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Photo anthropométrique 
prise par la brigade de gendarmerie 
du camp de Gaillon le 29 octobre 1941. 
Archives départementales de l’Eure.
Droits réservés.

Léon, Jean, Charles, Lecrées naît le 13 juillet 1888 à Cherbourg (Manche – 50), chez ses parents, Louis Lecrées, 33 ans, charpentier, et Henriette Abraham, son épouse, 32 ans, domiciliés au 61, rue de la Paix.

Le 5 avril 1913 à Carteret, Léon Lecrées se marie avec Élizabeth, Juliette, Abraham (une cousine ?). En 1941, ils n’ont pas d’enfant déclaré.

Le 3 août 1914, Léon Lecrées est mobilisé au 1er Régiment d’infanterie coloniale à Cherbourg. Le 25 septembre 1915, il est blessé par balle au fémur gauche. L’atrophie de la jambe qui en résulte lui donnera droit à une pension d’invalidité de 30 %. Cité à l’ordre du régiment, Léon Lecrées est décoré de la Croix de guerre.

Au moment de son arrestation, il est domicilié rue Félix-Faure, Les Coutils, à Équeurdreville [1], à l’ouest de l’agglomération de Cherbourg (50).

Ayant une formation de maçon, Léon Lecrées est chef d’équipe de maçonnerie aux Travaux maritimes de Cherbourg [2] (Arsenal ?). Dans une notice individuelle établie au camp de Gaillon, il est déclaré comme retraité, mais cela peut aussi signifier une révocation (il a 52 ans).

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Cherbourg. Le port militaire et les ateliers des forges de l’Arsenal 
dans les années 1900. Carte Postale. Coll. Mémoire Vive.

Pendant les quatre ou cinq années qui précèdent la guerre, il est adhérent du syndicat CGT des ouvriers de l’arsenal de Cherbourg, ainsi que du Parti communiste.

Sous l’occupation, il reste actif au sein du Parti communiste clandestin, intégré au groupe “Valmy”, selon son épouse. Celle-ci fait le guet pendant les réunions au domicile de Pierre, dit Paul, Vastel, gardien du cimetière d’Équeurdreville, qui tire des tracts sur une ronéo cachée dans un caveau.

Le 18 septembre 1941, le préfet de la Manche signe l’arrêté ordonnant l’internement administratif de Léon Lecrées en application du « décret du 18 novembre 1939 relatif aux mesures à prendre à l’égard des individus dangereux pour la défense nationale [sic !] et la sécurité publique [re-sic !] » ; du décret du 29 novembre 1939 ; de la loi du 3 septembre 1940 et de « la dépêche de M. le Ministre, secrétaire d’État à l’Intérieur, en date du 19 septembre 1940 » (?). En fait, il est « arrêté en raison de son activité antérieure à la suite de distribution de tracts communistes d’origine locale et quoique [sa] participation à cette distribution n’ait pas été établie ».

Le 19 septembre, à 13 heures, un inspecteur de police spéciale de Cherbourg vient l’appréhender à son domicile pour le conduire à la Maison d’arrêt de la ville en préalable à son transfèrement.

D’autres militants subissent le même sort comme Louis Hamel, de Cherbourg, Léon Truffert, de Tourlaville, Charles Mauger, d’Octeville et Marcel Hodiesne, d’Avranches (le 21).

Le 20 septembre, Léon Lecrées est interné au camp français de Gaillon (Eure), « centre de séjour surveillé » où il est « astreint à résider » ; assigné au bâtiment F (aile Est du pavillon Colbert [3]), 1er étage, chambre 3, lit 1.

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Le camp de Gaillon, ancien château de l’évêque de Rouen. 
Carte postale d’après-guerre. Collection Mémoire Vive.
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Vue du château de Gaillon côté Sud. À l’arrière-plan, 
le pavillon Colbert oùl étaient assignés les internés. 
Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive.
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Le 20 septembre 1941, Léon Lecrées reconnaît avoir pris 
connaissance « que le personnel a reçu l’ordre de faire 
usage de ses armes en cas de tentative d’évasion…
 ». 
AD27. Droits réservés.

Le 1er mars 1942, sachant qu’il a été interpellé sans preuve et n’ayant constaté aucune manifestation de ses idées politiques, en plus de sa « très bonne conduite », le commandant du camp propose sa libération au préfet de la Manche et à la direction générale de la police nationale, Léon Lecrées se déclarant de son côté prêt à cesser toute activité politique.

Le 4 mai, remis aux autorités allemandes à la demande de celles-ci, Léon Lecrées est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 -Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule n° 5143.

Entre fin avril et fin juin 1942, Léon Lecrées est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Léon Lecrées est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45755 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Léon Lecrées est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

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Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ». 
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre » 
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Pendant un temps, il est assigné au Block 16 avec d’autres “45000”.

Léon Lecrées meurt à l’ “hôpital” d’Auschwitz (Block 21a) le 15 août 1942, selon les registres du camp [4]. L’acte de décès établi par l’administration SS donne pour cause de sa mort une « infection par/avec phlegmon » (Sepsis bei Phlegmone).

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 23-03-1994).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 366 et 410. 
- De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Cl. Caron-Hamet page 129 et 130. 
- Ginette Petiot, recherches dans les Archives départementales de l’Eure, Évreux, et au BAVCC, ministère de la Défense, Caen (messages 07 et 08-2012). 
- Archives départementales de la Manche, archives en ligne, état civil de Cherbourg, registre des naissances de l’année 1888, acte n°450 (vue 120/238). 
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre d’appel avec la liste des détenus décédés (Verstorben Häftlinge) ; registre de la morgue relevé par la Résistance (matr. 45755). 
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 1, page 120* ; tome 2, page 702. 
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Service d’information sur les anciens détenus (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; registre d’appel du 15 août 1942 (détenus décédés), page 342 ; registre du Block 16 ; acte de décès du camp (28807/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 20-08-2012)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Équeurdreville : la commune fusionne avec sa voisine en 1965 pour former la commune d’Équeurdreville-Hainneville.

[2] Les directions des travaux maritimes, ou DTM, étaient chargées principalement de la conception, la réalisation et le maintien en condition des infrastructures immobilières et portuaires des ports militaires, des bases d’aéronautique navale et des diverses installations de la marine nationale dispersées sur le territoire (sémaphores, stations de transmissions, pyrotechnies, etc.). Elles avaient repris les missions dévolues aux « ingénieurs de la marine » dès l’époque de Colbert. Leurs attributions étaient de caractère technique (études de définition, de conception des ouvrages de bâtiment, de génie civil, d’ouvrages à la mer et d’outillages portuaires) et administratif (administration du domaine de l’État). Les directions des travaux maritimes étaient des directions déconcentrées du service des travaux immobiliers et maritimes, ancienne direction subordonnée à l’État-Major de la Marine, puis, à compter de 2005, des directions déconcentrées du service d’infrastructure de la défense nationale française. La dénomination de ces directions a été modifiée par l’arrêté du 13 décembre 2010 (JORF du 18 décembre). (source Wikipedia)

[3] Château de Gaillon. Le pavillon Colbert, sur la terrasse du jardin haut, a été dessiné par Jules-Hardoin Mansard vers 1700 pour l’archevêque Jacques-Nicolas Colbert, second fils du ministre de Louis XIV.

[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France :

Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

S’agissant de Léon Lecrées, c’est le 30 septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès.

Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.