Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jules, Alphonse, d’Haese naît le 11 septembre 1899 à Lille (Nord), chez ses parents, Brunon Julien d’Haese, 42 ans, peintre en voitures (« empêché »), et Sophie Van Goethen, 41 ans, son épouse, tous deux originaires de Belgique et domiciliés au 13, rue Meurcin / 5, impasse Convain.
Le 27 octobre 1924, à Puteaux [1] (Seine / Hauts-de-Seine), Jules D’Haese épouse Marie Duval. Ils n’auront pas d’enfant.
Pendant un temps, Jules D’Haese est chauffeur de taxi à la Compagnie générale des chauffeurs de place, sise au 53, boulevard de Charonne à Paris 20e. Puis il est successivement magasinier et ouvrier sur machine ; c’est sans doute alors qu’il adhère au Syndicat des Métaux.
À partir de 1924 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 35, rue Voltaire à Puteaux.Le 15 janvier 1936, il reprend son métier de chauffeur d’automobile aux Établissements Unic, sis au 1, rue Volta à Puteaux.
Après la mobilisation, il est maintenu comme “affecté spécial” dans son entreprise, considérée comme produisant pour la Défense nationale. Il continue à y travailler sous l’Occupation.
Puteaux, la place du marché dans les années 1930. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Puteaux, la place du marché dans les années 1920.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 3 août 1941, vers 9 h 30, sur le marché de Puteaux, alors que la foule est dense, un individu, agrippé à un lampadaire où a été accroché un drapeau tricolore, harangue les ménagères, tandis que des tracts sont lancés : Ce que la presse et la radio raciste ne disent pas ; Aux commerçants, pourquoi la rareté du vin, la hausse des prix ; La Voix Populaire, organe de Gennevilliers, n° 4. La police municipale intervient aussitôt. Mais une dizaine de personnes s’interposent et frappent les gardiens, ce qui permet à l’orateur de s’enfuir. Tandis que des arrestations sont en cours, Jules d’Haese – qui se rendait au marché avec son épouse – interpelle un gardien de la paix en civil (n’étant pas en service) alors que celui-ci sort d’un poste de gendarmerie où il est allé demander du renfort : « Pourquoi es-tu allé chercher les flics ? Tu ne peux pas t’occuper de tes oignons ? ». Puis, élevant la voix, il lui déclare que son intervention n’est pas digne d’un Français. Le protestataire est appréhendé aussitôt.
Sur le marché, l’ordre est rapidement rétabli. Le drapeau est ramassé et trois personnes arrêtées sur les lieux sont conduites avec Jules d’Haese au commissariat de police : deux femmes, dont une, déjà connue de la police, qui avait frappé un brigadier à la tête d’un coup de bouteille, et Alexandre Dherbilly [2], 31 ans, ex-secrétaire de la section communiste d’Aulnay-sous-Bois, clandestin sous la fausse identité de Jean Pierre Duval. Tous les quatre sont déférés au Parquet sous l’inculpation d’infraction au décret du 26 septembre 1939. Jules D’Haese est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
Le 22 septembre, le rôle de celui-ci dans la manifestation n’ayant pu être établi de façon certaine, le juge d’instruction prononce un non-lieu [2]. Mais il n’est pas libéré.
Le lendemain, 23 septembre, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939, au motif que Jules D’Haese « a participé à l’action communiste clandestine en gênant l’action de la police chargée de réprimer cette action ». Le jour même, il est conduit au dépôt de la préfecture de police (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité) en attendant son transfert dans un camp.
Le 28 septembre, Maurice Maire, habitant de Puteaux, écrit au préfet de police pour déclarer sa surprise, connaissant Jules D’Haese depuis longtemps, il l’apprécie comme « un homme très sérieux, régulier à son travail et ne s’occupant jamais de politique ».
Le 9 octobre, Jules D’Haese est parmi les 60 militants communistes (40 détenus venant du dépôt, 20 venant de la caserne des Tourelles) transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; départ gare d’Austerlitz à 8 h 25, arrivée à Rouillé à 18 h 56. Jules D’Haese y est assigné à la barque n° 11.
Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le 12 mars, le directeur de cabinet du préfet de police demande l’avis du directeur des Renseignements généraux (RG) sur l’opportunité d’une mesure de libération : « La direction des établissements Unic, où D’Haese était employé – bien qu’elle ne consente pas à se porter garante de l’attitude politique de ce détenu – a fourni néanmoins de bons renseignements sur lui et s’engage à le reprendre au cas où il serait libéré. » Le 20 mars, les RG se déclarent favorables à cette libération. Le 30 mars, le préfet de police transmet cette proposition au préfet délégué du ministère de l’Intérieur dans les territoires occupés. La décision tarde à venir…

Le 22 mai 1942, Jules D’Haese fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Le camp vu depuis le mirador central.  Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)  Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.

 

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandises d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandises
d’où sont partis les convois de déportation. © Cliché M.V.

Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Jules d’Haese est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45476, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jules d’Haese.

Il meurt à Auschwitz le 21 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

(aucun “45000” de Puteaux n’a survécu)
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 12-10-1988).

Notes :

[1] Puteaux : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Alexandre Dherbilly, né le 30 mars 1912 à Rennes (Ille-et-Vilaine), marié, deux enfants. Le 15 novembre 1941, la section spéciale de la cour d’appel de Paris le condamne à quinze ans de travaux forcés. Il est incarcéré à la maison centrale de Fontevraud-L’Abbaye, près de Saumur (Maine-et-Loire). Le 28 février 1944, il est déporté dans le transport de 49 détenus “NN” parti de Paris, gare de l’Est à destination du camp de transit de Neue Bremm. Un mois plus tard, tous ces déportés sont transférés au KL Mauthausen. Alexandre Dherbilly faut partie des quinze détenus affectés au Kommando de Gusen, où il meurt le 18 janvier 1945. (source : Thomas Fontaine, Guillaume Quesnée, Livre-Mémorial de la FMD, pages 230 et 231)

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 383 et 402.
- Archives départementales du Nord, site internet, archives en ligne : registre des naissances de Lille, année 1899 (1 Mi EC 350 R 138), acte n° 4519 du 12-12-1899 (vue 70/741).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : carton “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 726-25742) ; registre de main courante du commissariat de Puteaux de mars à septembre 1941 (C B.90 31), acte n° 2333 ; registre des consignés provisoires au Dépôt, mai 1941-mars 1942 (C C 2-1, n° 678).
- Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Paris ; liste XLI-42, n° 69.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 420.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 19-04-2019)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.