Robert Dubois, avant-guerre. Droits réservés.

Robert Dubois, avant-guerre. Droits réservés.

Robert, Edgard, Dubois naît le 26 septembre 1897 à Orléans (Loiret – 45), chez ses parents, François Dubois, 35 ans, cantonnier, et Berthe Mondamert, son épouse, 29 ans, domiciliés au 18, rue Tudelle. Lors du recensement de 1901, la famille se compose également d’Auguste, 15 ans, déjà employé au Crédit Lyonnais, et Rémonde, 6 ans. Le père se déclare alors cantonnier aux Chemins de fer de l’État.
Robert Dubois commence à travailler comme tourneur sur métaux.
Le 11 janvier 1916, ils est incorporé comme soldat de 2e classe dans un régiment d’infanterie restant à déterminer, arrivant « au corps » le lendemain. Le 10 octobre, au terme de sa période d’instruction, il passe au 113e régiment d’infanterie (originellement caserné à Blois). Dans cette période, le régiment gagne le village détruit de Fleury-devant-Douaumont, au nord-est de Verdun. Après l’offensive du 24 octobre, le 113e R.I occupe, en première ligne, le terrain conquis lors de la reprise des forts de Douaumont et de Vaux.
113e régiment d'infanterie, Historique sommaire de la campagne 1914-1918, page 14. © Mémoire des hommes et BDIC, Nanterre.

113e régiment d’infanterie, Historique sommaire de la campagne 1914-1918, page 15.
© Mémoire des hommes et BDIC, Nanterre.

En avril 1917, le régiment est en première ligne dans le secteur Pontavert-Gernicourt, sur les rives de l‘Aisne et de son canal, préparant, sous les tirs de l’artillerie ennemie, la base de départ pour un assaut imminent vers le Chemin des Dames. Le 11 avril, Robert Dubois est légèrement blessé au cuir chevelu par un éclat d’obus et évacué – le journal de marche et d’opérations note : « Bombardement habituel. Pertes : 2 blessés ». Moins d’un mois plus tard, le 8 mai, il « rejoint aux armées », quand l’offensive Nivelle est terminée (du 16 au 30 avril, la VIe armée a perdu au total 30 000 hommes, tués, blessés et disparus).
En août suivant, le 113e R.I. est en première ligne dans le même secteur, le 2e bataillon occupant le lieu-dit Chevreux au sud-est du village de Craonne (détruit). Le 26 août – journée pour laquelle le JMO note : « Rien de particulier à signaler. Pertes : 3 blessés » -, Robert Dubois est de nouveau blessé au bras droit et à la cuisse droite par des éclats d’obus, et évacué. Le 29 août, il a été cité à l’ordre de son régiment : « Très bon grenadier, volontaire pour toutes les missions périlleuses ». Il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze. Après avoir été soigné, il rejoint le dépôt le 18 octobre.
La Croix de guerre 1914-1918 avec étoile de bronze. © MV

La Croix de guerre 1914-1918
avec étoile de bronze.
© MV

Début juin 1918, le 113e R.I. occupe ce qu’il reste du village de Biermont (Oise), situé à découvert entre deux massifs boisés. Le 9 juin, la 18e Armée allemande du général von Hutier lance une vaste offensive en direction de Compiègne (bataille de Montdidier-Noyon, ou bataille du Matz). Après un formidable bombardement, dont des obus de gaz toxique, une division de la Garde (17e corps d’armée ?) s’élance et disloque le régiment se trouvant sur sa route.

113eRI-masque@gaz-p23Dès 6 h 20, le village est pris. Robert Dubois est porté disparu, comme 1325 fantassins fait prisonniers, dont de nombreux officiers parmi lesquels le capitaine commandant sa compagnie. Interné à Munster pendant un peu plus de six mois, Robert Dubois est rapatrié le 20 décembre 1918. Le 28 janvier 1919, il passe au 131e R.I. Le 20 septembre suivant, il est mis en congé illimité de démobilisation.

Le 9 mars 1920 à la mairie d’Orléans, Robert Dubois – qui habite alors au 6, rue Tudelle – se marie avec Berthe Juquin, née le 12 septembre 1897 à Sury-aux-Bois (45), cuisinière. Ils auront trois fils : Lucien, né le 26 septembre 1920, André, né le 15 août 1922, et Bernard, né le 18 juillet 1932, tous à Orléans.

