JPEG - 37.1 ko
D.R.

Madeleine, Joséphine, Sylvie, Doiret naît le 2 novembre 1920 à Ivry-sur-Seine [1] (Val-de-Marne – 94), fille Pierre Doiret, 29 ans, piqueur, et d’Yvonne Pagès, vendeuse, aînée de cinq enfants, dont Roger, Pierre, né le 30 mai 1924 à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).

Pierre Doiret a été appelé au service militaire en 1911 pour n’être démobilisé qu’en 1919. Ses souvenirs – les tranchées, la boue, Verdun – marqueront profondément l’enfance de Madeleine : elle se souviendra de la boue à Birkenau.

Le 24 décembre 1917 à Paris 13e, il se marie avec Yvonne Pagès, vendeuse dans une crémerie aux Halles. Les Doiret font construire un pavillon à Ivry, impasse Massing [2]. Leurs enfants vont à l’école jusqu’à seize ans. Ainsi, Roger Doiret fréquente l’école communale de la rue Robespierre à Ivry, puis le centre d’apprentissage place de la République.

Le père, Pierre Doiret, milite au Parti communiste.

En décembre 1936 – pendant la guerre d’Espagne -, Madeleine entre à l’Union des jeunes filles de France et y milite activement.

En septembre 1938, Madeleine interrompt ses études à l’école primaire supérieure Paul-Bert où elle préparait le brevet supérieur et commence à apprendre la sténodactylographie. Mais, à la déclaration de guerre, beaucoup d’instituteurs sont mobilisés ; elle devient institutrice intérimaire dans l’Yonne, jusqu’à la défaite.

La Résistance

En août 1940, Mado elle rejoint les jeunes communistes d’Ivry qui se regroupent pour résister.

Jean Compagnon (arrêté le 18 juin 1942, fusillé le 11 août suivant) lui apporte des textes qu’elle tape sur stencils et qu’on imprime la nuit sur une ronéo électrique dans une cave murée du pavillon des Doiret.

Avec son frère Roger, seize ans, qui porte les sacs sur son dos, elle va déposer les tracts en différents points d’Ivry où d’autres jeunes les prennent pour les distribuer.

Puis Madeleine entre complètement dans la Résistance clandestine. Elle quitte la maison, habite sous un faux nom dans un petit logement du 15e arrondissement, vit seule, rompant tous les liens d’amitié et de famille.

Elle tape les premières lettres des fusillés de 1941, les appels au sabotage, à la résistance.

Le 14 mars 1942, la maison familiale d’Ivry est perquisitionnée par la police français (« visite domiciliaire »).

L’arrestation

Le 17 juin, Madeleine Doiret est arrêtée par cinq inspecteurs des brigades spéciales qui ont filé pendant des semaines Jacqueline Quatremaire qu’elle voyait pour le travail clandestin.

Mado passe deux jours dans les grandes salles de la préfecture de police, puis est envoyée au dépôt de la Conciergerie, sous le Palais de Justice, île de la Cité..

Le 10 août 1942, elle fait partie d’un groupe de détenues – dont dix-neuf seront déportées avec elle – transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht.

JPEG - 167.5 ko
L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Madeleine Doiret y est enregistrée sous le matricule n° 630.

Le 22 janvier 1943, elle fait partie des cent premières femmes otages qui sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

JPEG - 128.9 ko

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [3] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été extraites de wagons et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

JPEG - 142.9 ko
Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Madeleine Doiret y est enregistrée sous le matricule 31644. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Avant même l’enregistrement, on leur sert leur première soupe. Charlotte Delbo raconte : « Des détenues ont distribué des gamelles d’émail rouge, en forme de saladier, remplies d’une soupe qui puait. Une a dit : “On ne peut pas manger cette soupe. Elle sent la tinette”. Madeleine Doiret a répondu : “La soupe sentira toujours la tinette, il faudra bien la manger, on mourir de faim. Autant commencer tout de suite.” Plusieurs ont mangé la première soupe. D’autres non, ni aucune soupe ensuite. Après nous avons compris pourquoi la soupe puait. Tout le monde avait la diarrhée. La nuit, sortir pour ses besoins, c’était s’exposer aux coups. De plus les diarrhéiques n’avaient pas le temps de sortir du Block. Les gamelles servaient de pots de chambre. »

Quand sont distribués les “uniformes” du camp, Mado Doiret reçoit des chaussons de feutre déchirés…

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart avec un couvre chef (foulard), de face et de profil.

