Marguerite, Jeanne, Richier, née Cardinet le 16 octobre 1879 à Paris 5e, domiciliée à Soissons (Aisne), morte à Auschwitz, au sous-camp de femmes de Birkenau, le 16 février 1943.

Marguerite RICHIER.
Droits réservés.

Marguerite, Jeanne, Cardinet naît le 16 octobre 1879 à Paris 5e, chez ses parents, Gabriel Cardinet, 45 ans, teinturier puis logeur, et Mélie Gaudron, son épouse, 39 ans, domiciliés au 1, rue du Fouarre, près du chevet de l’église Saint-Julien-le-Pauvre. Marguerite a – au moins – un frère plus âgé : Alfred, né le 9 avril 1878 à Paris 5e.

Paris 5e. La rue Lagrange, vers la Seine, et Notre-Dame. La courte rue du Fouarre commence derrière le photographe, à gauche. Carte postale oblitérée en 1909. Coll. Mémoire Vive.

Paris 5e. La rue Lagrange, vers la Seine, et Notre-Dame.
La courte rue du Fouarre commence derrière le photographe, à gauche.
Carte postale oblitérée en 1909. Coll. Mémoire Vive.

Paris 5e. Chevet de l’église Saint-Julien-le-Pauvre, vouée au culte orthodoxe grec. Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive.

Paris 5e. Chevet de l’église Saint-Julien-le-Pauvre, vouée au culte orthodoxe grec.
Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive.

Marguerite Cardinet passe ses premières années dans le Quartier latin.

Lorsqu’elle a six ans, ses parents décident de regagner le pays de la famille du père, Lahaymeix, petit village agricole et forestier d’environ 75 “ménages”, situé à 40 km au sud de Verdun (Meuse – 55), où ils s’installent comme épiciers. Marguerite y va à l’école communale. Son père y décède en mars 1890, mais sa mère conserve le commerce.

Le 29 août 1900 à Lahaymeix, Marguerite Cardinet, 20 ans, se marie avec Victor, Aimé, Richier, né le 1er février 1863 à Lamorville (55), instituteur de l’école communale, veuf de Hortense Willemin, sans profession, décédée le 19 février précédent (1900), à l’âge de 29 ans.

Lahaymex. La mairie-école en 2015.

Victor Richier a déjà trois enfants de ce premier mariage : Armand, né le 13 novembre 1898, Georges, né le 24 novembre 1890, et Jeanne, née le 20 mars 1893.
Selon son fils Lucien, Marguerite aurait eu dix enfants en tout, « sur lesquels 4 étaient morts ; l’aîné à la guerre 14-18 » (à vérifier…).
Avec Marguerite, le nouveau couple aura encore quatre enfants : Lucien, Gabriel, né le 26 septembre 1906, André, Jacques, né le 10 août 1909, Odette, Madeleine, Jeanne, née le 18 août 1911, et Armande, Luce, Aimée, Marguerite, née le 16 novembre 1916, tou·te·s à Lahaymeix.

En 1926, ils habitent une maison située rue Bellevue (?).

De novembre 1927 à novembre 1928, Lucien effectue son service militaire. André est “appelé” d’octobre 1930 à octobre 1931.

Au recensement du 31 mars 1931, après que Victor ait pris sa retraite d’instituteur, les Richier sont installés à Verdun, avenue de Troyon (voie sans numérotation, quartier n° 13) : Lucien, 24 ans, est agent technique des Contributions directes ; André, 21 ans, est absent, achevant son service militaire.

Victor Richier décède le 1er novembre 1933, âgé de 70 ans. Lucien, 26 ans, aîné des enfants du deuxième mariage, semble prendre la place de chef de famille.

En 1935, Lucien adhère au Parti communiste, ayant une activité “à la base”.

Au recensement du 1er avril 1936, Marguerite Richier et ses enfants vivent toujours à la même adresse. Lucien, 29 ans, est alors géomètre à la mairie de Verdun. André, 27 ans, est comptable pour le “Génie militaire”. Odette, 24 ans, et Armande (Luce), 19 ans, ne déclarent aucune profession…

En 1939 (date à préciser…), Marguerite s’installe à Soissons (Aisne – 02), avec ses deux filles et son fils André, au 2, place Saint-Médard, très probablement afin de se rapprocher de la famille de son défunt époux, Marie Richier, mariée avec Pierre Gut,domiciliés rue de Vailly, mais peut-être aussi parce qu’André y a trouvé un emploi.

