Lucien PELLETIER – 45961

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Lucien, Eugène, Pelletier naît le 19 septembre 1904 à Yvetot (Seine-Maritime 

[1] – 76), au domicile de ses parents, Georges Lucien Pelletier, 23 ans, domestique, et Marie Darnanville, 20 ans, tisserande, son épouse, domiciliés rue de Rétimare. Lucien a quatre frères et sœurs nés après lui : Georges Jules, né le 10 juillet 1906 à Yvetot, Marie Louise, née 7 janvier 1911, Madeleine, née le 9 mars 1912, André, né le 2 mars 1914, tous trois à Rocquefort (76).

Leur père décède à Rocquefort le 16 mai 1914, âgé de 35 ans.

Le 17 avril 1915 à Rocquefort, sa mère se remarie avec Hilaire Godefroy, exempté de service militaire, puis de mobilisation en novembre 1914. Ensemble, ils ont trois autres enfants : Yvonne, née le 17 octobre 1917, Jean, né le 11 juillet 1921, tous deux à Rocquefort, et Maurice, né en 1925 à Barentin (76).

Dès 1922, la famille est installée à Barentin, à 17 km au nord-ouest de Rouen. Depuis le 26 décembre de cette année, Lucien est “ouvrier spécialisé” (?) dans la filature de coton Badin (grand fournisseur d’emplois de la ville), comme son beau-père. En 1926, la famille habite rue du Coton (n° 36 ?).

Le 6 novembre 1926, à Barentin, Lucien Pelletier se marie avec Alice Delu, née le 1er décembre 1904 à Carville, lieu dit de Darnétal (76), elle aussi ouvrière à la filature Badin. Ils ont un enfant, né vers 1936 (?).

Barentin dans les années 1910. La filature (au second plan), la cité Badin (au dernier plan). Carte postale, collection Mémoire Vive.

Barentin dans les années 1910. La filature (au second plan), la cité Badin (au dernier plan).
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Lucien Pelletier adhère au Parti communiste « dans les années précédant la guerre ». Il est également membre de la CGT. Militant actif, il est candidat du PC à Barentin lors des élections municipales de 1932 et 1936.

Au moment de son arrestation, Lucien Pelletier est domicilié au 31, route de Villers  (ou 21, ancienne route de Villiers) à Barentin (un document mentionne le 15, rue du général-Sarrail).
Le 4 août 1941, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans un camp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens ». Parmi eux, Lucien et Alice Pelletier…

Arrêté le 21 octobre 1941, à son domicile, par des gendarmes français sur commission rogatoire du Préfet, lors de la grande rafle des adhérents communistes et syndicalistes de l’agglomération rouennaise [2], Lucien Pelletier est emprisonné à Rouen, puis transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), Frontstalag 122 – Polizeihaftlager, où il est assigné au bâtiment A4, chambre 12.

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le 14 avril 1942, Alice Pelletier écrit au préfet de Seine-Inférieure pour solliciter la libération de son mari, « étant estimé comme brave garçon et un homme courageux travaillant au coton sans aucun reproche de son patron ». Sa lettre est accompagnée d’un certificat du maire de Barentin : « Depuis la guerre, [Monsieur Pelletier] n’a jamais donné lieu à aucune remarque défavorable, tant du point vue conduite que moralité. » Le 30 avril, le préfet interroge le commissaire principal chef des Renseignements généraux à Rouen afin que celui-ci lui fasse connaître son « avis sur l’opportunité d’une intervention en sa faveur auprès des autorités allemandes ». Le 11 mai, le chef des R.G. de Rouen répond : « Les autorités locales de Barentin craignent toujours que Pelletier reprenne son ancienne activité et continue à militer clandestinement en faveur de son ex-parti au cas où une mesure de clémence serait prise en sa faveur. Dans ces conditions, j’estime qu’il ne paraît pas opportun, dans les circonstances actuelles, de faire une démarche en sa faveur auprès des autorités d’occupation. »

Entre fin avril et fin juin 1942, Lucien Pelletier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Lucien Pelletier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45961. Sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Lucien Pelletier.
Admis au Revier [3]. Il y meurt le 10 août 1942 d’après le registre d’appel journalier du camp (Stärkebuch) établi par l’administration SS ; un mois après l’arrivée de son convoi, le même jour que dix-neuf autres “45000”.

Lucien Pelletier est homologué comme “Déporté politique”.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 27-08-1996).

Son nom figure sur le monument aux Morts des deux guerres, et sur le Mémorial de l’église de Barentin.

Son nom est également parmi ceux des 218 militant.e.s inscrit.e.s sur plusieurs plaques apposées dans la cour du siège de la fédération du PCF, 33 place du Général-de-Gaulle à Rouen, avec un extrait d’un poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) : « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’espoir et le désespoir », et sous une statue en haut-relief dont l’auteur reste à préciser.

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

Une des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre, au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

Une des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre, au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste). Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. Tous les hommes appréhendés furent, en effet, remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. 44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.

(*) 150 selon “30 ans de luttes“, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.

[3] Revier : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient “révir”, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. » Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en Allemand Krakenbau (KB) ouHäftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.

Sources :

- Son nom (orthographié « BOLLELIER ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n° 3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 375 et 416.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : Claude-Paul Couture, ancien correspondant pour la Seine-M. du Comité d’Histoire de la 2° guerre mondiale (correspondance 8/4/1992) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Archives départementales de Seine-Maritime, site internet, archives en ligne : registre des naissances d’Yvetot, année 1904 (4E 17672), acte n° 102 (vue 54/86).
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946, individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Lh à Q (51 W 419), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) : registre d’appel avec liste des détenus décédés.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1439 (Stb. 2, 290-297), orthographié « Bolletier ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 18-08-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

François PELLETAN – 45959

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

François, René, Jean, Pelletan naît le 7 juillet 1911 à Pauillac (Gironde – 33), fils de Jean Pelletan, 26 ans, sans profession (?), et de Marie Louise (Lucienne) Hervé, 20 ans, alors domiciliés au lieu dit Mousset.

En décembre 1912, la famille est installée à Périssac (33).

En août 1914, rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale, le père est considéré comme mobilisé à son emploi du temps de paix : cantonnier à la Compagnie des chemins de fer de l’État.

En 1915, un autre enfant, Marc ou May ou Marie, naît dans ce village. Au premier trimestre 1921, la famille habite au lieu dit Frouin, toujours à Périssac.

En octobre 1925, à 14 ans, François Pelletan entre comme apprenti aux chemins de fer de l’État, réseau qui fusionnera avec différentes compagnies privées au sein de la SNCF début 1938

[1]. Trois ans plus tard, il est ajusteur, confirmé l’année suivante.

Il s’engage volontairement dans la Marine pour quatre ans.

Le 31 mai 1934, il reprend son emploi d’ajusteur-mécanicien à l’atelier des Quatre-Mares à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76).

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 35, rue du Pré (de la Bataille ?), à Rouen (76).

Il est marié avec Solange (Huguette) Foucault.

Le 17 septembre 1941, une distribution de tracts communistes est effectuée dans les ateliers SNCF des Quatre-Mares, sur le territoire de Saint-Étienne-du-Rouvray. Le commissaire de police de la circonscription de Sotteville n’en découvre pas immédiatement les auteurs. Cependant, il est invité par les autorités allemandes à assister à l’interrogatoire de plusieurs « suspects » arrêtés entre le 21 et le 27 octobre et détenus à la caserne Hatry de Rouen.

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Rouen. La caserne Hatry dans les années 1920. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

En collaboration avec les inspecteurs du commissaire spécial de Rouen, il est « établi » que les auteurs de la distribution de tracts sont Auguste Bérault, Gérard Marti et François Pelletan. Le commissaire de police de Sotteville arrête Bérault le 26 octobre, Marti et Pelletan le 28.Les deux hommes sont rapidement remis aux autorités allemandes à la demande de celles-ci. François Pelletan est désigné comme otage avec plusieurs de ses collègues (Henri Breton, André Poirier, Marius Vallée…) à la suite de l’attentat contre la librairie allemande de Rouen [3]. À une date restant à préciser, il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [4] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, François Pelletan est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandises d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandises
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, François Pelletan est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45959 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; François Pelletant se déclare comme mécanicien (Mechaniker). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, François Pelletan est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Pendant un temps, il est assigné au Block 4.

François Pelletan meurt à Auschwitz le 1er septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique « bronchopneumonie » pour cause certainement mensongère de sa mort.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 27-08-1996).

Son nom est inscrit sur le monument aux morts SNCF de l’atelier des Quatre-Mares à Sotteville-lès-Rouen.

