- Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
- Yvette Guillon.
Collection de la famille Guillon.
Droits réservés.
Marcelle, Yvette, Sardet naît le 26 mai 1911 à Saint-Médard-de-Rouillac (Charente – 16) selon le livret de famille (ou aux Vignes-de-Sonnac, commune de Thors (Charente-Maritime – 17), selon Ch. Delbo). Elle est la fille de Gabriel Sardet et Marie-Louise Boisnier.
Le 22 juin 1938 à Sonnac (17), elle se marie avec Jean, Christin, Guillon, né le 28 avril 1908. Les parents de la jeune femme sont décédés au moment de son mariage et le couple s’installe chez les parents du mari – Marie, Aminthe et Prosper – à la ferme des Violettes, sur la commune de Sainte-Sévère.
- Jean et Yvette.
Collection de la famille Guillon. Droits réservés.
Jean et Yvette n’ont pas d’enfant.
Mobilisé fin août 1939, Pierre Guillon, le frère de Jean, est fait prisonnier de guerre avec son régiment, le 12e zouave, le 14 juin 1940 à Le Buisson (Marne). Il est envoyé au Stalag IV C à Brüx, dans les Sudètes, en Tchécoslovaquie annexée par l’Allemagne.
Les Guillon sont communistes. Quand se forment les Francs-tireurs et partisans (FTP), ils en font partie.
Les combattants ont besoin d’armes. À Jonzac, il y a d’anciennes carrières, profondes parfois de mille mètres, utilisées comme champignonnières. Les Allemands en font un arsenal. Ce dépôt, le deuxième en France pour son importance (équivalant à 1100 wagons de munitions), ravitaille le front de Normandie et la côte atlantique [1].
Dès 1942, il y a parmi les ouvriers – des requis – de cet arsenal souterrain deux cents résistants : ils sont munis de fausses cartes d’identité qui leur ont été délivrées par le maire de Jonzac. L’organisation fonctionne bien : des quantités d’armes sortent de la carrière tous les jours. Elles sont disséminées dans les fermes des environs. Toutes les fermes charentaises ont leur dépôt : Pateau, Alice Cailbault, d’autres. Marcel Blateau, électricien, en cache dans un transformateur.
Le 27 juillet 1942, Albert et Élisabeth Dupeyron, de Bègles (Gironde – 33), arrivent aux Violettes : après une réunion clandestine qui vient de se tenir chez les Vallina à Cognac, ils viennent chercher des armes pour les FTP de Bordeaux.
Le même jour, dans un village voisin situé sur la route départementale à trois kilomètres des Violettes, deux prétendus marchands de cochons demandent où se trouve la ferme des Guillon qu’on leur a dit avoir des bêtes à vendre. Ils se dirigent vers les Violettes, mais n’y vont pas. Ils passent la nuit dans un taillis, entre la route et la ferme ; on a retrouvé ensuite dans ce taillis les traces de leur affût une quantité de mégots.
Le même jour encore, une note émanant des renseignements généraux indique : « M. Poinsot part ce soir à 23 heures pour les Charentes avec les autorités allemandes et six inspecteurs avec chiens. Ils se proposent d’effectuer une action simultanée à La Rochelle, Saintes, Cognac et d’autres localités, en vue d’arrêter des groupes terroristes. »
Le lendemain 28 juillet, entre 4 et 5 heures du matin, un voisin partant travailler à la laiterie croise sur la route une compagnie de deux cents soldats allemands en camions se dirigeant vers la ferme. Celle-ci est investie. Prosper Guillon et sa femme, Jean Guillon et Yvette, Élisabeth et Albert Dupeyron sont arrêtés. Les Allemands trouvent les armes. Peu, heureusement : par précaution, les dépôts ne sont pas importants.
Simultanément, cette opération matinale frappe également Alexandre et Yvonne Pateau, dans leur ferme de Saint-André-de-Cognac, ainsi que Lucien et Margot Vallina, dans leur appartement de Cognac.
Enfin, au même instant, un dernier groupe effectue une perquisition dans le café d’Anne Épaud à La Rochelle en espérant y arrêter Yves Tasset, responsable militaire de la résistance communiste. Celui-ci ne s’y trouve pas, mais ils tombent sur Ferdinand Vincent et un jeune résistant communiste, Lucien Dufès, qui est abattu par les Allemands en essayant de s’enfuir.
