frères Colin (Lucien et Marcel).

Il ne travaille que huit jours au Koenigsgraben. Au Schlaufarbeit (?), il rencontre Henri Marti qui y est puni.

Le 27 janvier 1943, depuis le bord de la route où il travaille, il assiste – interloqué – à l’arrivée des “31000” qui entrent à Birkenau en chantant La Marseillaise. Ce n’est que bien plus tard qu’il saura qui elles sont…

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

En juillet, comme les autres détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”), il est autorisé à écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis. On ne sait pas si cette autorisation lui est parvenue et s’il a pu écrire.

À la mi-août, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) à Auschwitz-I, au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Ils sont exemptés de travail et d’appel extérieur.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Mais Aimé Obœuf témoigne s’être alors porté volontaire pour transporter à dos d’hommes des vivres destinés à un sanatorium pour soldats allemands situé dans les montagnes proches (« Les Karpates ») ; il y recevait un supplément de nourriture. C’est dans cette période que « Thomas le tatoueur » (Jean Thomas, de Boulogne-Billancourt) lui dessine sur le bras un panier fleuri et enrubanné entourant son matricule – comme à lui-même et à Georges Gaudray, de La Courneuve.

Au Block 11, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11 : ils entendent et comptent les détonations, ils constatent les traces de sang dans la cour quand ils sont autorisés à s’y rendre.

Un jour où les gardiens SS les y conduisent “pour faire du sport” – c’est-à-dire ramper, marcher à genoux, courir, ramper à nouveau – et pour montrer qu’ils ne sont pas vaincus, bien qu’épuisés, ils se mettent à chanter « Ça sent si bon la France. »

De l’autre côté, au premier étage du Block 10, sont assignées, à partir d’avril 1943, 242 femmes juives belges et grecques de 14 à 40 ans (jusqu’à 400 en décembre) sur lesquelles plusieurs professeurs nazis se livrent – à la demande d’Himmler – à diverses expériences de stérilisation : le renommé gynécologue Carl Clauberg y pratique notamment des injections de substances chimiques toxiques dans l’utérus de ces “cobayes”. Les fenêtres du bâtiment donnant sur la cour commune sont aveuglées par des planches. Mais, par une ouverture qu’elles rebouchent soigneusement, les détenues peuvent voir ce qui s’y passe.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues –
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Certains “45000” sont désignés pour apporter le pain et les bouteillons de soupe dans ce Block voisin du leur. Quand la surveillance des gardiennes est relâchée, ils enfreignent l’interdit et entrent en contact avec les détenues, s’efforçant de leur venir en aide. C’est ainsi qu’Aimé Obœuf fait la connaissance de Génia Goldgicht, 19 ans, née le 10 décembre 1923 à Varsovie (Pologne), de nationalité belge par naturalisation, arrêtée sur dénonciation pour diffusion de journaux clandestins.

Le 19 avril 1943, Génia a été déportée depuis le camp de Malines (Belgique) avec sa mère, Marjem Kac, 38 ans, précédemment arrêtée comme juive et qu’elle a choisi de rejoindre. Le 22 avril, dès leur descente du convoi, toutes deux ont été sélectionnées au sein d’un groupe femmes belges dirigées vers le Block des expériences (lesquelles n’ont pas encore commencé).

Le père de Génia, Jacques Goldgicht, ancien responsable du Secours Rouge dénoncé comme résistant, avait été condamné le 4 mars 1942 par un tribunal militaire allemand en Belgique à un an et trois mois de travaux forcés, effectués dans la prison de Remscheide-Lüttringhausen (Ruhr, Allemagne). Libéré le 3 juin 1943, il reviendra en Belgique, mais y sera arrêté comme Juif, et à son tour interné à Malines. Sa trace se perdra à Auschwitz où il sera déporté dans le convoi du 20 septembre 1943.

La mère de Génia subi avec sa fille les premières séances d’irradiation des ovaires réalisées par le docteur SS-Sturmbannführer Horst Schumann dans la station de stérilisation radiologique (Siemens) aménagée dans le Block 30 du secteur BIa de Birkenau, où elles sont escortées à pied. Cependant, Marjem Kac reste moins de trois mois au Block 10 d’Auschwitz-I, avant d’être définitivement envoyée à Birkenau où elle ne survit qu’une huitaine de jours.