Notes :

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.[2] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.[3] Selon Albert Ouzoulias : « Le 28 novembre (1941), Lefebvre (Marc), un jeune cheminot breton qui travaille à Sotteville, lance une bombe dans la vitrine de la librairie allemande de Rouen, rue Jeanne-d’Arc ; l’engin a été confectionné avec un bout de tube de chaudière de locomotive du dépôt de Sotteville. » in Les Bataillons de la Jeunesse, 1967, p. 200. … ce qui explique la désignation comme otages de militants arrêtés dans ce secteur (la date du 26 novembre est aussi donnée).[4] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 377 et 416.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie (2000), citant : Liste établie par Louis Eudier (45523), 2/1973 – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, page 1144
- Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
- Site du Groupe Archives Quatre-Mares (GAQM).
- Archives départementales de la Gironde, site internet, archives en ligne : état civil, registre des naissance de Pauillac 1911 (4 E 19921), acte n° 48 (vue 25/52).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 916 (26653/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de L à R (26 p 842), acte n° 26653/1942.
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, page 1144.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-12-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Clément PELLERIN – 45958

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Clément Pellerin naît le 2 janvier 1907 à la ferme de Vaucouleurs à Saint-Agnant-les-Marais (Charente-Inférieure / Charente-Maritime), fils de Hyacinte Pellerin, 35 ans, et de Clémence Pasquier, 33 ans, cultivateurs ; dans une famille de huit enfants : Abel, né en 1896, Paul, né en 1899, Augustine, née en 1900, Julien, né en 1902, Gaston, né en 1904, Georgette, née en 1905, Clément, puis Émile, né en 1908. Lors du recensement de 1911, la famille a déménagé au lieu-dit L’Houmée, sur la commune voisine d’Échillais. En 1918, ils habitent à Saint-Hippolyte, autre commune voisine.

En 1930, Clément Pellerin habite rue des Hautes-Nouvelles (?), à Suresnes

[1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92), et travaille comme chauffeur.

Le 5 juin 1930, à Paris 17e, il se marie avec Henriette Bothier, née le 23 novembre 1905 à Orléans (Loiret), femme de chambre, domiciliée au 6, rue Édouard-Detaille. Les témoins des mariés sont deux voisins de l’époux : un ajusteur et un employé de la STCRP ayant entre eux un lien de famille. Les parents de Clément sont alors partis vivre dans le Var.

Clément et Henriette Pellerin ont une fille.

Lui est membre du Parti communiste.

Au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 1, rue Grotius à Suresnes.

En juin 1941, le commissaire de police de la circonscription de Puteaux propose son arrestation à la préfecture de police pour « participation active à la propagande communiste (distribution de tracts) ».

Le 26 juin, Clément Pellerin est arrêté à son domicile par des policiers de Puteaux sur arrêté du préfet de police pris en application du décret du 18 novembre 1939, comme des dizaines de suspects communistes de Seine qui sont aussitôt conduits dans la cour de l’Hôtel (de) Matignon, sis au 57 rue de Varenne à Paris 7e, – alors siège de la Geheime Feldpolizei (GFP) [2] – pour y être “mis à la disposition des autorités d’occupation” [3]. Tous sont ensuite regroupés au Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp et transférés le lendemain au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (annexe du Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) [4].

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Clément Pellerin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandises d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandises
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée. Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Clément Pellerin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45958 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Clément Pellerin est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est affecté au garage avec Raymond Saint-Lary, de Fresnes, et Jacques Marteaux, de Boulogne (?).

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août, Clément Pellerin est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) aupremier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

À la fin de l’été 1944, Clément Pellerin est parmi les trente-six “45000” rescapés qui restent à Auschwitz, alors que les autres sont transférés vers d’autres camps.

En janvier 1945, au moment de l’évacuation d’Auschwitz, il est parmi les vingt “45000” incorporés dans les colonnes de détenus dirigées vers le KL [3] Mauthausen, où il est enregistré sous le matricule 120165. Il est affecté successivement dans les deux Kommandos de Gusen, avec Émile Bouchacourt, lui aussi de Suresnes.

Clément Pellerin est libéré le 5 mai 1945. Conduit au camp de Linz (?), il est rapatrié le 19 mai.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’Occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Une procédure est engagée pour lui faire attribuer la Légion d’honneur (1959) et une autre pour la Médaille militaire, au titre de son activité de résistance au sein du Front national [6].

Clément Pellerin décède le 12 décembre 1978.

Notes :

[1] Suresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’hôtel Matignon : le 8 septembre 1940, les Renseignements généraux de la préfecture de police constatent la réquisition de l’hôtel pour le bureau de cantonnement des hommes de la police militaire secrète : Geheime Feldpolizei – Dienstelle – Männer-Unterkunft (source : Cécile Desprairies, Paris dans la Collaboration, éditions du Seuil, mars 2009, page 268).

[3] Les arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, trois témoignages :
Jean Lyraud (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Le 26 juin, à 5 heures du matin, il est réveillé par des policiers français : « Veuillez nous suivre au poste avec une couverture et deux jours de vivres. » Un autobus le prend bientôt avec trois autres personnes arrêtées. Le véhicule fait le tour des commissariats de Montreuil et du XIe arrondissement. Un crochet à l’hôtel Matignon,  puis c’est le transport jusqu’aux portes du Fort de Romainville où les prisonniers passent la nuit dans les casemates transformées en cachots. « Le lendemain 27 juin dans l’après-midi, nous embarquons en gare du Bourget dans des wagons spéciaux pour Compiègne. Nos gardes ont le revolver au poing et le fusil chargé, prêts à faire feu. Dans la soirée nous arrivons au camp. Quelques jours après, d’autres contingents de la région parisienne nous rejoignent. »
Henri Pasdeloup (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943), cheminot de Saint-Mihiel (Meuse), est arrêté le 23 juin 1941 par la Gestapo qui le conduit à la prison de la ville. Le 27 juin, avec d’autres détenus emmenés à bord de deux cars Citroën, il arrive devant le camp de Royallieu vers 16 h 30 : « À l’arrivée face au camp, nos gardiens nous font descendre. Alignement sur la route, comptages et recomptages. En rangs par trois nous passons les barbelés… À 19 heures, environ 400 prisonniers en provenance de la région parisienne entrent en chantant L’Internationale… Le lendemain 28 juin, réveil à 7 heures : contrôle d’identité, toise, matricule. J’ai le numéro 556. Pour notre groupe de la Meuse, cela va de 542 à 564. Ceux de la région parisienne, bien qu’arrivés après nous, sont immatriculés avant… »
Henri Rollin : « Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention “communiste”, soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[4] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht, réservé à la détention des « ennemis actifs du Reich » et qui ouvre en tant que camp de police. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[5] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[6] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 353, 359, 384 et 416.
- Archives départementales de la Charente-Maritime, archives en ligne : registre de recensement de Saint-Agnant pour l’année 1906 (8 M2/116), (vue 21/24).
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des mariages de la mairie du 17e arrondissement, année 1930 (17M 443), acte n° 1063 (vue 8/31).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 718-26566) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1690-89794).
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi, collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur les arrestations du 26 juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Raymond Saint-Lary, témoignage vidéo pour Mémoire Vive (28-04-1999).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour : 7-02-2019)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Roger PÉLISSOU – 45957

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Droits réservés.

Roger, Louis, Xavier, Pélissou naît le 9 juillet 1914 Paris 9e, chez ses parents, Henri Louis Pélissou, 35 ans, tailleur d’habits, et Thérèse Feld, 35 ans, hôtelière, domiciliés au 66 rue Rochechouart.

Ayant rejoint le 22e régiment d’infanterie coloniale le 18 mars 1915, son père est “tué à l’ennemi” à Massiges (Marne) le 6 novembre suivant.

Le 2 juillet 1919, Roger Pélissou est adopté par la Nation en vertu d’un jugement du tribunal civil de la Seine.

Le 3 janvier 1938, Roger Pélissou entre en qualité de “garçon de bureau” à la Compagnie du Métropolitain de Paris (ancêtre de la RATP)..

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Les quais de la station Place d’Italie dans les années 1930.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 5 février 1938, il est appréhendé par la police alors qu’il quête sur le voie publique en faveur de l’Espagne républicaine (suite à vérifier…).

Le 4 novembre 1939, à Paris 5e, il se marie avec Jeanne (« Jeannette ») Le Guillou, née le 25 octobre 1921 à Trebeurden (Côtes-d’Armor). Ils n’ont alors pas d’enfant.

Pendant un temps, il milite au sein de la section des Jeunesses communistes du 5e arrondissement.

Le 30 août 1939, il est mobilisé dans le corps des Sapeurs pompiers à la caserne de Grenelle. Il est “renvoyé dans ses foyers” le 9 juillet 1940.

D’avril 1941 jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié dans un pavillon au 62, avenue Raspail à Bagnolet

[1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93).

Le 4 octobre 1941, Roger Pélissou est arrêté avec son épouse. Lui est conduit au dépôt de la préfecture de police, la Conciergerie sur l’île de la Cité (Paris 1er) où il retrouve d’autres militants et en “accueille” d’autres, tel Pierre Bertolino.

Le 8 octobre, le préfet de police de Paris signe les arrêtés ordonnant l’internement administratif de Jeanne et Roger Pélissou.

