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La responsable des Jeunesses Communistes

Marie-Claude Vogel naît le 3 novembre 1912 à Paris ; elle est l’aînée des enfants de Lucien Vogel et de Cosette de Brunhoff, appartenant à une famille protestante qui a soutenu le capitaine Dreyfus. Ses parents dirigent des revues culturelles ou consacrées aux loisirs. Son père membre de la SFIO, il se prononce en 1920 pour l’adhésion à la IIIe Internationale. Par ailleurs, en tant qu’éditeur, il crée le magazine Vu en 1928.

L’engagement contre le nazisme

Marie-Claude Vogel choisit d’être reporter-photographe.

En 1934 , elle adhère à la Jeunesse communiste et participe à la fondation, en 1936 de l’Union des jeunes filles de France. Par ailleurs également en 1934, Marie-Claude adhère à l’Association des Écrivains et Artistes révolutionnaires.

En septembre 1937, quelques semaines avant la mort subite de celui-ci, elle épouse Paul Vaillant-Couturier, rédacteur en chef de L’Humanité, dont elle est la compagne depuis 1934.

Elle entre en 1938 au service photo de L’Humanité ; elle en prend ensuite la responsabilité, et côtoie alors Gabriel Péri.

Le Nazisme, Marie-Claude en a eu l’expérience puisqu’elle l’a vu naître lors de longs séjours en Allemagne avec son père, journaliste d’origine alsacienne. Dès 1932, en assistant à un meeting d’Hitler, elle mesure la violence extrême de sa propagande et son impact sur les citoyens allemands.

Parlant couramment l’allemand et attachée à la revue Vu comme photographe, elle participe à une enquête journalistique in-situ sur la montée du nazisme en Allemagne. C’est lors de ce voyage en 1933, deux mois après l’accession d’Hitler au pouvoir, qu’elle réalise clandestinement les clichés des camps d’Oranienburg et de Dachau publiés dès son retour en France. Elle effectue également quelques reportages pour Regards, notamment sur les Brigades internationales.

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La militante antinazi

En 1939, elle partage sa vie avec Roger Ginsburger dit Pierre Villon, un architecte ayant travaillé pour l’Internationale communiste, devenu un des principaux responsables militaires de la Résistance, et qui est élu député de l’Allier à la Libération.

La Résistance

Dès l’été 1940, témoignant d’un grand courage, puisqu’elle était au courant des cruautés nazies, elle fait face et s’engage dans la Résistance. Elle participe à des publications clandestines, notamment à L’Université Libre et à l’édition de L’Humanité clandestine. Elle assure la liaison entre la résistance civile (Comité des Intellectuels du Front National de lutte pour l’Indépendance de la France) et la résistance militaire de l’Organisation Spéciale.

Du dépot à Romainville

Cette activité résistante lui vaut d’être arrêtée dans une souricière montée par les Brigades Spéciales.

Elle est internée jusqu’au 15 février au Dépôt de la Préfecture, puis avec ses camarades, elle est remise aux Allemands. Pour ce qui est de son affaire, tous les hommes seront fusillés et les femmes déportées. Elle est placée au secret à la Santé : elle y reste jusqu’au mois d’août puis est transférée au Fort de Romainville.

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Photo de la Préfecture de Police

Elle appartient au groupe Politzer en lien avec l’affaire « Pican-Cadras » qui débouche sur l’arrestation de près de 150 Résistants communistes, tous cadres dirigeants ou proches de la Direction du parti. Tous les hommes sont fusillés et les femmes déportées.


L’arrivée à Birkenau

Au tribunal de Nuremberg, Marie-Claude décrit ainsi l’arrivée des femmes du convoi, le 27 janvier 1943 au matin : « Le voyage était extrêmement pénible, car nous étions 60 par wagon et l’on ne nous a pas distribué de nourriture ni de boissons pendant le trajet. Comme nous demandions aux arrêts aux soldats lorrains enrôlés dans la Wehrmacht qui nous gardaient si l’on arrivait bientôt, ils nous ont répondu : “Si vous saviez où vous allez, vous ne seriez pas pressées d’arriver”.