En mai 1929, la famille demeure au 20, rue de la Corroierie, dans cette ville. En septembre 1935, ils habitent au 16, quai des Augustins, sur la rive droite de la Loire, près du pont Georges V, dans un petit immeuble situé à l’angle de la place de la Bascule et abritant en son rez-de-chaussée le café Les Sables de Loire.

Orléans. Le quai des Augustins, vu depuis le pont Georges V, dans les années 1910. Au centre, le petit immeuble abritant le café en son rez-de-chaussée. Carte postale (recadrée), collection Mémoire Vive.

Orléans. Le quai des Augustins, vu depuis le pont Georges V, dans les années 1910.
Au centre, le petit immeuble abritant le café en son rez-de-chaussée.
Carte postale (recadrée), collection Mémoire Vive.

À partir – au moins – de janvier 1938, Robert Dubois est tourneur-outilleur à l’usine de carrosserie Panhard et Levassor, au 16, rue du Faubourg-Madeleine, proche de chez lui [1].

Robert Dubois est membre du Parti communiste français.

Sous l’Occupation, il reste actif, transportant et diffusant des tracts et journaux, hébergeant et ravitaillant des clandestins.

Son fils Lucien, 20 ans, ouvrier-peintre en bâtiment, milite également au sein d’un groupe de jeunesse.

Début février 1941, à la nuit tombée, un groupe de militants clandestins de Montargis appose dans les rues de la ville des “papillons” portants différents slogans. Un des colleurs de papillons est-il surpris en flagrant délit par des gendarmes, et désigne-t-il des camarades lors d’un interrogatoire ? Toujours est-il que, dès le 8 février, les gendarmes de Montargis procèdent à neuf arrestations dont huit jeunes gens de 16 à 21 ans. La 5e brigade de police mobile poursuit l’enquête.

Le 11 février, le préfet du Loiret délivre un mandat de perquisition « prescrivant de procéder à la saisie en tous domiciles et en tous lieux, de tracts, brochures, papillons », dans le cadre d’une enquête pour infraction au décret-loi du 26 septembre 1939.

Le jour même, à 12 h 30, un commissaire de la 5e brigade de police mobile accompagné d’inspecteurs de la sûreté d’Orléans se rend au domicile de la famille Ferchaud à Saran pour y procéder à une perquisition au cours de laquelle aucun document récent de propagande n’est trouvé. Néanmoins, le père, Henri, son épouse, et leurs deux fils, Henri et Robert, sont interrogés séparément. Commencées le 11 février, leurs « auditions » se poursuivent le lendemain.

Le 12 février au soir, suivant les instructions reçues du commissaire de police du 3e arrondissement d’Orléans, le chef de la Sûreté fait établir une surveillance aux abords du domicile de Lucien Dubois, au 16, quai des Augustins. Le lendemain matin, 13 février, à 8 heures 30, le jeune homme est interpellé alors qu’il rentre chez ses parents. Il est mis à la disposition du commissaire divisionnaire chef de la 5e brigade de la police mobile pour son « audition ».

Lucien Dubois devrait être conduit à la Maison d’arrêt de Montargis. Mais, dès le 13 février, le juge d’instruction d’Orléans demande son transfèrement dans sa juridiction. Deux jours plus tard, 15 février, ce magistrat le fait comparaître pour lui donner lecture du mandat d’arrêt le concernant : « Séance tenante, nous avons avisé l’inculpé qu’il allait être écroué à la maison d’arrêt d’Orléans en vertu du mandat susvisé et que son transfèrement serait par nous requis d’urgence. »

Dans des circonstances restant à préciser, les autorités d’occupation s’emparent de l’affaire, puis effectuent un tri parmi les suspects…

Le 12 mai, le tribunal militaire de la Feldkommandantur 589 à Orléans écrit préfet du Loiret et au directeur de la Maison d’arrêt : « Le mandat d’arrêt établi par nous contre : 1. L’ouvrier Ferchaud Henri, né le 14.2.1895 ; 2. L’électricien Ferchaud Henri, né le 27.1.1920 ; et 3. Le peintre Dubois Lucien Robert, né le 26.9.1920, est annulé. Il devront donc être libérés de la prison. L’accomplissement de cette libération devra être porté à notre connaissance. » Cependant, la fin de la procédure allemande n’éteint pas la procédure judiciaire française.

