Yves Dumont dans les années 1930. La cicatrice sous son œil gauche n’est pas perceptible. © Collection Annick Davisse.

Yves Dumont dans les années 1930.
La cicatrice sous son œil gauche
n’est pas perceptible.
© Collection Annick Davisse.

Yves Dumont naît le 7 novembre 1892 à Bourg-en-Bresse (Ain), chez ses parents, Jean (Joanny) Dupont, 33 ans, professeur de musique, et Marie Pothier, 34 ans, plus tard institutrice, domiciliés au 35, rue Paul-Bert. Son père est un ardent républicain qui, lors de ses propres études à l’Institut des jeunes aveugles, sous le second empire, n’hésitait pas à jouer La Marseillaise.

Yves Dumont acquiert un degré d’instruction supérieur (de niveau 5, pour l’armée). C’est un homme plutôt grand pour l’époque : 1 mètre 77.

En novembre 1913, il est domicilié au 23, rue de la Varenne à Saint-Maur-des-Fossés [1] (Seine / Val-de-Marne – 94).

Pendant un temps, il travaille comme professeur de français à à Birmingham (ou à Leamington, ville thermale au centre de l’Angleterre).

De la “classe” 1912, Yves Dumont obtient un sursis en 1913 et 1914 afin de poursuivre ses études.

Il est appelé à l’activité militaire à la suite de la mobilisation du 2 août 1914. Le jour même, il se présente au 60e régiment d’Infanterie. Le 12 novembre suivant, il est nommé caporal et, le 24 décembre, sergent. Mais, dès le lendemain, il est nommé aspirant. Le 4 février 1915, il passe au 42e R.I. Le 3 avril 1916, il passe au 116e R.I.

Le 7 juin 1915, dans l’Oise, il est blessé une première fois au sommet du crâne par un éclat d’obus. Il rejoint son unité « aux armées » le 30 avril 1916. Un an plus tard, le 20 avril 1917, au chemin des Dames (secteur de Paissy et Jumigny, dans l’Aisne), au dernier jour de “l’offensive Nivelle” (134 000 morts) ; il est gravement blessé à la joue gauche, au bras et à la jambe gauche (fracturée) par l’explosion d’un obus. Le 5 juillet suivant, il est cité à l’ordre de son régiment : « Très bon sous-officier, a fait preuve de courage et de sang-froid en toutes circonstances, et particulièrement dans le secteur de Verdun ». Il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze.

CroixDeGuerre-etoileIl est soigné 13 mois à l’hôpital. Il devient interprète auprès des Armées américaines, puis au Service des Sépultures américaines.

Le 2 juin 1918, la commission de réforme de la Seine le propose pour la réforme n°1 avec gratification de 7e catégorie pour « limitation à 100% de la flexion tibio-tarsienne gauche avec attitude du pied en varus ». En 1920, la même commission précise « cicatrice de fistule, amyotrophie du mollet 1 cm, atrophie de la cuisse 4 cm, cicatrice à la joue gauche ». En 1922, il est déclaré au taux d’invalidité de 20 % pour « cicatrice adhérente au tiers supérieur de la jambe gauche et cicatrice opératoire au péroné avec lésions musculaires ». Le 26 juin 1929, il écrira à un journaliste du quotidien L’Intransigeant (dit L’Intran) afin de protester contre une lecture qu’il estime injustement critique du roman de guerre pacifiste de l’écrivain allemand Erich Maria Remarque, “À l’Ouest rien de nouveau”, paru fin janvier 1929 (à lire ci-dessous, en fin de notice). En mars 1936, sera est nommé adjudant de réserve par décision ministérielle.

Le 8 juillet 1919 à Paris 18e, Yves Dumont, domicilié au 33, rue de la Varenne à Saint-Maur-des-Fossés, se marie avec Jeanne Hélène Maximilien, née le 29 août 1895 à Saintes (Charente-Maritime), employée de commerce, vivant avec sa mère au 139, rue des Poissonniers à Paris.  Deux frères de l’épouse – tous deux titulaires de la Croix de Guerre – sont témoins lors du mariage. Yves Dumont emménage chez la mère de son épouse, rue des Poissonniers.