Le 12 octobre Jeanne Pélissou écrit au préfet de police : « Ayant été arrêtée avec mon mari le 4 octobre, je fus conduite à La Roquette comme administrative. Depuis, je ne sais ce que mon mari est devenu. Je vous serais reconnaissante de bien vouloir me faire savoir l’endroit où il fut transféré et vous prie de me donner les renseignements pour pouvoir correspondre. »

Le 10 novembre, le cabinet du préfet de police écrit au directeur de La Petite-Roquette pour qu’il fasse connaître à Jeanne Pélissou que son mari « est actuellement détenu au Dépôt près la préfecture de police en attente de son transfert dans un camp de séjour surveillé. »

Ce même 10 novembre, Roger Pélissou est parmi les 58 militants communistes transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; alors que son épouse n’apprendra que le lendemain son passage au Dépôt.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Par la suite, Jeanne Pélissou est internée à la caserne des Tourelles, boulevard Mortier, à Paris 20e.

Début mai 1942, Roger Pélissou écrit à une autorité française afin de solliciter la libération de son épouse.

Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 29 mai, Jeanne Pélissou est transférée au centre de séjour surveillé d’Aincourt (Seine-et-Oise).

Entre fin avril et fin juin 1942, Roger Pélissou est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Roger Pélissou est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45957 (ce matricule sera tatoué sur son bras gauche quelques mois plus tard).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Roger Pélissou se déclare alors comme serrurier. Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Roger Pélissou est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est intégré au Strafkommando (compagnie disciplinaire) et affecté au creusement du Königsgraben, fossé de drainage central du camp de Birkenau.Avec Guy Lecrux, Roger Pélissou se rend devant le Block 24, près de l’entrée du camp, où des détenus autrichiens leur donnent un peu de soupe. Il prend ainsi contact avec des membres de la résistance autrichienne. Avec Roger Abada et Eugène Garnier, il crée le triangle de direction du groupe français de résistance, intégré au sein du Comité international d’Auschwitz.Georges Gallot, de Montreuil, a témoigné que R. Pélissou lui a sauvé la vie à deux reprises : en partageant son pain et en l’empêchant de se jeter sur les barbelés électrifiés de |’enceinte du camp.

Le 4 juillet 1943, comme les autres “politiques” français (essentiellement des “45000” rescapés), Roger Pélissou reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis. Avec quelques autres, il aide ses camarades à écrire en allemand.

À la mi-août 1943, Roger Pélissou est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I.
Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres partiellement obstruées.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine. Roger Pélissou est affecté au WerkStatten.

Le 3 août 1944, il est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 28 août 1944, il est dans le petit groupe de trente-et-un détenus dont vingt-neuf “45000” transféré au KL [2] Flossenburg (Haut-Palatinat Bavarois, proche de la frontière tchèque) et enregistrés dans ce camp le 31 août. Roger Pélissou est inscrit sous le matricule 19 908.

Le 23 octobre 1944, Roger Pélissou est transféré au KL Mauthausen avec Marcel Thibault. Dans ce camp, où ils arrivent le 25, il est enregistré sous le matricule 108 098.

Mauthausen. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Mauthausen. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Le 26 janvier 1945, ils sont transférés ensemble à Gusen II, Kommando annexe de Mauthausen (Marcel Thibault y meurt d’épuisement).

C’est dans ce camp que Roger Pélissou est libéré par l’avancée des troupes américaines le 5 mai 1945. Il est rapatrié en France le 21 mai.

Au retour des camps, il retrouve Jeannette, qui a successivement été internée dans les camps français de Gaillon (Eure), de la Lande, à Monts (Indre-et-Loire) et enfin, le 15 janvier 1944, celui de la route de Limoges à Poitiers (Vienne), d’où elle s’est évadée le 4 août 1944 (le camp ayant été libéré le 7 septembre suivant).

Le couple a un enfant.

Roger est réintégré à la RATP en qualité d’électricien.

Le 19 octobre 1947, il est élu conseiller municipal de Bagnolet sur la liste présentée par le Parti communiste français, dont il est redevenu un militant actif.

Le 11 décembre 1950, il fait partie d’une délégation du personnel de la RATP qui se rend au palais de l’Élysée afin de protester contre le réarmement de l’Allemagne.

Début février 1953, il dépose une pétition à la caserne de Reuilly pour demander la libération de Le Léaps (?).

Comme beaucoup de rescapés, Roger Pélissou renseigne des familles de déportés sur le sort de ceux qu’il a connu (tel André Sevens, Pierre Bertolino…). Il voit «  fréquemment » Georges Gallot.

Roger Pélissou décède le 9 décembre 1985, à 61 ans.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 134, 179 et 180, 203, 210, 294, 346 à 348, 359, 384 et 416.
- Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 13.
- Jean-Pierre Gast, Bagnolet 1939-1940, éd. Folies d’encre, août 2004, liste « Résistants déportés », page 288, liste « Résistants internés » page 296.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” , camps d’internement… (BA 2374) ; dossier commun de Jeanne et Roger Pélisson (sic) au cabinet du préfet (1 W 338-24632).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 141.
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cote 1W145 (arrêté d’internement de Jeanne Pélissou).
- Archives départementales de la Vienne (AD 86) : camp de Rouillé (109W75).
- Lettre de Roger Pélissou à Rolande, veuve de Pierre Bertolino (22-03-1964).
- Jean-Marie Dubois, Malka Marcovich, Les bus de la honte, éditions Tallandier, 2016, pages 144, 145, 146 et 189.
- Auschwitz 1940-1945, Les problèmes fondamentaux de l’histoire du camp, ouvrage collectif sous la direction de Wacław Długoborski et Franciszek Piper, éd. du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim, Pologne, version française 2011, volume IV, La Résistance, Henryk Swiebocki, pages 131 à 137.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-03-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Bagnolet : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Henri PEIFFER – 45956

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Henri Peiffer naît le 1er février 1910 à Russange, en Moselle annexée par le Reich allemand, à la frontière avec le Luxembourg.

Le 31 mars 1930, à Villerupt, il se marie avec Peppina Violanda Pepoli, née en 1912 à Zurich. Ils ont une fille, Huguette Lydia Bernadette, née le 25 octobre 1930, et un fils, Albert Francis Rodolphe, né le 8 décembre 1931, tous deux à Villerupt.

En 1931 et jusqu’au moment de son arrestation, Henri Peiffer est domicilié rue des Acacias à Villerupt (Meurthe-et-Moselle – 54), ville-frontière avec le Luxembourg.

Henri Peiffer est ajusteur à l’usine sidérurgique de Micheville, lieu-dit de Villerupt.

Sous l’occupation, il facilite l’entrée en France de prisonniers de guerre évadés.

Les conditions de son arrestation et son trajet en détention restent à préciser.

Il est probablement arrêté comme otage à la suite du sabotage, dans la nuit du 4 au 5 février 1942, du transformateur électrique de l’usine sidérurgique d’Auboué qui alimente également 17 puits de mine (fer) du bassin de Briey ; action de résistance qui déclenche une vague d’arrestations dans le département (70, dont plusieurs dizaines de futurs “45000”) ; à vérifier…

Il est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Henri Peiffer est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée. Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Henri Peiffer est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45956 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard)

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Henri Peiffer est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Comme il parle couramment l’allemand, il est désigné comme secrétaire (Blockschreiber) du Block 10 : son rôle est de tenir à jour la liste des détenus.

Henri Peiffer contracte le typhus et est conduit au Block 12, une des baraques en bois servant d’hôpital (Revier, HKB) dans le secteur BI-b de Birkenau : le 17 novembre 1942, dans la chambre n° 5 – où se trouvent également René Pignet et Alexandre Varoteau -, il reçoit quarante gouttes de valériane.

Le 25 décembre, depuis une fenêtre de son Block, il est témoin d’un massacre de détenus. Sorti du Revier le lendemain, il assiste à l’incinération de leurs cadavres sur des foyers aménagés dans la sapinière de Birkenau.

Dans cette période, il est convoqué à la Politische Abteilung qui l’averti que sa mère demande de ses nouvelles et qu’il doit lui écrire afin de la rassurer (elle a obtenu ce “privilège” en tant que Lorraine mariée en secondes noces à un Autrichien).

Au début de 1943, la Gestapo du camp lui ordonne d’envoyer une lettre de condoléances à sa mère pour la mort de son beau-père à Stalingrad.

Enfin, quand sa femme lui demande pourquoi un de ses camarades n’a pas écrit chez lui, il répond après en avoir délibéré avec ses camarades : « Je ne savais pas que X était décédé. » ; espérant ainsi faire comprendre que l’absence de lettre signifiait la mort du détenu.

Le 17 ou 18 mars 1943, il fait partie des dix-sept “45000” rescapés de Birkenau conduits à Auschwitz-I (en tout, 24 survivants sur 600 !).

À la mi-août 1943, Henri Peiffer est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues –
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Henri Peiffer est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 28 août 1944, il est dans le petit groupe de trente-et-un détenus dont vingt-neuf “45000”) transférés au KL 

[1] Flossenbürg (Haut-Palatinat bavarois, proche de la frontière tchèque) et enregistrés dans ce camp le 31 août.

