Odette, Jeanne, Madeleine, Richier, née le 10 août 1911 à Lahaymeix (Meuse), domiciliée à Soissons (Aisne), morte au camp de femmes de Birkenau le 7 avril 1943.
Odette, Jeanne, Madeleine, Richier naît le 10 août 1911 à Lahaymeix, petit village agricole et forestier de 67 “ménages” situé à 40 km au sud de Verdun (Meuse), fille de Victor Richier, 48 ans, instituteur de l’école communale, veuf d’un premier mariage au cours duquel il a déjà eut trois enfants, et de Marguerite Cardinet, 31 ans, son épouse, ménagère, avec laquelle il a quatre autres enfants : Lucien, Gabriel, né le 26 septembre 1906, André, Jacques, né le 11 août 1909, Odette, et Luce, Armande, Aimée, Marguerite, née le 15 novembre 1916, tou·te·s à Lahaymeix.
En 1926, ils habitent une maison située rue Bellevue (?).
À compter du 10 novembre 1927, Lucien, après avoir bénéficié d’un sursis pour étude d’un an, est appelé à accomplir son service militaire au sein du 26e escadron d’automitrailleuses de cavalerie, affecté à Meknès (Maroc). Libéré comme “soutien de famille”, il est “envoyé dans la disponibilité” le 8 novembre 1928 et se retire à Lahaymex, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
En avril 1929, Lucien déclare habiter au 22 rue du Coulmier à Verdun.
Le 21 octobre 1930, André, alors étudiant, est appelé à accomplir son service militaire au 18e Régiment du Génie. Le 21 avril 1931, il est nommé 1re classe. Le 11 octobre suivant, il sera envoyé en congé de démobilisation, titulaire d’un certificat de bonne conduite. Le 1er mars 1936, il sera nommé au grade de caporal. Dans le civil, il devient d’abord opérateur de cinéma. Il pratique la musique en amateur, jouant du violon.
À une date restant à préciser, la famille emménage rue Nouvelle du Coulmier à Verdun.
Au recensement du 31 mars 1931, après que Victor ait pris sa retraite d’instituteur, les Richier sont installés à Verdun, avenue de Troyon (voie sans numérotation, quartier n° 13) : Lucien, 24 ans, est alors agent technique des Contributions directes ; André, est absent, achevant son service militaire…
Victor Richier décède le 1er novembre 1933, âgé de 70 ans. Lucien, aîné des enfants du deuxième mariage, 26 ans, semble prendre la place de chef de famille.
En 1935, Lucien adhère au Parti communiste, ayant une activité “à la base”.
Au recensement du 1er avril 1936, Marguerite Richier et ses enfants vivent toujours à la même adresse. Lucien, 29 ans, est devenu géomètre à la mairie de Verdun. André, 27 ans, est comptable pour le “Génie militaire”. Odette, 24 ans, et Armande, 19 ans, ne déclarent aucune profession…
Le 28 mars 1939, Lucien Richier déclare habiter au 2, place Saint-Médard à Soissons (Aisne – 02), vivant avec sa mère Marguerite et ses deux sœurs ; ils sont peut-être venus s’installer dans cette ville afin de se rapprocher de la famille du défunt époux de Marguerite, en l’occurrence Marie Denise Richier, mariée avec Pierre Gut, mais peut-être aussi parce qu’André y a trouvé un emploi.
Situer avec certitude le domicile de la famille Richier est problématique. Derrière une esplanade herbeuse, le n° 2 de la place Saint-Médard désigne aujourd’hui (2025) un portail en bois ouvrant sur un enclos ceint de murs. À l’intérieur de cet espace, deux bâtiments sont accolés à l’allure de granges, avec des parois de planches et des toits de tuiles. Sur une vue aérienne prise en 1950 (I.G.N.), ces bâtisses semblent être les seules constructions dans la parcelle. Plus tard seulement (2003) est visible une sorte de long préfabriqué sans étage…
Odette est – ou a été – coiffeuse (cependant, lors de son interrogatoire, elle se déclarera sans profession…).
Le 25 août 1939, peu avant l’entrée en guerre, André est rappelé à l’activité militaire et rejoint le 18e Génie le 28 août.
En septembre 1939, Lucien Richier (34 ans) est également rappelé et affecté à la 2e compagnie du Train, escadron n° 6. Le 25 novembre 1939, il passe au dépôt d’artillerie 61, 102e batterie. Le 18 avril 1940, il est affecté à la 50e Bie topographique et dirigé sur la section topographique de l’état-major, détachement A.T.O.E. Nord (acronyme à vérifier…).
Il embarque avec le corps expéditionnaire de Norvège, direction Narvik. Le 28 mai, les Alliés reprennent la ville portuaire par laquelle transite le minerai de fer, marquant la première grande défaite allemande de la guerre. Début juin 1940, en raison des revers en France, les Alliés évacuent la Norvège (Opération Alphabet). Le 4 juin, Lucien quitte le port d’Harstadt pour débarquer à Brest (Finistère) le 14 juin. Quatre jours plus tard, il réembarque pour l’Angleterre. Il s’y trouve du 22 juin au 1er juillet. Le 10 juillet, il débarque à Casablanca (Maroc) ; le 15 juillet, il est à Meknès ; le 31 juillet, il est à Oran. Le 2 août, il embarque pour traverser la Méditerranée et débarquer à Port-Vendre (Pyrénées-Orientales) le 5 août.
Le 16 août, il est démobilisé à Grenoble, et se retire d’abord au 195 rue de Crimée (Paris 19e), chez Marie Pauline Lallement, 59 ans, célibataire sans enfant, femme de ménage, native elle aussi de Lahaymeix, amie de sa mère et ancienne élève de son père.
De retour à Soissons, Lucien Richier est surveillant de travaux aux Ponts et Chaussées (jusqu’à sa “plongée” en clandestinité, début 1942).
Le 7 mai 1940, lors de l’invasion allemande, Marguerite, Odette et Armande ont fui Soissons pour Sainte-Marie-sur-Mer, près de Pornic (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique). Le 17 juin, elles étaient à Rennes (Ille-et-Vilaine) lors du bombardement meurtrier des gares de triage, alors que des trains de réfugiés et de militaires stationnaient près de convois de munitions. Elles sont rentrées à Soissons au début août 1940.
Après avoir participé à la campagne d’Alsace, puis s’être retrouvé avec son unité à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) sans avoir été fait prisonnier, André est démobilisé le 26 août par le centre démobilisateur de Châteauroux (Indre) et rejoint sa famille au 2 place Saint-Médard le 30 août. Pendant un temps, il s’occupe de réparation de TSF et de “constructions” (?) à Soissons, notamment pour ses proches (famille Gut). Le 15 janvier suivant, il rentrera à Verdun pour y retrouver son emploi de radio-technicien.

La famille Richier, pendant une saison froide.
De gauche à droite : André, Lucien, Odette, Armande et leur mère, Marguerite.
Date et lieu inconnus.
Collection Didier Gut. Droits réservés.
À une date restant à préciser, Armande devient institutrice de l’enseignement public à Billy-sur-Aisne, à l’est de Soissons, à six kilomètres de leur domicile.
Comment a-t-elle obtenu ce poste ? Suite à une formation suivie avant-guerre dans une école normale d’institutrices ? Ou recrutée sans formation professionnelle initiale, mais en possédant le Brevet élémentaire (BE), sous un statut précaire de “remplaçante” (auxiliaire révocable à tout moment), devant enseigner pendant plusieurs années avant de pouvoir éventuellement obtenir un “certificat d’aptitude pédagogique (CAP)” et donc sa titularisation ? Un recrutement rendu possible au début de l’automne 1939 parce que des postes ont été ouverts en raison des nombreux instituteurs mobilisés (puis fait prisonniers de guerre) ?
