© Collection Anne-Pierre Lasterrades-Longhi.

© Collection Anne-Pierre Lasterrades-Longhi.

Pierre Longhi naît le 23 août 1909 à Corte (Corse / Haute-Corse), fils d’Antoine Longhi, 30 ans, forgeron, ferronnier d’art (artisan-serrurier, charron), et de Marie-Françoise Cristiani, 32 ans, son épouse. Pierre a – au moins – un frère, Hyacinte, Jean (dit Jean), né le 9 août 1911, et une sœur plus âgée, Augustine, Françoise, née le 28 août 1905, tous deux à Corte.Leur mère, qui gère le foyer et l’entreprise, décède en décembre 1913, peut-être de tuberculose comme certains autres membres de la famille.Bien qu’ayant accompli son service militaire en 1900 (au 13e bataillon d’artillerie à pied d’Ajaccio) et alors qu’il est âgé 35 ans, veuf et père de trois enfants, Antoine Longhi est rappelé dès le 7 août 1914 au 13e régiment d’artillerie de campagne. Soutien de famille, il n’est pas appelé à monter au front, mais doit rejoindre le continent. Le 23 août 1915, il passe au 23e régiment de dragons à Vincennes (Seine / Val-de-Marne). Sa participation à la « campagne contre l’Allemagne » cesse [?] le 18 août 1916. Le lendemain, il est détaché aux ateliers de construction de Bourges (Vienne). Le 22 octobre 1917, il est détaché à l’atelier de fabrication de Vincennes par permutation. En février 1919, il se retire au 91, rue de la République, à Vincennes.

Dans cette période, afin de s’occuper de leurs neveux et nièce, les deux sœurs aînées d’Antoine Longhi, célibataires, ont quitté leur île pour s’installer à Vincennes, occupant le vaste appartement d’un « compatriote » alors parti en Indochine.

En juillet 1918, les sœurs acceptent la proposition du maire de Vincennes de confier les enfants à des familles d’accueil dans la Nièvre, où sont présentes de nombreuses nourrices de l’Assistance publique. Bien intégré dans la famille qui l’a accueilli et selon sa demande, Pierre Longhi reste à Chastellux-sur-Cure (Yonne) jusqu’en juin 1921, fréquentant l’école primaire de Quarré (?), dont il sort à treize ans, reçu premier au Certificat d’études. Ensuite, son père vient le chercher et le fait embaucher dans une entreprise comme apprenti-mécanicien.

Puis la famille s’installe à Montreuil-sous-Bois [1] (Seine / Seine-Saint-Denis) au 56, rue Danton. Le père est alors ajusteur chez Pinchard. Il entre ensuite comme mécanicien-ajusteur à l’Atelier de fabrication (« la Cartoucherie ») de Vincennes, dépendant du gouvernement militaire de Paris.

Pierre Longhi travaille d’abord dans diverses entreprises des 12e et 20e arrondissements de Paris.

En août 1927, « enthousiasmé par les formations des Jeunes gardes anti-fascistes » (JGA), comme par le travail de la cellule communiste de la maison Bardet, il adhère aux Jeunesses communistes et au Parti communiste.

Le 25 novembre suivant, il entre à son tour comme ajusteur mécanicien à la cartoucherie de Vincennes, route des Sabotiers (800 employés) ; en 1932, il est désigné comme « employé civil » à la caserne du 22e C.O.A.

Adhérent du Syndicat unitaire du personnel civil des Établissements et services de l’État de la région parisienne (guerre et marine), il devient archiviste de la Fédération nationale en juin 1929 (il en sera secrétaire adjoint vers 1932). Proche de Pierre Dadot, un dirigeant chevronné du syndicat, il collabore à La Tribune fédérale des Établissements militaires.

En 1929, il devient aussi secrétaire du 3e rayon (Vincennes) de la 4e entente des Jeunesses communistes de France. Il en vend le journal, L’Avant-Garde, en même temps qu’il diffuse des tracts. Dans l’une ou l’autre organisation, il prend le pseudonyme de « Mattei » (nom de sa grand-mère paternelle).