Odette devient coiffeuse (cependant, lors de son interrogatoire, elle se déclarera sans profession…).

Le 25 août 1939, peu avant l’entrée en guerre, André (30 ans) est rappelé à l’activité militaire et rejoint le 18e Génie le 28 août.

En septembre 1939, Lucien Richier (34 ans) est également rappelé. Au printemps 1940, il participera à la bataille de Narvik, comme topographe.

Le 7 mai 1940, lors de l’invasion allemande, Marguerite, Odette et Armande fuient Soissons pour Sainte-Marie-sur-Mer, près de Pornic (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique). Le 17 juin, elles sont à Rennes (Ille-et-Vilaine) lors du bombardement meurtrier des gares de triage, alors que des trains de réfugiés et de militaires stationnaient près de convois de munitions. Elles rentrent à Soissons au début août 1940.

De retour à Soissons après sa démobilisation, Lucien Richier est surveillant de travaux aux Ponts et Chaussées (jusqu’à sa “plongée” en clandestinité, début 1942).

Démobilisé sans avoir été fait prisonnier, André rejoint sa famille à Soissons le 30 août. Pendant un temps, il s’occupe de réparation de TSF et de “constructions” (?) à Soissons, notamment pour ses proches (famille Gut). Le 15 janvier suivant, il rentrera à Verdun pour y retrouver son emploi de radio-technicien.

La famille Richier, pendant une saison froide.
De gauche à droite : André, Lucien, Odette, Armande et leur mère, Marguerite.
Date et lieu inconnus.
Collection Didier Gut. Droits réservés.

À une date restant à préciser, Armande devient institutrice de l’enseignement public à Billy-sur-Aisne, à l’est de Soissons, à six kilomètres de leur domicile.
Puis (quand ?), Armande est affectée à l’école primaire du petit village de Dommiers, au sud-ouest de Soissons, à treize kilomètres de leur domicile. Après sa classe, il semble qu’elle rentre quotidiennement au 2, place Saint-Médard ; très certainement à vélo.

Début 1941, Lucien Richier trouve le contact avec le Parti communiste clandestin à Soissons. Un responsable régional lui confie d’abord la distribution de tracts dans la ville. Par la suite, Lucien se voit confier la responsabilité d’une section locale.

En janvier 1942, André Beck, un militant clandestin, est désigné comme nouveau responsable régional du PC et s’installe à Soissons. Il entre en contact avec Lucien Richier. Vers le mois de février, Beck (« Louis”) se présente chez les Richier pour rencontrer Lucien, lequel est absent. Il discute alors un moment avec Odette. Apprenant que celle-ci était sympathisante communiste, il lui propose de travailler pour le Parti clandestin, ce qu’elle accepte. Plus tard, Odette présente “Louis” à sa mère Marguerite, comme étant son fiancé (peut-être simplement afin de justifier sa venue régulière…).

Selon des archives de police allemandes et françaises, Odette Richier assure des “liaisons” et le transport de tracts, puis participe à des sabotages, notamment sur des écluses afin d’entraver les transports de marchandise vers l’Allemagne.

Selon Charlotte Delbo, Marguerite Richier est au courant de l’activité clandestine de ses enfants au sein du Front national [1]. Cette affirmation correspond certainement à la réalité, car Lucien (début 1941), puis Odette (février 1942), sont particulièrement actifs dans la clandestinité, et ils accueillent, voire hébergent, d’autres militants au domicile familial comme André Beck, Edmonde Chaumeil (mai 1942)…

Le 10 juin, Lucien ayant appris qu’il était recherché par la police, entre en clandestinité après avoir quitté son domicile légal – et familial – de Soissons. Prenant la fausse identité de « Luc Richard », il réorganise alors la section de Saint-Quentin.