Le 29 octobre, Henri Peiffer est parmi les onze “45000” transféré à Wansleben (Kommando de Buchenwald), une usine de potasse. Là, il est chef de la chambrée des Français.

Le 12 avril 1945, il est dans une des colonnes de détenus évacués de ce camp à marche forcée vers le Nordde Halle. Henri Peiffer est libéré le 14 ou 15 avril 1945 entre les villages de Quellendorf et Hinsdorf, avec neuf autres “45000”.

Le 3 juillet 1945, il écrit à Flora Pignet pour lui dire le peu qu’il sait du sort de son mari, Ernest, et de son fils René, morts à Auschwitz.

Henri Peiffer décède le 30 août 1993.

Notes :

[1] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 251, 346 et 347, 359, 369 et 416.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-04-2009)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Marc PECKER – 46304

Marc, Raphaël, Pecker naît le 22 novembre 1891 à Paris 14e – maternité de Port-Royal -, fils de Peretz (Pierre) Pecker, 25 ans, né à Sébastopol, et de Wera Triwous, 25 ans, née à Berdraunk (?), mariés à Bordiansk (Russie) le 23 septembre 1889, étudiants en médecine, domiciliés au 46, rue de la Santé.

Marc, qui est l’aîné, a deux frères, Victor Noël, né le 25 novembre 1893 à Maule (Seine-et-Oise / Yvelines – 78), André Benjamin, né le 23 janvier 1902 à Saint-Germain-en-Laye (78), et une sœur, Anna Nathalie, née le 9 février 1895 à l’hôpital de la Charité, 47 rue Jacob, Paris 6e.

En 1896, la famille – qui a toujours la nationalité russe – est domiciliée rue du Ponceau à Maule, où le père s’est établi comme médecin. Leur foyer héberge alors également un jardinier-domestique de 24 ans.

En 1902, la famille est installée au 23, rue de Mantes à Saint-Germain-en-Laye. En 1906, tous ont acquis la nationalité française ; leur foyer héberge une gouvernante allemande. En 1911, ils hébergent une jeune cuisinière et un domestique danois.

Afin de poursuivre ses propres études de médecine, Marc Pecker bénéficie à trois reprises d’un sursis pour l’accomplissement de son service militaire.

Le 14 août 1914, Marc Pecker est mobilisé au 5e régiment d’infanterie. Le 4 octobre suivant, il est nommé médecin auxiliaire. Le 25 novembre, il passe à la 18e section d’infirmiers. Le 10 novembre 1916, il passe au service auto du 13e régiment d’infanterie. Le 18 décembre suivant, il est nommé médecin aide-major de 2e classe à titre temporaire. Le 6 janvier 1917, il passe à l’état-major du  4e groupe (7e et 8e batteries) du 87e régiment d’artillerie lourde à traction automobile, alors formé au camp de Saint-Maur.

Le 1er février 1917 à Sézanne (Marne – 51), Marc Pecker se marie avec Valérie Lucie Blum, née le 27 avril 1885 à Reims (51), qui a déjà deux enfants d’un premier mariage : Édouard, né en 1906, et Simone, née en 1909, tous deux à Londres.

Le 2 mai suivant, Marc Pecker est cité à l’ordre de son régiment : «

[au cours de la bataille de l’Aisne, au Bois Blanc, à 500 mètres au nord de Bouffignereux] Dans les journées des 6-7-8 avril 1917, a assuré, sous un violent bombardement d’obus de gros calibre, l’évacuation des blessés. A montré le plus grand courage le 6 avril en se portant sous le feu au secours des hommes ensevelis par l’effondrement d’un abri et en coopérant aux travaux de sauvetage. » Il reçoit la Croix de guerre. Le 28 septembre 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation en se retire au 16, rue de la République à Saint-Germain-en-Laye.

Le 16 octobre 1920, Marc Pecker entre comme médecin de section aux Chemins de fer de l’État (réseau fusionné au sein de la SNCF début 1938 [1]).

Début 1921, le couple Pecker est domicilié au chalet Montalais (chalet B 107 ?), avenue Jean-Jaurès à Colombelles (Calvados – 14), avec les enfants de Valérie. Leur fils Jean y naît le 23 janvier de cette année.

Vers 1930, Marc Pecker s’installe à Caen (14). Après avoir été médecin à la Société métallurgique de Normandie, il y développe un cabinet prospère avec une « réputation établie d’excellent chirurgien ». Après 1936, son cabinet est installé au 44, rue des Jacobins, qui est également l’adresse de son domicile.

Du 18 au 27 janvier 1937, il effectue une période d’exercice comme militaire de réserve à l’atelier des armements de Mondeville.

En 1937, « mordu par l’amour du drapeau et par la haine des rouges », il s’inscrit à l’Action Française. Son, père, homme de gauche, l’éclaire sur l’antisémitisme forcené des hommes de ce mouvement et le convainc de quitter cette organisation. Il adhère alors au mouvement des Croix-de-Feu du colonel de La Roque.

Le 22 janvier 1940 à Varaville (14), Marc Pecker se marie avec Lucienne Héron.

Sous l’occupation, étant l’un des créateurs du réseau de résistance “Arc-en-Ciel”, Marc Pecker donne des soins à des aviateurs anglais abattus. Recevant un portrait du maréchal Pétain avec consigne de l’afficher dans la salle d’attente de son cabinet médical, il le renvoie en indiquant : « retour aux cabinets du Préfet ».

D’abord touché par la loi antisémite du 16 août 1940 lui interdisant d’exercer la médecine, il en est relevé en novembre 1941, figurant encore sur une liste de médecins de la SNCF en 1942.

Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, les polices française et allemande l’arrêtent à son domicile, comme Juif : il figure sur une liste d’arrestations demandées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) [2]. Il est conduit au commissariat central, rue Auber, avec André Montagne qui a été arrêté juste avant lui.

Le soir, les détenus sont transférés à la Maison centrale de la Maladrerie, à Beaulieu, quartier de Caen, où ils sont d’abord entassés dans les cellules punitives du “mitard”. Le lendemain matin, 3 mai, Marc Pecker monte dans une nouvelle cellule qu’il partage avec Armand Bernheim, Marcel Cimier et Jean Doktor.

Caen, la maison centrale de la Maladrerie dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Caen, la maison centrale de la Maladrerie dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

En fin d’après-midi, ils sont conduits dans deux autocars, sous forte surveillance française et allemande, vers le “petit lycée », où sont regroupés les otages venant de différentes villes et villages du Calvados. Ils y sont interrogés, notamment sur l’attentat d’Airan, et y passent la nuit suivante.

Le 4 mai, après avoir été informés par un sous-officier allemand qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés, certains peuvent rencontrer brièvement leur famille.

Les détenus sont ensuite transportés en cars et camions à la gare de marchandises de Caen où ils embarquent dans deux wagons à bestiaux.

Le lendemain, leur train arrive au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Interné dans le « camp juif » (quartier C), comme en témoigne Lucien Colin dans le journal qu’il a tenu du 9 mai au 4 juillet 1942, Marc Pecker est désigné comme un des médecins du camp.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

À Caen, la Gestapo locale établira son siège dans sa clinique-domicile, rue des Jacobins.

Dans son carnet de notes quotidien sur le camp, François Montel mentionne à la date du 15 mai : « Beau temps – Bridge avec Pierre et Roger Masse et avec les médecins Pecker, Balter, Drucker… ». Transféré à Drancy le 23 juin, François Montel ajoute : « Adieux à Pecker, Drucker et Michel qui restent. Bons et déjà vieux amis […] Nous nous promettons tous de nous revoir. »

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Double portrait de Marc Pecker,
peut-être réalisés à Royallieu (?).

Marc Pecker devient alors médecin-chef de l’infirmerie du camp “juif”, dont les partants ont emporté tous les médicaments et tous les ustensiles. Le dentiste Benjamin Schatzman le décrit comme un homme petit et corpulent : « … facilement souriant, aimant la plaisanterie et ayant une bonne culture générale. » C’est probablement Marc Pecker qui fait admettre André Indiktor, de Caen, coiffeur de son métier, comme infirmier faisant également fonction de cuisinier des médecins.

Le 5 juin, à Caen, Lucienne, son épouse donne naissance à leur fille Michèle Raphaël Andrée.

Entre fin avril et fin juin 1942, Marc Pecker est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le docteur Abraham Drucker, resté à Compiègne, signale sa présence dans le convoi (lettre du 15 février 1946). Dans ce train, Marc Pecker jouit d’un bref privilège : afin d’assurer le service sanitaire du convoi, il fait le trajet dans un wagon de voyageurs en compagnie de soldats de l’escorte (les officiers ?).

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Marc Pecker est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46304 ; les cinquante otages déportés comme Juifs ont reçu les matricules de 46267 à 46316 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le n° 46172).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Marc Pecker se déclare alors sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.S’exprimant en tant qu’officier des deux guerres, Marc Pecker est un des rares à s’indigner des violences qui leur sont infligées à leur arrivée, ce qui lui vaut d’être roué de coups jusqu’à tomber à terre (témoignage d’A. Montagne). Selon Pierre Lelogeais, il devient « la bête noire des SS ».

