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Yves Dumont dans les années 1930.
La cicatrice sous son œil gauche
n’est pas perceptible.
© Collection Annick Davisse.Yves Dumont naît le 7 novembre 1892 à Bourg-en-Bresse (Ain – 01), chez ses parents, Jean (Joanny) Dupont, 33 ans, professeur de musique, et Marie Pothier, 34 ans, domiciliés au 35, rue Paul-Bert. Son père est un ardent républicain qui, lors de ses propres études à l’Institut des jeunes aveugles, sous le second empire, n’hésitait pas à jouer La Marseillaise.
Yves Dumont acquiert un degré d’instruction supérieur (de niveau 5, pour l’armée). C’est un homme plutôt grand pour l’époque : 1 mètre 77.
En novembre 1913, il est domicilié au 23, rue de la Varenne à Saint-Maur-des-Fossés [1] (Val-de-Marne – 94).
Pendant un temps, il travaille comme professeur de français à Leamington, ville thermale au centre de l’Angleterre.
De la “classe” 1912, Yves Dumont obtient un sursis en 1913 et 1914 afin de poursuivre ses études.
Il est appelé à l’activité militaire à la suite de la mobilisation du 2 août 1914. Le jour même, il se présente au 60e régiment d’Infanterie. Le 12 novembre suivant, il est nommé caporal et, le 24 décembre, sergent. Mais, dès le lendemain, il est nommé aspirant. Le 4 février 1915, il passe au 42e R.I. Le 3 avril 1916, il passe au 116e R.I.
Le 7 juin 1915, dans l’Oise, il est blessé une première fois au sommet du crâne par un éclat d’obus. Il rejoint son unité « aux armées » le 30 avril 1916. Un an plus tard, le 20 avril 1917, au chemin des Dames (secteur de Paissy et Jumigny, dans l’Aisne – 02), au dernier jour de “l’offensive Nivelle” (134 000 morts) ; il est gravement blessé à la joue gauche, au bras et à la jambe gauche (fracturée) par l’explosion d’un obus. Le 5 juillet suivant, il est cité à l’ordre de son régiment : « Très bon sous-officier, a fait preuve de courage et de sang-froid en toutes circonstances, et particulièrement dans le secteur de Verdun ». Il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze.
Le 2 juin 1918, la commission de réforme de la Seine le propose pour la réforme n°1 avec gratification de 7e catégorie pour « limitation à 100% de la flexion tibio-tarsienne gauche avec attitude du pied en varus ». En 1920, la même commission précise « cicatrice de fistule, amyotrophie du mollet 1 cm, atrophie de la cuisse 4 cm, cicatrice à la joue gauche ». En 1922, il est déclaré au taux d’invalidité de 20 % pour « cicatrice adhérente au tiers supérieur de la jambe gauche et cicatrice opératoire au péroné avec lésions musculaires ». En mars 1936, sera est nommé adjudant de réserve par décision ministérielle.
Le 8 juillet 1919 à Paris 18e, Yves Dumont se marie avec Jeanne Maximilien. Ils auront un enfant.
En mai 1922, ils demeurent au 10, rue du 27 mars, à Saint-Ouen (Seine/Seine-Saint-Denis).
En octobre 1923 et jusqu’à son arrestation, Yves Dumont est domicilié au 44, avenue de Condé à Saint-Maur-des-Fossés. En 1930, il adhère à l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) .
Particulièrement engagé dans les luttes antifascistes et, membre actif du Secours populaire, il organise la solidarité avec la République espagnole (sa femme, Jeannette, convoiera avec Renée Haultecoeur [2] du lait pour les camps de réfugiés espagnols). Il est, semble-t-il, secrétaire du rayon communiste de Saint-Maur.
En 1937, il est chef de service pour une compagnie de navigation.
Choqué dans ses convictions antifascistes par le pacte germano-soviétique, il s’éloigne du PCF à partir de septembre 1939.
Néanmoins, en 1940, il cache chez lui une militante, Alice Sportiss [3].
Il est cadre commercial au Consortium franco-américain.
Sous l’occupation, la police française le considère comme un « meneur communiste actif ».
Le 4 juillet 1941, à 5 heures du matin, Yves Dumont est arrêté à son domicile par des agents du commissariat de Saint-Maur. Le même jour, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif. Son domicile est perquisitionné et ses livres emportés. Avec d’autres communistes arrêtés, il est conduit à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier à Paris 20e, “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police de Paris.
- La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre.
Partagée avec l’armée d’occupation, elle servit surtout,
au début, à interner les « indésirables étrangers ».
Carte postale, collection Mémoire Vive.
Le 9 octobre, il est parmi les 60 militants communistes (40 détenus venant du dépôt, 20 venant de la caserne des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne – 86) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56.
- Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”,
vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne),
Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.
Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin, Yves Dumont – malgré son handicap à la jambe – est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
- Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Yves Dumont est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45505 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [4]).
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit. Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.
Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Yves Dumont.
Il meurt à Auschwitz le 31 juillet 1942, d’après les registres du camp ; trois semaines environ après l’arrivée du convoi.
Son nom est inscrit sur la plaque apposée dans le hall de la mairie de Saint-Maur « à la mémoire des fusillés et morts en déportation en Allemagne ».
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 9-04-1989).
« Mauvais berger » avait dit de lui un magistrat du régime de Vichy, ex-relation de la famille, qui refusa d’intervenir pour sa libération. Le commissaire qui l’avait arrêté (Tourraine ?), reçut – paraît-il – plus tard la légion d’honneur pour son action en Indochine.
Sources :
Témoignage d’Annick Davisse, sa petite-fille (2006).
Son nom et son matricule figurent sur la « Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne » éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
Roger Arnould, article paru dans le journal de la FNDIRP, Le Patriote Résistant, n° 511, mai 1982.
Antony Livesey, Atlas de la première guerre mondiale, éditions Autrement, collection Atlas/Mémoires, 1996, pages 122-123.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 389 et 403.
Archives départementales de l’Ain, site internet, archives en ligne, registre des naissances de Bourg-en-Bresse, 1892, acte n°407 (vue 106/134) ; registre des matricules militaires, bureau de recrutement de Belley, classe 1921 (cote 1 R 0191), matricule n° 534.
Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” : BA 2397 (liste des internés communistes), BA 2374 (camps d’internement…) ; BA 1837.
Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 74.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 246 (17740/1942).
Site Mémorial GenWeb, 94-Saint-Maur-des-Fossés, relevé de Bernard Laudet (12-2002).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 17-05-2015)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Saint-Maur-des-Fossés : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Renée Haultecoeur, née le 24 janvier 1912 à Paris, secrétaire de Jean Cavaillès, un des fondateurs de Libération-Nord, est arrêtée le 27 août 1943 à Paris et déportée dans le transport parti de Compiègne le 31 janvier 1944 et arrivé au KL Ravensbrück le 3 février (27436), rescapée, libérée par la Croix-Rouge le 9 avril 1945 frontière germano-suisse.
[3] Alice Sportiss, députée communiste en Algérie après la guerre (?).
[4] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin “Après Auschwitz”, n°21 de mai-juin 1948).