Nous sommes arrivées à Auschwitz au petit jour. On a déplombé nos wagons et on nous a fait sortir à coups de crosses pour nous conduire au camp de Birkenau, qui est une dépendance du camp d’Auschwitz, dans une immense plaine qui, au mois de janvier, était glacée. Nous avons fait le trajet en tirant nos bagages. Nous sentions tellement qu’il y avait peu de chance d’en ressortir – car nous avions déjà rencontré les colonnes squelettiques qui se dirigeaient au travail – qu’en passant le porche, nous avons chanté La Marseillaise pour nous donner du courage.

On nous a conduites dans une grande baraque, puis à la désinfection. Là, on nous a rasé la tête et on nous a tatoué sur l’avant-bras gauche le numéro de matricule. Ensuite, on nous a mises dans une grande pièce pour prendre un bain de vapeur et une douche glacée. Tout cela se passait en présence des SS, hommes et femmes, bien que nous soyons nues.

Après, on nous a remis des vêtements souillés et déchirés, une robe de coton et une jaquette pareille. Comme ces opérations avaient pris plusieurs heures, nous voyions, des fenêtres du bloc où nous nous trouvions, le camp des hommes, et vers le soir, un orchestre s’est installé. Comme il neigeait, nous nous demandions pourquoi on faisait de la musique. À ce moment-là, les commandos de travail d’hommes sont rentrés. Derrière chaque commando, il y avait des hommes qui portaient des morts. Comme ils pouvaient à peine se traîner eux-mêmes, ils étaient relevés à coups de crosses ou à coups de bottes, chaque fois qu’ils s’affaissaient.

Après cela, nous avons été conduites dans le bloc où nous devions habiter. Il n’y avait pas de lits, mais des bat-flanc de 2 mètres sur 2 mètres, où nous étions couchées à 9, sans paillasse et sans couverture la première nuit. Nous sommes demeurées dans des blocs de ce genre pendant plusieurs mois. Pendant toute la nuit, on ne pouvait pas dormir, parce que chaque fois que l’une des 9 se dérangeait – et comme elles étaient toutes malades, c’était sans arrêt – elle dérangeait toute la rangée. À trois heures et demie du matin, les hurlements des surveillantes nous réveillaient, et, à coups de gourdins, on était chassé de son grabat pour partir à l’appel. Rien au monde ne pouvait dispenser de l’appel, même les mourantes devaient y être traînées. Là, nous restions en rangs par cinq jusqu’à ce que le jour se lève, c’est-à-dire 7 à 8 heures du matin en hiver, et, lorsqu’il y avait du brouillard, quelquefois jusqu’à midi. Puis, les commandos s’ébranlaient pour partir au travail. »

La solidarité et le placement au Revier

Le 24 février 1943, grâce à Danielle Casanova et du fait qu’elle parle couramment allemand, elle entre au Revier des Allemands. Par sa position, Marie-Claude rentre dans la Résistance du camp. Dans sa déposition devant le tribunal international de Nuremberg, elle décrit les conditions effroyables des Reviers : « Le Revier était les blocs où l’on mettait les malades. On ne peut pas donner à cet endroit le nom d’hôpital, car cela ne correspond pas du tout à l’idée qu’on se fait d’un hôpital. Pour y aller, il fallait d’abord obtenir l’autorisation du chef de bloc, qui la donnait très rarement. Quand enfin on l’avait obtenue, on était conduit en colonne devant l’infirmerie où, par tous les temps, qu’il neige, ou qu’il pleuve, même avec 40° de fièvre, on devait attendre devant la porte de l’infirmerie, avant d’avoir pu y pénétrer. Du reste, même de faire la queue devant l’infirmerie était dangereux car, lorsque cette queue était trop grande, le SS passait, ramassait toutes les femmes qui attendaient et les conduisait directement au bloc 25 (c’est à dire directement à la chambre à gaz).

Le seul intérêt du Revier, c’est que, comme on était couché, on était dispensé de l’appel, mais on était couché dans des conditions effroyables, dans des lits de moins d’un mètre de large, à quatre, avec des maladies différentes, ce qui faisait que celles, qui étaient entrées pour des plaies aux jambes, attrapaient la dysenterie ou le typhus de leur voisine. Les paillasses étaient souillées, on ne les changeait que quand elles étaient complètement pourries. Les couvertures étaient si pleines de poux qu’on les voyait grouiller comme des fourmis.