Puis, après l’invasion de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, l’armée d’occupation accentue sa prise en charge directe de la répression…

Le 25 août, le procureur de la République à Orléans transmet au commissaire central une dépêche reçue de la Chancellerie (ministère de la Justice) contenant « … la traduction d’une communication de M. Le Commandant des forces militaires en France, en date du 19 août 1941 », transmise par le délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés « qui prescrit la communication d’urgence au tribunal militaire allemand le plus proche des dénonciations, des procédures et des dossiers de toutes sortes concernant l’activité communiste, ainsi que toutes les tentatives faites pour soutenir le communisme (…) exceptés tous les dossiers dont la procédure a été définitivement close le 18 août 1941. » Le jour même, le procureur de la République adresse au préfet – pour être transmises au tribunal allemand – les dossiers de trois procédures en cours d’instruction dans lesquelles sont notamment impliqués, pour « menées communistes », les Ferchaud père et fils, Lucien Dubois et Jacqueline Vannier (fille de Lucien).

Le 11 septembre, ils sont onze camarades à comparaître devant la Section spéciale de la cour d’appel d’Orléans pour tentative de reconstitution du Parti communiste. Henri Raymond Ferchaud est condamné à cinq ans d’emprisonnement, mille francs d’amende et quinze ans de privation de droits civiques. Son jeune frère, Robert Ferchaud, est condamné à dix-huit mois de détention et deux cents francs d’amende. Leur père, Henri Ferchaud est relaxé. Lucien Dubois – fils de Robert – est condamné à 4 ans d’emprisonnement, 500 francs d’amende et 10 ans d’interdiction de droits civiques.

Le 15 octobre suivant, la police (judiciaire ?) française effectue une perquisition au domicile de la famille Dubois, emmène le père, Robert, puis le relâche le soir même.

Quatre jours plus tard, le 19 octobre, devant le gérant et plusieurs clients du café Les Sables de Loire, Robert Dubois est arrêté par la Feldgendarmerie et conduit à la prison militaire du 14, rue Eugène-Vignat à Orléans, réquisitionnée par l’armée d’occupation [2], dans laquelle sont rassemblés – enfermés à plusieurs par cellule – 41 hommes arrêtés ce jour-là et la veille [3], parmi lesquels Henri Ferchaud père, Raymond Gaudry, Lucien Vannier…
En haut à gauche, à côté de la gendarmerie, la maison d’arrêt. En bas à droite, en face de la caserne d’artillerie, la prison militaire. Ville d'Orléans. Plan général de la commune 1/2000e [en 14 feuilles], 1934, feuille n° 3 (1Fi154-5). Extrait.  © Orléans métropole, site internet, archives municipales et communautaires.

En haut à gauche, à côté de la gendarmerie, la maison d’arrêt. En bas à droite, en face de la caserne d’artillerie, la prison militaire.
Ville d’Orléans. Plan général de la commune 1/2000e [en 14 feuilles], 1934, feuille n° 3 (1Fi154-5). Extrait.
© Orléans métropole, site internet, archives municipales et communautaires.


Le vendredi 24 octobre à 8 h 45, les otages rassemblés rue Eugène-Vignat sont transférés en autocar – via Pithiviers, Fontainebleau, Melun et Crépy-en-Valois – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Arrivés à 15 h, les internés passent par l’anthropométrie et se voient retirer leurs papiers d’identité.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Pour la mise en commun des colis, Robert Dubois fait partie d’un groupe de six, parmi lesquels Henri Ferchaud, Raymond Gaudry et Lucien Vannier, camarades d’Orléans (lettres de Gaudry des 16 et 24 avril 1942).

Dans une lettre du 16 avril 1942, Raymond Gaudry signale à son épouse que Madame Dubois viendra rendre visite à son mari le vendredi 24 avril. Par ailleurs, celui-ci donne assez régulièrement de ses nouvelles à son épouse.