Le 24 mars 1929, salle Reflut, à Clichy, il est appréhendé lors d’une conférence d’information du Parti communiste de la région parisienne. Venant y interpeller un « délégué étranger » qui tente de se réfugier dans la salle, la police provoque une bagarre avec les congressistes. À la sortie, les militants narguant les inspecteurs, une seconde bagarre éclate, causant une grave blessure dans les rangs policiers : l’agent Resclon, frappé avec des manches de pioche, mourra dans les jours suivants. La police entre alors en force dans la salle et arrête les cent vingt-neuf délégués. Comme d’autres, Pierre Longhi est relaxé après vérification d’identité.
Le 29 septembre suivant, salle des bains-douches, à Bagnolet, il assiste à une réunion « illégale » organisée par des militants communistes. Dès lors, la 5e section des Renseignements généraux ouvre un dossier à son nom (n° 617046).

En juillet 1930, Georges Beaudreux, alors détenu politique à la Maison d’arrêt de la Santé, sollicite une autorisation de visite permanente pour Pierre Longhi, un « ami d’enfance ».

De la classe 1929, Pierre Longhi accomplit son service militaire du 15 octobre 1930 au 12 octobre 1931 au 18e régiment de chasseurs à cheval.

Dès lors et pendant un temps, il s’installe chez sa sœur et l’époux de celle-ci, les Demanche, habitant une maisonnette en bois au 71, boulevard de Châteaudun (Aristide-Briand ?), à Romainville.

Début mai 1932, les services de la préfecture de police – le préfet étant lui-même « chef du secteur de contre-espionnage » – demandent à la direction de l’atelier de fabrication de Vincennes de procéder à une enquête sur Pierre Longhi. Si la réponse au questionnaire indique « Probité : bonne, Moralité : idem, Sobriété : sobre, Honorabilité : bonne », Ses fréquentations sont qualifiées de mauvaises et le « Degré de confiance à accorder » est « aucun en raison de son activité politique ». Le 8 juin suivant, le chef du premier bureau de la préfecture rend son avis : « À ne pas employer ». Ce rapport ne semble pas avoir eu de suite immédiate…

En mai suivant, Pierre Longhi semble se porter candidat pour un scrutin local restant à déterminer. À cette occasion, le cabinet du préfet de police demande au commissaire de Montreuil de lui transmettre d’urgence tous les renseignements qu’il pourra se procurer le concernant, « notamment au point de vue politique »

En janvier 1933, Fernand Soupé, membre du Comité central du PC depuis le VIIe congrès de mars 1932, soutient la perspective d’envoyer Pierre Longhi à Moscou suivre les cours de l’École léniniste internationale : « Le camarade Longhy (sic) est de l’ensemble des militants de notre région un de ceux qui a certainement les plus grandes facilités d’assimiler les problèmes essentiels qui se posent devant un militant. Il possède une grande facilité d’expression et a une façon tout à fait populaire de poser les question à la masse. A l’heure actuelle ce camarade a un travail plus orienté vers le mouvement syndical, il est un responsable de la fédération des EM [Établissements militaires] ». Pierre Longhi anime effectivement des réunions de son syndicat à la bourse du travail de Montreuil, rue de Vincennes. Le militant se récuse : « Pour des raisons particulières, il m’est impossible d’accepter la mission dont tu voulais me charger ». Le 30 janvier, Soupé écrit à Albert Vassart, alors membre de l’équipe dirigeante du PC, chargé de la mise en place du service qui deviendra la commission des cadres : « je crois que nous devons discuter de la façon la plus sérieuse avec ce camarade. »

Au printemps 1933, il semble qu’il quitte son emploi à la Cartoucherie « pour se consacrer exclusivement à la propagande révolutionnaire ». L’année suivante, il emménage au 41, rue de Vincennes, à Montreuil.

