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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942. 
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 
Oświęcim, Pologne. 
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Yves Cariou naît le 8 septembre 1908 à Cherbourg (Manche – 50), fils d’Yves, Marie, Cariou et de Françoise Calvez (ses parents seront décédés lors de son arrestation).

Le 22 avril 1933 à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis – 93), il se marie avec Marcelle Barthelme. Ils aurontune fille, née vers 1936. Pendant un temps, Yves Cariou habite au 10, rue des Cardineaux à Aubervilliers.

Au moment de son arrestation, la famille est domicilié au 20, rue Gutemberg au Blanc-Mesnil [1] (93). Yves Cariou héberge alors la mère de son épouse, « âgée de 68 ans, qui est sans ressource ».

Yves Cariou est militant syndicaliste.

Au camp d’Aincourt, il est déclaré comme tripier. À une date restant à préciser, quatre doigts de sa main gauche sont sectionnés à la suite d’un accident de travail ; il est pensionné à 30 %. C’est peut-être alors qu’il devient employé de bureau

Ce handicap le fait réformer et il n’est pas mobilisé au cours de la “drôle de guerre”. Il est employé au Touring Club de France, au 65, avenue de la Grande-Armée à Paris, puis aux Établissements R. Charles, au 67, rue Solférino à Aubervilliers.

Yves Cariou est actif dans le Parti communiste clandestin.

Le 28 octobre 1940, le commissaire d’Aulnay-sous-Bois signe une « notice individuelle à établir au moment de l’arrestation » concernant Yves Cariou. Au chapitre « Moralité et réputation », le fonctionnaire de police écrit : « A été signalé comme distributeur de tracts et fréquente les réunions clandestines tenues chez le nommé W., 58 rue Eugène-Varlin, à Blanc-Mesnil ».

Le 30 octobre, le nom d’Yves Cariou figure sur une liste de douze « individus proposés pour être dirigé sur le centre de séjour surveillé d’Aincourt » – sur laquelle est également inscrit Robert Moura, de Garges-les-Gonesse – établie par la préfecture de Seine-et-Oise.

Le 31 octobre, le préfet signe l’arrêté ordonnant son internement administratif.

Bien que son arrestation ait eu lieu dans le cadre d’une “opération judiciaire” – Yves Cariou est « inculpé de menées communistes à la suite d’une enquête effectuée par la 1ère Brigade mobile » -, il est laissé “en liberté” par le Parquet.

Le 1er novembre, il est arrêté. Le lendemain, il est conduit au camp d’Aincourt (Val-d’Oise – 95), créé au début du mois d’octobre dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

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Centre de séjour surveillé d’Aincourt. Plan de l’enceinte 
montrant les points d’impact après le bombardement 
par un avion anglais dans la nuit du 8 au 9 décembre 1940. 
Arch. dép. des Yvelines, cote 1W71.

Le 12 février 1942, Yves Cariou écrit au préfet de Seine-et-Oise : « N’ayant fait l’objet d’aucun motif d’inculpation, je trouve drôle que je suis ici interné et j’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir m’accorder ma mise en liberté. »

Lors des fêtes de fin d’année, son épouse a pu venir lui rendre visite au camp. Le 13 mars, elle écrit au préfet de Seine-et-Oise pour solliciter une nouvelle autorisation à l’occasion des fêtes de Pâques. Le 29 mai [!], le commissaire de police du Blanc-Mesnil est chargé de lui notifier que les prochaines visites autorisées auront lieu à la Pentecôte. Dès le 28 mai, Marcelle Cariou écrit au préfet de Seine-et-Oise afin de solliciter un transport gratuit, estimé à 60 francs, pour une visite avec sa fille prévue le 7 juin.

Selon le directeur du camp, Yves Cariou maintient ses convictions à l’intérieur du camp, « se faisant remarquer par la violence des propos qu’il [tient] dans sa correspondance » et « participant aux manifestations collectives organisées au Centre par les meneurs du Parti ».

Lors de la « révision trimestrielle » du 25 février, le chef du camp lui reconnaît néanmoins une « attitude correcte ».

Le 27 juin 1941, huit mois après son internement, Yves Cariou fait partie d’un groupe de 88 internés communistes de Seine-et-Oise – dont 32 futurs “45000” – remis aux “autorités d’occupation” et conduits à l’Hôtel Matignon, à Paris, – alors siège de la Geheime Feldpolizei – où ils rejoignent des hommesappréhendés le jour même dans les départements de la Seine-et-Oise et de la Seine par la police française en application d’arrêtés d’internement administratifs [2]. Tous sont ensuite menés au Fort de Romainville (sur la commune des Lilas – 93), alors camp allemand, élément du Frontstalag 122. Considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp [3].

Trois jours plus tard, les hommes rassemblés sont conduits à la gare du Bourget (Seine-Saint-Denis – 93) et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par laWehrmacht (Polizeihaftlager). Pendant la traversée de la ville, effectuée à pied entre la gare et le camp, la population les regarde passer « sans dire un mot, sans un geste. Tout à coup nous entonnons La Marseillaise et crions «  Des Français vendus par Pétain » [4]. Ils sont parmi les premiers détenus qui inaugurent ce camp créé pour les « ennemis actifs du Reich ».

Le 13 février 1942, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud écrit au préfet de Seine-et-Oise. « En vue de l’examen du dossier de l’intéressé au sujet d’une prolongation éventuelle de l’internement, [celui-ci est prié de] faire parvenir un avis motivé et de [faire connaître si, de sa part] il n’y a pas d’objection à faire contre une libération éventuelle du susnommé ». Une note établie à une date inconnue se conclue ainsi : « S’il est avéré que son séjour prolongé dans un camp d’internement a modifié ses idées, sa libération peut être envisagée ».