Entre fin avril et fin juin 1942, Robert Dubois est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Entre Laon et Reims (?), Robert Dubois parvient à jeter du convoi un message qui parviendra à ses proches : « Dans le train le 6 juillet ; 40 dans wagon à bestiaux. Nous venons de nous arrêté à Châlons, nous pensons que nous partons en Allemagne, nous passerons peut-être la frontière cette nuit. Ne vous en faites pas, tout va bien santé, et moral excellent ; nous sommes Henri [Ferchaud ?], Gaudry et moi Robert dans le même wagon, Llorens est dans un autre et Vannier dans un autre ; Hachaire est resté à Compiègne. Surtout ne vous tourmentez pas, et n’envoyez plus de colis avant nouvelle adresse. Nous avons passé à Chauny, Laon, nous sommes remis en route, pensons passer à Reims, Metz. Avons touchés trois jours de vivres, nous avons tous envoyé de Compiègne un colis d’effets, inutiles. Courage, espoir, bien des choses à Lucien, bonjour à tous, vous embrasse de tout cœur. Courage, Robert ».

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Robert Dubois est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45489 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Robert Dubois est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

En effet, à une date inconnue, il est admis au Block 20, bâtiment de l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I, réservé aux porteurs de maladies contagieuses.

Robert Dubois meurt à Auschwitz le 25 août 1942, d’après le registre de la morgue et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), lequel indique « typhus » (Fleckfieber) pour cause crédible – mais pas forcément véridique – de sa mort.

En février 1944, son fils, Lucien Dubois, après avoir été écroué successivement dans les prisons de Montargis et d’Orléans, puis les Maisons centrales de Poissy et de Blois, fait partie des détenus remis aux “autorités allemandes” à la demande de celles-ci et conduits au Frontstalag 122 de Royallieu.Le 22 mars suivant, le jeune homme est déporté dans le transport de 1218 hommes parti de Compiègne le 22 mars et arrivé au KL Mauthausen trois jours plus tard, parmi lesquels 640 (soit 52,5 %) décéderont et disparaîtront en déportation. Lucien Dubois y est enregistré sous le matricule 59861.

Puis il est parmi les 90 hommes de ce transport transférés vers le Kommando de Loibl-Pass, avant d’être affecté à celui de Gusen.

Il sera libéré (les 5 et 6 mai 1945 ?) et rapatrié (circonstances à préciser…).

Le 21 novembre 1944, Berthe Dubois écrit au « Ministre des Prisonniers » pour demander une recherche concernant son mari Robert, dont elle n’a pas de nouvelles depuis 28 mois :  « … depuis [son départ pour l’Allemagne] plus rien, aucun indice. Je dois vous signaler qu’un [autre déporté] d’Orléans, arrêté et parti même date, a donné de ses nouvelles un an après. Lui, il est au camp d’Ausvitch. » « Je garde un peu d’espoir de retrouver sa trace. »  « Monsieur le ministre, j’ai aussi mon fils qui est déporté au camp de Mauthausen et sa première et dernière carte est du 20 mai dernier. Je vous demanderais aussi s’il est possible de savoir ce qu’il est devenu depuis. Pour lui, la tâche est plus facile, ayant son adresse.»

Le 7 décembre suivant, un fonctionnaire des affaires sociales lui répond : « Après avoir effectué des recherches dans les fichiers du ministère, j’ai le regret de vous faire savoir que je ne possède aucun renseignement sur Monsieur Robert Dubois. D’autre part, notre documentation sur les convois partis de Compiègne est encore très incomplète pour l’année 1942 et je ne peux pour l’instant vous préciser le lieu de déportation en Allemagne de votre mari. »

Le 25 février 1945, Berthe Dubois est concierge de l’école de filles du 79, rue Marceau à Orléans, où elle loge.

Le 23 juin suivant, Lucien Vannier, seul rescapé d’Orléans, revenu quatre semaines auparavant, complète et signe un formulaire par lequel il déclare avoir connu Robert Dubois au camp d’Auschwitz et que celui-ci y serait décédé en « mars 1943 ». Le 4 juillet, André Gaullier, rescapé d’Ormes, signe une déclaration manuscrite rédigée dans des termes identiques.