Puis (quand ?), Armande est affectée à l’école primaire du petit village de Dommiers, au sud-ouest de Soissons, à treize kilomètres de leur domicile. Après sa classe, il semble qu’elle rentre quotidiennement au 2, place Saint-Médard ; très certainement à vélo.
Début 1941, Lucien Richier trouve le contact avec le Parti communiste clandestin à Soissons. Un responsable régional utilisant le pseudonyme de “Jourdan” lui confie d’abord la distribution de tracts dans la ville. Par la suite, Lucien se voit confier la responsabilité d’une section locale.
En janvier 1942, à la suite de plusieurs vagues d’arrestations dans le département de la Seine, un cadre du Parti communiste interdit, désigné sous le surnom de “Jojo”, dirige André Beck [1], un militant alors entré en clandestinité (pseudonyme “Jean Leyer”, surnom “Louis”), vers les départements du Nord-Est afin qu’il y poursuive ses activités comme nouveau responsable régional du PC. Celui-ci s’installe à Soissons, 87 rue Jean-de-La-Fontaine. Continuant à recevoir les instructions de “Jojo”, il entre en contact avec Lucien Richier.
Vers le mois de février 1942, André Beck (« Louis”) se présente chez les Richier pour rencontrer Lucien, lequel est absent. Il discute un moment avec Odette. Apprenant que celle-ci était sympathisante communiste, il lui propose de travailler pour le Parti clandestin, ce qu’elle accepte. “Louis” revient quelques jours après pour discuter avec Lucien, mais Odette ne participe pas à leur conversation. Plus tard, Odette présente “Louis” à sa mère Marguerite, comme étant son fiancé (peut-être simplement pour justifier sa venue régulière…).
Selon la mémoire familiale (Pierrette Gut), Odette est particulièrement déterminée dans cet engagement.
Au début de mars, après une entrevue avec “Jojo”, André Beck fixe à Odette son prochain travail : elle doit distribuer des tracts et vendre des “bons de solidarité” dont il lui donne plusieurs carnets. L’activité de celle-ci commence au mois d’avril suivant ; vers le mois de juin, elle se fait appeler “Mado” (diminutif de son deuxième prénom : Madeleine).
André Beck et Odette contactent Norbert Morice (20 ans), de Ressons-le-Long, afin qu’il effectue des distributions de tracts, et le chargent de la reconstitution des Jeunesses communistes dans le secteur de Vic-sur-Aisne, proche de Ressons-le-Long.
En mai, Edmonde Chaumeil, une militante de Paris est envoyée à Soissons afin de seconder André Beck dans les activités de propagande de son groupe ; Odette Richier accepte d’héberger celle-ci pendant quelque temps. Norbert Morice sera en contact avec la nouvelle venue.
Le 10 juin, Lucien Richier, frère d’Odette, ayant appris qu’il était recherché par la police, entre en clandestinité après avoir quitté son domicile légal – et familial – de Soissons, place Saint-Médard. Prenant la fausse identité de « Luc Richard », il réorganise alors la section de Saint-Quentin (02), assisté de Maurice Preux et d’un surnommé ”l´épicier”, devenant ensuite le responsable politique de cette section. Il loue une chambre chez Lucie Nacedo, employée à la buvette de la gare de Saint-Quentin et amie du cheminot Gilbert Floquet. Lucien Richier confie à Robert Guézou, de Saint-Quentin, la charge du recrutement et du développement politique dans son secteur.
Dans le courant de juillet 1942, “Jojo” confie une nouvelle activité à André Beck. Il lui remet une caisse de pétards de cavalerie français (mélinite) en lui disant de les utiliser contre les écluses, dans le but d’empêcher les péniches chargées de blé de naviguer, soupçonnant que leurs cargaisons sont destinées à l’Allemagne.
Dans la nuit du 13 au 14 août, à 0h30 du matin, Lucien Richier – avec Justin Eloy, sur ordre d’André Beck – est co-auteur de l’attentat ferroviaire de Remaucourt (Aisne), sur la ligne Paris-Bruxelles, au passage à niveau entre la gare de Saint-Quentin et celle de Fresnoy-le-Grand. Le rail gauche de la voie montante est coupé par l’explosion de pétards de cavalerie. Les dégâts sont peu importants et la circulation n’est pas interrompue.
Odette Richier participe également à plusieurs actions visant à entraver l’effort de guerre de l’occupant.
En août (date restant à préciser), Odette – personnellement [?] – incendie les Magasins Généraux de Soissons contenant des stocks de marchandises destinés à l’armée allemande. (selon Lucien Richier pour statut DR : à vérifier…).
Le 24 août, entre 1h45 et 1h50, le sabotage de l’écluse de Leuilly-sous-Coucy (à 12 km de la place Saint-Médard), sur l’étroit canal de l’Oise à l’Aisne, à distance du village, est exécuté par André Beck, Justin Eloy, Odette Richier et Edmonde Chaumeil. Bien que les dégâts soient peu importants, la circulation n’est rétablie qu’au bout de cinq jours, les pièces nécessaires aux réparations devant être fondues spécialement.

Le 2 août 1942, les autorités françaises constatent le sabotage de l’écluse de Tergnier, réalisé par André Beck et Justin Eloy (sans Odette).
AD 02 : dossier Justice 52-U-19.
Le 21 septembre, à 4h50, le sabotage de l’écluse d’Azy-sur-Marne (à 50 km de la place Saint-Médard !), est exécuté par André Beck, Odette Richier et Edmonde Chaumeil ; Justin Éloy ne s’étant pas présenté au rendez-vous. Le trafic est interrompu une journée.
Vers la mi-septembre, Beck se rend en compagnie d’Odette Richier sur la route de Compiègne, au lieu-dit “Le Port”, commune de Pernant (02) (à 8 km de la place Saint-Médard), où il incendie un hangar et une meule appartenant au maire de la localité ; le préjudice est évalué à 800 000 francs.
Le 29 septembre, Eloy, Beck et Odette Richier participent au sabotage de l’écluse n°11 de Fontenoy (02) (à 13 km de la place Saint-Médard) ; Odette éclaire Beck pendant qu’il dispose ses pétards sous les gonds des vantaux des écluses.
Début septembre 1942, André Beck envoie Lucien Richier à Paris afin d’y prendre en charge la répartition du matériel de propagande destiné à la région Nord-Est de la France (PR1 bis ; Laon, Saint-Quentin, Soissons, Bar-le-Duc, Verdun, etc.), en remplacement d’“André” (pseudonyme non identifié, fausse identité : “Raymond Clauss”). Richier prend alors le “nom de guerre” de “Gaston”.
Le système est déjà bien rodé : une “centrale” clandestine parisienne fait imprimer tracts et journaux, les conditionne dans des caissettes de contreplaqué pesant entre 5 et 47 kilos, puis les fait transporter par le réseau officiel de la SNCF. Ces colis sont adressés en “poste restante” vers des gares de province par des expéditeurs fictifs (de soit-disant entreprises, telle la “Nationale Électrique”, ou des particuliers). Les récépissés d’expédition, libellés également avec de faux noms de destinataires, sont envoyés à des correspondants qui les utilisent ensuite pour venir récupérer les paquets en attente (le contrôle est alors insignifiant). Parfois, les diffuseurs finaux font retirer les colis par des intermédiaires “de rencontre” ignorant le contenu de ceux-ci.
À Paris – de la même manière que Lucien Richier -, deux militants sont chargés des envois de tracts vers d’autres régions : Émile Pinel (indicatif P.R.2) gère les départements de l’Oise, de la Somme, de l’Eure, de la Seine-Inférieure, du Calvados et de la Manche ; Louis Hubeau (indicatif P.R.1) gère le Nord, avec les villes de Lille, Aulnoy, Douai, Cambrai, et le Pas-de-Calais, notamment Dourges, Bully-Grenay, etc.