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Marc Pecker est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».  « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». « Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est affecté au déchargement de skis empilés dans des wagons, en compagnie d’Eugène Baudoin (45207), de Mondeville (selon A. Montagne).

Marc Pecker meurt à Auschwitz le 1er août 1942, selon plusieurs registres du camp. Affecté à la construction d’une route, il doit transporter des cailloux dans une brouette à un rythme insoutenable. Continuellement frappé, il est finalement achevé à coups de bâton par des kapos, selon P. Lelogeais qui, lui, cassait des cailloux pour cette même route (lettre à la famille 2/12/1945) [3].

Le fils né de son premier mariage, Jean Pecker, rallie les Forces Françaises Libres après l’arrestation de son père, passe en Espagne où il est emprisonné. Il finira la guerre en combattant dans la Division Leclerc. Neurochirurgien de renommée mondiale, créateur de « l’école rennaise de chirurgie », membre de l’Académie de Médecine, Jean Pecker est décédé le 5 septembre 1989.

Reconnu “Déporté Résistant”, après les démarches menées par le Réseau Arc-en-Ciel, dont Madame Pecker et son frère étaient également membres, Marc Pecker est décoré de la Légion d’Honneur et de la Médaille de la Résistance. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 27-08-1996).

À une date restant à préciser, le Conseil municipal de Caen donne son nom à une rue de la ville (rue Docteur-Pecker).

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005). De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

Le Mémorial de la Shoah. À gauche, dans son état en 2011, le panneau du Mur des noms pour les déportés
de l’année 1942 avec les « noms modifiés et identifiés depuis l’achèvement du mur » (janvier 2005).
De nombreux otages juifs du convoi du 6 juillet 1942 y ont été ajoutés ensuite… Photo Mémoire Vive.

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Inscrit sur le Mur des noms…

Le 26 août 1987, à Caen, suite aux démarches de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.

Le nom de Marc Pecker est inscrit sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.

Notes :

[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.

[2] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942. Collection R. Commault/Mémorial de Caen. In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

La locomotive du premier train ayant déraillé le 16 avril 1942.
Collection R. Commault/Mémorial de Caen.
In De Caen à Auschwitz, éditions Cahiers du Temps, juin 2001, page 11.

L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.

Au soir de l’attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage. Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht.

Au total plus de la moitié des détenus sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.

Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900. Collection Mémoire Vive.

Caen. Le Petit Lycée. Carte postale éditée dans les années 1900.
Collection Mémoire Vive.

Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).

Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au fort du Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.

La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).
[3] La surmortalité des détenus juifs ayant intégré le complexe d’Auschwitz-Birkenau : Quarante jours après l’arrivée des “45000” – soit le 18 août 1942 au matin – sur les cinquante déportés juifs enregistrés comme tels dans le camp, 34 ont perdu la vie, soit 68 % de leur groupe. À la même date, les 142 déportés décédés appartenant aux autres catégories d’otages du convoi représentent 13 % de leur effectif. Cette disproportion statistique rend compte de la persécution antisémite interne au camp, notamment sous forme de violences ciblées perpétrées par des cadres détenus polonais ou allemands (kapos, sur les chantiers, chefs de Block).

Sources :
- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, pages 19, 35, 57, 60, 70, 71-72, 102.
- Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 90, 145 et 146, 361 et 416.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 14e arrondissement à la date du 25-11-1891 (V4E 7023), acte n° 6929 (vue 27/31).
- Archives départementales des Yvelines, site internet, archives en ligne : registres matricules du recrutement militaire, bureau de Versailles, classe 1911 (1R/RM 451), n° 3100 (vues 192-193/840).
- Journal de Lucien Colin, publié en 1995 par les archives départementales et le conseil général du Calvados dans un recueil de témoignages rassemblés par Béatrice Poule dans la collection Cahiers de Mémoire sous le titre Déportés du Calvados (pages 82-115) ; note n° 12 page 66.
- Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004 ; page 54, liste page 137.
- Yves Lecouturier, Shoah en Normandie, 1940-1944, éditions Cheminements, Le-Coudray-Macouard (Maine-et-Loire), mai 2004, pages 115-118, p. 148, liste p. 246.
- Benjamin Schatzman, Journal d’un interné, Compiègne-Drancy-Pithiviers, préfacé par Serge Klarsfeld, éditions Fayard, avril 2006, pages 269, 273, 281, 287.
- François Montel, Journal de Compiègne, 29 avril 1942 – 23 juin 1942, présenté et annoté par Serge Klarsfeld, édition FFDJF (Fils et filles des déportés juifs de France), 1999, page 53.
- Hervé Barthélémy / association Rail & Mémoire : fichier des déportés de la SNCF non-rentrés (Lm 118 108 p 1307).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 1139-1140.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 914 (17833/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 9-09-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Jean PAUPY – 45955

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jean, Louis, Paupy naît le 13 avril 1921 à Paris 14e, fils de Pierre, François, Paupy, trente ans, et d’Émilie Bédos, son épouse.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 43, rue Bronzac à L’Haÿ-les-Roses 

[1] (Seine / Val-de-Marne – 94) ; il est voisin de Robert Prunier. Jean Paupy est célibataire (il a 19 ans…)

Jean Paupy est « vendeur d’instruments de chirurgie ».

Avant-guerre, il est secrétaire des Jeunesses communistes de L’Haÿ-les-Roses.

Après la dissolution du PCF, il reste actif dans la clandestinité. La police française le considère comme un « propagandiste notoire ».

Le 3 ou 4 décembre 1940, Jean Paupy est arrêté par « les services du commissariat de Gentilly » en même temps que Robert Prunier pour distribution de tracts et tentative de reconstitution de cellule. Dans la même affaire sont pris trois autres jeunes militants : Henri Bockel, Lucien Girard et Roger Jardin [2]. Le domicile de Jean Paupy est perquisitionné. Le 5 décembre, inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939, il est placé sous mandat de dépôt puis écroué à la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e.

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage. (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)

Le samedi 25 janvier 1941, il comparaît avec ses camarades devant la Chambre des mineurs (15e) du Tribunal correctionnel de la Seine qui le condamne à cent francs d’amende et un an d’emprisonnement avec sursis. Mais il n’est pas libéré : le lendemain, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939.

Puis (le 27 mars ?), il fait partie d’un (des) groupe(s) d’internés administratifs (dont Guy Môquet et plusieurs futurs “45000”) transférés à la Maison centrale de Clairvaux (Aube) où ils en rejoignent d’autres : ils sont bientôt 300 détenus politiques.

Clairvaux. La Maison centrale. Carte postale. Collection M. Vive.

Clairvaux. La Maison centrale. Carte postale. Collection M. Vive.

Le 19 juin, sa peine est peut-être ramenée à huit mois par la Cour d’appel de Paris (à vérifier…).

Le 26 septembre, Jean, Louis Paupy est parmi les 37 internés de Clairvaux (politiques et “droits communs”) transférés au “centre d’internement administratif” (CIA) de Gaillon (Eure), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la vallée de la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle, puis en caserne. Il est assigné au bâtiment F (aile Est du pavillon Colbert [3]), 2e étage, chambre 6, lit 75.

Le château de Gaillon. Les internés sont assignés au pavillon Colbert, le haut bâtiment transversal de l’arrière plan (qui a perdu sa toiture après la guerre). Carte postale envoyée en 1955. Collection Mémoire Vive.

Le château de Gaillon. Les internés sont assignés au pavillon Colbert,
le haut bâtiment transversal de l’arrière plan (qui a perdu sa toiture après la guerre).
Carte postale envoyée en 1955. Collection Mémoire Vive.

Le 7 février 1942, il est admis avec Robert Lambotte au pavillon des malades contagieux de l’hôpital de Vernon, situé à treize kilomètres de Gaillon ; la maladie contractée ainsi que la date de son retour au camp sont inconnues.

Selon une note de la police (RG ?) datée du 18 février 1942, Jean Paupy figure sur une liste de 43 « militants particulièrement convaincus, susceptibles de jouer un rôle important dans l’éventualité d’un mouvement insurrectionnel et pour lesquels le Parti semble décidé à tout mettre en œuvre afin de faciliter leur évasion », et qui sont pour la plupart internés au camp de Gaillon.

Le 5 mars 1942, il fait partie des 16 internés administratifs de Gaillon (dont 9 futurs “45000”) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits en autocar au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central. Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”) Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Droits réservés.