Début septembre, André Beck envoie Lucien à Paris afin d’y prendre en charge la répartition du matériel de propagande destiné à la région Nord-Est de la France (PR1 bis ; Laon, Saint-Quentin, Soissons, Bar-le-Duc, Verdun, etc.), en remplacement du militant qui assurait cette fonction. À une autre extrémité de cette filière, Odette Richier réceptionne « du matériel de propagande communiste » envoyé depuis Paris par son frère.

Le 16 octobre 1942, Odette accompagne André Beck en mission clandestine sur la route nationale de Soissons à Villers-Cotteret ; sur le porte-bagage de leurs bicyclettes, ils transportent des paquets de tracts. Des membres de la Sipo-SD (“Gestapo”) circulant en voiture repèrent les cyclistes et les rattrapent. Odette Richier est identifiée, conduite au siège de la Sipo-SD (ou à la Kommandantur), puis chez elle.

Marguerite Richier est arrêtée aussitôt.

Dans son école de Dommiers, Armande est prévenue que les Allemands sont chez sa mère et qu’il ne faut pas rentrer. Elle répond : « Je ne laisserai pas Maman seule ». Elle est prise elle aussi.

Lors de la perquisition opérée au domicile familial, les policiers allemands trouvent « l’adresse des deux frères qui ne viennent que rarement à Soissons ». Cependant, dans un rapport ultérieur, daté du 9 février 1943, le commissaire de police de Sûreté de la 21e brigade régionale à Saint-Quentin, qui a « obtenu [de la Sicherheitpolizei de Saint-Quentin] que les personnes appréhendées soient mises à disposition du service afin que je puisse procéder à leur interrogatoire », écrira : « Richier Armande et sa mère, Richier, née Cardinet Jeanne n’apparaissent pas, au cours de l’enquête, avoir participé à l’activité de leur fille et sœur Odette Richier. Il semble que toute l’action se soit déroulée à leur insu. » Pourquoi le SD aurait-il caché à la police française l’existence d’un matériel compromettant trouvé à leur domicile ?

Selon la mémoire familiale, Guy Thomain, un jeune détenu originaire de Crouy (02), emprisonné un temps sur dénonciation calomnieuse et affecté à la distribution de nourriture, a alors l’occasion d’entrer en contact avec les dames Richier à plusieurs reprises. Selon son témoignage ultérieur, Odette est interrogée avec violence pendant plusieurs jours et ramenée en cellule très “éprouvée”, les interrogatoires étant plus “cléments” pour Armande et Marguerite. Un message de nature inconnu noté sur un petit morceau de papier est transmis à Odette de la part d’un expéditeur lui aussi incarcéré ; elle l’avale après en avoir pris connaissance.

Les 20 et 23 octobre, à la suite des interrogatoires et perquisitions, une douzaine de personnes sont arrêtées à Soissons, Saint-Bandry, Ressons-le-Long et Saint-Quentin par la Sipo-SD de Saint-Quentin (02). Parmi celles-ci : Justin Eloy, Alphonse Gigand, Sophie Gigand née Richet, Jean Émile Gigand, Andrée Gigand, de Saint-Bandry (02).

Le 21 ou 22 octobre 1942, André Richier est arrêté par la Sipo-SD à son domicile de Verdun, un hôtel au 7 rue des Petits Frères, et amené à Saint-Quentin pour y être interrogé. Dans son rapport du 9 février 1943, le commissaire Chevalier écrira : « Quant à Richier André, rien n’a permis de l’inculper d’activité communiste et sa déclaration paraît sincère ».

Ainsi, la police allemande ne semble pas avoir signalé d’aveux de la part de Marguerite, Armande et André…

Marguerite Richier, ses deux filles et son fils André sont emprisonné.es à Saint-Quentin, dans le secteur allemand de la Maison d’arrêt, dite l’Hôtel des Quatre Boules, boulevard Richelieu ; comme la famille Gigand.

Dix jours après l’arrestation d’Odette, le 26 octobre, le « Chef de la police de Sûreté et du service de sécurité dans le ressort du Commandant militaire en France » (service allemand de la Sipo SD, bureau IV A I) écrit à la direction des Renseignements généraux de la préfecture de police pour l’informer que Lucien Richier « viendrait environ toutes les deux semaines à Paris (19e) chez le concierge Guillot, 195 rue de Crimée pour y retirer du matériel de propagande communiste ». Selon ce message, il travaillerait avec une femme « Paulin » (Pauline Lallement). La Sipo-SD demande « d’effectuer des recherches utiles et – s’il est rencontré – de l’arrêter », précisant « Attention lors de l’arrestation ! Porte probablement une arme à feu ! » En vérité, si l’adresse est correcte, le concierge n’est pas impliqué.