À une des autres extrémités de ces filières, Odette Richier réceptionne « du matériel de propagande communiste » envoyé depuis Paris par son frère.
Selon une attestation ultérieure du mouvement résistant Front National [2] sans doute “suggérée” par Lucien, Armande, de son côté, organiserait l’activité clandestine des instituteurs du département en lien avec l’état-major régional (?). Chargée du recrutement dans les milieux intellectuels, elle rédigerait et diffuserait des tracts conçus à cet effet.
D’après Charlotte Delbo, Marguerite Richier, la mère d’Odette et Armande, « est au courant de ce qu’elles font et les aide ».
L’autrice relate ainsi l’arrestation de la fille aînée : « Le 16 octobre 1942, Odette, roulant à bicyclette, porte des tracts qui viennent d’être tirés. En route (Pourquoi ? Un geste, comme ça), elle lance une poignée de tracts à la volée. Passe un moment plus tard une voiture de la Gestapo. L’automobile s’arrête. Les Allemands ramassent quelques tracts : tout neufs, tout propres, on voit qu’ils viennent d’être jetés. La voiture rattrape la cycliste. Les paquets, sur le porte-bagage, sont visibles. Odette Richier est identifiée, conduite à la Kommandantur, puis chez elle. »
Même si ce récit provient d’Odette Richier elle-même (recueilli à Romainville ?), il sous-estime le sérieux de son engagement dans la Résistance – le fait qu’elle pouvait être armée et transporter également des explosifs – et occulte totalement la présence d’André Beck à ses côtés au moment de l’arrestation. Est-ce à cause d’interrogations ultérieures sur la fiabilité de celui-ci ? [1] Par ailleurs, lancer au hasard (gâchant ainsi…) une poignée de tracts dont la fabrication et l’acheminement sont si difficiles à réaliser semble incroyablement frivole ; Odette a 30 ans et une expérience de la clandestinité…
Son frère Lucien témoignera : « Arrêtée sur la route nationale (Soissons à Villers-Cotteret) [N 2, route de Paris, direction sud-ouest, deux fois deux voies en 2025] alors qu’elle transportait des armes [?] et explosifs à vélo (dénonciation probable) ». Dans un autre document, Lucien indiquera : « Lieu exact : ferme de Vertefeuille » [au carrefour avec la D 17, allée de Villers-Cotterêts depuis Le Translon/rue de Longpont, avant l’entrée dans la forêt]. « Elle se défendit. » [?]
Il est surprenant que les deux cyclistes – se déplaçant pour une mission de simple diffusion de propagande – aient circulé avec des armes de poing. Le projet était-il de rejoindre d’autres militants clandestins à Villers-Cotterêts pour une distribution en public “protégée” ? Ou fallait-il à la fois transmettre des armes et de la propagande à un groupe local ?
S’agissant des circonstances de l’arrestation d’Odette, la famille Gut-Richier de Soissons a par ailleurs acquis la conviction d’une dénonciation par un homme travaillant dans le même quartier. Pierre Gut jura de « lui faire la peau » à la Libération, mais lui-même décéda le 26 juillet 1944. Ce collaborateur sera néanmoins arrêté et condamné sous d’autres accusations ; le motif déclaré d’arrestation d’Odette – délibérément “fuité” sous l’occupation par la Sipo-SD (dite “Gestapo”) – aurait eu pour objectif de protéger la “couverture” du délateur…
Odette Richier et André Beck sont probablement ramenés au siège local de la Sipo-SD à Soissons, au 9 de la rue de la Buerie, dans le quartier central de l’évêché, à proximité de la cathédrale Saint-Gervais-et-Saint-Prothais [3].
Marguerite Richier est arrêtée peu après au domicile familial, dont l’adresse a probablement été extorquée à Odette.
Dans son école de Dommiers, Armande est prévenue (téléphone, cycliste ?) que les Allemands sont chez sa mère et qu’il ne faut pas rentrer. Elle répond : « Je ne laisserai pas Maman seule. » Elle est prise elle aussi.
Selon Charlotte Delbo encore, lors de la perquisition opérée chez elles, les policiers allemands trouvent « ronéo, machine à écrire, stencils, papier, et l’adresse des deux frères qui ne viennent que rarement à Soissons ». Cependant, dans un rapport ultérieur, daté du 9 février 1943, le commissaire de police de Sûreté de la 21e brigade régionale à Saint-Quentin (02), qui a « obtenu [de la Sicherheitpolizei de Saint-Quentin] que les personnes appréhendées soient mises à disposition du service afin que je puisse procéder à leur interrogatoire », écrira : « Richier Armande et sa mère, Richier, née Cardinet Jeanne n’apparaissent pas, au cours de l’enquête, avoir participé à l’activité de leur fille et sœur Odette Richier. Il semble que toute l’action se soit déroulée à leur insu. » Pourquoi le SD aurait-il caché à la police française l’existence d’un matériel compromettant ?
Le jour de leur arrestation, une perquisition est également réalisée au domicile de la famille Gut-Richier à Soissons, distant “au plus” d’un kilomètre. Seule la fille de la maison, Pierrette Gut, 19 ans, est alors présente. Par chance, rien de suspect n’est trouvé. Pierrette est tout de même appréhendée et conduite à la Kommandantur [?] de Soissons, pour être finalement relâchée à la nuit tombée.
Après les bureaux du SD de Soissons [?], la mère et les deux filles Richier sont emprisonnées à Saint-Quentin, dans le secteur allemand de la Maison d’arrêt, dite l’Hôtel des Quatre Boules, boulevard Richelieu ; comme la famille Gigand, de Saint-Bandry (02), appartenant au même réseau.
Selon la mémoire familiale, Guy Thomain, un jeune détenu originaire de Crouy (02), emprisonné un temps sur dénonciation calomnieuse et affecté à la distribution de nourriture, a alors l’occasion d’entrer en contact avec les dames Richier à plusieurs reprises. Selon son témoignage ultérieur, Odette est interrogée avec violence pendant plusieurs jours et ramenée en cellule très “éprouvée” ; les interrogatoires étant plus “cléments” pour Armande et Marguerite. Un message de nature inconnu noté sur un petit morceau de papier est transmis à Odette de la part d’un expéditeur lui aussi incarcéré ; celle-ci l’avale après en avoir pris connaissance.
Le 22 octobre, André Richier (33 ans), leur fils et frère, est arrêté par la Sipo-SD à son domicile, un hôtel au 7 rue des Petits-Frères à Verdun et amené à Saint-Quentin pour y être interrogé. Dans son rapport du 9 février 1943, le commissaire Chevalier écrira : « Quant à Richier André, rien n’a permis de l’inculper d’activité communiste et sa déclaration paraît sincère » (à cette date, celui-ci a déjà été déporté, le 24 janvier, par les “Autorités Allemandes”).
Ainsi, la police allemande ne semble pas avoir signalé d’aveux de la part de Marguerite, Armande et André…
Du 20 au 23 octobre, à Soissons, Saint-Bandry, Ressons-le-Long et Saint-Quentin, une douzaine de personnes sont arrêtées par la Sipo-SD de Saint-Quentin, et “prêtées” plus tard à la 21e brigade de police de Sûreté française. Parmi celles-ci : Sophie Gigand née Richet, Jean Émile Gigand, Andrée Gigand, de Saint-Bandry (02).