Par l’intermédiaire d’un infirmier qui peut entrer et sortir du Block 10, Aimé Obœuf se risque à passer à Génia des messages sur de petits bouts de papier. Il trouve le moyen de lui envoyer des vieux bouts de laine récupérés sur les manches trop longues de pull-over en loques. Les femmes du block s’en servent pour tricoter (…) des chaussettes et des tricots qui s’échangent contre du pain, de la soupe ou des morceaux de savon.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine : Aimé Obœuf retourne au Kommando TWL, avec David Badache (et Jules Polosecki ?).
Lorsque Aimé quitte le Block 11, avec les autres Français, lui et Génia réussissent à maintenir leurs rencontres. Génia et ses compagnes doivent cueillir du plantain et des pissenlits dans des champs proches de l’entrepôt où travaille Aimé. Tout manque se terminer tragiquement le jour où un garde les surprend ensemble. Pour la première fois, ils s’embrassent. Quelques mois plus tôt, c’était à coup sûr la mort pour tous deux. (…) Aimé s’en tire avec vingt-cinq coups de bâton qui ne le rendent pas plus prudent. (…) Il revient la voir : « Tu verras, on s’en sortira. » Ils conviennent de s’écrire dès leur retour : poste restante, gare du Midi à Bruxelles, et rue du Louvre à Paris.
À la fin de l’été 1944, Aimé Obœuf est parmi les trente-six “45000” qui restent à Auschwitz, alors que les autres sont transférés vers d’autres camps.
Après avoir appris, par des détenues travaillant à la Politsche Abteilung, que son jeune frère Michel, 17 ans – pendant un temps réfugié chez des amis non-juifs – vient d’arriver à Auschwitz, Génia demande à Aimé que celui-ci soit mis sous la protection de la résistance clandestine du camp. Mais, en novembre, le jeune homme est transféré vers le KL Gross-Rosen, où il ne survivra pas.
Lors de l’évacuation du camp, le 18 janvier 1945, Aimé Obœuf est évacué dans une colonne, Génia dans une autre, dirigée sur le KL [2] Ravensbrück. Il espère pouvoir rejoindre la colonne où elle se trouve (pensant qu’ils pourront s’évader ensemble), mais cela est impossible. Il se retrouve dans un contingent de détenus évacués sur le KL Mauthausen, en Autriche annexée, faisant le trajet à pied puis en chemin de fer :« Dès la sortie du camp, nous voyons, des deux côtés de la route, les cadavres des déportés exécutés sur place (…). Nous avons marché plusieurs jours à pied jusqu’à la gare de Loslau, où nous avons embarqué sur des plates-formes à charbon, donc tout à fait découvertes. Nous sommes cent par wagon, il fait un froid intense. Impossible de bouger, de s’allonger ou de s’asseoir. Déjà, la longue marche depuis Auschwitz nous a épuisés. Dans le wagon, l’épuisement, le froid, la faim, la soif, le manque de place, déchaînent une véritable folie collective. Les morts sont nombreux. Je suis soutenu moralement par le grondement lointain de l’artillerie que je sais être celle de l’armée Soviétique. Je sens la fin de la guerre proche et rassemble tout ce qui me reste de courage pour tenir. Après un voyage dont le trajet était sans cesse modifié par les bombardements, les encombrements, l’affolement général, la fuite et l’évacuation de tout ce qui pouvait l’être des territoires de la Silésie et de la Haute-Silésie, nous sommes arrivés au camp de Mauthausen. À l’ouverture des plates-formes, il y avait bien plus de cadavres que de survivants. Le qualificatif de train de la mort peut malheureusement être étendu à tous les trains d’évacuation d’Auschwitz. » (lettre à Roger Arnould du 16 novembre 1971).
Le 28 ou 29 janvier, Aimé Obœuf est parmi les douze “45000” qui sont affectés au Kommando de Melk (usine souterraine de roulements à billes pour la firme Steyr).Le 15 ou 17 avril, le camp est évacué à marche forcée vers le Kommando d’Ebensee, province de Salzbourg, où d’autres usines souterraines sont en cours de creusement. Il s’y trouve notamment aux côtés d’Abel Buisson avec qui il pousse des chariots de terre. Épuisé, il recule devant le suicide, alors même qu’il est « parti aux barbelés ». À un autre moment, il occupe une fonction d’électricien.
Le 6 mai 1945, ce camp est parmi les derniers libérés, par l’armée américaine.
Presque aussitôt, Aimé Obœuf participe à une réunion de cellule du PCF, organisée par Jean Laffitte et les frères Pierre et Roger Gouffaut. Avec Abel Buisson, ils sont ramenés en camion militaire jusqu’à une ancienne caserne de SS à Nuremberg, puis rapatriés à Paris en wagons à bestiaux.
L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

De l’hôtel Lutétia, Aimé Obœuf rentre chez lui en métro.