Le 8 décembre 1920, leur fils Jean, Albert, naît à Paris 18e.

En 1922, Yves Dumont entre comme agent de douane à la société Moline Plow, fabriquant et importateur américain de charrues et d’outils agricoles.

En mai 1922, les Dumont demeurent au 10, rue du 27 mars, à Saint-Ouen (Seine / Seine-Saint-Denis).

En octobre 1923 et jusqu’à son arrestation, Yves Dumont est domicilié au 44, avenue de Condé à Saint-Maur-des-Fossés., dans un pavillon dont il est propriétaire.

Le 7 mai 1927, il entre comme cadre commercial au Consortium maritime franco-américain, 1bis cité de Paradis à Paris 10e. Au moment de son arrestation, il y sera chef de service du Fret.

En 1930, il adhère à l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC).

Fin 1934, Yves Dumont adhère au Parti communiste (il n’aura pas d’activité politique au sein de son entreprise).

Particulièrement engagé dans les luttes antifascistes et, membre actif du Secours populaire, il organise la solidarité avec la République espagnole (sa femme, Jeannette, convoiera avec Renée Haultecoeur [2] du lait pour les camps de réfugiés espagnols). Il est, semble-t-il, secrétaire du rayon communiste de Saint-Maur. Il est, semble-t-il, secrétaire du rayon communiste de Saint-Maur. Aux élections municipales de mai 1935, il est désigné comme candidat du P.C. à Saint-Maur, sans être élu.

À partir de la fin août 1939, choqué dans ses convictions antifascistes par le pacte germano-soviétique, il s’éloigne du PCF (selon ses déclarations ultérieures aux autorités).

Le 23 septembre 1939, à Dunkerque, section de Malo-les-Bains (Nord), son fils Jean, âgé de 18 ans, se marie avec Marguerite Lucilla Spencer, âgée de 18 ans. L’enfant du couple, Annick, naît le 5 février 1940 à Rosendaël (commune voisine). En juillet 1940, leur maison ayant été détruite lors de l’invasion allemande, ils viennent se réfugier à Saint-Maur.

En 1940, Yves Dumont cache chez lui une militante, Alice Sportiss [3].

De novembre 1940 à juin 1941, il suit les cours de l’Institut allemand, au 57, rue Saint-Dominique à Paris 7e, organe de propagande culturelle crée par l’ambassade.

Le commissariat de police de la circonscription de Saint-Maur demande son internement au motif qu’il « se fait remarquer dans la localité par ses propos communistes », notamment auprès des commerçants.

Le 4 juillet 1941, à 5 heures du matin, Yves Dumont est arrêté à son domicile par des des inspecteurs du commissariat de Saint-Maur. Le même jour, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif. Son domicile est perquisitionné et ses livres emportés. Avec d’autres communistes arrêtés, il est conduit à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier à Paris 20e, “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police de Paris ; bâtiment A, chambre 13, n° 25.

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre. Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ». Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre.
Partagée avec l’armée allemande au début de l’occupation, elle servit surtout à interner les « indésirables étrangers ».
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 3 septembre 1941, son fils Jean écrit à François (de) Brinon, ambassadeur de France auprès de l’occupant, pour lui demander d’intercéder en faveur de la libération de son père.Le 13 septembre, le directeur des Renseignements généraux de la préfecture de police écrit au commissaire de Saint-Maur pour lui demander de lui faire connaitre « 1°- les actes de propagande auquel l’intéressé s’est livré depuis la dissolution du Parti communiste, qui ont motivé votre demande d’internement ; 2° – si, dans la situation actuelle, en tenant compte des renseignements qui ont pu parvenir à votre connaissance, vous estimez nécessaire le maintien de Dumont dans un centre de séjour surveillé. » Deux jours plus tard, c’est un des deux inspecteurs qui a procédé à l’arrestation qui rédige la réponse demandée. Dans son rapport, il écrit : « Depuis la dissolution du Parti communiste, il s’est fait remarquer plusieurs fois dans la localité en compagnie des nommés Vadé Marcel, Faudry Gilbert et Faudry André, tous trois internés pour le même motif. Dumont recevait chez lui ces trois individus principalement le soir et ils repartaient a une heure avancée de la nuit. De temps à autre, Dumont rendait également visite au nommé Vadé, 35 rue de La Varenne à St-Maur, où de grandes discussions politiques communistes se prolongeaient très tard dans la nuit ; dans le voisinage de Vadé et Dumont, il résulte qu’ils reformaient un petit comité secret de propagande communiste. En outre, depuis l’arrestation de Dumont, aucun tract communiste n’a été découvert à proximité de son domicile, alors qu’auparavant les boîtes aux lettres de son quartier en étaient remplies mensuellement. »