Dix jours après l’arrestation des dames Richier, le 26 octobre 1942, le Chef du Service de Sureté et du Service de Sécurité dans le ressort du Commandement Militaire en France (IV A I – 6534/92) – Sipo SD, “Gestapo” – écrit à la direction des Renseignements généraux (RG) de la préfecture de police à Paris pour lui demander « d’effectuer des recherches utiles et, s’il est rencontré, d’arrêter » Lucien Richier, « communiste terroriste » (sic). Sa sœur Odette, arrêtée « avec un communiste dont on ne connaît pas encore le nom (…) a donné (des) indications au sujet de son frère, de qui elle a reçu du matériel de propagande communiste ». Lucien Richier « viendrait environ toutes les deux semaines à Paris (19e) chez la concierge Guillot, 195 rue de Crimée, pour y retirer du matériel de propagande communiste. (Il) travaille avec une femme Paulin (…) Attention lors de l’arrestation : porte probablement une arme à feu ! » (re-sic).
Le 3 novembre, le SD rédige un rapport concernant l’arrestation d’André Beck et Odette Richier, probablement à destination d’une autorité française (police présumée).
Le 12 novembre suivant, après quelques jours de surveillances et de filatures, Lucien Richier (pseudonyme “Luc Richard”, nom de guerre “Gaston”) est arrêté par quatre inspecteurs de la brigade spéciale anticommuniste (BS1) des RG à cette adresse, celle de sa vieille amie Pauline Lallement, qui l’hébergeait en alternance avec des nuits passées en hôtel.
Dans un rapport ultérieur désignant deux de ces policiers, ceux-ci se verront attribuer le mérite de la découverte de ce réseau de propagande : « À la suite d’une recrudescence des expéditions de matériel communiste dans différentes régions de zone occupée, des enquêtes et de nombreuses surveillances effectuées tant dans les gares de départ que dans diverses agences d’expéditions de colis, par les inspecteurs Hannot et Masmondet, ont amené les dits inspecteurs à suspecter un nommé “Richard” qui avait été aperçu à différentes reprises effectuant des transports de caisse à l’aide d’une charrette à bras. D’autre part, les filatures effectuées à son égard ont également amené ces inspecteurs à constater qu’il avait quelques liaisons avec des cyclistes et qu’il disposait d’un local sis 8 rue Boulard à Paris, ainsi qu’un éventuel lieu de refuge 195 rue de Crimée à Paris. »
Ainsi, au cours d’une sorte de “flagrant délit”, alors qu’il est seul dans le petit appartement de Pauline Lallement, absente, Lucien Richier est « trouvé assis à sa table de travail et muni de nombreux documents ayant trait à son activité clandestine » : compte-rendus de dépenses journalières, de situation hebdomadaires et mensuelles ; divers documents lui permettant d’organiser l’expédition de colis ou de caisses de tracts imprimés à Paris vers la région PR1bis (Nord-Est), notamment des adresses de livraison (parmi lesquelles celle de sa sœur Odette), dont des gares SNCF, avec des noms de correspondants souvent fictifs, destinataires des récépissés d’envoi ; quittances de loyer du dépôt de la rue Boulard (Paris 14e) ; adresse d’un autre dépôt situé 12 rue des Coutures-Saint-Gervais (Paris 3e) ; un lot de tracts clandestins imprimés et ronéotypés portant des mots d’ordre actuel de la (???) nationale. Sur lui est découvert une note indiquant un rendez-vous clandestin avec le gestionnaire de dépôt et répartiteur Robert Thiébault, 22 ans (“André”, lui aussi) [4] ; au moment d’appréhender celui-ci, les inspecteurs disposeront de son signalement physique…
Interpellé sommairement, Lucien Richier reconnaît être chargé par le Parti communiste clandestin d’envoyer dans la région Nord-Est de la France des caisses contenant des tracts.

Paris. La préfecture de police vue depuis Notre-Dame.
Carte postale des années 1900 (le bâtiment est alors la caserne de la Garde républicaine). Coll. Mémoire Vive.
Conduit dans les locaux des RG à la préfecture de police, où il est longuement interrogé, il fait part – entre autres – qu’il a été informé de l’arrestation de sa sœur Odette, ainsi que de celle de Maurice Preux, un intermédiaire local pour la répartition des colis de tracts, domicilié route de Gauchy, à la cité des Cheminots de Saint-Quentin. Ultérieurement, Lucien Richier déclarera avoir été informé de l’arrestation de « toute sa famille » par “Gabriel” [?], son responsable.
Le jour même, le transporteur “cycliste” Robert Thiébault est arrêté au lieu de rendez-vous, un café de la place Saint-Placide (Paris 6e).
Exploitant avec leur savoir-faire policier les documents récupérés, les interrogatoires, les filatures et les surveillances, les inspecteurs des RG enchaînent les arrestations (Pinel, Hubeau…) et les perquisitions en cascade à Paris et en banlieue. Au final, huit dépôts clandestins de “matériel” sont découverts et 500 000 imprimés sont saisis. L’opération policière met fin à l’existence de ce centre de propagande. Selon un document trouvé chez un des militants, 7 103 00 tracts et brochures auraient été expédiés au cours du 1er semestre 1942.
Au cours d’une procédure d’épuration des policiers parisiens après la Libération, Lucien Richier déclarera : « Je reconnais formellement le nommé Giorza (…) sur les photographies que vous me présentez (…) Au deuxième étage, dans une salle dont je ne me souviens plus le numéro (…), j’ai été interrogé et frappé – dévêtu – à coups de nerf de bœuf par les inspecteurs qui m’ont arrêtés et par d’autres, parmi lesquels je reconnais Taupin et Payen. Je reconnais également pour m’avoir interrogé les nommés David, Thévenard, et [Lucien] Rottée [directeur des RG] qui est venu assister à l’interrogatoire en disant : “Regardez cette tête de brute, son compte est bon”. Durant dix jours que j’ai passé dans les locaux des B.S., j’ai souvent entendu des patriotes hurler de douleur sous les coups qui leur étaient assénés par les policiers et j’en ai vu revenir dans un état pitoyable, le visage ensanglanté et les vêtements en lambeaux, en particulier le patriote nommé Pinel [Émile] [5] qui avait été arrêté quelques temps après moi. (…) Un autre, nommé Thiébault, a également été maltraité. »
Le 15 novembre, trois jours après l’arrestation de Lucien Richier, la 1re brigade mobile de Paris transmet à la 15e brigade mobile de Nancy (54) les informations obtenues, avec les noms et adresses de plusieurs membres du réseau : Gros père et fils, d’Épinal, Roger Durand, Blanche Lestenberger, Arturo Bonhela…. Une vague d’arrestations “en cascade” est enclenchée le jour même. Chez René Becher, à Champigneulles (54), est appréhendé Émile Pattiniez. un cadre du Parti communiste clandestin. En le fouillant, les inspecteurs trouvent l’adresse de sa “planque”. Ils y tendent une “souricière” dans laquelle plusieurs autres militants viennent se faire prendre : Odile Arrighi, Charles Désirat, Raymonde Chaumeil, Geneviève Hache… Filatures, fouilles, perquisitions, interrogatoires et confrontations permettent de démanteler le réseau local.
Le 21 novembre, à Paris, onze personnes pris·es dans l’affaire parisienne – dont Lucien Richier et Pauline Lallement – sont inculpé·es d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (propagande en faveur de la IIIe Internationale), et conduit.es au Dépôt à la disposition du procureur de la République.
Le 22 novembre, Lucien Richier est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Pauline Lallement est écrouée à la Maison d’arrêt pour femmes de la Petite-Roquette (Paris 11e).
Les 22 et 23 décembre, à Saint-Quentin, un commissaire de la 21e brigade régionale de police de Sûreté, ayant (enfin ?) obtenu l’autorisation des Autorités d’occupation pour ce faire, interroge à son tour André Beck, Justin Éloy, Odette Richier et Raymonde Chaumeil – toujours détenu·es dans le quartier allemand de la prison – sur les circonstances du sabotage de l’écluse de Lœuilly-sous-Coucy. Le même jour, l’inspecteur interroge Beck et Éloy sur le sabotage de l’écluse du canal de Saint-Quentin à Tergnier (nuit du 1er au 2 août).