Dès le 14 août, Berthe Dubois complète et signe un formulaire édité par l’Office départemental des mutilés, combattants, victimes de la guerre et pupilles de la Nation pour demander l’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un civil déporté en Allemagne, en y joignant les attestations des deux rescapés. Le 17 octobre, le secrétaire général de l’office écrit au ministère pour demander à cette administration une copie de l’acte de décès de Robert Dubois. Y a-t-il eu une erreur d’adressage ? Car, le 3 décembre, le secrétaire général des anciens combattants et victimes de guerre précise que la famille doit réclamer cet acte au ministère des prisonniers, déportés et réfugiés.

Après la guerre, à une date restant à préciser, une plaque est apposée sur la façade du petit immeuble où le disparu a habité : « Ici demeurait Robert Dubois, membre du Parti communiste français, arrêté par la Gestapo le 19 octobre 1941, assassiné à Birkenau (Auschwitz) le 15 mars 1943 ».

Le 8 Juillet 1946, Berthe Dubois complète et signe un formulaire du ministère des anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG) pour demander la régularisation de l’état civil d’un « non-rentré ».

Le 19 septembre Louis Breton, « déporté politique », complète et signe un formulaire polycopié par lequel il certifie qu’au moment de son arrestation Robert Dubois faisait partie « du groupe de Résistance Front national [4] et participait activement aux opérations du groupe FTPF [Francs-tireurs et partisans français] dans le département ». Deux jours plus tard, 21 septembre, Robert Crossonneau, de Fleury-les-Aubrais, complète et signe le même imprimé. Puis Lucien Vannier et Robert Painchault en font autant le 1er octobre.

Le 11 octobre, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des ACVG dresse l’acte de décès officiel de Robert Dubois « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour », c’est-à-dire les attestations d’André Gaullier et Lucien Vannier, et en fixant la date à la moitié du mois que ceux-ci indiquaient, soit le 15 mars 1943. Le même jour, le service central de l’état civil du ministère demande par courrier au maire d’Orléans de transcrire cet acte dans les registres de sa commune, ce qui sera fait quatre jours plus tard.

Le 23 octobre 1946, Berthe Dubois complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique. Le 11 février 1947, le Comité départemental de libération du Loiret émet, à l’unanimité, un avis favorable à cette demande. Le 9 avril suivant, le comité départemental des anciens FTPF écrit au directeur de l’état civil et des recherches du ministère pour le prier de « délivrer » cette mention. Le 18 juin, le ministère demande au maire d’Orléans d’inscrire cette mention dans l’acte de décès, ce qui sera fait huit jours plus tard.

Le 23 octobre 1950, Berthe Dubois – en qualité de conjointe – complète et signe un formulaire du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre (ACVG) pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son mari à titre posthume. À la rubrique VI, « Renseignements relatifs à l’acte qualifié de résistance à l’ennemi qui a été la cause déterminante de l’exécution de l’internement ou de la déportation », elle inscrit « Transport et distribution de tracts et journaux. Groupement Front national. Hébergement de résistants F.N. » Le 13 novembre, le liquidateur du Front national établit une attestation selon laquelle Robert Dubois, « entré dans la lutte clandestine en juillet 1941, […] effectua de nombreuses distribution de tracts et journaux appelant à la lutte contre l’occupant. Il fournit un local à des groupes de résistants qu’il ravitaillait et hébergeait. »

Le 9 mars 1951, la Commission départementale des internés et déportés de la résistance (DIR), émet un avis défavorable à l’unanimité, estimant « qu’à la date de |’arrestation les tracts distribués ne pouvaient pas être établis par une organisation de résistance reconnue par l’autorité militaire (FFC – FFI ou RIF) comme le prévoit l’article 2 du décret du 25 mars 1949. » Le 21 octobre 1953, la commission nationale DIR reprend cet avis défavorable, suivie par le ministère qui prononce le rejet. De manière alors automatique (instruction n° 1110 SDF du 1er avril 1953), le dossier est soumis à l’avis de la Commission départementale de contrôle des déportés politiques, qui rend un avis favorable. Le 29 octobre, le ministère établi l’acte portant la décision de refus du titre de DR (« Il résulte du dossier que l’intéressé ne remplit pas les conditions exigées par les dispositions combinées des articles R.286 & R.287 du Code des pensions »). Le 13 novembre, le bureau des fichiers et de l’état-civil-déportés envoie la carte de Déporté politique n° 1110-07775 à Berthe Dubois.