Une de mes compagnes, Marguerite Corringer, me racontait que, pendant son typhus, elle ne pouvait pas dormir toute la nuit à cause des poux ; elle passait sa nuit à secouer sa couverture sur un papier, à vider les poux dans un récipient auprès de son lit, et ainsi pendant des heures. Il n’y avait pour ainsi dire pas de médicaments ; on laissait donc les malades couchées, sans soins, sans hygiène, sans les laver. On laissait les mortes pendant plusieurs heures couchées avec les malades, puis quand enfin on s’apercevait de leur présence, on les balançait simplement hors du lit et on les conduisait devant le bloc. Là, la colonne des porteuses de mortes venait les chercher sur de petits brancards, d’où la tête et les jambes pendaient. Du matin au soir, les porteuses de mortes faisaient le trajet entre le Revier et la morgue. Pendant les grandes épidémies de typhus des hivers 1943 et 1944, les brancards ont été remplacés par des chariots, car il y avait trop de mortes. Il y a eu, pendant ces périodes d’épidémie, de 200 à 350 mortes par jour. »

L’épidémie de typhus

Charlotte Delbo note : « En avril, le typhus endémique à Birkenau, repart d’un mouvement épidémique effrayant. » . Marie-Claude est victime d’un typhus très violent et très long, du début d’avril jusqu’en mai. À la sortie de la maladie, Marie-Claude reprend un poste au Revier.

La quarantaine

« Nous avons été dix mois en quarantaine, du 15 juillet 1943, oui, jusqu’en mai 1944, et puis nous sommes retournées pendant deux mois dans le camp et ensuite, nous sommes parties pour Ravensbrück…. … Toutes les Françaises survivantes de notre convoi [présentes à Birkenau ont été placées en quarantaine]. Nous avons appris, par les Juives arrivées de France vers juillet 1944, qu’une grande campagne avait été faite à la radio de Londres où l’on parlait de notre transport, en citant Maï Politzer, Danielle Casanova, Hélène Salomon-Langevin, et moi-même, et à la suite de cela, nous savons que des ordres ont été donnés à Berlin d’effectuer le transport de Françaises dans de meilleures conditions.

Nous avons donc été en quarantaine. C’était un bloc situé en face du camp, à l’extérieur des fils de fer barbelés. Je dois dire que c’est à cette quarantaine que les survivantes doivent la vie, car au bout de quatre mois nous n’étions plus que 52. Il est donc certain que nous n’aurions pas survécu dix-huit mois de cette vie, si nous n’avions pas eu ces dix mois de quarantaine. Cette quarantaine était faite parce que le typhus exanthématique régnait à Auschwitz. On ne pouvait quitter le camp pour être libérée ou transférée dans un autre camp, ou pour aller au Tribunal, qu’après avoir passé quinze jours en quarantaine, ces quinze jours étant la durée d’incubation du typhus exanthématique. Aussi, dès que les papiers arrivaient, annonçant qu’une détenue serait probablement libérée, on l’envoyait en quarantaine, où elle restait jusqu’à ce que l’ordre de libération soit signé. Cela durait parfois plusieurs mois, mais au minimum quinze jours.

Or, durant cette période, il y a eu une politique de libération des détenues de droit commun et des asociales allemandes, pour les envoyer comme main-d’œuvre dans les usines d’Allemagne. Il est donc impossible d’imaginer que, dans toute l’Allemagne, on pouvait ignorer qu’il y avait des camps de concentration, et ce qui s’y passait, puisque ces femmes sortaient de là, et qu’il est difficile de croire qu’elles n’ont jamais parlé. D’autre part, dans les usines où travaillaient des détenues, les Vorarbeiterinnen, c’est-à-dire les contremaîtresses, étaient des civiles allemandes qui étaient en contact avec les détenues, et qui pouvaient leur parler.

Les Aufseherinnen d’Auschwitz, qui sont venues après chez Siemens à Ravensbrück comme Aufseherinnen, étaient d’anciennes travailleuses libres de chez Siemens à Berlin, et elles se sont retrouvées avec les contremaîtresses qu’elles avaient connues à Berlin, et elles leur racontaient devant nous ce qu’elles avaient vu à Auschwitz. On ne peut donc pas croire que cela ne se savait pas en Allemagne.