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Le 15 janvier 1943 – à huit jours du départ du convoi pour Auschwitz -, les femmes Richier et Gigand sont transférées depuis la prison de Saint-Quentin au Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht. Odette Richier y est enregistrée sous le matricule n° 1441, sa sœur Armande sous le n° 1442, et leur mère Marguerite sous le n° 1445 (Sophie et Andrée Gigand ont reçu les n° 1443 et 1444, intermédiaires). Toutes sont assignées à la salle 203 bis.

Le bâtiment A, vue vers l’intérieur du fort, du côté des cours de promenade clôturées.
Photo Mémoire Vive.
Sur le formulaire d’enregistrement, les sœurs Richier désignent leur cousin Pierre Gut, rue de Vailly à Soissons, comme personne à prévenir.
Toutes trois ont peu de temps pour s’y faire connaître de leurs co-détenues…
Lors de leur courte détention en cet endroit, les dames Richier sollicitent de leur famille soissonnaise l’envoi d’un colis alimentaire… dont elles n’accuseront pas réception.
À la même date, 15 janvier, André Richier est directement transféré au camp de Royallieu à Compiègne (Oise).

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.
Si Odette est clairement désignée pour la répression en raison de ses activités avérées de propagande anti-allemande et de sabotage, Marguerite, Armande et André ont probablement été désignés pour la déportation en application de l’avis allemand du 10 juillet 1941 [6], visant les parents proches.
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions du Fort de Romainville au camp de Royallieu ; leurs fiches individuelles indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 21.1). Le lendemain, Marguerite, Armande et Odette Richier font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept du quartier pour femmes de l’établissement pénitentiaire de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police).
Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à pied à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes – parmi lesquels André Richier – ont été entassés la veille.
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes (dont André) sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que ceux des femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.
Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, les détenues sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
Aucun document d’Auschwitz sauvegardé ni aucun témoignage de rescapée ne précise sous quels matricules les dames Richier y ont été enregistrées. Cependant, par comparaison de photos du camp restées sans attribution avec des portraits civils réalisés avant-guerre, il apparaît qu’Odette a reçu le numéro 31847, sa sœur Armande le 31843, et leur mère Marguerite le numéro 31840 ; rapprochement qui s’accorde à peu près avec trois matricules parmi les derniers attribués aux futures déportées lors de leur enregistrement au fort de Romainville [7].
Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, les nouvelles arrivées sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil.

Odette RICHIER
Photographiée à Auschwitz-I le 3 février 1943, et identifiée par sa cousine Pierrette Gut.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
La mère, Marguerite Richier meurt le 16 février 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « décrépitude, faiblesse due à l’âge » (Altersschwäche) ; elle a 63 ans. Plusieurs de ses camarades du convoi ont pensé qu’elle aurait pu être prise à la « course » du 10 février et mourir au Block 25, l’antichambre de la mort [7].

Marguerite RICHIER, née Cardinet.
Photographiée à Auschwitz-I le 3 février 1943, et identifiée par sa cousine Pierrette Gut.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Armande Richier meurt très vite à Birkenau, supposément en mars 1943 ; aucune rescapée n’a pu témoigner en quelles circonstances, aucune archive n’a été retrouvée (très probablement parmi les documents détruits au moment de l’évacuation du complexe concentrationnaire en janvier 1945). Elle a 27 ans.

Luce Armande RICHIER.
Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Identifiée sous réserve par comparaison avec un portrait civil.
Odette Richier meurt à Birkenau le 7 avril 1943, d’après l’acte de décès du camp qui indique pour cause, très probablement mensongère, de sa mort une septicémie avec phlegmon (« Sepsis bei Phlegmone »). Aucune rescapée n’a pu témoigner en quelles circonstances. Elle a 31 ans.
Arrivé au KL Sachsenhausen le 25 janvier 1943 (matricule n° 58414), André Richier est affecté au Kommando Heinkel, puis il sera transféré le 20 juillet 1944 au KL Buchenwald (matricule n° 67293), d’où il est dirigé sur le Kommando Leipzig-Thekla ou “Emil”, créé en mars 1943 dans le faubourg nord-est de Leipzig, et travaillant à la fois pour la firme de construction de machines Erla et pour la production d’avions Messerschmitt ; il comptera 900 détenus en janvier 1945.
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Le 16 juillet 1943, à Paris, Pauline Lallement, qui hébergeait Lucien, fait l’objet d’un non-lieu, « les preuves judiciaires (n’ayant) pu être suffisamment établies ». Mais, dès le lendemain, “ayant refusé de signer le formulaire d’allégeance au gouvernement de Vichy”, elle est internée administrativement en application du décret du 18 novembre 1939, d’abord à la caserne des Tourelles à Paris 20e. Le 4 mai 1944, elle sera transférée au camp de Poitiers (Vienne), d’où elle sera libérée en octobre suivant.
Le 14 octobre 1943, Lucien Richier comparaît devant la Section spéciale de la Cour d’appel de Paris parmi huit coïnculpés du même réseau central de propagande. Lui-même est condamné à deux ans de prison et 1200 fr d’amende (recevant la peine la plus longue).
Marcel Comménil (31 ans) est condamné à dix-huit mois de prison.
Jacques Pain (22 ans) est condamné à quinze mois de prison.
Robert Thiébault (21 ans), Émile Pinel (36 ans) et Robert Delaplace (20 ans) sont condamnés à chacun à un an de prison.
Jean Bussy (38 ans) est relaxé.
Le cas de Louis Hubeau est disjoint de ce procès, « l’inculpé étant à la disposition des Autorités allemandes » (suite à vérifier…).
Le lendemain 15 octobre, leur peine ayant été déjà purgée en détention préventive, Robert Thiébault, Émile Pinel et Robert Delaplace sont placés en internement administratif à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier (Paris 20e).
Le 29 octobre suivant (1943), objet d’un mandat d’arrêt pour activité communiste, Lucien Richier est « transféré à Saint-Quentin », réclamé par le Parquet siégeant dans la ville (« pour y être interrogé sur son activité dans cette région »), ou remis au « S.D. » [?] selon sa version ultérieure.
Il y reste détenu six mois…
Le 6 janvier 1944, Robert Thiébault, Émile Pinel et Robert Delaplace sont transférés au centre de séjour surveillé de Rouillé (Vienne). Le 12 avril, ils sont transférés au camp français de Voves (Eure).
Le 6 février suivant, un juge d’instruction de l’arrondissement de Laon transmet une commission rogatoire au doyen des juges d’instruction au Tribunal de la Seine, lui donnant pour instruction de rechercher Lucien, inculpé d’avoir en 1942 à Gauchy (Aisne) distribué des tracts en compagnie de deux militants, afin de « recevoir ses déclarations par procès verbal » sur cette affaire (suite à vérifier…).
Le 25 avril 1944, Lucien Richier est ramené à la Maison d’arrêt de la Santé (en raison d’une nouvelle procédure judiciaire ou pour finir de purger sa peine en détention française ?).
Début mai, Robert Thiébault, Émile Pinel et Robert Delaplace font partie des internés administratifs du camp de Voves transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne, avant d’être déportés au KL Neuengamme le 21 mai.
Le 17 août suivant, Lucien Richier est libéré à La Santé par les « organisations de la Résistance » lors de l’insurrection parisienne. Il revient habiter chez Pauline Lallement au 195 rue de Crimée.