Le 9 octobre, Yves Dumont est parmi les 60 militants communistes (40 détenus venant du dépôt, 20 venant de la caserne des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

À une date restant à préciser, la sœur d’Yves Dumont, alors institutrice au Bardo en Tunisie, domicilié au 4 rue de France, écrit au maréchal Pétain, Chef de de l’État Français, pour solliciter également sa libération. Le 24 novembre, la Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés fait transmettre cette requête au préfet de police par le ministre secrétaire d’état à l’Intérieur.Le 17 décembre, deux inspecteurs de la Brigade spéciale (de Saint-Maur ?), remettent au commissaire de police un nouveau rapport reprenant les mêmes accusation de rencontres politiques clandestines. « Au cours de notre enquête, nous n’avons pu avoir confirmation que Dumont avait renié publiquement le Parti communiste lors de la conclusion du pacte germano-russe. »

Le 2 janvier 1942, le commissaire de police de Saint-Maur répond de nouveau au directeur des R.G. : « La précision des renseignements fournis par les inspecteurs nous fait considérer la libération de Dumont comme peu souhaitable. »

Le 22 mai 1942, Yves Dumont fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C.     L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin, Yves Dumont – malgré son handicap à la jambe – est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Yves Dumont est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45505 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [4]).

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Yves Dumont.

Il meurt à Auschwitz le 31 juillet 1942, d’après deux registres du camp ; trois semaines environ après l’arrivée du convoi.

Après-guerre, sa veuve habite toujours au 44 avenue de Condé à Saint-Maur. Début 1952, elle est vendeuse chez une fleuriste de la commune, place Galilée.

Le nom d’Yves Dumont est inscrit sur la plaque apposée dans le hall de la mairie de Saint-Maur « à la mémoire des fusillés et morts en déportation en Allemagne ».

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 9-04-1989).

« Mauvais berger » avait dit de lui un magistrat du régime de Vichy, ex-relation de la famille, qui refusa d’intervenir pour sa libération. Le commissaire qui l’avait arrêté (Tourraine ?), reçut – paraît-il – plus tard la légion d’honneur pour son action en Indochine.

Notes :

[1] Saint-Maur-des-Fossés : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Renée Haultecoeur, née le 24 janvier 1912 à Paris, secrétaire de Jean Cavaillès, un des fondateurs de Libération-Nord, est arrêtée le 27 août 1943 à Paris et déportée dans le transport parti de Compiègne le 31 janvier 1944 et arrivé au KL Ravensbrück le 3 février (27436), rescapée, libérée par la Croix-Rouge le 9 avril 1945 frontière germano-suisse.

[3] Alice Sportiss, députée communiste en Algérie après la guerre (?).

[4] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin “Après Auschwitz”, n°21 de mai-juin 1948).