Lorsque nous avons quitté Auschwitz, nous n’en croyions pas nos yeux, et nous avions le cœur très serré en voyant ce petit groupe de 49 que nous étions devenues, par rapport au groupe de 230 qui était entré dix-huit mois plus tôt. Mais nous avions l’impression de sortir de l’enfer, et pour la première fois, un espoir de revivre et de revoir le monde nous était donné. »

Le témoin du génocide

Marie-Claude et ses compagnes sont les témoins du génocide des juifs et des tziganes. Elle en témoigne devant le tribunal de Nuremberg, en réponse à la question du juge : « Que savez-vous du transport des Juifs, qui est arrivé presque en même temps que vous, venant de Romainville ? », elle évoque l’arrivée des convois : « Quand nous avons quitté Romainville, on avait laissé sur place les Juives qui étaient à Romainville en même temps que nous ; elles ont été dirigées vers Drancy et sont arrivées à Auschwitz où nous les avons retrouvées trois semaines plus tard, trois semaines après nous. Sur 1200 qu’elles étaient, il n’en est entré dans le camp que 125, les autres ont été dirigées sur les gaz tout de suite. Sur ces 125, au bout d’un mois, il n’en restait plus une seule.

Les transports se pratiquaient de la manière suivante au début, quand nous sommes arrivés : quand un convoi de Juifs arrivait, on sélectionnait : d’abord les vieillards, les vieilles femmes, les mères et les enfants qu’on faisait monter en camions, ainsi que les malades ou ceux qui paraissaient de constitution faible. On ne prenait que les jeunes femmes et jeunes filles, et les jeunes gens qu’on envoyait au camp des hommes.

Les transports

Il arrivait, en général, sur un transport de 1000 à 1500, qu’il en entrait rarement plus de 250 – et c’est tout à fait un maximum – dans le camp. Le reste était directement dirigé aux gaz.

À cette sélection également, on choisissait les femmes en bonne santé, entre 20 et 30 ans, qu’on envoyait au bloc des expériences, et les jeunes filles et les femmes un peu plus âgées ou celles qui n’avaient pas été choisies dans ce but étaient envoyées au camp où elles étaient, comme nous, rasées et tatouées. Il y a eu, également pendant le printemps 1944, un bloc de jumeaux. C’était la période où sont arrivés d’immenses transports de Juifs hongrois : 700 000 environ. Le Dr Mengele, qui faisait des expériences, gardait de tous les transports, les enfants jumeaux et en général les jumeaux, quel que soit leur âge, pourvu qu’ils soient là tous les deux. Alors, dans ce bloc, il y a avait des bébés et des adultes, par terre. Je ne sais pas, en dehors des prises de sang et des mesures, je ne sais pas ce qu’on leur faisait. »

Le témoin direct

Suite à la question : « Êtes-vous témoin direct de la sélection à l’arrivée des convois ? », elle continue : « Oui, parce que quand nous avons travaillé au bloc de la couture en 1944, notre bloc où nous habitions était en face de l’arrivée du train. On avait perfectionné le système : au lieu de faire la sélection à la halte d’arrivée, une voie de garage menait le train presque jusqu’à la chambre à gaz et l’arrêt, c’est-à-dire à 100 mètres de la chambre à gaz, était juste devant notre bloc, mais naturellement, séparé par deux rangées de fil de fer barbelé. Nous voyions donc les wagons déplombés, les soldats sortir les hommes, les femmes et les enfants des wagons, et on assistait aux scènes déchirantes des vieux couples se séparant, des mères étant obligées d’abandonner leurs jeunes filles, puisqu’elles entraient dans le camp, tandis que les mères et les enfants étaient dirigés vers la chambre à gaz. Tous ces gens-là ignoraient le sort qui leur était réservé. Ils étaient seulement désemparés parce qu’on les séparait les uns des autres, mais ils ignoraient qu’ils allaient à la mort.