Soissons est libérée le 29 août 1944 par la 3rd US Armored Division appuyée par des résistants de la ville. Le 8 septembre, la municipalité restée en poste sous le gouvernement de Vichy est dissoute par arrêté du préfet nommé par le Gouvernement provisoire. Le 28 septembre, afin de gérer la ville, celui-ci nomme la présidente du Comité local de Libération, Raymonde Fiolet (1914-1946), à la tête d’une Délégation spéciale composée de radicaux, socialistes, communistes, membres du Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France, et de “sans étiquette”, parmi lesquels Lucien Richier, vice-président de la Fédération (locale, départementale ?) des Anciens prisonniers et Déportés, alors désigné comme conseiller municipal.
Rendant visite à des membres de sa famille à Soissons, Lucien Richier leur déclare que, dorénavant, il ne pourra plus avoir d’enfant, suggérant ainsi la violence des sévices subits de la part de la police française.
Le 22 décembre 1944, le service Épuration de l’Inspection générale de la Préfecture de police rend un rapport mettant en cause Charles Masmondet, ex-inspecteur à la BS1, un des quatre qui ont interpellé Lucien Richier. Le 12 janvier 1945, une procédure est ouverte (commission rogatoire) contre l’ancien policier, inculpé d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État (sic). Le 17 janvier, Lucien Richier est entendu dans le cadre de cette affaire et porte plainte contre les policiers qui l’ont arrêté et ceux qui l’ont interrogé, « soit en raison de leur activité anti-nationale, soit en raison des coups qu’ils m’ont portés ». Au total, 25 déclarations de témoins seront enregistrées sur procès-verbaux. Une fois enregistrée, la même plainte de Lucien Richier est reprise comme pièce à charge dans les différentes procédures d’épuration concernant les autres policiers qu’il a mis en cause…
Le 12 avril 1945, depuis Wassy (Haute-Marne), Jeanne Toussaint, née Richier, fille de la première épouse de Victor, écrit au maire de Soissons pour lui demander d’effectuer des recherches concernant le sort de Marguerite, Odette et Armande (suite non connue…).
Le 13 avril, André Richier fait partie des détenus du Kommando Leipzig-Thekla évacués par la route. Le 9 mai, les rescapés de sa colonne de prisonniers sont libérés par l’“Armée Rouge” aux environs de Teplitz (Teplice), en Tchéquie.
Le 23 mai, gravement atteint par une tuberculose contractée dans les camps, André Richier est rapatrié en France par avion. Après son passage par l’hôtel Lutetia (Paris 6e), il est hospitalisé à l’hôpital Bichat, 170 boulevard Ney (Paris 18e), où il subit un pneumothorax.
Lors des élections municipales de mai-juin 1945 à Soissons, les “sortants”, dont Lucien Richier (10e de la liste), qui se présentent sur une Liste d’Union démocratique antifasciste (pour la renaissance de Soissons), arrivée en tête au premier tour, sont néanmoins battus par la liste MPR, de droite, dirigée par le docteur Louis Roy, chirurgien.
Les deux frères Richier apprennent la mort de leur mère et de leurs sœurs par les rescapées du même convoi, membres de l’Amicale d’Auschwitz.
Dans cette période, Marie-Claude Vaillant-Couturier (matr. n° 31685) signe un certificat attestant de la disparition des trois femmes Richier à Auschwitz-Birkenau.
Le 30 mars (1946 ?), Madeleine Dechavassine (matr. n° 31639), devenue secrétaire générale de l’Amicale d’Auschwitz et des camps de Haute-Silésie, et Christiane Charua (« Cécile », matr. n° 31650) en font autant.
Au recensement de 1946, André est enregistré avec son frère Lucien chez Pauline Lallement, rue de Crimée ; tous deux sont désignés comme « amis » de la locataire en titre.
Au scrutin du 24 novembre 1946, Lucien est candidat du PCF comme Grand électeur pour les élections sénatoriales.
Puis André est envoyé au sanatorium de Davos (Suisse), où il reste jusqu’au 12 février 1947. Il sera titulaire d’une pension d’invalidité à 100 %, tout effort physique lui étant interdit.
En mars 1947, interrogé par un inspecteur du commissariat de police du quartier de la Villette, Lucien lui aurait déclaré « avoir été en prison en Allemagne pendant deux ans ». Le 27 mai suivant, selon un rapport manuscrit des R.G., étant sans emploi, il vit de ses économies dans l’attente d’une “situation” ; parallèlement, « il s’occuperait de l’organisation des fêtes F.T.P. ».
Le 12 octobre, Lucien est interpellé lors d’un incident survenu rue de Joinville, à l’angle de la rue de Flandre (Paris 19e), entre gardiens (de la paix) cyclistes et vendeurs de L’Humanité. Conduit au poste pour vérification d’adresse, il est relaxé peu après suite à une intervention du maire d’arrondissement, Thadée Gabriel Pioro, commandant FFI qui s’était emparé de la mairie à la Libération (19 août 1944).
Dans cette période, dans tous les dossiers familiaux d’homologation qu’il prend sur lui de compléter, il semble que Lucien Richier ait décidé de surévaluer les responsabilités résistantes de ses proches (excepté concernant Odette, dont l’activité est attestée par forces de répression allemandes et françaises). S’agit-il d’établir un “mur protecteur” de “résistancialisme” familial, lui-même se déclarant le “chef” de ce groupe au sein du « C.O.R. » [?]. À l’appui des dossiers qu’il remplit, Lucien fait établir un certificat pour chacun et chacune avec des bilans d’activité dont il “suggère” manifestement le contenu.
Ainsi, rédigeant une “attestation” le 20 octobre 1948, Fernand Vigne – mandaté par l’ancien Comité Militaire National des FTPF auprès de sa Commission de contrôle – certifie que Lucien a mené de nombreuses actions : « Mars 1941 : sabotages à l‘usine Piat à Soissons – Même époque : en gare de Soissons, destruction d’une locomotive destinée à la traction d’un train allemand, qui fut projetée du haut d’un pont – Printemps 1941, il [Lucien] abat un allemand sur la route entre Soissons et Vic-sur-Aisne – Août 1942 : sabotages de voies ferrées dans tout le département – Août 1942 : Destruction d’écluse près de Tergnier – Septembre 1942 : responsable de l’intendance inter-région pour transport et distribution ».
À la même date, Fernand Vigne certifie également qu’André a été « Responsable inter-région (Aisne, Ardennes, Marne, Meuse, Meurthe-et-Moselle), pour l’organisation du service radio (émissions, réceptions) placé sous le contrôle direct de l’État-major inter-région, était chargé de la transmission des renseignements et des opérations à LONDRES. A été arrêté avec tout son matériel d’émission. Fonctions correspondant au grade de sous-lieutenant F.F.I. »
Le 20 juin 1950, Lucien Richier ouvre et complète un dossier d’homologation de grade FFI pour son frère André, indiquant que celui-ci avait « pour mission principale la récupération de matériel [d’] émission et réception radio pour Inter ». Mais les enquêtes officielles menées ensuite dans les 6e et 2e régions militaires ne trouveront aucune trace de cette activité en réseau de la part d’André.
Le 26 septembre 1950, à Paris 14e, André Richier (41 ans) se marie avec Suzanne Bardou, née le 11 janvier 1914 à Mezy-Moulins (02), 36 ans, institutrice, résistante, adhérente au Parti communiste et à l’Union des femmes françaises (U.F.F.). Ils auront deux enfants (dont une fille ; à préciser…).
Par deux fois, Lucien remplit un dossier d’Homologation de grade F.F.I. pour Odette, leur mère et lui. Un exemplaire reçoit le tampon d’un commandant (?) de la Subdivision de Laon le 21 février 1951. Dans les deux versions du document qui le concerne, au chapitre III – DECORATIONS OBTENUES (…) Lucien inscrit « Propositions faites en 1945 (sans résultat) : Croix de Guerre – médaille de la Résistance et homologation au grade de capitaine » (mais cette dernière proposition est biffée dans la deuxième version). Le 25 septembre 1951, la commission départementale reconnaît l’homologation de Lucien au grade fictif de lieutenant (sous les signatures de Liez, Pruvot et Bercer).