Sources :

V Témoignage d’Annick Davisse, sa petite-fille (2006).
V Son nom et son matricule figurent sur la «  Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne » éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
V Roger Arnould, article paru dans le journal de la FNDIRP, Le Patriote Résistant, n° 511, mai 1982.
V Antony Livesey, Atlas de la première guerre mondiale, éditions Autrement, collection Atlas/Mémoires, 1996, pages 122-123.
V Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 389 et 403.
V Archives départementales de l’Ain, site internet, archives en ligne : registre des naissances de Bourg-en-Bresse, 1892, acte n°407 (vue 106/134) ; registre des matricules militaires, bureau de recrutement de Belley, classe 1921 (1 R 0191), matricule n° 534.
V Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : liste des internés communistes (BA 2397) ; camps d’internement… (BA 2374) ; (BA 1837).
V Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 74.
V Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 446.061), recherches de Ginette Petiot.
V Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 246 (17740/1942).
V Site Mémorial GenWeb, 94-Saint-Maur-des-Fossés, relevé de Bernard Laudet (12-2002).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 18-05-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.


Le 26 juin 1929

Monsieur,

Je lis dans la rubrique “Les Lettres” de L’Intransigeant des extraits de votre article de “L’œuvre” relatif au livre d’Erich Maria Remarque. Ne lisant plus L’œuvre depuis la déchéance que vous savez, j’apprends par des amis que le reste de l’article est du même ton et je m’adresse aux mânes de Gustave Téry pour me plaindre de la mauvaise action que vous avez commise.
Le livre de Remarque éreinté dans la tribune de gauche que vous prétendez être, c’est un comble et en même temps un triste honneur qui ne vous sera pas disputé.
Mutilé de guerre, j’ai retrouvé quant à moi dans ce livre la peinture poignante de notre détresse, l’image de nos révoltes et le cri de l’homme traqué qui “se demande pourquoi il est là”.
Et vous faites à cet écho venu d’en face, pour miraculeusement étayer l’œuvre caduque de paix que vous préconisez par ailleurs, le reproche d’être “dolent, plaintif et bien éloigné de l’attitude morale de nos troupiers”. Je vous entends, Monsieur, il manque sans doute un peu de cet “esprit cavalier” dont les Saint-Just et les Kérilis nous entretiennent volontiers, de cet esprit de “bonne humeur française” comme vous dites, qui faisait hurler “À Berlin” nos petits soldats de 1914, qui les fera encore s’embarquer, hâbleurs et la gouaille aux lèvres, dans le wagon à bestiaux de la gare de la Villette avec leurs fascicules en poche et deux jours de vivres de réserves dans leur musette pour la prochaine dernière, pour les prochains massacres.
Pareillement de “belle humeur”, vous ferez sans doute les comptes-rendus de leurs exploits, peut-être le communiqué, à la place laissée vacante par M. Jean de Pierrefeu, autre collaborateur de “L’œuvre”.
“Belle humeur”, nous connaissons cela. Vis-à-vis de ce crime, la guerre, la belle humeur, c’est une inconvenance, c’est une fausse note, c’est une lâcheté. La “belle humeur,” c’est la faculté d’oubli, hélas trop ancré au cœur de l’homme. C’est l’excuse du soldat pour être traître à la misère, à ses camarades restés là-bas, entre les lignes, agonisants. C’est la faculté animale de récupération sitôt le péril disparu, qui fait chanter au soldat des “Madelon” en redressant le pas aux passages des agglomérations où les filles vous rient. C’est bien ainsi, en effet, et c’est là-dessus que comptent les chefs pour le maintien du “Moral”.
Peut-être bien que les armées allemandes, Monsieur Billy, n’avaient pas comme les nôtres de services du “Moral”, de directeur du “Moral”, vous savez bien bien, lors de je ne sais quel procès de 1919, ce petit éphèbe délégué par Ignace qui nous amuse tant en déclinant devant une cour de justice cette effarante “affectation”.
Ce que vous prenez pour une qualité, c’est proprement une caractéristique de notre race, non pas la meilleure, ma foi, mais bien près d’être la pire : la gueule, et la légèreté de l’individu que vous qualifiez “fierté morale”, nous l’appelons – nous – de son vrai nom, lâcheté, quand ce n’est pas soulographie.