Le 12 novembre suivant, après quelques jours de surveillances et de filatures, Lucien Richier est arrêté par quatre inspecteurs de la brigade spéciale anticommuniste (BS1) des RG, au 195 rue de Crimée, plus précisément au domicile de Marie Pauline Lallement, 61 ans, célibataire, femme de ménage native elle aussi de Lahaymeix, amie de sa mère et ancienne élève de son père, qui l’héberge en alternance avec des nuits passées en hôtel.

Conduit dans les locaux des RG à la préfecture de police, où il est longuement interrogé, Lucien fait part – entre autres – qu’il a été informé de l’arrestation de sa sœur Odette. Ultérieurement, il déclarera avoir appris de l’arrestation de « toute sa famille » par “Gabriel” [?], son responsable.

Le 15 janvier 1943 – à quelques jours du départ pour Auschwitz -, les femmes Richier et Gigand sont transférées depuis le quartier allemand de la prison de Saint-Quentin au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht. Marguerite Richier (Cardinet) y est enregistrée sous le matricule n° 1445, sa fille Odette sous le matricule n° 1441, et sa fille Armande sous le n° 1442 (Sophie et Andrée Gigand ont reçu les n° 1443 et 1444). Toutes sont assignées à la salle 203 bis.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Les dames Richier ont peu de temps pour s’y faire connaître de leurs co-détenues. Lors de leur courte détention en cet endroit, elles sollicitent de leur famille soissonnaise l’envoi d’un colis alimentaire… dont elles n’accuseront pas réception.

À la même date, 15 janvier, André Richier est directement transféré au camp de Royallieu à Compiègne (Oise).

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : le « camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Si Odette est clairement désignée pour la répression en raison de ses activités avérées de propagande anti-allemande et de sabotage, Marguerite, Armande et André ont probablement été désigné.es pour la déportation en application de l’avis allemand du 10 juillet 1941 [2], élargissant les représailles aux parents proches.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise) : leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1).

Le lendemain, Marguerite, Armande et Odette Richier font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention : sept de l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne) et une du dépôt de la préfecture de police.

Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à pied à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes – parmi lesquels André Richier – ont été entassés la veille.

TransportAquarelle

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que ceux des femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.

Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, les détenues sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Aucun document d’Auschwitz sauvegardé ni aucun témoignage de rescapée ne précise sous quels matricules les dames Richier y ont été enregistrées. Cependant, par comparaison de photos du camp restées sans attribution avec des portraits civils réalisés avant-guerre, il apparaît que Marguerite a reçu le numéro 31840, sa fille Armande le 31843 et sa fille Odette le numéro 31847 ; rapprochement qui s’accorde à peu près avec trois matricules parmi les derniers attribués aux futures déportées lors de leur enregistrement au fort de Romainville [2].

Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil.

Auschwitz-I. Le Block 26, consacré à l’enregistrement des détenus et comportant le service photographique. © Mémoire Vive.

Auschwitz-I. Le Block 26, consacré à l’enregistrement des détenus et comportant le service photographique. © Mémoire Vive.

Marguerite RICHIER, née Cardinet.
Photographiée à Auschwitz-I le 3 février 1943, et identifiée par sa cousine Pierrette Gut.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Marguerite Richier meurt le 16 février 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « décrépitude, faiblesse due à l’âge » (Altersschwäche) ; elle a 63 ans. Plusieurs de ses camarades du convoi pensaient qu’elle aurait pu être prise à la « course » [2] du 10 février et mourir au Block 25, l’antichambre de la mort.

Armande Richier meurt très vite à Birkenau, supposément en mars ; aucune rescapée n’a pu témoigner en quelles circonstances. Elle a 27 ans.