Le 28 décembre 1953, Lucien Richier remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de Déporté résistant pour chacune de ses sœurs, Armande et Odette.
Le 14 avril 1954, à Paris, Marcel Mugnier, liquidateur du Front national et « ancien Comité militaire national des Francs-Tireurs et Partisans Français » (sic), délivre une attestation contresignée par le lieutenant-colonel Marcel Vigne, mentionnant les activités de résistante d’Odette « depuis août 1940 » ; très probablement selon le “narratif” fournit par le seul Lucien. Un document identique est établi simultanément pour Armande.
Le 29 septembre 1955, André Richier se voit délivré pour lui-même par le ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre (ACVG) une carte de “Déporté-Résistant” (n° 1001.27167) ; il habite alors au 16 rue Decrès à Paris 14e.
Début novembre 1955, le bureau de l’État-civil et des recherches du ministère des ACVG interroge la direction des Renseignements généraux sur les motifs et circonstances précis de l’arrestation de Lucien, lequel sollicite pour lui-même une carte définitive d’Interné Résistant. En janvier 1956, le service établit une enquête administrative qui retient uniquement sa condamnation pour propagande clandestine.
Dans la période suivante, les dossiers de demande d’attribution du titre de Déporté résistant à Armande et Odette sont “repris” par leur frère André, qui habite alors au 19, avenue de la Porte de Vanves, à Paris 14e ; il est probable que Lucien s’en soit dessaisi parce que lui-même ne s’est pas vu reconnaître le statut d’interné-Résistant qui lui aurait permis d’appuyer la demande. Sur une procuration établie le 27 décembre 1962 pour Lucien et André, une note marginale indique que le premier est « inadmis R. – Carte I.P. » (inadmis Résistant – carte d’interné politique), alors que le deuxième a reçu la « carte D.R. » (carte de déporté-résistant).
Le 4 novembre 1963, le ministre des ACVG décide d’attribuer le titre de Déporté Résistant à Marguerite Richier à titre posthume ; la carte n° 2001 133943 est envoyée à Lucien. Le même jour, les titres de Déportés Résistants sont attribués à Odette et à Armande.
Le 26 janvier 1964, André écrit à la Direction du personnel militaire de l’Armée de terre, section Résistance, pour demander de lui soit transféré le suivi du dossier de leur mère Marguerite, son frère Lucien ayant gardé deux courriers envoyés l’année précédente « par-devers lui sans y donner suite ». Il ajoute : « Je ne puis malheureusement vous fournir que peu de renseignement concernant l’activité de ma mère. »
Le 2 novembre 1968, Marie Lallement décède à Paris 13e.
Le 15 juillet 1974, Lucien Richier décède à Créteil (Val-de-Marne), âgé de 67 ans. Il semble qu’aucun “statut” officiel ne soit venu reconnaître son activité de résistance…
Suzanne Richier, épouse d’André, décède le 29 septembre 1989 à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). André décèdera le 4 janvier 2005 à Paris 20e, âgé de 95 ans.
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Sur le monument aux morts de Soissons, situé près de la cathédrale – « À Soissons immortelle – à ses enfants tombés glorieusement pour la Patrie » -, ont été ajoutés les noms de Marguerite, Armande (sous son premier prénom, Luce) et Odette Richier, décédées à « Oswiecim, Pologne ».
À Verdun, dans le cimetière du Faubourg-Pavé, une plaque de marbre apposée sur une stèle-cénotaphe “rassemble” la famille : « À la mémoire de Victor Richier, 1863 – 1933 -, et de Marguerite Richier, Odette Richier, Armande Richier, décédées en déportation à Auschwitz 1943 ».
Le 3 février 1995, à Lahaymeix, a été inauguré un monument placé devant l’église, un bas-relief du sculpteur François Davin évoquant trois silhouettes entravées : « Cette stèle a été érigée à la mémoire de Marguerite Richier et de ses deux filles Odette et Armande, résistantes, déportées par le convoi du 24 janvier 1943 et mortes à Auschwitz. »
Notes :
[1] André Beck : Né le 25 mars 1907 à Chaligny (Meurthe-et-Moselle – 54), fils aîné d’un ouvrier métallurgiste de Neuves-Maisons (Meurthe-et-Moselle) devenu mineur, tué accidentellement, et d’une femme de ménage qui avaient eu onze enfants. Son père était syndiqué à la CGTU et sympathisant communiste, sa mère, catholique pratiquante, admirait le Front populaire.Après l’école primaire, fréquentée jusqu’à l’âge de 13 ans, il commença à travailler comme apprenti chaudronnier aux établissements Perbal à Dombasle-sur-Meurthe, puis trois ans plus tard dans une entreprise de montage à Metz, avant de revenir à Dombasle pour travailler dans une mine de sel.
(…)
Licencié après la grève du 30 novembre 1938, André Beck vivait en janvier 1939 sur ses économies et de la solidarité ouvrière. La commission des cadres le proposait à ce moment au comité régional du Parti communiste français (PCF).
En janvier 1939, il fut délégué au congrès de Gennevilliers du PCF.
En mai 1940, il fut interné administrativement au camp du Sablou en Dordogne. Il s’en évada en septembre, parvint à revenir dans la région, et fut caché successivement à Blainville, Charmes, Saint-Dié (Vosges) et Nancy (54) jusqu’en août 1941.
Camille Thouvenin, membre du triangle de direction de juin 1940 à juillet 1941 affirme que Marcel Beck militait clandestinement en Meurthe-et-Moselle et qu’en cas de chute de la direction régionale clandestine, un autre triangle était prévu pour la remplacer composé d’un responsable par département, Marcel étant « désigné comme responsable des Vosges ».
Le 15 mai 1941, le tribunal correctionnel de Saint-Dié le condamna par défaut à payer une amende de 7 007 francs 50 ou à quatre mois de prison pour infraction au décret loi du 26 septembre 1939, car depuis janvier 1941, il était passé dans la clandestinité à Nancy, puis à Paris sous l’identité de Jean Lever.
Dans l’organisation, il a pris successivement les pseudos de Vernier, Louis, Bernard.
En janvier 1942, il fut affecté comme responsable politique régional permanent du parti communiste pour l’Aisne sous le pseudo de Charles. Il logeait à Soissons où il prit contact avec la famille Richier.
Il semble ensuite avoir été versé dans la branche militaire du 1er août au 28 septembre 1942, il organisa quatre sabotages d’écluses. La police le désigna comme auteur des attentats commis sur les écluses de Tergnier, Loeuilly-sous-Coucy ; Azzy-sur-Marne et Fontenoy et des incendies de récoltes dans la région de Soissons.
Elle le désigna aussi comme l’instigateur [du sabotage] commis sur la voie ferrée Paris-Bruxelles à Essigny-le-Petit.
Elle lui imputa enfin le vol de tickets de rationnement et de cachets à la mairie d’Azzy.
André Beck fut arrêté par la [police allemande] à la suite d’une distribution de tracts effectuée à vélo sur la route de Soissons à Villers-Cotterets.
En octobre 1942, la police allemande de Saint-Quentin fait connaître au préfet régional à Nancy qu’elle l’avait arrêté « sous le chef d’activité terroriste ».
Lorsqu’il arrive à Royallieu avec Justin “Marcel” Éloy, quelques mois plus tard, Alphonse Gigand y fait la connaissance de Marcel “Louis” Beck qui s’y trouverait depuis une dizaine de jours, ayant obtenu une fonction de chef de baraque lui permettant de circuler plus librement et d’organiser la distribution de pain et de cigarettes. Quatre jours après l’internement de Gigand, Beck s’évade du camp « un soir vers 18 heures ».