D’ailleurs, votre impression du livre de guerre français est fausse. Où voyez-vous que que les soldats décrits par Barbusse soient des reîtres de belle humeur ? Ils sont, eux aussi, mortellement tristes et dolents au moins autant que ceux de Remarque. Vraiment, et puisque vous faites au “Feu” l’honneur de le citer, probablement faute de pouvoir faire autrement, il faut de l’aberration ou de la mauvaise foi pour y trouver autre chose qu’un long cri de révolte. La belle humeur y est aussi absente qu’hors de propos, s’agissant d’une œuvre bâtie et conçue au plus fort de la mêlée  en offrande à notre détresse.
Oui, certes “Le Feu” est supérieur au livre de Remarque, mais non pas pour les pauvres raisons que vous indiquez, pour une seule, qui est ni littéraire ni descriptive, c’est qu’il a paru en pleine mêlée et que son auteur a fait ainsi montre le premier de tous d’un courage inouï quand on se rappelle les risques de l’heure, la meute déchaînée, hurlant à la mort aux chausses de Romain Rolland et des rares pacifistes de cette sombre époque où l’intellectualisme traître à sa mission se déshonorait en France et à l’Étranger.
“À l’Ouest rien de nouveau”, que vous le vouliez ou non, et par le suffrage du public tout court, se situe à sa vraie place sur la ligne du “Feu” et peut-être de “Civilisation” de Duhamel. Au point de vue littéraire, ce qui est un point de vue secondaire, à mon avis, il est possible que les Dorgelès le vaillent, mais, outre qu’il faut en excepter Le Cabaret de la Belle Femme et autres productions nettement inférieures, il y a loin d’y avoir dans Les Croix de Bois même la force de la propagande anti-guerrière, l’accent profond d’humanité qui émane de la lecture du livre de Remarque et que je m’étonne de ne pas vous avoir vu dégager. Seuls, Barbusse, Remarque, Lazlo et parfois Duhamel, osent conclure et prendre la guerre au collet pour lui dire son fait. Monsieur Roland Dorgelès, “Président de l’Association des Écrivains Combattants” aime mieux laisser ce soin à ses lecteurs et parader profitablement aux côtés des Scapini et des Tardieux dans des cérémonies dérisoires et officielles où fréquente Monsieur Doumergue et sans doute Monsieur Chiappe.
Successeur de Monsieur Thierry Sandre et de Monsieur José Germain, ce nouveau Dorgelès ne peut pas être à la fois l’historien de la guerre qui tue et de celle dont on profite. Il fut un temps où cette probité intellectuelle était un honneur à “L’Œuvre”. C’était précisément à l’époque où votre journal publiait le premier Le Feu en feuilleton. C’était en pleine guerre et c’était la bonne voie. Depuis, hélas, il y a eu chez vous des Béraud et il y a encore des Billy et un La Fourchadière, collaborateur assidu de Clément Vau (?).
Puisse cette nouvelle orientation assurer à la commandite de MM. Henessy et Lederlin des profits en rapport avec le sacrifice de votre dignité.
——————
Jean Norton Cru, dans son livre Témoins, publié en 1929, consacre une courte note au livre qu’il considère comme un « roman pacifiste ayant tous les défauts du genre représenté par Barbusse et Latzko : outrance du macabre, meurtre à l’arme blanche, ignorance de ce que tout fantassin combattant doit savoir ». Selon Norton Cru, Erich Maria Remarque, volontaire à 18 ans en 1915, devrait connaître les choses du front « mais il les déforme et accumule les invraisemblances : effet des obus, usage de la baïonnette, aspect du poilu français de 1917, type de mitrailleuse française, etc » et « la psychologie est aussi fausse, aussi traditionnelle que les faits : la peur terrasse les recrues (cas de folie furieuse), mais les vétérans sont indemnes. Topographie et chronologie nulles. Un non-combattant ne commettrait pas plus d’erreurs. ».
Jean Norton Cru, Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs des combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, Les Étincelles, 1929, rééd. Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2006, p.80. Andreas Latzko est l’auteur de Hommes en guerre (1917).

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%80_l%27Ouest,_rien_de_nouveau#cite_ref-6

Lire aussi :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Norton_Cru