Odette Richier meurt à Birkenau le 7 avril 1943, d’après l’acte de décès du camp, qui indique pour cause, très probablement mensongère, de sa mort une septicémie avec phlegmon (« Sepsis bei Phlegmone »). Aucune rescapée n’a pu témoigner en quelles circonstances. Elle a 31 ans.

Arrivé au KL Sachsenhausen le 25 janvier 1943, André Richier est affecté au Kommando Heinkel, puis transféré au KL Buchenwald où il sera affecté au Kommando de Leitmeritz.

Lucien Richier est libéré de la Maison d’arrêt de la Santé lors de la Libération de Paris, en août 1944.

Le 12 avril 1945, depuis Wassy (Haute-Marne), Jeanne Toussaint, née Richier, fille de la première épouse de Victor, écrit au maire de Soissons pour lui demander d’effectuer des recherches concernant le sort de Marguerite, Odette et Armande (suite non connue).

Le 23 mai suivant, André Richier est rapatrié en France, gravement atteint par une tuberculose contractée dans les camps. Dès son retour, il est hospitalisé à l’hôpital Bichat, 170 boulevard Ney (Paris 18e).

Les deux frères apprennent la mort de leur mère et de leurs sœurs par les rescapées du convoi, membres de l’Amicale d’Auschwitz.

Dans cette période, Marie-Claude Vaillant-Couturier (matr. n° 31685) signe un certificat attestant de la disparition des trois femmes Richier à Auschwitz-Birkenau. (à vérifier…) (dans le dossier de Marguerite ???) Le 30 mars (1946 ?), Madeleine Dechavassine (matr. n° 31639), devenue secrétaire générale de l’Amicale d’Auschwitz et des camps de Haute-Silésie, et Christiane Charua (« Cécile », matr. n° 31650) en font autant.

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Au recensement de 1946, André est enregistré avec son frère Lucien chez Pauline Lallement, rue de Crimée ; tous deux sont désignés comme « amis » de la locataire en titre.

Puis André est envoyé au sanatorium de Davos (Suisse), où il reste jusqu’en janvier 1947. Il sera titulaire d’une pension d’invalidité à 100 %, tout effort physique lui étant interdit. En septembre 1950, à Paris 14e, André (âgé de 41 ans) se marie avec Suzanne Bardou, institutrice, résistante, adhérente au Parti communiste et à l’Union des femmes françaises.

Par deux fois, Lucien remplit un dossier d’Homologation de grade F.F.I. (Forces Françaises de l’Intérieur) pour Odette, leur mère et lui. Un exemplaire reçoit le tampon d’un commandant (?) de la Subdivision de Laon le 21 février 1951.
Certainement dans la perspective de voir reconnues les souffrances endurées – et au titre de témoin unique -, il semble que Lucien “magnifie” son propre rôle et celui de sa mère… Signant lui-même le document – à Paris (!) -, il se désigne comme « … son fils et chef direct » [sic].
À la rubrique “Pseudonymes successifs”, il désigne sa mère comme « La dame aux Prunes », la première tâche de celle-ci ayant été de participer à l’« entretien de la maison ».
Au chapitre “Services accomplis”, Lucien inscrit pour Marguerite « Dès 40, nous avons pu, grâce à elle, travailler à la maison, d’abord à toute l’organisation des Comités Populaires, à la confection de tout le matériel (tracts et journaux de l’Inter).
Elle participa aux travaux, et fut particulièrement active pour toutes les tâches qui furent confiées. – Qu’il s’agisse de transport ou distribution de matériel, ou de contacts à établir pour recrutement. Bien qu’âgée et malade (ulcère à l’estomac qui l’obligeait à suivre un régime sévère), elle se dépensa sans compter et aida, jusqu’à se priver de l’indispensable, à apporter un mieux-être aux FTPF et résistants hébergés à la maison. Participa à la résistance armée, cacha armes, explosifs et matériel divers (Ronéo et machine à écrire, etc.). Se chargea plus spécialement de la nourriture et entretien de l’Inter.
Tous les biens pillés à son arrestation. »
Au chapitre III – DECORATIONS OBTENUES par sa mère, Lucien inscrit « Propositions posthumes au titre de la Résistance : Croix de Guerre – Médaille de la Résistance – Légion d’Honneur – Homologation au grade de sous-lieutenant avec mention “Morte pour le France” ».