Le 12 mai 1935, au deuxième tour, Pierre Longhi est élu conseiller municipal de Montreuil-sous-Bois sur la liste du Parti communiste conduite par Fernand Soupé, dirigeant “parachuté”, puis il est désigné une semaine plus tard comme adjoint au maire ; Daniel Renoult, vieux militant, fondateur du PCF, étant nommé premier adjoint. Un mois après, Pierre Longhi est élu conseiller général de la Seine sur le canton de la 2e circonscription de Montreuil ; à vingt-six ans, il est le benjamin de cette assemblée (Daniel Renoult est élu dans la 1re circonscription).

L’hôtel de ville de Montreuil après-guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel de ville de Montreuil après-guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre Daniel Renoult et Jacques Duclos, lors d’une réunion publique non identifiée. © Collection Anne-Pierre Lasterrades-Longhi.

Entre Daniel Renoult et Jacques Duclos, lors d’une réunion publique non identifiée.
© Collection Anne-Pierre Lasterrades-Longhi.

Remise de colis aux soldats, date restant à préciser. © Collection Anne-Pierre Lasterrades-Longhi.

Remise de colis aux soldats, date restant à préciser.
© Collection Anne-Pierre Lasterrades-Longhi.

Entre 1936 et 1937, Pierre Longhi est le secrétaire du Parti communiste pour la région Paris-Est.

Le 30 janvier 1937, à Romainville, il épouse Émilienne Lebreton, née le 3 mars 1911 au Havre, divorcée de Paul Lallemand depuis octobre 1935 et déjà mère de deux filles. Coiffeuse, elle est également militante. Ils emménagent au 216, rue de Paris, à Montreuil. Ensemble, ils auront Anne-Pierre, née le 9 mars 1939 (initialement enregistrée « Andrée » à l’état civil). Au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée dans une cité HBM (habitations à bon marché) au 66, rue Édouard-Vaillant à Montreuil ; escalier C, logement 39.

Pierre Longhi devient membre de l’Association pour l’Histoire vivante à sa création, en 1937. Le musée du même nom sera inauguré le 25 mars 1939, dans le cadre de la commémoration du cent cinquantenaire de la Révolution française.

Pendant la guerre d’Espagne, son frère, Jean Longhi, adhérent au PCF depuis un an, participe à l’implantation d’une usine d’armes (pistolet-mitrailleur de type Beretta), à Albérique près de Valence, à la demande de Jean Jérôme (Michel Feintuch). Lors de l’avance des franquistes sur Valence, il parvient à s’échapper en se réfugiant dans les locaux du consulat de France de cette ville, puis est rapatrié sur un bateau de guerre français en février 1939.

Après la signature du pacte germano-soviétique, sans renier publiquement son engagement communiste, Pierre Longhi semble prendre ses distances avec le PCF et cesse toute activité politique.

Début septembre, son épouse et leurs enfants sont évacués à Chastellux-sur-Cure (Yonne) et installés au hameau du Vernois. Vers la fin du mois, Émilienne Longhi retourne au logement de Montreuil pour y prendre divers objets de literie, couvertures et linge nécessaires pour les enfants, qu’elle fait transporter en camionnette par un loueur de la commune. Ce remue-ménage trouble les loyaux sentiments d’un voisin qui en avise par courrier le ministre de l’Intérieur : « Vernois, le 11 octobre 1939. Monsieur le Ministre. En raison des circonstances présentes, je crois de mon devoir de Français de vous signaler les faits ci-après. […] Près de chez moi est venue se réfugier […] Mme Longhi, femme du secrétaire [sic] de la mairie communiste de Montreuil-sous-Bois. Mme Longhi ne fait pas mystère de son admiration toujours aussi vive pour le régime moscoutaire. Il y a une dizaine de jours, elle a fait un voyage à Montreuil. Depuis cette date, à trois reprises, une camionnette dans laquelle se trouvaient deux hommes est venue ici déposer différents objets. Croyez, M. le Ministre, que je ne fais actuellement aucun jugement sur Mme Longhi, mais je vous répète que j’ai cru de mon devoir de vous signaler ces faits afin que vous puissiez prendre toutes décisions que vous jugerez utiles… ». Le 27 novembre, le préfet écrira au ministre pour lui confirmer la réalité de ce simple déménagement, ajoutant que Madame Longhi a effectivement « laissé percer quelque sympathie pour le régime des Soviets, sans cependant faire de propagande ». Il n’y aura pas de suite.