Pour rendre l’accueil plus agréable, à cette époque, c’est-à-dire en juin, juillet 1944, un orchestre composé de détenues, toutes jeunes et jolies, habillées de petites blouses blanches et de jupes bleu marine, jouait, pendant la sélection à l’arrivée des trains, des airs gais comme la Veuve Joyeuse, la Barcarolle, des Contes d’Hoffmann, etc. Alors, on leur disait que c’était un camp de travail, et comme ils n’entraient pas dans le camp, il ne voyaient que la petite plate-forme entourée de verdure où se trouvait l’orchestre. Évidemment, ils ne pouvaient pas se rendre compte de ce qui les attendait. Ceux qui étaient sélectionnés pour les gaz, c’est-à-dire les vieillards, les enfants et les mères, étaient conduits dans un bâtiment en briques rouges. »

Les fosses

Après avoir témoigné sur les chambres à gaz et les fours crématoires, elle parle des grandes fosses : « Il y avait à Auschwitz huit fours crématoires. Mais à partir de 1944, ce n’était pas suffisant. Les SS ont fait creuser par les détenus de grandes fosses dans lesquelles ils mettaient des branchages arrosés d’essence qu’ils enflammaient. Ils jetaient les corps dans ces fosses. De notre bloc, nous voyions, à peu près trois quarts d’heure ou une heure après l’arrivée d’un transport, sortir les grandes flammes du four crématoire et le ciel s’embraser par les fosses. Une nuit, nous avons été réveillées par des cris effroyables. Nous avons appris le lendemain matin, par les hommes qui travaillaient au Sonderkommando (le commando des gaz) que la veille, n’ayant pas assez de gaz, ils avaient jeté les enfants vivants dans la fournaise. »


Ravensbrück

La militante de la Résistance interne au camp

Marie-Claude est transférée le 4 août 1944, à Ravensbrück avec ses compagnes considérées comme « Nacht und Nebel », les “31000” qui sont en quarantaine à Birkenau auxquelles se joignent trois camarades de Raïsko, considérées également comme NN.

À Ravensbrück, les survivantes considérée comme NN sont incarcérées dans un Block spécifique. Elles retrouvent toutes les femmes déportées de France comme résistantes, notamment Anise Postel-Vinay, Germaine Tillon, Marie-Jo Chombart de Lauwe et sa mère. Marie-Claude rentre dans l’organisation de la Résistance interne du camp.

À Nuremberg, Marie-Claude témoigne de son arrivée à Ravensbrück, du Block 32 et des « lapins » qui seront sauvés par la Résistance interne du camp : « En sortant d’Auschwitz nous avons été envoyées à Ravensbrück. Là, nous avons été conduites au bloc des N.N., qui voulait dire “Nacht und Nebel” c’est-à-dire “le secret”. Dans ce bloc, avec nous, il y avait des Polonaises, portant le matricule 7.000, et quelques-unes qu’on appelait les “lapins”, parce qu’elles avaient servi de cobayes. On choisissait dans leurs transports des jeunes filles ayant les jambes bien droites et étant elles-mêmes bien saines, et on leur faisait subir les opérations. A certaines, on a enlevé des parties d’os dans les jambes ; à d’autres, on a fait des injections, mais je ne saurais pas dire de quoi. Il y avait parmi les opérées une grande mortalité. Aussi les autres, quand on est venu les chercher pour les opérer, ont-elles refusé de se rendre au Revier. On les a conduites de force au cachot, et c’est là que le professeur venu de Berlin les opérait, en uniforme, sans prendre aucune précaution aseptique, sans mettre de blouse, sans se laver les mains. Il y a des survivantes de ces « lapins », elles souffrent encore énormément maintenant. Elles ont, par périodes, des suppurations et comme on ne sait pas quels traitements elles ont subis, il est très difficile de les guérir. »

Notamment, elle évoque cette forme de Résistance, qu’était le refus de travailler pour l’industrie d’armement nazi : « Dans le bloc 32, où nous étions, il y avait également des prisonnières de guerre russes qui avaient refusé de travailler volontairement dans des usines de munitions. Elles avaient été conduites à cause de cela à Ravensbrück. Comme elles continuaient de refuser, on leur a fait subir toutes sortes de brimades, telles que de les laisser debout devant le bloc sans manger. Une partie a été envoyée en transport à Barth. Une autre a été employée pour porter les bidons dans le camp. Il y avait également, au Strafblock et au Bunker, des détenues ayant refusé de travailler pour les usines de guerre. »

À Ravensbrück, elle est tout d’abord affectée à des travaux de terrassement, elle est mutée au Revier en raison de sa connaissance de la langue allemande et en lien avec la Résistance.