Dans une attestation (non datée) “suggérée” à Fernand Vigne, qui fut résistant dans le sud-est, devenu “liquidateur” national des FTP, Lucien fera écrire à celui-ci concernant Marguerite : « OPÉRATIONS EFFECTUÉES : Chargée de l’hébergement et du ravitaillement des responsables illégaux de l’inter-région dont le quartier général se trouvait chez elle. C’est également à cette adresse qu’elle organisait les réunions de l’État-Major inter et la réception des responsables nationaux et départementaux, dont elle assurait également l’hébergement et le ravitaillement. »

Le 28 décembre 1953, Lucien Richier remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de Déporté résistant pour chacune de ses sœurs, Armande et Odette.
Par la suite, ces dossiers sont “suivis” par son frère André Richier, qui habite alors au 19, avenue de la Porte de Vanves, à Paris 14e ; il est probable que Lucien s’en soit dessaisi parce qu’il ne s’est pas vu reconnaître à lui-même le statut d’interné-Résistant qui lui aurait permis d’appuyer la demande. Sur une procuration établie le 27 décembre 1962 pour Lucien et André, une note marginale indique que le premier est « inadmis R. – Carte I.P. » (inadmis Résistant, carte interné politique), alors que le deuxième a reçu la « carte D.R. » (carte de déporté-résistant).

Le 4 novembre 1963, le ministre des ACVG décide d’attribuer le titre de Déporté Résistant à Marguerite Richier à titre posthume ; la carte n° 2001 133943 est envoyée à Lucien. Le même jour, les titres de Déportés Résistants sont attribués à Odette et à Armande.

Le 26 janvier 1964, André écrit à la Direction du personnel militaire de l’Armée de terre, section Résistance, pour demander que lui soit transféré le suivi du dossier de leur mère Marguerite, son frère Lucien ayant gardé deux courriers envoyés l’année précédente « par-devers lui sans y donner suite ». Il ajoute : « Je ne puis malheureusement vous fournir que peu de renseignement concernant l’activité de ma mère. »

Le 15 juillet 1974, Lucien Richier décède à Créteil (Val-de-Marne), âgé de 67 ans. Il semble qu’aucun “statut” officiel ne soit venu reconnaître son activité de Résistant (à vérifier…).

Suzanne Richier, épouse d’André, décède le 29 septembre 1989 à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). André décèdera le 4 janvier 2002 à Paris 20e, âgé de 92 ans.

Sur le monument aux morts de Soissons, situé près de la cathédrale – « À Soissons immortelle – à ses enfants tombés glorieusement pour la Patrie » -, ont été ajouté les noms de Marguerite, Armande et Odette Richier.

À Verdun, dans le cimetière du Faubourg-Pavé, une plaque de marbre apposée sur une stèle-cénotaphe “rassemble” la famille : « À la mémoire de Victor Richier, 1863 – 1933 -, et de Marguerite Richier, Odette Richier, Armande Richier, décédées en déportation à Auschwitz 1943 ».

Photo Frédéric Planchard, 2024 ©.

Photo Frédéric Plancard, 2024 ©.

Photo Frédéric Planchard, 2024 ©.

Photo Frédéric Plancard, 2024 ©.

Le 3 février 1995, à Lahaymeix, a été inauguré un monument placé devant l’église : « Cette stèle a été érigée à la mémoire de Marguerite Richier et de ses deux filles Odette et Armande, résistantes, déportées par le convoi du 24 janvier 1943 et mortes à Auschwitz. »

Notes :
[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).

[2] L’avis allemand du 10 juillet 1942 : à cette date, Carl Oberg, chef supérieur de la SS et de la police (HSSPf) en France a édicté un avis affiché sur les murs : « … j’ai constaté que ce sont surtout les proches parents des auteurs d’attentats, des saboteurs et des fauteurs de troubles qui les ont aidés avant ou après le forfait. Je me suis donc décidé à frapper des peines les plus sévères non seulement les auteurs d’attentats, les saboteurs et les fauteurs de troubles eux-mêmes une fois arrêtés, mais aussi, en cas de fuite, aussitôt les noms des fuyards connus, les familles de ces criminels, s’ils ne se présentent pas dans les dix jours après le forfait à un service de police allemand ou français.
Par conséquent, j’annonce les peines suivantes : 1.) Tous les proches parents masculins en ligne ascendante et descendante ainsi que les beaux-frères et cousins à partir de 15 ans seront fusillés. 2.) Toutes les femmes du même degré de parenté seront condamnées aux travaux forcés. 3.) Tous les enfants, jusqu’à 17 ans révolus, des hommes et des femmes frappés par ces mesures seront remis à une maison d’éducation surveillée… »