Entre temps, le 4 octobre la municipalité de Montreuil-sous-Bois a été suspendue et remplacée par une délégation spéciale dirigée par A. Spengler, suite au décret-loi du 28 septembre de dissolution des organisations communistes.

En octobre, Pierre Longhi a été mobilisé aux E.M. d’artillerie n° 17 (l’arsenal) à Toulouse (Haute-Garonne), et logé au 20, rue Louis-Bruneau. À la fin du mois, sa femme et ses enfants sont venus l’y rejoindre.

Puis Pierre Longhi est mobilisé « sous les drapeaux » dans l’Est, comme artilleur, et les siens retournent au logement de Montreuil. Lors de ses retours en permission, la police ne constate aucune activité militante de sa part, tout en estimant que lui et son épouse conservent leurs idées.

En février 1940, à la requête du préfet de la Seine, le Conseil de préfecture déchoit Pierre Longhi de tous de ses mandats électifs pour n’avoir pas renié publiquement son engagement communiste (loi du 20 janvier 1940), avec effet rétroactif au 21 janvier. Le 10 février, l’annonce en est faite (entre autres ?) dans Le Populaire,  quotidien de la SFIO dirigé par Léon Blum. Vingt autres élus de Paris et du département de la Seine sont alors concernés.

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Le Populaire, quotidien édité par la SFIO,
édition du 10 février 1940.
Archives de la préfecture de police, Paris.

Le 19 juillet, Pierre Longhi, probablement replié avec son unité, est cantonné au parc d’artillerie départemental de Saint-Amand-Monrond (Cher).

Le 23 juillet, plusieurs anciens élus montreuillois, soutenus par 400 à 500 personnes, tentent de « récupérer » la mairie (mobilisé, Pierre Longhi n’est pas présent). Exceptionnellement par rapport à d’autres communes, la police relâche après interrogatoire les trois militants arrêtés.

Le 16 septembre, après sa démobilisation intervenue en août, Pierre Longhi retrouve du travail comme manutentionnaire à la Cartoucherie de Vincennes, alors réquisitionnée par l’armée d’occupation. Pierre Longhi n’est pas sur la liste des conseillers généraux et municipaux arrêtés le 5 octobre, lors d’une grand vague d’arrestations organisée par la préfecture de police et visant d’anciens militants communistes.

Cependant, comme tous les anciens élus du PCF, Pierre Longhi est placé sous surveillance policière. Le 20 mai 1941, le commissaire de Montreuil note : « Pendant un certain temps, il n’aurait plus eu aucune liaison avec le Parti communiste et passait auprès des militants de ce parti pour un renégat. D’après les derniers renseignements recueillis, il aurait repris un certaine activité dans le parti, mais il n’a pas été possible d’obtenir confirmation de ces renseignements. »

En octobre 1941, son frère Hyacinte, Jean quitte Paris pour le Morvan, avec Paul Bernard (« Camille »), après avoir participé dans l’Est parisien à la constitution des premiers groupes de l’O.S. à la fin de 1940, puis à la mise en place du Front national au cours de l’année suivante. Travaillant comme bûcheron, Jean Longhi est alors en contact avec la résistance communiste parisienne, mais aussi avec la résistance non communiste locale sous le pseudonyme de « Lionel ». À partir de novembre 1943, il coordonnera l’ensemble des maquis de la Nièvre sous le nom de « Granjean ».