Quelques heures après l’arrestation des Guillon, on retrouve leur voisin, le père Vincent, tremblant comme une feuille morte.
Pendant plusieurs jours, personne n’ose s’aventurer auprès de la ferme maudite. Il faut que le maire impose à un voisin, le père Deruet, de s’occuper des bêtes qui avaient été laissées à l’abandon. Au même moment, Pierre Guillon, qui s’est évadé d’Allemagne le 21 juillet en montant dans un train de marchandises allant en Suisse, arrive au pays. À Ballans, village à 10 km au nord des Violettes sur la route, on l’averti pour qu’il n’aille pas plus loin, la ferme étant toujours surveillée. Il retourne dans le Vaucluse, rejoindre le copain avec qui il s’était évadé et chez qui il avait passé quelques jours avant de gagner la Charente.
Les hommes (Prosper et Jean Guillon, Albert Dupeyron) ont été emmenés directement au fort du Hâ, à Bordeaux.
- Cognac, Maison de correction et gendarmerie, v. 1900.
Carte postale (recadrée), collection Mémoire Vive.
Les femmes, enfermées d’abord à la prison de Cognac, ont été dirigées ensuite sur la caserne Boudet, rue de Pessac, à Bordeaux, qui dispose d’une prison militaire.
Le 12 août, la ferme d’Alice Cailbault, à Saint-Laurent-de-Cognac, est cernée, Marcel et Claudine Blateau sont arrêtés chez eux à Matha ; conséquence probable des déclarations de Ferdinand Vincent [2] à la police.
Le 21 septembre 1942, Prosper Guillon et son fils Jean sont parmi les soixante-dix otages fusillés au camp militaire de Souge, commune de Martignas-sur-Jalle, avec Marcel Blateau, Alexandre Pateau, Lucien Vallina et d’autres époux de futures “31000”, arrêtés dans d’autres circonstances. Ces représailles massives touchent Bordeaux bien que les actions de la résistance armée qui les déclenchent aient essentiellement été menées à Paris ; comme la dernière, frappant le grand cinéma Rex réservé aux troupes d’occupation (Deutsches Soldatenkino) le 17 septembre à 21h55 et faisant deux morts et dix-neuf blessés. [3].
- Prosper Guillon.
Collection de la famille Guillon. Droits réservés.
- Jean Guillon.
Collection de la famille Guillon.
Droits réservés.
À l’aube, Prosper et Jean écrivent chacun une lettre d’adieu à leurs proches, sans savoir qu’ils vont être fusillés ensemble.
Le 16 octobre 1942, Aminthe Guillon et Yvette sont parmi les trente-trois “Bordelaises” et Charentaises transférées depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [4] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Aminthe y est enregistrée sous le matricule n° 951 et Yvette sous le n° 952.
- L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).
Pendant trois semaines, les nouveaux arrivants sont isolés, sans avoir le droit d’écrire, puis ils rejoignent les autres internés (hommes et femmes étant séparés mais trouvant le moyen de communiquer). Début janvier 1943, Annette Épaud parvient à faire sortir clandestinement une lettre adressée à sa famille dans laquelle elle signale que les “Charentaises » ignorent ce que sont devenus leurs hommes, arrêtés avec elles. Le dernier message envoyé par Aminthe et Yvette à leur famille date du 1er janvier.
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, Aminthe et Yvette font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
- Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
Aminthe y est enregistrée sous le matricule 31729 et Yvette sous le 31730. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Aminthe – « mère » – a été retrouvée, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947 ; celle d’Yvette a été retrouvée mais les rescapées n’ont pas réussi à l’identifier).
- Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
La belle-mère d’Yvette est prise à la « course » [5] le 10 février selon Ch. Delbo (le 5 février selon le témoignage de Marie-Claude Vaillant-Couturier au procès de Nuremberg).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes (voir note n° 5) où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course”.
Marie, Aminthe, Guillon meurt au Block 25, le 26 février 1943.
Une fois assignées au Block 26, les “31000” partent chaque jour dans des Kommandos de travail extérieurs.
Yvette est admise au Revier : la gangrène l’emporte.
Yvette Guillon meurt à Birkenau le 16 mars 1943, selon l’acte de décès du camp qui mentionne une « septicémie phlégmoneuse ».