Mais, le 25 mars, le préfet transmet au Conseiller supérieur d’administration de guerre [sic] de laFeldkommandantur 758 une liste d’anciens internés d’Aincourt à la libération desquels il oppose un avis défavorable – « renseignements et avis formulés tant par [ses] services de police que par le directeur du centre de séjour surveillé » ; liste accompagnée de « notes » individuelles avec copie traduite en allemand, dont celle concernant Yves Cariou.

Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Les deux wagons à bestiaux 
du Mémorial de Margny-les-Compiègne, 
installés sur une voie de la gare de marchandise 
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Yves Cariou est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45330 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différentsKommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Yves Cariou.

Il meurt à Auschwitz le 3 octobre 1942, selon les registres du camp [5].

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 13-11-1987).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 384 et 398. 
- Site de la ville du Blanc-Mesnil : http://www.blancmesnil.fr/ (photo en civil). 
- Archives départementales des Yvelines, Montigny-le-Bretonneux (78), centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1W76, 1W80 (relations avec les autorités allemandes), 1w82 (allocations aux internés nécessiteux), 1W98 (dossier individuel), 1W277 ; et recherches parallèles de Claude Delesque. 
- Liste des 88 internés d’Aincourt (tous de l’ancien département de Seine-et-Oise) remis le 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation ; liste d’Internés de Seine-et-Oise à la suite d’une mesure prise par le préfet de ce département, ayant quitté le centre d’Aincourt, communiquées par Fernand Devaux(03-2007 et 11-2007). 
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 158 (34150/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 18-01-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Le Blanc-Mesnil : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Les 88 internés de Seine-et-Oise. Le 26 juin 1941, la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud transmet au préfet du département de Seine-et-Oise – « police d’État » -, cinq listes pour que celui-ci fasse procéder dès le lendemain à l’arrestation de ressortissants soviétiques ou de nationalité russe ancienne ou actuelle, dont 90 juifs, et de républicains espagnols en exil, soit 154 personnes. La sixième catégorie de personnes à arrêter doit être constituée de «  Différents communistes actifs que vous désignerez  » (aucune liste n’étant fournie). Tous doivent être remis à la Geheime Feldpolizei, à l’Hôtel Matignon, à Paris.

Si aucun autre document n’atteste du contraire, c’est donc bien la préfecture de Seine-et-Oise qui établit, de sa propre autorité, une liste de 88 militants communistes du département à extraire du camp d’Aincourt.

Le 27 juin, le commandant du camp écrit au préfet de Seine-Et-Oise pour lui « rendre compte que 70 internés[du département] ont été dirigés aujourd’hui dans la matinée sur le commissariat central de Versailles et que 18 autres internés ont été dirigés dans le courant de l’après-midi à l’Hôtel Matignon à la disposition des Autorités allemandes d’occupation. Le départ de ces internés s’est déroulé sans incident. » Les listes connues à ce jour ne distinguent pas les deux groupes et réunissent les 88 internés.

Le 29 juin, l’inspecteur de police nationale commandant l’escorte conduisant le contingent de 70 détenus à Versailles, rend compte que le commissaire divisionnaire lui a ordonné de poursuivre son convoyage « jusqu’à l’Hôtel Matignon, à Paris, siège de la Geheime Feldpolizei. En passant à Billancourt, quelques internés du premier car ont montré le poing et des ouvriers qui allaient prendre leur travail ont répondu par le même geste. J’ai immédiatement donné des ordres aux gardiens pour que les internés rentrent leurs bras.

À mon arrivée à Paris, je me suis trouvé en présence d’une quinzaine de cars remplis de prisonniers ayant la même destination que les internés d’Aincourt et j’ai dû prendre la suite.

Le formalités d’immatriculation étant assez longues, j’ai dû attendre mon tour ; l’opération a commencé à 18 heures et s’est terminée à 19h15 ; je n’ai pu faire la remise que de 38 internés sur 88 venus d’Aincourt. En raison de l’heure, le chef de bureau de la Feldpolizei m’a fait savoir qu’il recommencerait l’immatriculation le lendemain matin à 8h15, d’avoir à revenir à cette heure-là. J’ai rassemblé les 50 internés restant dans les deux cars et ai libéré les camionnettes et les gardiens disponibles.

Je me suis aussitôt mis en rapport avec la préfecture de Seine-et-Oise afin de savoir où je devais conduire, pour passer la nuit, les 50 internés. Une heure après, je recevais l’ordre de les conduire au Dépôt, 4 quai de l’Horloge, et de continuer ma mission le lendemain matin. Cette formalité étant remplie, j’ai renvoyé les cars et le personnel à Versailles.

Le 28 juin, à 7 heures, j’ai continué ma mission qui a pris fin à 11 heures. Cette escorte s’est déroulée sans autre incident. »

[3] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, témoignage d’Henri Rollin : «  Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[4] De l’Hôtel Matignon au Frontstalag 122 : témoignage de Marcel Stiquel (déporté au KLSachsenhausen le 24 janvier 1943). Son récit fait état de 87 internés (la liste en comporte 88) et d’un départ d’Aincourt étalé sur deux jours : les 27 et 28 juin 1941 (voir note ci-dessus).

[5] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant Yves Cariou, c’est le 28 février 1943 « à Birkenau » qui a été retenu pour certifier son décès (à vérifier…).

Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.