En 1964 au procès contre Rassinier, Geneviève de Gaulle-Anthonioz déclare à la barre des témoins à propos de Marie-Claude : « Je l’ai connu dans les locaux de l’infirmerie où nous l’avions fait entrer, non pas pour la planquer, mais parce que nous avions besoin de camarades courageuses et parlant allemand… Lorsque nous remettions cette ration de pain prélevée sur notre propre ration, cette ampoule, nous savions qu’elle serait bien remise à celle qui en aurait le plus besoin et sans aucune appréciation politique… Je connais peu de femmes aussi courageuses que Marie-Claude, qui a toujours donné le sentiment que sa propre vie n’était rien sinon d’être au service de ses camarades. »

Par la suite, grâce à sa connaissance de l’allemand, Marie-Claude sera affectée à un emploi aux écritures, assistant une déportée polonaise qui tenait le registre d’appel.

La solidarité auprès des “31000” malades et intransportables

La grande majorité des “31000” de Ravensbrück fait partie du convoi du 5 mars 1945, de 1802 détenues, qui part pour Mauthausen. C’est le plus grand convoi de femmes pour Mauthausen. Comme le dit Charlotte Delbo dans le livre du convoi du 24 janvier 1943 : « Marie-Claude s’est arrangée pour ne pas partir, en falsifiant le livre d’appel à la faveur du désordre qui commençait à régner, afin de rester auprès des malades alitées au Revier. »

Elle reste donc à Ravensbrück avec un petit groupe de “31000” dont Charlotte Delbo, Mado Doiret, Madeleine Jégouzo alias Lucienne Langlois, le docteur Heidi Hautval, Lucienne Michaud (Nicole Lautissier), Aimée Doridat (Manette), Hélène Bolleau, Simone Loche, Simone Sampaix et Julia Slusarczyk. Beaucoup sont gravement malades, voire à toute extrémité.

La Libération de Ravensbrück

Les 23 et 25 avril, la Croix-Rouge suédoise vient prendre en charge les Françaises, les Belges et les Luxembourgeoises mais ne peut pas emmener les malades intransportables. La Croix-Rouge n’a pas pu revenir car les routes furent coupées. Marie-Claude avec le docteur Heidi Hautval restent sur place pour s’occuper de toutes ces malades. Le 28 avril les SS abandonnent le camp. C’est alors que les femmes déportées restées au camp découvrent le camp des hommes.

Marie-Claude témoigne à Nuremberg sur la situation épouvantable de Ravensbrück au départ des SS : « Lorsque les Allemands sont partis, ils ont laissé 2 000 femmes malades et un certain nombre de volontaires dont moi-même, pour les soigner ; ils nous ont laissées sans eau et sans lumière ; heureusement les Russes sont arrivés le lendemain. Nous avons donc pu aller jusqu’au camp des hommes et là, nous avons trouvé un spectacle indescriptible ; ils étaient depuis cinq jours sans eau ; il y avait 800 malades graves, trois médecins et sept infirmières qui n’arrivaient pas à retirer les morts de parmi les malades. Nous avons pu, grâce à l’Armée Rouge, transporter ces malades dans des blocs propres et leur donner des soins et de la nourriture, mais malheureusement, je ne peux donner le chiffre que pour les Français : il y en avait 400 quand nous avons trouvé le camp, et il n’y en a que 150 qui ont pu regagner la France ; pour les autres, il était trop tard, malgré les soins… »

Marie-Claude et Heidi Hautval, avec d’autres déportées, notamment le médecin de l’armée rouge, Antonina Nikiforova, prennent en main l’administration du camp. Elles restent à Ravensbrück jusqu’à ce que tous les malades français aient été évacués.