Le vendredi 6 mars, Pierre Rigaud, d’Ivry-sur-Seine, écrit dans son journal personnel : « De nouvelles arrivées d’internés sont signalées. Le bâtiment A8 se complète. Je rends visite avec Peyronin à nos amis Boyer, Vanzuppe, Le Bigot, Perrotet, Paupy, Graindorge, arrivés hier de Gaillon. On parle de ce qu’était le régime à Gaillon, de ceux qui y sont restés : Sémard, Houet, etc. Le changement de vie pour nos camarades est encore plus considérable que pour nous. Plusieurs chambres d’“anciens” invitent les nouveaux arrivants à un repas. Nous devons en avoir deux de la Marne. Le problème de l’installation de nos camarades est difficile à résoudre. Rien dans leurs chambres nues, délabrées, sales. On a bien du mal à leur procurer lits et couvertures. On leur promets des planches pour leurs paquetages. Quand les auront-ils ? » Il note qu’un colis est arrivé pour lui et qu’il pourra aller le chercher à la distribution du jour suivant…

Le soir même, Pierre Rigaud, Corentin Cariou et Léopold Réchossière apprennent qu’ils doivent être fusillés le lendemain. Ils sont enfermés pour la nuit dans des cellules séparées de la prison interne du camp.

Le lendemain matin 7 mars, ils sont transportés jusqu’à la Butte-aux-Zouaves à Moulin-sous-Touvent, dans la forêt de Carlepont (à une trentaine de km du camp) et fusillés comme otages en représailles de l’attentat du 1er mars contre une sentinelle allemand rue de Tanger à Paris 19e.

Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Paupy est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Jean, Louis Paupy est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45955 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jean, Louis, Paupy est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Entre le 1er et le 19 novembre 1942, Jean Paupy apparaît plusieurs fois sur la liste des détenus de la chambre (Stube) n°3 du Revier – dont Marcel Colin, Germa, Faugeron, Lenglet, Nonnet, Nouvian, Roux,Sansoulet et Vinsous -, qui reçoivent des médicaments (6 gouttes d’Anisin – un bactéricide…). Dans ce dispensaire, le SS-Rottenführer Franz Schulz exécute certains détenus avec une injection mortelle dans le cœur…

On ignore la date exacte de la mort de Jean Paupy à Birkenau ; probablement avant la mi-mars 1943 [4].

Le 25 septembre 1945, Raymond Boudou, de l’Hay-les-Roses (94), rescapé, signe un certificat attestant du décès de Jean Paupy « en 1942 », sans autre précision.

En septembre 1947, la mention Mort pour la France est inscrite sur l’acte de décès de celui-ci.

Le 5 octobre 1949, Jean Paupy est homologué dans la Résistance intérieure française (RIF) au titre duFront National avec le grade fictif d’adjudant.

Le titre de déporté résistant lui est refusé. En septembre 1955, son père reçoit sa carte de déporté politique, n° 110116768 (les parents sont alors séparés et divorcés). En 1962, ses parents sont séparés et divorcés ; son père habite à Pontcharraud (Creuse), ignorant ce qu’est devenue sa mère !

Notes :

[1] L’Haÿ-les-Roses : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Roger Jardin, né le 30 avril 1923 à Paris 6e, domicilié chez sa mère au 37, sentier des Frettes à L’Haÿ-les-Roses, est déporté dans le transport de 1489 hommes parti de Compiègne le 6 avril 1944 et arrivé directement au KL Mauthausen le 8 avril (mat. n° 62584). Après avoir été affecté au Kommando de Gusen, il est conduit au château d’Hartheim pour y être gazé le 4 janvier 1945 , comme 121 autres déportés de son convoi. Source : Claude Mercier, Livre-Mémorial de la FMD, tome 3, convoi I.199, pages 354-355, 385.

[3] Château de Gaillon. Le pavillon Colbert, sur la terrasse du jardin haut, a été dessiné par Jules-Hardoin Mansard vers 1700 pour l’archevêque Jacques-Nicolas Colbert, second fils du ministre de Louis XIV.

[4] La date de décès inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant Jean, Louis Paupy, c’est 15 décembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 388 et 416.
- Pierre Rigaud, Journal d’un otage français, 1941-1942, édité par Louis Poulhès, éditions Atlande, Neuilly, janvier 2025 ; page 392.
- Archives de Paris : archives judiciaires, jugement correctionnel du samedi 25 janvier 1941 (D1U6 3706).
- Archives départementales de l’Eure (AD 27), Évreux : camp de Gaillon (89w1), recherches de Ginette Petiot (messages 08-2012, 03-2013).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; registre de main-courante du commissariat de la circonscription de Gentilly du 27 octobre 1940 au 8 août 1941 (CB.96.48) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 541-16517).
- Registre des détenus ayant reçu des médicaments à Birkenau, archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau (APMAB), Oświęcim, Pologne, copies transmise par André Nouvian.
- Dominique Fey et Lydie Herbelot, Clairvaux en guerre, Chronique d’une prison (1937-1953), éditions Imago, Paris, décembre 2018, chapitre II, Une centrale dans la tourmente, pages 45 à 106, notamment la page 62.
- Irena Strzelecka, Les hôpitaux dans le camp de concentration d’Auschwitz, in Auschwitz 1940-1945, tome 2, Les détenus – La vie et le travail, chap. 9, p. 364-365, éditions du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, 2011.
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale de des familles de fusillés et massacrés”, fichier des familles.
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Jean Paupy (21 P 523.417), recherches de Ginette Petiot (message 09-2012).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 3-04-2025)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

Clotaire, Marcel, PAUMIER – 45954

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Droits réservés.

Clotaire, Marcel, Paumier naît le 31 janvier 1924 à Chémery (Loir-et-Cher – 41), dans une famille de vignerons.

Au moment de son arrestation, il est domicilié à Chémery, probablement chez ses parents.

Il est déclaré comme cultivateur.

Sportif amateur, il est membre de l’Union sportive de sa commune.

Le 22 ou 23 juin 1941, Clotaire Paumier est arrêté – probablement à la place de son frère Bernard, militant communiste très actif (voir DBMOF-Maitron, ci-dessous) -, dans le cadre de la vague d’arrestations de communistes lancée en France parallèlement à l’entrée en guerre du Reich contre l’Union soviétique. Après avoir été conduit à Romorantin puis détenu à Orléans, Clotaire Paumier est rapidement interné aucamp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Clotaire Paumier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45954 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartisdans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Clotaire Paumier est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis.

À la mi-août 1943, Clotaire Paumier est parmi les “politiques” français rassemblés (environ 140) aupremier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Le 17 octobre 1943, Clotaire Paumier écrit à ses parents du Block 11 : « Je suis heureux de vous faire savoir que je suis toujours en bonne santé et j’espère qu’il en est de même pour vous. J’ai reçu tous vos paquets. Ne m’envoyez pas tant de pain et de biscottes. Du pain, j’en ai suffisamment ici maintenant. Mais si vous pouviez envoyer du fromage, des conserves, du sucre, de l’ail et un peu de lard salé. Vous pouvez mettre aussi dans les colis de la confiture. (…) J’espère que les vendanges se sont bien passées et que le vin est de bonne qualité. »

Mais sa lettre du 21 novembre est rédigée du Block 20 (l’ “hôpital”). Il y donne de nouvelles recommandations pour ses colis, précisant qu’on peut lui en faire envoyer par la Croix-Rouge.

Clotaire Paumier meurt à l’ “hôpital” d’Auschwitz (Block 20), le 29 novembre 1943, d’après les registres du camp ; il est l’un des derniers “45000” à mourir à Auschwitz ; du moins est-il le dernier pour lequel l’acte de décès a été retrouvé. Il a 19 ans.

Après avoir reçu son dernier courrier, sa mère fait des démarches auprès de l’antenne de la Croix-Rouge de Blois le 9 décembre et, le 15, elle s’adresse à la direction du service des internés civils. Des colis sont expédiés, mais elle reste sans nouvelles pendant plus de quatre mois. Jusqu’à ce qu’elle reçoive, le 2 mai 1944, une carte de la Croix-Rouge annonçant que le colis expédié le 16 décembre est revenu avec la mention « Ne pouvant être remis ».

Les parents de Clotaire Paumier n’apprennent sa mort qu’en mai 1945, de la bouche d’un rescapé.

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Chémery.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 28-02-1996).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 251 et 252, 364 et 416. 
- Roger Arnould, article paru dans le journal de la FNDIRP, Le Patriote Résistant, n° 511, mai 1982. 
- Archives départementales du Loir-et-Cher, fichier alphabétique des déportés du CRSGM (cote 56 J 5). 
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 910 (32680/1942). 
- Site Mémorial GenWeb, 41-Chémery, relevé Laetitia Tisserand (2005).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-08-2008)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.


PAUMIER Bernard, Albert.

Né le 2 décembre 1909 à Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher). (…) Fils de vignerons installés à Champcol près de Selles-sur-Cher, puis à Chemery, Bernard Paumier travailla très jeune dans l’exploitation de ses parents. A la suite d’une réunion organisée par le PC à Chemery vers 1927, il adhéra à la Fédération des JC. Avec le responsable régional, Regor, il organisa localement une réunion des JC au cours de laquelle une quinzaine d’adhésions furent réalisées. Appelé au service militaire à Bourges d’octobre 1930 à octobre 1931, il assura la distribution de tracts antimilitaristes à la caserne. Le voyage de son frère Robert en URSS en 1933 renforça son engagement politique. Il anima la cellule communiste de Chemery et contribua à la constitution de cellules rurales dans les villages environnants : Châtillon, Thésée, Noyers, Angé, Thenay, Pouille. En 1935, il fut délégué des Amis de l’Union soviétique pour participer aux journées franco-soviétiques à Paris.