Resté attaché à la ligne antifasciste et hostile à l’occupation allemande, coupé du communisme local, Pierre Longhi trouve lui-même le chemin de la Résistance entre la banlieue Est et la Nièvre, comme agent de liaison auprès de son frère et de Paul Bernard.

Le 14 février 1942, la police française transmet aux autorités militaires allemandes à la demande de celles-ci un rapport (un “blanc”) sur Pierre Longhi, mentionnant ses activités antérieures à septembre 1939.

Le 28 avril, à l’aube, celui-ci est arrêté à son domicile par des policiers allemands (« dont un gros à lunettes qui parlait bien français »), en présence de son épouse et de sa fille. Afin que celles-ci ne soient pas menacées, il refuse de s’échapper par la terrasse de l’appartement. Il est pris dans le cadre d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine et visant majoritairement des militants du Parti communiste. Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Pierre Longhi y est enregistré sous le matricule 4209 et affecté au bâtiment C1.

Peu après son arrivée, le 7 mai, il écrit à son épouse une lettre qu’il parvient à faire sortir clandestinement du camp, les nouveaux arrivés n’ayant  pas encore l’autorisation de correspondre avec l’extérieur.

À une date inconnue, il envoie à son épouse une carte de correspondance éditée par l’administration militaire du camp, limitée à sept courtes lignes d’écriture au crayon.

Puis, le 4 juin, il envoie une lettre autorisée à Lucien Jeslein (?), « Lulu », un camarade d’atelier de la Cartoucherie, domicilié au 28, rue Bréguet, à Paris, pour le remercier du geste de solidarité de ses collègues envers son épouse et lui-même dont il a pris l’initiative. Il lui demande de transmettre ce courrier à son épouse par l’intermédiaire d’un camarade habitant près de chez lui, « car ainsi elle aura malgré tout de [ses] nouvelles sans attendre la prochaine lettre ».

Le 26 juin, il envoie à Émilienne une autre carte : « […] Je te prie de tenir compte que nous n’avons droit à écrire que 2 cartes et 1 lettre par mois. Pour les colis, ceux qui dépassent 5 K sont retournés et c’est mon cas aujourd’hui. ». Son épouse a voulu lui envoyer un colis substantiel – 10 kg – pour sa fête, la Saint Pierre (29 juin) ; fait-il allusion à celui-là ?

Dans ce camp, Pierre Longhi confectionne à destination de sa fille un petit couteau (gravé « Pépée ») et une petite fourchette en aluminium.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Pierre Longhi jette un message qu’il adresse à son ami Lucien, à charge pour celui-ci de le faire parvenir à son épouse ; il suppose partir pour l’Allemagne.
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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Pierre Longhi est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45801 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Pierre Longhi est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Là, il est assigné au Block 22, avec Gabriel Lejard, de Dijon, rescapé qui a évoqué ses derniers instants ; notamment le regret exprimé de sa prise de distance politique.

Pierre Longhi meurt à Auschwitz le 24 août 1942, d’après les registres du camp [2]. Selon le registre de la morgue, il est passé par le Block 20 de l’hôpital du camp. L’acte de décès indique pour cause, très probablement mensongère mais crédible, de sa mort : « crise cardiaque probablement due au typhus » (Herzmuskelschwäche bei Fleckfieberverdacht).

Le 18 juillet, depuis Nemours (Seine-et-Marne), Émilienne Longhi avait écrit une lettre à son mari adressée au « camp régional 204, St Quentin (Aisne) », expliquant : « …j’ai appris ton changement de camp ; je sais que tu est parti depuis le 6 juillet. Tes colis me sont revenus, ainsi qu’une lettre que je t’avais écrite le 3 juillet et, dessus, il y avait ta nouvelle adresse de St Quentin » (la mention de ce nouveau lieu de détention – non inquiétante – reste à expliquer). Le message jeté du convoi, indiquant l’Allemagne pour destination, a donc été reçu par Madame Longhi après le 18 juillet.