Ravenbrück est libéré le 30 avril 1945 par l’Armée rouge et Marie-Claude ne revient en France que le 25 juin 1945. Pendant ces semaines, elle se consacre aux malades en attente de rapatriement. Sous la plume de Rémy Roure, dans Le Monde du 16 juin 1945, on lit : « Chaque jour, cette magnifique Française parcourt les blocs, relève les courages, donne de l’espoir qui n’est souvent que de l’illusion. Le mot de sainteté vient à l’esprit quand on voit cette grande sœur de charité auprès de ces hommes et ces femmes qui meurent chaque jour »


Témoin à Nuremberg

En 1946, Marie-Claude est citée comme témoin au Tribunal de Nuremberg (lors de la quarante-quatrième journée, le lundi 28 janvier 1946). Lors de son témoignage face aux criminels nazis, elle marchera vers eux, à la stupéfaction de la salle, pour les regarder droit dans les yeux, de très près.

La présente biographique fait appel à de nombreuses citations de son témoignage. Le témoignage complet de Marie-Claude est sur le site de la Fédération Nationale des Déportées et Internés Résistants et Patriotes :

[Témoignage M.C VAILLANT-COUTURIER http://www.fndirp.asso.fr/temoigmcv…

Autre site présentant le témoignage de Marie-Claude Vaillant-Couturier

http://www.youtube.com/watch?v=NoN4…

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Marie-Claude Vaillant-Couturier témoin à Nuremberg

Elle dira plus tard : « En racontant les souffrances de ceux qui ne pouvaient plus parler, j’avais le sentiment que, par ma bouche, ceux qu’ils avaient torturés, exterminés, accusaient leurs bourreaux ». De plus, elle soulignera plus tard combien la définition du crime contre l’humanité était « un progrès pour la conscience humaine ».

La femme engagée

Depuis 1939, elle partage sa vie avec Roger Ginsburger dit Pierre Villon et elle l’épouse en 1949.

Marie-Claude Vaillant-Couturier est déléguée à l’Assemblée consultative provisoire en 1945 puis elle est élue aux deux Assemblées Nationales Constituantes sur la liste communiste. Elle est réélue à l’Assemblée nationale en 1946, en 1951 et en 1956. En 1956, elle est membre de la Commission des affaires étrangères et de l’éducation nationale et elle devient aussi vice-présidente de l’Assemblée nationale le 25 janvier 1956. Sous la cinquième République, elle redevient député de la Seine en 1962, puis du Val-de-Marne en 1967, jusqu’en 1974. En tant que parlementaire, elle intervient contre la politique coloniale, notamment sur le conflit indochinois puis en sa qualité de vice-présidente de l’Assemblée, en interrogeant le gouvernement sur les tortures et les camps d’internement en Algérie.

La militante de la mémoire

Membre dirigeante de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes depuis la création de celle-ci en 1945, elle en devient ensuite vice-présidente, puis co-présidente en 1978. Elle est également une des premières animatrices de l’Amicale d’Auschwitz.

En 1964, devant l’Assemblée Nationale, elle défend la notion d’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, ouvrant ainsi la voie à la ratification, par la France en 1968, de la Convention de l’ONU sur l’imprescriptibilité de ces crimes.

En 1987, elle est appelée par toutes les parties civiles à témoigner contre Klaus Barbie.

Lors de la création de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation en 1990, elle en est désignée unanimement présidente, puis présidente d’honneur jusqu’à son décès.

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La militante de la mémoire

Dès le 20 décembre 1945, Marie-Claude Vaillant-Couturier est nommée chevalier de la Légion d’honneur. Elle est élevée au grade d’officier en 1981.

Le 16 avril 1995, elle reçoit la cravate de commandeur de la Légion d’honneur des mains de son amie et camarade de déportation Geneviève de Gaulle-Anthonioz.

Marie-Claude Vaillant-Couturier décède le 11 décembre 1996 à Paris.

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Hommage à Marie-Claude Vaillant-Couturier

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 281.
- FNDIRP, coffret édité à l’occasion de la cérémonie d’hommage du 1er février 1997.
- Auschwitz 1940-1945, Les problèmes fondamentaux de l’histoire du camp, ouvrage collectif sous la direction de Wacław Długoborski et Franciszek Piper, éd. du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim, Pologne, version française 2011, volume IV, La Résistance, Henryk Swiebocki, pages 134 à 136.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 06-04-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).