JPEG - 83.1 ko
Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive).

JPEG - 191 ko
Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail. Mado assèche dans les marais, transporte des briques.

Atteinte par l’épidémie de typhus, elle est admise au Revier [4] du 26 avril au 15 mai. Ayant survécu à la maladie, elle est affectée comme jardinière au Kommando agricole de Raïsko.

Ravensbrück

Le 7 janvier 1944, Madeleine Doiret fait partie du petit groupe des huit du convoi qui, de Raïsko, est envoyé au KL Ravensbrück. Le statut “NN” ne l’ayant pas suivi dans ce camp, elle peut recevoir du courrier de France (jusqu’au débarquement de Normandie, le 6 juin 1944).

À Ravensbrück, elle intègre le Kommando de l’entreprise Siemens, qui a implanté une usine dans la grande enceinte du camp où sont fabriquées des bobines de radio. Cette affectation évite d’être prise dans un transport vers un camp ou un Kommando inconnu. Elle s’y trouve avec Charlotte Delbo.

Le 23 avril 1945, Madeleine est parmi les détenues françaises libérées sur intervention de la Croix-Rouge et emmenées en Suède.

Là, elle rencontre les premiers déportés du camp de Neuengamme à qui elle demande : « Avez-vous connu mon frère Roger Doiret ? ». Madeleine a appris son arrestation par une lettre de sa mère reçue à Ravensbrück.

Réfractaire au STO, Roger Doiret s’est engagé au sein des FTPF dans le maquis du Morvan. Arrêté le 2 mars 1944 à Laroche-Migennes (Yonne) en même temps qu’un cousin, Serge Sens [5], lui aussi combattant, Roger Doiret a été détenu à la prison d’Auxerre. Le 12 avril, il a été transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise) puis déporté avec son cousin au camp de Hambourg-Neuengamme le 21 mai 1944.

Le 3 mars 1945, Serge Sens – vingt-deux ans – est mort d’épuisement au Revier de Watenstett, Kommando de Neuengamme. Roger Doiret (matr. 61608) a été pris dans les colonnes d’évacuation du camp principal pour mourir à bord du Cap Arkona, dans la baie de Lübeck, le 3 mai 1945. La mention « Mort en déportation » est apposée sur les actes et jugements déclaratifs de décès le concernant (JORF n°0253 du 30 octobre 2011).

Le Retour à la Vie

Quand elle rentre, Madeleine retrouve son père qui – à cinquante-trois ans – avait rejoint les maquis de la Nièvre (sa région natale), sa mère, ses sœurs.

Elle recommence à travailler comme secrétaire en décembre 1945.

Le 28 juillet 1957 à Ivry, elle se marie avec un chauffeur d’automobiles (qui fut interné comme résistant au camp de Kobiercyn, en Pologne). Elle a un fils, Jean-Michel, né en 1952.

Quand Charlotte Delbo lance le projet d’un livre racontant le destin de chacune des déportées du convoi de femmes du 24 janvier 1943, et qu’elle fait appel à ses camarades rescapées, Madeleine Doiret cherche « des pistes, des indices, méthodiquement ».

Madeleine est homologuée soldat de 2e classe dans la Résistance intérieure française (RIF).

Elle décède le 21 septembre 2001 à Argenteuil (Val-d’Oise).


LES BATEAUX DE LÜBECK

Le 20 avril 1945 commence l’évacuation du camp de Neuengamme, situé à 33 kilomètres de Hambourg, où se trouvaient vingt mille détenus environ. On entendait le canon (le la bataille qui se livrait pour le passage de l’Elbe. Les déportés sont transportés par train jusqu’aux quais de Lübeck et embarqués sur l’un des deux cargos à quai : l’Athen. Ils y restent onze jours, entassés au fond de la cale, dans leurs excréments, sans pain les deux premiers jours. Le troisième jour, ils en touchent 100 grammes et reçoivent ensuite un demi-litre de soupe par jour. Jamais les gardiens ne sont descendus voir ce qui se passait dans les cales, où se livraient des batailles autour des colis de Croix-Rouge qui avaient été distribués à certains des détenus avant le départ.