Celle-ci décide de se réfugier en province sous une fausse identité. Pendant trois ans, elle sera soutenue financièrement par le couple Dorian : René, le mari, prisonnier de guerre en Allemagne, demande à Yvonne, son épouse, de verser à Émilienne Longhi le montant de son allocation de prisonnier.

Début février 1944, ayant été sollicités [?], les services de la délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés interrogent  la préfecture de police sur les motifs de l’arrestation de Pierre Longhi. Une demande de renseignements est transmise au directeur général des renseignements généraux. L’A.S. du 20 février indique : « Longhi a été arrêté […] par les Autorités d’occupation pour des motifs qu’il n’a pas été possible de déterminer. On croit cependant que le mesure prise à son égard a été motivée par son activité politique antérieure. Il se trouverait depuis en Allemagne, mais on ignore le lieu exact de sa détention. »

Après l’été 1945 et la certitude de sa disparition, une cellule du Parti communiste de la Cartoucherie de Vincennes prendrait son nom (très provisoirement sans doute, car les ateliers avaient été en partie détruits par des bombardements – lors de la Libération, le 26 août, ou précédemment ? ; à vérifier…).

Le 11 novembre 1945, à Montreuil-sous-Bois, dont la mairie est alors dirigée par Daniel Renoult, également vice-président du Conseil général de la Seine, Pierre Longhi est publiquement honoré avec d’autres militants et résistants communistes disparus au cours de la guerre : le drapeau est alors présenté à sa veuve et à sa fille Anne, orpheline. Daniel Renoult fait embaucher à la mairie les deux grandes filles d’Émilienne Longhi.

Le nom de Pierre Longhi est parmi les 58 inscrits sur la stèle commémorative rendant « honneur aux communistes de Montreuil tombés pour une France libre, forte et heureuse », apposée devant le siège de la section de Montreuil du PCF, au 10, rue Victor-Hugo.

Quelques mois plus tard, le 6 février 1946, Émilienne, sa veuve, proteste par écrit (auprès de qui ?) : « Je suis bien étonné que vous ayez oublié d’honorer la Mémoire de mon mari Pierre Longhi, ancien conseiller général de la Seine et maire adjoint à Montreuil dont le nom à été honoré aux Morts pour la France dans sa commune d’élu le 11 novembre 1945. Je dois vous signaler que mon mari n’a pas démérité, il a été arrêté comme résistant le 28 avril 1942, il revenait de faire une liaison dans la Nièvre et devait repartir deux jours plus tard après pour rester en province, mais il n’a pas eu le temps, la Gestapo est venu le chercher le lendemain matin. Il a été emmené à Compiègne et le 6 juillet 1942 déporté au camp d’Auschwitz où il est mort des mauvais traitements des boches. je suis en mesure de vous faire parvenir des attestations que mon cher disparu a bien travaillé pour la bonne cause, d’ailleurs le groupe de camarades qui travaillait avec lui [est] à même d’attester qu’il a fait son devoir de Français jusqu’au bout […] mon mari m’avait écrit sur sa dernière lettre jetée du train qui l’emportait en Haute-Silésie que je reste digne de lui, cela serait sa seule consolation, en suivant la ligne de notre grand parti… ».
Le 1er avril suivant, répondant à cette protestation dans un courrier adressé à Georges Marrane, ancien résistant, alors maire en titre d’Ivry-sur-Seine et président du conseil général de la Seine, Léon Mauvais, membre du bureau politique du PCF, affirme qu’il ne faut pas associer Pierre Longhi aux hommages : « Nous te retournons les trois lettres ci-jointes que tu nous as communiquées et qui ont trait à Longhi et Le Bigot [Georges Le Bigot, ancien maire de Villejuif]. Nous t’indiquons qu’il n’y a pas lieu de changer l’attitude que le Parti a eue jusqu’à présent. Le Secrétariat ».