Celle-ci décède à Orléans le 14 octobre 1974.

Notes :

[1] En 1925, le constructeur automobile Panhard et Levassor rachète l’usine Delaugère et Clayette d’Orléans, qui ne peut maintenir son activité, afin d’y faire assembler les carrosseries de ses “conduites intérieures”. En 1973, l’usine, d’une emprise de 25 000 m2, est démantelée et remplacée par à un groupe de cinq immeubles, la Résidence Beaumont.

[2] Au 14 rue Eugène-Vignat, le Palais des sports d’Orléans a remplacé la prison militaire au début des années 1970.

[3] Les arrestations de la deuxième quinzaine d’octobre 1941 : entre le 17 et le 25 octobre, les autorités d’occupation organisent des vagues d’arrestations dans plusieurs départements de province. Les fiches d’otages retrouvées des « 45000 » appréhendés à cette occasion indiquent que leur arrestation a été faite en application d’un ordre du commandant de la région militaire A daté du 14 octobre 1941, accompagnant l’envoi aux Feldkommandant du “Code des otages”. Les départements concernés n’ayant été que très peu touchés (ou pas du tout) par la vague répressive/préventive de l’été 1941, il est probable que ces nouvelles arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes devant être inscrits sur les listes d’otages de cette région militaire. En effet, tous les hommes appréhendés alors sont transférés à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. Dans certains départements, comme le Loiret, ces arrestations – généralement opérées par la Feldgendarmerie – frappent plusieurs dizaines d’hommes connus de la police française pour avoir été des adhérents ou militants communistes avant-guerre. Sept Orléanais arrêtés dans ces circonstances seront finalement déportés dans le convoi du 6 juillet 1942 : Marcel Boubou, Marcel Couillon, Robert Dubois, Henri Ferchaud, Raymond Gaudry et Lucien Vannier (seul rescapé d’entre eux).

[4] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 365 et 402.
- André Chêne, Ceux du groupe Chanzy, Librairie Nouvelle, Orléans 1964 : liste des « Membres des fédérations du Loiret du Parti Communiste Français et des Jeunesses Communistes tombés pour que vive la France », pages 143 à 145.
-  Archives d’Orléans-métropole, site internet, archives en ligne : registre des naissances du deuxième semestre 1897 (2 E 335), acte n°1004 du 27 septembre (vue 58/272) ; recensement de la population de 1901, canton Sud (1 F 40 – vue 523/538) ; mariages et divorces du 1er semestre 1920 (2 E 430), acte n° 171 (vue 131/381).
- Archives départementales du Loiret (AD 45), Orléans, site internet, archives en ligne : registres des matricules du recrutement militaire, bureau d’Orléans, classe 1917, 3e volume 1001-1500 (1R 88027), n° 1445 (vues 479-480/556).
- Site Mémorial des régiments d’infanterie de la grande guerre, 1914 – 1918 / France, 113e RI, page publiée le 20 avril 2011.
- Site Mémoire de hommes, Ministère des armées : 113e régiment d’infanterie, Historique sommaire de la campagne 1914-1918, conservé à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), Nanterre, p. 15 et 16, p. 20, p. 23 et 24 ; journal des marches et opérations (JMO) du 113e régiment d’infanterie, 26 mai-31 décembre 1916 (26 N 681/6 – vues 26-29/41), 1er janvier-22 septembre 1917 (26 N 681/7 – vues 18-21/53 et 48/53).
- Archives départementales du Loiret, Centre des archives modernes et contemporaines, cité administrative Coligny, Orléans : suspects, listes, rapports de police, correspondance, 1940-1943, chemise “suspects 1940-1941 (138 W-25854).
- Lettre de Raymond Gaudry, fichier numérique confié par Nicole Piet, petite-fille de Raymond Gaudry.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 242 (24753/1942).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 445 369).
- Site Les plaques commémoratives, sources de mémoire (aujourd’hui désactivé – nov. 2013), photographie de Véronique Bury.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 4-12-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.