Le 29 avril 1945, l’Athen se met en marche. Est-ce pour aller en Suède ? Non. Après deux heures, l’Athen stoppe, bord contre bord d’un paquebot de 27 000 tonnes, le Cap Arkona sur lequel les déportés sont transbordés. Ils attendent toute une journée sur le pont. Il fait froid, il pleut. Puis on leur fait prendre place dans les cabines de deuxième classe, cabines à deux couchettes, où ils s’entassent à seize et davantage. Le Cap Arkona cependant ne lève pas l’ancre. Le 2 mai, on les fait sortir du paquebot et réintégrer l’Athen. Ils veulent résister, à ce nouveau transbordement ; les gardiens les poussent à coups de bâton.

Dans la baie de Neustadt, au large de Lübeck, se trouve, outre le Cap Arkona, l’Athen, le Thielbeck, un grand bâtiment, le Deulschland rempli de détenus de toutes nationalités. Tous ces navires étaient garnis de pièces de D.C.A. qui tiraient sur les avions anglais de reconnaissance.

Vers midi, le 3 mai 1945, une rumeur se répand sur les bateaux : les Anglais couleraient les navires en haute mer. À 13 heures, une escadrille de douze bombardiers anglais attaque en piqué, lance des bombes – incendiaires pour la plupart et la D.C.A. allemande réplique.

Le Cap Arkona prend feu sur toute sa longueur. Une bombe incendiaire détruit l’infirmerie, située au cœur du bâtiment, où étaient entassés malades et mourants. Le navire reçoit en même temps, à sa ligne de flottaison, une torpille tirée par l’un des douze sous-marins allemands qui étaient réfugiés dans la baie. Le Cap Arkona brûle pendant plus de quatre heures avant de disparaître. Le navire n’était qu’un immense brasier sur lequel se débattaient sept à huit mille hommes qui ont été brûlés vifs. Sur les ponts, dans les cabines, des hommes se pressaient, se bousculaient à s’étouffer. Les plus forts se taillaient un passage à coups de couteau pour se jeter à la mer. Le sang ruisselait partout.

Le Deutschland coule après une demi-heure d’incendie. L’Athen, atteint moins gravement, regagne le quai et y rend sa cargaison humaine.

Peu ont réchappé. Près de trois mille ont pu gagner la côte à la nage (deux kilomètres environ). Les cent quarante premiers arrivés ont été fusillés par les SS qui les attendaient au rivage. Les autres ont été sauvés par l’arrivée des tanks anglais de la division « Mountain ». Les seuls survivants de cette tragédie sont les passagers de l’Athen qui ont réussi à intimider le capitaine et à lui faire remettre son navire à quai malgré les SS.

Sur les vingt mille captifs de ces navires, quatre mille à peine ont sauvé leur vie, (parmi eux quatre cent quatre-vingts Français sur trois mille cinq cents).

(d’après un récit de Roger Grandperret, rescapé du Cap Arkona.)

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 8, 12, 88-90, 91.
- Michèle Rault, conservatrice des archives communales d’Ivry-sur-Seine, notices sur le site du Maitron en ligne (dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, transport I.214, par Thomas Fontaine, Gérard Fournier, Guillaume Quesnée, tome 1, pages 658-659, 683 (Roger Doiret), p. 733 (Serge Sens).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 16-02-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Ivry-sur-Seine, Issy-les-Moulineaux et Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Impasse Massing : après-guerre, le conseil municipal d’Ivry-sur-Seine donne le nom de Roger Doiret à cette voie où il avait vécu avec sa famille.

[3] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[4] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus, ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.

[5] Serge Sens, né le 11 avril 1923 à Ivry-sur-Seine, matricule n° 31603 au KL Neuengamme.