[3] L’identification des trois photos d’immatriculation à Auschwitz : Antérieurement à l’année 2007 – lors d’une prise de contact avec le webmestre du site de l’association Mémoire Vive -, la cousine des dames Richier, Pierrette Gut a déclaré reconnaître Marguerite et Odette dans la base des photos de “31000” jusque-là non-identifiées (alors données à voir dans une sorte de rubrique « avis de recherche »). Dans les pages les concernant, le site fut alors mis à jour avec les photos désignées. En septembre 2025, la comparaison point par point de la photo “triptyque” de la détenue n° 31843 avec deux portraits “civils” d’Armande datant d’avant-guerre a également autorisé un tel rapprochement.
Dans les dernières pages de l’ouvrage de Charlotte Delbo, Le Convoi du 24 janvier, édition 1998, les portraits des matricules 31840 (Marguerite) et 31843 (Armande) étaient parmi les six reproduits avec pour légende : « Ces visages que nous [les rescapées] n’avons pas reconnus ».

[4] La « course » par Charlotte Delbo : Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.

Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. “En arrivant à la porte, il faudra courir.” L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, II fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté. Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.

Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire. La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 248-249.
- Archives de la mairie de Paris, site internet : registre des naissances du 5e arrondissement pour l’année 1879 (V4E 3065), acte n° 2670 du 18 octobre.
- Archives départementales de la Meuse, archives en ligne : recensement de la population de Lahaymex pour l’année 1926 (6 M 42), vue 2/6 ; registre d’état civil de Lamorville pour l’année 1863 (2 E 282 – 8), acte n° 3, vue 3/189 ; registre des mariages de Lahaymex pour l’année 1900 (2 E 277 – 11), acte n° 1, vue 157/215.
- Concernant les fils Richier > Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) ; dossiers individuels concernant Lucien Richier, au cabinet du préfet (1 W 83-43573), aux Renseignements généraux (77 W 2121-416689 et 77 W 1818-180733), fiche et photo anthropométrique (G B 165, vues 493-496, consultation sur écran) ; dossier individuel concernant son amie Pauline Lallement aux archives des RG (77 W 457-189727) ; dossiers des procédures d’épuration concernant quatre inspecteurs de la BS1 des RG ayant arrêté Lucien Richier ; dossier individuel concernant André Richier aux archives des Renseignements généraux (77 W 4719-509760).
- Service Historique de la Défense, Château de Vincennes : dossiers d’homologation de service de Marguerite Gardinet (sic), épouse Richier, homologuée D.I.R. (GR 16 P – 106235), d’André Richier (GR 16 P – 520324), et de Pauline Lallement (GR 16 P – 106235) ; consultation 10-2025.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1005.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès du camp (n° 8157/1943).
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, tome 1, I.74. page 642.
- Site MémorialGenWeb : Soissons, relevé initial (n° 1014) effectué par Bernard Roucoulet, mis en ligne le 1er septembre 2000 ; Lahaymex, relevé initial (n° 48986) effectué par Bernard Butet, mis en ligne le 22 octobre 2009.
- Jean-Claude Magrinelli, Ouvriers de Lorraine (1936-1946) – Meurthe-et-Moselle -, tome 2, Dans la résistance armée (juin 1941-août 1944), Kairos-Histoire, pages 324-331, Démantèlement du groupe Pattiniez (novembre 1942), notes n° 390 à 395.
- Messages de Frédéric Plancard, journaliste, auteur d’un livre sur les cimetières civils de Verdun (30-11-2024).
- Messages et recherches de Didier Gut, petit-cousin de Marguerite Richier, neveu de Pierrette Gut, qui lui a transmis ses souvenirs (25-06 et 12-11-2025).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 13-11-2025)

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