Aux élections législatives de 1936, candidat dans la 2e circonscription de Blois, il obtint 651 voix sur 14 436 suffrages exprimés (soit 4,50 %), soit cinq fois plus de voix communistes qu’en 1932 et se désista en faveur du socialiste Mauger. En 1936, il fut élu au bureau national de la Confédération générale des paysans travailleurs. En 1937, lors du IIIe congrès de la CGPT (Montluçon, 9 et 10 janvier), il devint trésorier et conserva cette fonction au IVe congrès (Brive, 5 et 6 mars 1939). Voir Jean Renaud.

En avril 1937, candidat au conseil d’arrondissement dans le canton de Saint-Aignan, il améliora très nettement les résultats communistes, obtenant 12,8 % des suffrages exprimés. L’hebdomadaire communiste régional publiait fréquemment ses articles. Après avoir suivi la première école centrale paysanne du parti à Draveil, il fut coopté en septembre 1937 à la section centrale agraire du PC et devint permanent. Secrétaire de la section agraire du parti, il travailla aux côtés de Waldeck-Rochet : il participa au lancement du journal La Terre et dirigea plusieurs écoles centrales paysannes.

Mobilisé le 2 septembre 1939 à Salbris (Loir-et-Cher), puis muté à Bourges en décembre 1939, il y fut incarcéré, puis interné à Orléans en raison de ses opinions politiques. Démobilisé, il rejoignit Chemery le 14 juillet 1940. Avec un jeune communiste de Saint-Romain, Marcel Marteau, il réalisa de petites affichettes : « Non aux réquisitions allemandes » et organisa dans la forêt de Saint-Aignan une réunion de communistes. Pierre Rebière du Comité central, qui lui apportait des tracts, lui demanda de réorganiser le parti en Loir-et-Cher. De septembre à octobre 1940, il parcourut le Loir-et-Cher à bicyclette pour contacter un certain nombre de communistes. Il fut ensuite chargé d’assurer des contacts à Pithiviers et à Montargis. Avec Rebière, il se rendit aussi dans la Nièvre pour y réorganiser le parti. Convoqué à Paris en novembre 1940, il fut informé par Henri Janin (voir ce nom) de sa nouvelle mission : le travail paysan en zone Nord. Il collabora au journal La Terre devenu clandestin.

Sa femme, qui l’avait rejoint à Paris en juin 1941, devint son agent de liaison. Le 22 juin 1941, les Allemands vinrent l’arrêter à Chemery : ils prirent à sa place son jeune frère Clotaire qui mourut à Auschwitz en décembre 1942.

Il poursuivit son travail clandestin sous divers pseudonymes : Christian, Bonhomme, etc. De 1941 à 1943, il assura la liaison entre la direction du PC et Michèle Bedel, secrétaire au journal Paris-Soir, qui lui transmettait les dépêches confidentielles adressées au journal.

Début 1944, il siégea à la commission agricole du Conseil national de la Résistance. A la Libération, il participa à la prise de possession du ministère de l’Agriculture et à l’installation de François Tanguy-Prigent comme ministre et fut désigné avec Waldeck-Rochet par la CGPT comme délégué à l’Assemblée consultative provisoire (novembre 1944-septembre 1945). Membre de la commission de l’Agriculture et de la Viticulture, il devint aussi pendant quelque temps membre du bureau confédéral de la CGA (Confédération générale agricole).

Candidat aux deux Assemblées constituantes sur la liste communiste qu’il conduisait, il obtint en 1945 le deuxième des quatre sièges du Loir-et-Cher, puis fut reconduit en juin 1946. Il fut réélu aux législatives de novembre 1946. Membre de la commission des finances et du contrôle budgétaire, il devint à l’Assemblée « le spécialiste des questions écrites » et intervint plus particulièrement sur les questions agricoles et viticoles. Suppléant du Comité central de 1945 à 1946, il assura pendant plusieurs années les fonctions de secrétaire fédéral du Loir-et-Cher. En juin 1951, il ne fut pas réélu député du fait des apparentements et se trouva quelque temps sans emploi. Après un passage au journal La Terre, il devint directeur de l’aérium de l’Audrionnière (Faverolles, Loir-et-Cher) pour le compte de l’Union des syndicats de la Seine (du 1er décembre 1951 au 31 décembre 1952). De mars 1953 à décembre 1956 il fut employé par L’Humanitécomme inspecteur de presse. En janvier 1956, il fut élu à la Chambre des députés dans d’excellentes conditions, la poussée à gauche ayant empêché l’apparentement centre-droite d’obtenir la majorité absolue escomptée.

Non réélu aux élections législatives de novembre 1958, il fut à nouveau candidat aux élections législatives du 18 novembre 1962, du 5 mars 1967 et du 23 juin 1968 ainsi qu’aux sénatoriales de septembre 1965 et de septembre 1974.

De janvier à juillet 1959, il travailla à l’Office parisien du papier. De 1959 à 1966, il fut secrétaire administratif du Comité central d’entreprise de la SNECMA : il s’occupa des colonies de vacances et de la gestion immobilière.

En 1965, Bernard Paumier fut élu maire de Chemery puis réélu en 1971 et 1977.

SOURCES : Arch. Dép. Loir-et-Cher, série M. — L. Jardel et R. Casas, La Résistance en Loir-et-Cher, Librairie de la Loire. — E. Bigot, Les parlementaires de Loir-et-Cher depuis 1789, Société d’art et d’archéologie de la Sologne. — P. Gratton, Les paysans français contre l’agrarisme, Maspero, 1972. — Le Travailleur. — Le Progrès du Centre. — La nouvelle République. — Témoignages de Bernard et Robert Paumier.

Thérèse Burel et D. Lemaire

Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Les Editions de l’Atelier/Les Editions Ouvrières 1990-1997 CD-rom, version 3.61 pour Windows 3.1 Copyright CD-ROM-SNi

 

André PAULIN – 45953

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

André, Paul, Maurice, PAULIN naît le 22 juin 1924 à Craon (Mayenne ), fils de Maurice Paulin et Alice Maignan, son épouse.

Au moment de son arrestation, il est domicilié au 2 bis, rue de Sèvres (rue Paul Vaillant-Couturier ?) à Clamart 

[1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92) ; probablement chez ses parents. Il est célibataire (arrêté à 17 ans).

André Paulin est apprenti chaudronnier à l’usine de construction aéronautique dite usine Caudron Renault, 52 rue Guynemer, à Issy-les-Moulineaux (92) ; occupée plus tard par Thomson CSF.

Il est militant des Jeunesses communistes.

Sous l’occupation, il reste actif dans la clandestinité.

Pendant un temps, il est détenu au dépôt de la préfecture de police, à Paris (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité).

Le 2 juillet, inculpé d’infraction au décret du 26-09-1939, il est écroué au quartier des mineurs de l’établissement pénitentiaire de Fresnes [1] (Seine / Val-de-Marne).

Le 21 août, la chambre des mineurs (15e) du Tribunal correctionnel de la Seine le condamne à quatre mois d’emprisonnement.

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.  Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.  (montage photographique)

Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du 1er étage.
(montage photographique)

Le 2 septembre, il est transféré au quartier des adultes de Fresnes.

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

À l’expiration de sa peine, André Paulin n’est pas libéré : le 2 octobre 1941, le préfet de police signe un arrêté ordonnant son internement administratif. Pendant un temps, il est détenu au dépôt de la préfecture.

Le 9 octobre, il fait partie des 60 militants communistes (40 détenus venant du dépôt, 20 venant de la caserne des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 9 février 1942, André Paulin est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). C’est là qu’il “fête” ses 18 ans : il est le deuxième plus jeune déporté du convoi.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, André Paulin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sà pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Le 8 juillet 1942, André Paulin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45953 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, André Paulin est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Pendant un temps, il est assigné au Block 4.À une date restant à préciser, il est admis au Block 20 (maladies contagieuses) de l’hôpital des détenus d‘Auschwitz-I.
Le Block 20 en 1962. © archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.

Le Block 20 en 1962. © archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.

C’est là qu’il meurt le 27 septembre 1942, selon un relevé clandestin du registre de la morgue d’Auschwitz-I (Leichenhalle) réalisé par le groupe de résistance polonais des détenus [2].

Son nom est inscrit (avec seulement l’initiale de son prénom) sur le Monument aux morts de Clamart, situé dans le cimetière communal.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 28-02-96).