En 1945, les corps de Prosper et Jean Guillon ayant été retrouvés et officiellement reconnus par les mairies de Cenon et de Talence (Gironde) sont civilement inhumés dans le cimetière de Sainte-Sévère.
Aminthe Guillon est déclarée “Mort pour la France” (sic) le 23-10-1948.
À titre posthume, Prosper et Aminthe se voient décerner la médaille de la Résistance française ainsi que la Médaille Militaire comme Combattants volontaires de la Résistance, par décret du 24-05-1957 ; Jean se voit décerner la médaille de la Résistance française par décret du 28-04-1959 (quid pour Yvette, son épouse ?). Prosper et Jean sont homologués comme “internés résistants”, et Aminthe comme “déporté résistant”.
Mariée à Paul Léger et mère d’au moins deux filles, domiciliée à (La Coudre de) Bréville, près de Sainte-Sévère, Pierrette Guillon meurt de tuberculose à 33 ans, le 31 août 1947.
Pierre Guillon, le troisième enfant, retourne s’installer à Sainte-Cécile-les-Vignes (Vaucluse), pays où il s’est réfugié pendant la guerre et où il s’est marié. Il passe les vacances aux Violettes chaque année. Il décède le 12 septembre 2007.
La ferme des Guillon a été achetée par un voisin qui était un ami et qui entretient le monument. II met son meilleur vin en bouteilles pour la cérémonie commémorative qui a lieu tous les ans. On vient de toute la région rendre hommage aux Guillon (selon Charlotte Delbo, 1965). Le monument, édifié à l’initiative du Parti communiste, est inauguré le 24 juillet 1949, en bordure de la route de Saint-Sévère à Bréville, à l’entrée du chemin conduisant à la ferme, en présence de centaines d’habitants de la commune :
Honneur aux martyrs de la Résistance 1940-1944 membres du parti communiste français, arrêtés le 28 juillet 1942, victimes de la barbarie fasciste : Guillon Prosper, fusillé à Bordeaux le 21 septembre 1942. Guillon Jean, fusillé à Bordeaux le 21 septembre 1942. Guillon Aminthe, assassinée à Auschwitz le 26 février 1943. Guillon Yvette, assassinée à Auschwitz le 16 mars 1943.
Une plaque (rouge) à peu près similaire est apposée au-dessus du caveau familial des Guillon, dans le cimetière de Sainte-Sévère avec, en médaillons, les portraits d’immatriculation à Auschwitz d’Aminthe et Yvette Guillon, offerte par : « Leurs camarades de la section communiste de Cognac, et leurs amis ».
En mai 1968, la plaque de marbre du monument isolé sur la route est retrouvée brisée, certainement parce qu’elle précise l’appartenance communiste des résistants assassinés. La population est indignée et une nouvelle plaque, moins fragile, la remplace avant la fin de l’année. Mais, quelques semaines plus tard, celle-ci est descellée et jetée dans un champ voisin. Craignant un nouvel acte de vandalisme, il est décidé de ne pas la remettre en place immédiatement. Michel Bainaud, instituteur du village, la conserve alors à son domicile. Le temps passe… Le 3 janvier 1995, la compagnie théâtrale Bagage de Sable organise une lecture nationale de textes de Charlotte Delbo. À Sainte-Sévère, on lit les pages du Convoi du 24 janvier consacrées à Aminthe et Yvette Guillon. Avec un tel retour de mémoire, la remise en place de la stèle apparaît comme une nécessité. Elle est de nouveau inaugurée le 24 septembre 1995. De manière préventive, en quelque sorte, est ajoutée la mention : « Leur sacrifice n’est la propriété de personne. L’hommage de tous leur est dû. »
Sources
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 24, 37-38, 65, 137, 283-285.
Documents administratifs, familiaux et coupures de presse confiés par Daniel et Hervé Guillon, fils et petit-fils de Pierre Guillon (10-2008).
Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), avec le concours du Conseil général de Seine-Saint-Denis, éditions Tallandier, 2005, pages 74 à 86.
Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, Les otages de Bordeaux (20.9.1942), pages 174 à 179, et 233 à 246, fiches allemandes, pages 241 et 246.
À propos de Ferdinand Vincent : René Terrisse, À la botte de l’Occupant. Itinéraires de cinq collaborateurs, Bordeaux, éditions Aubéron, 1998, chap. II, pp. 81-127.