Il divorce assez rapidement de son épouse.

Il reste un an sans pouvoir travailler, touchant une allocation de la Préfecture, puis est il est engagé au Ministère de la Reconstruction et du Logement, dirigé par le communiste Raymond Guyot, comme chauffeur de l’Inspecteur principal (?) des Finances qu’il conduit dans ses tournées en province. Dépisté porteur du bacille de la tuberculose – la direction départementale des Anciens combattants et victimes de guerre lui alloue une allocation provisoire pour un taux d’invalidité à 100 % -, il fait un séjour dans sanatorium de Seine-et-Oise… où il s’oppose politiquement au directeur, socialiste.

Licencié du Ministère de la Reconstruction pour compression de personnel (ou changement de direction…), il est engagé comme chauffeur à l’ambassade d’Union soviétique. Puis, un temps à la Banque pour l’Europe de l’Est.

Ensuite, il devient permanent au siège du Parti communiste (au 44, rue Lepelletier), comme garde du corps auprès d’André Marty, d’Auguste Lecoeur, puis de Jacques Duclos.

En 1947, il est opéré pour l’ablation d’un rein. Cette année-là, Génia revient à Paris pour la deuxième fois. L’année suivante, il l’épouse. Les irradiations stérilisantes du Docteur Clauberg ont été heureusement inefficaces en ce qui concerne Génia. Ils ont deux garçons : Michel, né à Paris 12e le 15 octobre 1947, et Daniel, né également à Paris, le 23 mai 1952.

Cette année-là (?), Aimé prend sa retraite professionnelle et s’installe à Brinon-sur-Beuvron (Nièvre – 58), mais reste très actif sur le plan politique : il y est candidat comme Conseiller général (quelle date ?).

En 1960, il est secrétaire départemental et membre du Comité national de la FNDIRP.

En 1966, la famille s’installe à Saint-Parize-le-Châtel, au sud de Nevers (58).

D’abord seulement homologué comme « Déporté politique”, Aimé Obœuf est finalement reconnu comme Déporté Résistant. Il reçoit la Médaille de la Résistance, la médaille de Combattant volontaire de la Résistance (CVR), la Médaille militaire qui donne droit à la Croix de Guerre, puis la Légion d’Honneur en 1987.

Aimé Obœuf décède au cours du 1er semestre 2004.

Génia Obœuf continue à militer pour la Mémoire au sein de la FNDIRP de la Nièvre, jusqu’à son décès le 27 mai 2021, à l’âge de 97 ans..

Notes :

[1] Fontenay-sous-Bois : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Aimé Obœuf, témoignage filmé par Gilbert Lazaroo, avec Claudine Ducastel, transcription de Renée Joly (4-10-1997).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 252-253, 359, 389 et 415.
- Questionnaire biographique de la FNDIRP (25 janvier 1975).
- Correspondance avec Roger Arnould (1971/1972).
- Roger Arnould, Les témoins de la nuit, volume de la collection L’enfer nazi éditions de la FNDIRP, 2e édition avril 1979, page 88 ; témoignage de Génia Obœuf.
- Ady Brille, Les techniciens de la mort, volume de la collection L’enfer nazi, éditions de la FNDIRP, Paris 1976, 4e partie, L’intelligence au service du crime, pages 263 et 264, témoignage de Génia Obœuf.
- Témoignage : Birkenau, les transferts (novembre 1971).
- Archives de la préfecture de police de Paris (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “occupation allemande”  (BA ?) ; registre des mains courantes du commissariat de la circonscription de Vincennes du 2-12-1939 au 23-9-1941 (C B 103 63, n° 153) ; dossier individuel du cabinet du préfet, constitué après guerre (1 W 1765-102988).
- Ville de Vincennes, Service Archives et Patrimoine ; recherches menées par Christine Kauffmann (02-2007).
- Georges Hauptmann et Maryvonne Braunschweig, Docteur Adélaïde Hautval dite “Haïdi”, 1906-1988, Des camps du Loiret à Auschwitz et à Ravensbrück, Résistante dans les camps, Juste parmi les Nations, Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah – Amicale d’Auschwitz, en partenariat avec l’Université de Strasbourg-Faculté de Médecine, Petit Cahier, 2e série, n° 25, décembre 2016 ; troisième partie, biographies des protagoniste, Génia Obœuf, témoin déportée, pages 131-140.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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