Le 8 février 1943, une circulaire de recherche est établie par le SRPJ de Nancy, le qualifiant de « terroriste dangereux évadé de Compiègne ».
Le 12 février 1943, par message téléphonique, la police allemande confirme son ordre de « rechercher Beck, terroriste dangereux, évadé de Compiègne ». Le 13 février, son épouse est arrêtée ainsi que sa propre mère, résidant à Dombasle ; cette dernière sera emprisonnée au fort de Romainville.
Il fut repris à Tergnier, pour la troisième fois (?).
Les circonstances de sa mort sont imprécises. Elle est enregistrée le 18 février 1944, sans indication de cause. « Responsable militaire inter B5 (…) s’évade en février 1943 de Compiègne, est exécuté par la suite comme traître » par le service de sécurité des FTP, témoigne Charles Désirat (rescapé du KL Sachsenhausen !).
Par René Lemarquis, Jean-Claude Magrinelli, Claude Pennetier
Maitron patrimonial (2006-2024) : https://maitron.fr/beck-andre-marcel/, notice BECK André, Marcel, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 7 octobre 2024.
[2] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018). [3] La rue de la Buerie : après la guerre, la portion de rue située au sud de la cathédrale de Soissons, là où se trouvait la police de Sûreté allemande, a été dénommée rue des Déportés et Fusillés. Une plaque commémorative indique : « juin 1940 – août 1944 : ici siégea la Gestapo nazie qui tortura les patriotes de la région soissonnaise avant de les déporter dans les camps de la mort ». [4] Robert Thiébault, alias “Hélaine Jean”, pseudo “André”, né le 28 janvier 1922 à Aubervilliers (Seine), domicilié au 3 rue Mornay. Condamné le 14 octobre 1943 à un an de prison et 1200 francs d’amende par la Section spéciale de la Cour d’Appel de Paris. Interné administrativement à l’issue de sa peine, il est transféré le 6 janvier 1944 au centre de séjour surveillé de Rouillé (Vienne). Le 12 avril suivant, il est transféré au camp de Voves (Eure-et-Loire). Le 21 mai 1944, il est déporté au KL Neuengamme (matr. 31888), affecté au Kommando d’hommes de Watenstedt-Leinde, travaillant à la fabrication de munitions pour les aciéries Stahlwerke Braunschweig. Il est libéré le 30 avril 1945 au KL Ravensbrück par la Croix-Rouge suédoise. [5] Émile Pinel, alias “Renault Robert”, alias “Richard Maurice”, né le 13 juillet 1907 à Cherbourg, domicilié au 54 rue Merlin (Paris 11e), marié, deux enfants, menuisier au chômage, arrêté à un rendez-vous prévu avec Thiébault. Le 14 octobre 1943, il est condamné à un an de prison, interné dans les camps de Rouillé puis de Voves, déporté au KL Neuengamme le 21 mai 1944 (matr. 31895), rescapé (à préciser) [6] L’avis allemand du 10 juillet 1942 : à cette date, Carl Oberg, chef supérieur de la SS et de la police (HSSPf) en France a édicté un avis affiché sur les murs : « … j’ai constaté que ce sont surtout les proches parents des auteurs d’attentats, des saboteurs et des fauteurs de troubles qui les ont aidés avant ou après le forfait. Je me suis donc décidé à frapper des peines les plus sévères non seulement les auteurs d’attentats, les saboteurs et les fauteurs de troubles eux-mêmes une fois arrêtés, mais aussi, en cas de fuite, aussitôt les noms des fuyards connus, les familles de ces criminels, s’ils ne se présentent pas dans les dix jours après le forfait à un service de police allemand ou français.Par conséquent, j’annonce les peines suivantes : 1.) Tous les proches parents masculins en ligne ascendante et descendante ainsi que les beaux-frères et cousins à partir de 15 ans seront fusillés. 2.) Toutes les femmes du même degré de parenté seront condamnées aux travaux forcés. 3.) Tous les enfants, jusqu’à 17 ans révolus, des hommes et des femmes frappés par ces mesures seront remis à une maison d’éducation surveillée… » [7] L’identification des trois photos d’immatriculation à Auschwitz : Antérieurement à l’année 2007 – lors d’une prise de contact avec le webmestre du site de l’association Mémoire Vive -, la cousine des dames Richier, Pierrette Gut a déclaré reconnaître Marguerite et Odette dans la base des photos de “31000” jusque-là non-identifiées (alors données à voir dans une sorte de rubrique « avis de recherche »). Dans les pages les concernant, le site fut alors mis à jour avec les photos désignées. En septembre 2025, la comparaison point par point de la photo “triptyque” de la détenue n° 31843 avec deux portraits “civils” d’Armande datant d’avant-guerre a également autorisé un tel rapprochement.
Dans les dernières pages de l’ouvrage de Charlotte Delbo, Le Convoi du 24 janvier, édition 1998, les portraits des matricules 31840 (Marguerite) et 31843 (Armande) étaient parmi les six reproduits avec pour légende : « Ces visages que nous [les rescapées] n’avons pas reconnus ». [7] La « course » par Charlotte Delbo : Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.
Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. « En arrivant à la porte, il faudra courir. » L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, II fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté. Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.
Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire. La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 248-249.
Alain Nice, La guerre des partisans, Histoire des Francs-tireurs partisans français, Histoire de la Résistance ouvrière et populaire du département de l’Aisne, édition à compte d’auteur, janvier 2012, pages 48-49, 53-55 (commande à adresser à Alain NICE – 9 rue de la Tour du Pin – 02250 BOSMONT-SERRE).
Archives départementales de la Meuse, archives en ligne, recensement de la population de Lahaymex pour l’année 1926 (cote 6 M 42), vue 2/6 ; registre d’état civil de Lamorville pour l’année 1863, cote 2 E 282 (8), acte n° 3, vue 3/189 ; registre des mariages de Lahaymex pour l’année 1900, cote 2 E 277 (11), acte n° 1, vue 157/215.
Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Aisne à Tergnier, documents transmis par Vincent Dupont, responsable du pôle scientifique au CD 02 : dossiers de demande d’homologation F.F.I. de Marguerite, Armande, Odette et Lucien Richier..
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1005.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès du camp (n° 18101/1943).
Service Historique de la Défense, Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), Caen : dossier d’Odette Richier (92.275), recherches de Ginette Petiot (message 02-2014).
Service Historique de la Défense, Château de Vincennes : dossiers d’homologation de service d’André Richier (GR 16 P – 520324), de Marguerite Gardinet (sic), épouse Richier (GR 16 P – 106235), de Pauline Lallement (GR 16 P – 106235) et d’André Beck (GR 16 P – 42509) ; consultation 10-2025.
Concernant les frères Richier : Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) ; dossiers individuels concernant Lucien Richier, au cabinet du préfet (1 W 83-43573), aux archives des Renseignements généraux (77 W 2121-416689 et 77 W 1818-180733), fiche et photo anthropométrique (G B 165, vues 493-496, consultation sur écran) ; dossier individuel concernant son amie Pauline Lallement aux archives des RG (77 W 457-189727) ; dossiers des procédures d’épuration concernant quatre inspecteurs de la BS1 des RG ayant arrêté Lucien Richier ; dossier individuel concernant André Richier aux archives des Renseignements généraux (77 W 4719-509760).
Messages et recherches de Didier Gut, petit-neveu de Marguerite Richier, neveu de Pierrette Gut, laquelle lui a transmis ses souvenirs (06 à 10-2025).
Recherches de Ginette Petiot auprès de Karine Sandona, du Service Archives de la Ville de Soissons (09-2025).
Il semble n’y avoir aucune notice biographique, ni même une simple mention, concernant Lucien Richier dans le Dictionnaire Maitron en ligne : une mesure d’ostracisme ?
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 21-11-2025)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).