Guy Hontarrède, historien de la Seconde Guerre mondiale en pays charentais, Ami entends-tu ?, édition de l’Université populaire de Ruelle, 1987.
La commission d’Histoire du Comité du Souvenir des Fusillés de Souge.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrit, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 409 (Aminthe : 11304/1943 ; Yvette : 15231/1943).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, bureau d’information sur les prisonniers : copies des actes de décès au camp d’Aminthe et Yvette Guillon.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 29-12-2010)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
[1] Les carrières d’Heurtebise à Jonzac (17). Ce dépôt fini par sauter, le 30 juin 1944, à 8 h 30, détruisant les milliers de tonnes de munitions entreposées là par l’armée allemande. Un jeune homme de Jonzac, Claude Gatineau, travailleur requis aux carrières, les a mises à feu. Il est tué dans l’explosion. Son camarade, un résistant venu de Voiron, Pierre Ruibet, instigateur du coup, est pris et exécuté sur-le-champ. Ils ont vingt ans.
[2] Le “donneur” Ferdinand Vincent, “retourné” et libéré, devient indicateur à l’automne 1942 pour la section des affaires politiques (SAP) de la police française de Bordeaux. En février 1943, il est recruté par la Sipo SD (“gestapo”) du Bouscat, puis est désigné comme responsable d’une police supplétive, la Hauskapelle, exerçant une terrible répression de la Résistance dans le Sud-Ouest. À la Libération, il s’engage dans les Forces françaises libres. En mai 1945, à Berlin, il est reconnu sous l’uniforme français par un déporté ayant été une de ses victimes. Jugé par le tribunal de la IVe région militaire (Bordeaux) du 27 au 30 octobre 1948, il est condamné à mort et exécuté le 28 juillet 1949.
[3] La fusillade du 21 septembre 1942 : Le 16 septembre, la Sipo-Sd, qui a pris en charge de la politique des otages initiée par le haut commandement militaire, décide d’organiser des fusillades massives en représailles de plusieurs attentats organisés par la résistance armée contre les forces d’occupation depuis le 11 août précédent, date des dernières exécutions. Au moment de la décision, le nombre de « victimes expiatoires » (Sühnepersonen) est fixé à quatre-vingt-quatre selon un barème multipliant par deux le nombre des militaires allemands tués ou blessés lors de ces actions. La région parisienne ne disposant pas d’autant d’otages fusillables, il est décidé de prendre des hommes détenus à Bordeaux (deuxième grande ville de la zone occupée) soit pour les conduire au Fort de Romainville, camp d’otages, soit pour les exécuter au camp de Souge ; c’est la deuxième solution qui sera retenue pour des raisons de “sécurité”. Avant même les exécutions, le Docteur Horst Laube, responsable de la section II-Ju de la Sipo-SD en France, considère qu’il « ne serait pas recommandé de fusiller tout de suite tous les otages disponibles à Paris, afin qu’à l’avenir dans les cas imprévus, on puisse trouver à Paris des otages à tout moment ». Dans la mesure où le principe en avait déjà été fixé, la fusillade de Souge n’est pas une conséquence directe de l’attentat du Rex, mais celui-ci augmente le nombre d’otages désignés et c’est surtout à Bordeaux que sera trouvé le complément. Le 18 septembre, Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police allemande en France depuis mai 1942, entérine les propositions : « J’ordonne en représailles l’exécution de 116 Français dont 70 à Bordeaux et 46 à Paris. » L’avis affiché précise : « …lesquels ont été trouvés coupables d’activités anti-allemandes ou communistes ».
Fiches allemandes :
34. GUILLON Prosper, 4.3.1880, Sainte-Sevère, Sainte-Sevère.
G. était en liaison avec des groupes terroristes, hébergeait souvent des terroristes importants recherchés de longue date, les soustrayant ainsi à l’emprise de la police, camouflait armes, munitions et explosifs.
67. GUILLON Jean, 28.4.1908 Sainte-Sevère, Sainte-Sevère. G. est le fils de 34, vieux communiste, se tenait en liaison avec les communistes, a hébergé ceux-ci, camouflé des bombes, armes et explosifs.
Selon la terminologie allemande, il est évident que « vieux communiste » veut dire « communiste de longue date ».
[4] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[5] La « course » par Charlotte Delbo : Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.
Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. « En arrivant à la porte, il faudra courir. » L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, II fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté. Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.
Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire. La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)