Après-guerre (au plus tard, le 31 décembre 1947), à la mairie de Montreuil, le capitaine Paul Bernard, ancien chef du maquis Camille (son « pseudo »), signe une attestation selon laquelle Pierre Longhi « exécutait, au cours de l’année 1942, dans le sein de [son] organisation, des liaisons Paris-la Nièvre ». Sentant qu’il pouvait être arrêté, celui-ci « avait manifesté le désir d’obtenir sa mutation pour la province [mais] il n’a pas eu le temps de mettre sa décision à exécution [étant] arrêté chez lui au retour de mission ». [en septembre 1948, Paul Bernard habite Villa Mathey, boulevard Carnot, à Bouffarik, en Algérie]

Par un arrêté du 23 avril 1949, sur proposition de la commission nationale d’homologation, le secrétariat aux forces armées-guerre prononce l’appartenance de Pierre Longhi à la Résistance intérieure française [RIF), comme « isolé », avec le grade fictif de sergent, pour une prise de rang comptabilisée à partir du 1er avril 1942. Il est déclaré “Mort pour la France”.

En mairie de Montreuil-sous-Bois, son nom est inscrit sur la plaque dédiée aux élus montreuillois et employés communaux morts pour la France au cours de la guerre, avec Sam Golstein, Fernand Vandenhove et Marceau Vergua, autres “45000”.

Dans grand hall de la mairie de Montreuil, à droite au pied de l’escalier. © Mémoire Vive.

Dans grand hall de la mairie de Montreuil, à droite au pied de l’escalier.
© Mémoire Vive.

Le nom de Pierre Longhi est également parmi les 58 inscrits sur la stèle commémorative apposée sur la façade du siège de la section du PCF, au 10, rue Victor-Hugo, afin de rendre « Honneurs aux communistes de Montreuil tombés pour une France libre forte et heureuse ».

© Mémoire Vive.

© Mémoire Vive.

Pierre Longhi est homologué comme “Déporté politique” en 1956.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. n° 184 du 8-08-2008) [2].

En 2013, sur proposition du maire de Paris, Bertrand Delanoë, suite à un rapport présenté par Catherine Vieu-Charier, adjointe chargée de la Mémoire et du monde combattant, le Conseil de Paris décide d’ajouter les noms de Georges Le Bigot et Pierre Longhi sur la plaque commémorative en hommage aux élus morts pour la France apposée dans la salle du Conseil face à la tribune. Lors d’un colloque historique organisé par la Ville dans l’hémicycle, des historiens avaient remarqué que ces deux élus du Conseil général de la Seine ne figuraient pas sur cette plaque rappelant la mémoire de huit autres élus : cinq conseillers municipaux de Paris et trois conseillers généraux.

Sources :

- Claude Pennetier, Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 35, page 38.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 173, 356, 385 et 411.
- Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 29, citant : Daniel Tamanini, de la FNDIRP de Montreuil (lettre du 23-4-1988) – Lettre et témoignage de Gabriel Lejard (cassette et lettre du 17-5-1988) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central).
- Archives de la préfecture de police (de la Seine), cartons “occupation allemande” (BA ?) ; carton “PC, activité communiste sous l’occupation ” n° IV (chemise “situation des élus communistes”) ; cabinet du préfet (1w0150), dossier de Pierre et Émilienne Longhi (45616) ; dossiers individuels des RG (carton 77w1422), Pierre Longhi (8258).
- Archives départementales de Haute-Corse, site internet, archives en ligne, registre des matricules du recrutement militaire, bureau d’Ajaccio, classe 1899, Antoine Longhi, matricule 879.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 739 (24052/1942).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès (24052/1942) ; carnet de relevés clandestins de la morgue (p. 255) ; fiche individuelle de travailleur.
- Anne-Pierre Longhi-Lasterrades, fille de Pierre Longhi (entretien du 16 août 2015).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-03-2016)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Montreuil-sous-Bois : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

Concernant Pierre Longhi, c’est le 31 juillet 1942 qui a été retenu pour certifier son décès.

Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.