Notes :

[1] Clamart et Fresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant André Paulin, c’est « le 11 juillet 1942 à Auschwitz (Pologne) et non le 6 juillet 1942 à Compiègne (Oise) » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 381 et 416.
- Archives Départementales du Val-de-Marne (AD 94), Créteil : prison de Fresnes, dossier des détenus “libérés” du 1er au 15-10-1941 (511w23).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” (BA ?…) ; cabinet du préfet de police, dossier individuel (1 W 741-28048).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale de des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
- Archives départementales de la Vienne, Poitiers : camp de Rouillé (109W75) ; dossier André Paulin (109W395).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; liste de la morgue (« Leihenshalle »).
- Site Mémorial GenWeb, 92-Clamart, relevé de Jacques Baudot (2000-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 17-10-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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Louis PAUL – 45952

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Louis PAUL naît le 15 décembre 1897 à Saint-Samson-la-Poterie (Oise – 60), fils de Louis Paul, né en 1879, ouvrier potier chez M. Briard, et de Marie Derichez, son épouse, née en 1877, domiciliés au 39, route de Beauvais à Dieppe (?).

Pendant un temps, Louis Paul travaille comme charcutier.

Le 19 avril 1918, Louis Paul est incorporé comme soldat de 2e classe au 51e régiment d’infanterie. Le 30 août suivant, il passe au 128e R.I. Le 1er juin 1919, il de nouveau affecté au 51e R.I. Le 21 mars 1921, il est renvoyé dans ses foyers en attendant son passage dans la réserve de l’armée active (prenant effet le 15 avril), titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 8 novembre 1919 à Breuil-le-Vert (60), Louis Paul épouse Germaine Roger, née le 30 novembre 1900 à Auneuil (60). Lors du recensement de 1921, celle-ci est domiciliée chez ses propres parents, demeurant Grande rue à Giencourt, commune de Breuil-le-Vert, avec leur fils, Robert, né en 1920. Elle est alors ouvrière d’usine à Agnetz (“Gervais Belle Assise”).

Le 27 février 1923, Louis Paul entre à la 3e division de la Compagnie des chemins de fer du Nord. Il est d’abord conducteur Creil (à vérifier…), puis homme d’équipe à Creil. Il est “affilié” à la compagnie l’année suivante, mais “rayé des cadres” à la mi-juillet 1925 pour une raison qui reste à préciser.

En octobre 1922, ils habitent au 4 bis, rue Saint-Lazare à Beauvais, où leur fille Denise naît cette même année.

Lors du recensement de 1926, le couple habite rue Saint-Germer à Giencourt. Louis Paul est alors courtier pour La Semeuse de Paris, rue de la Gare à Creil.

Lors du recensement de 1926, Robert (six ans) n’apparaît plus : décédé ? Louis Paul est alors livreur chez Midard (?) à Clermont (60).
Le 26 janvier 1930, l’armée le classe affecté spécial comme « manœuvre ajustage » à la Société des Forges de Montataire.

Se présentant plusieurs fois aux élections municipales à Breuil-le-Vert sur la liste du Parti communiste, Louis Paul y est élu en 1935.

À partir de 1936, il est responsable CGT aux Forges de Montataire.

Les Forges de Montataires, sur les bords de l’Oise. Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive.

Les Forges de Montataires, sur les bords de l’Oise.
Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive.

En 1938, il est secrétaire au conseil syndical, le plus important du département. Mais, en janvier 1939, en est exclu sous l’accusation de malversations financières.

Du 28 septembre au 1er octobre 1938, il est rappelé à l’activité militaire.

En 1940, il est déchu de son mandat municipal à Breuil-le-Vert pour n’avoir pas renié publiquement son engagement politique.
Après son arrestation, Louis Paul est déclaré comme monteur… et en instance de divorce.

Le 13 septembre 1941, Louis Paul est arrêté puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Il y est enregistré sous le matricule n° 1588.

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le 20 février 1942, le chef de la Feldkommandantur 580 à Amiens (Somme – 80) – ayant autorité sur lesdépartements de la Somme et de l’Oise – insiste auprès du préfet de l’Oise, Paul Vacquier 

[1], afin que la fiche de chaque interné du Frontstalag 122 pour activité communiste demandée à l’administration préfectorale indique « son activité politique antérieure (très détaillée si possible), ainsi que les raisons qui militent pour ou contre sa prompte libération du camp d’internement ».

Le 10 mars, le préfet de l’Oise écrit au Ministre secrétaire d’État à l’Intérieur pour lui transmettre ses inquiétudes quant à cette demande : « Étant donné que parmi les internés du camp de Compiègne une vingtaine déjà ont été fusillés en représailles d’attentats commis contre les membres de l’armée d’occupation, il est à craindre que ces autorités aient l’intention de se servir de mon avis pour désigner de nouveaux otages parmi ceux pour lesquels j’aurais émis un avis défavorable à la libération. Me référant au procès-verbal de la conférence des préfets régionaux du 4 février 1942, qui précise “qu’en aucun cas les autorités françaises ne doivent, à la demande des autorités allemandes, procéder à des désignations d’otages”, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me donner vos directives sur la suite qu’il convient de réserver à la demande dont je suis saisi… »

Le 13 avril 1942, le commissaire principal aux renseignements généraux de Beauvais transmet au préfet de l’Oise soixante-six notices individuelles concernant des individus internés au Frontstalag 122 à Compiègne, dont dix-neuf futurs “45000”. Sur la notice qui le concerne – à la rubrique « Renseignements divers » -, Louis Paul est qualifié de « Militant communiste. A toujours déployé une grande activité politique. »

Le 24 avril, Paul Vacquier transmet à la Feldkommandantur 580 les notices individuelles concernant les « personnes internées au camp de Compiègne, figurant sur la liste [qui lui a été] communiquée et domiciliées dans le département de l’Oise » qui mentionnent uniquement « des renseignements concernant l’état civil, la parenté et la situation matérielle ». En outre, le préfet demande quelle suite a été réservée aux demandes de libération d’internés français qu’il a présentées dans ses lettres des 14 et 17 avril.

Enfin, le 29 juin, Paul Vacquier écrit à la Feldkommandantur 580 pour essayer d’obtenir la sortie du Frontstalag 122 de soixante-quatre ressortissants de son département – dont Louis Paul – au motif « qu’aucun fait matériel d’activité communiste n’a été relevé à leur encontre depuis l’arrivée des forces allemandes dans la région », envisageant la possibilité d’interner certains d’entre eux « dans un camp de concentration français ». Sa démarche ne reçoit pas de réponse.

Le mal est probablement déjà fait : quand elles ont procédé à des arrestations dans l’Oise entre juillet et septembre 1941, les forces d’occupation ne disposaient-elles pas déjà d’informations et d’appréciations transmises par certains services de la police française ? N’en ont-elles pas obtenu d’autres par la suite ? Le préfet craignait la fusillade. Ce sera la déportation.

Entre fin avril et fin juin 1942, Louis Paul est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Louis Paul est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45952 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Louis Paul est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).

À la mi-août 1943, Louis Paul est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues –
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Louis Paul est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 28 août 1944, il est dans le petit groupe de trente-et-un détenus dont vingt-neuf “45000” transférés au KL [2] Flossenbürg (Haut-Palatinat bavarois, proche de la frontière tchèque) et enregistrés dans ce camp le 31 août.

Louis Paul y dépérit, malgré la solidarité active de ses camarades “45000”. En décembre, malade, il entre à l’infirmerie du camp.

Louis Paul meurt le 9 janvier 1945 à Flossenbürg.

Le 14 juin 1945, Roger Debarre (“46231”), de l’Aisne, qui l’avait connu à Compiègne et qui avait subit le même trajet en déportation, écrit à Germaine, son épouse, pour lui rapporter les circonstances de sa mort.

Après la Libération, le Conseil municipal de Breuil-le-Vert donne le nom de Louis Paul à une rue de la commune.

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Breuil-le-Vert, à l’entrée du cimetière. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 28-02-1996).

Sa veuve se remarie à Clermont le 31 mai 1947.

Notes :

[1] Paul Vacquier, nommé préfet de l’Oise le 22 mai 1940, au début de l’offensive allemande, cherche ensuite à maintenir un semblant de souveraineté française à l’échelon local, ce qui lui vaut son départ le 30 octobre 1942.

[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

 

Sources :

- Notice in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, CD-rom, version 1990-1997, citant : Arch. Dép. Oise, série M, 33 W 8250 – Arch. CGT d’Usinor (Forges de Montataire) – Témoignage de son fils.
- Archives départementales de l’Oise, site internet : registres de recensement de Saint-Samson-la-Poterie, année 1906, et de Breuil-le-Vert, année 1921, page 9 (vue 7), année 1926, page 7 (vue 6), et année 1931, page 7 (vue 6) ; registre d’état civil d’Auneuil, année 1900, acte n°84 (vue 387) ; registre des matricules militaires, classe 1915, matricule n° 433.
- Centre des archives multirégional SNCF de Béziers, dossiers des personnel, recherches effectuées par Rail & Mémoire.
- Archives départementales de l’Oise, Beauvais : Exécutions d’internés, camp de Royallieu, mesures contre les communistes (33W 8253/1) ; Internement administratif (141w 1162).
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 346 et 347, 356, 369 et 416.
- Site Mémorial GenWeb, 60-Breuil-le-Vert, relevé de Cédric Hoock (2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 11-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

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