Photo anthropométrique prise le 15 juillet 1942 par le service de l’identité judiciaire. © Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

Photo anthropométrique prise le 15 juillet 1942
par le service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

Jane Louise Marie Désirée Guivarch naît le 28 septembre 1913 à Argenteuil (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), fille de Pierre Marie Guyvarch, 25 ans, mécanicien, et d’Emma Deschamps, son épouse, sans profession.
Dès le début début de la Première Guerre Mondiale, son père est mobilisé comme caporal au 36e régiment d’infanterie à Caen. Il disparaît (“tué à l’ennemi”) le 23 août 1914 à Châtelet (Wallonnie, Belgique), au cours de la bataille de Charleroi… ou à Macquigny (Aisne) ?
Orpheline de guerre, Jane est adoptée comme pupille de la Nation en janvier 1922. Sa mère se remarie avec le frère de son mari, un petit fonctionnaire.
Jeanne va d’abord à l’école communale, puis à l’école paroissiale d’Argenteuil jusqu’au certificat d’études.Le 17 octobre 1931, à Argenteuil, elle se marie avec Louis Edmond Guyot, né le 15 juin 1908 à Saint-Quentin (Aisne). Ils ont deux enfants : une fille née en 1935 (Henriette, née le 24 janvier, acte n° 93 ?) et un garçon (Daniel Lucien, né le 28 août 1938, acte n° 793 ?).Au moment des arrestations, la famille habite au 84, rue de Calais, face au cimetière du Centre (un secteur isolé).À cette même adresse, Louis Guyot est patron-artisan d’une petite imprimerie.

Au début de 1942, selon Charlotte Delbo, il prend une commande de gens qu’il ne connait pas ; il s’agit d’imprimer des tracts en allemand, destinés aux soldats de l’armée d’occupation.

À la mi-mars 1942, à la suite des arrestations de l’affaire Pican-Cadras, les Renseignements généraux de la préfecture de police commencent la filature d’un résistant qu’ils ont provisoirement dénommé « Ambroise », du nom de la rue où il a été repéré la première fois. Sans le savoir, Arthur Tintelin met les inspecteurs sur la piste de l’appareil technique de propagande du Parti communiste clandestin, le réseau des imprimeurs qu’il coordonne. Renée Pitiot, agent de liaison de ce groupe, elle aussi filée, conduit les policiers vers ses nombreux contacts. Commencé dans la nuit du 17 au 18 juin 1942, le coup de filet de la police entraîne l’arrestation d’une soixantaine de personnes…

Le 18 juin, Jeanne Guyot et son mari se rendent à leur atelier : les inspecteurs des brigades spéciales les y attendent. Auparavant, au cours de leurs filatures, les policiers ont pu observer Louis Guyot entrer en contact à plusieurs reprises avec Maurice Grandcoin, dit « Nancy »,  ex-inspecteur des ventes à L’Humanité et responsable clandestin de la fabrication des plaques photogravées, notamment le 23 avril, dans un café à l’angle de la rue Pouchet (Paris 17e) ; 27e dans l’ordre des filatures, l’imprimeur est alors désigné comme « cycliste Clichy ». Lors de la perquisition de la petite imprimerie d’Argenteuil sont découverts 10 000 exemplaires d’un tract intitulé « À nos frères derrières les barbelés », la plaque de zinc pour son impression étant encore sur la machine. Sont également découverts des clichés zinc ayant servi à de précédents tirages. Louis Guyot n’essaie pas de nier. Il prend tout sur lui, dans l’espoir que sa femme, qui n’a ni activité ni opinions politiques sera relâchée. En vain. Jeanne Guyot est envoyée au dépôt avec les femmes des autres imprimeurs arrêtées le même jour.

Photo anthropométrique prise le 14 juillet 1942 par le service de l’identité judiciaire. © Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

Photo anthropométrique prise le 14 juillet 1942
par le service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

Le 5 août 1942, deux grenades sont lancées par des résistants communistes sur des militaires allemands qui s’entraînent au stade Jean-Bouin (Paris 16e) : deux d’entre eux sont tués, et vingt sont blessés, dont cinq grièvement. Le 10 août, par mesure de représailles, Carl Oberg, chef supérieur de la SS et de la police (HSSPf) en France décide l’exécution de quatre-vingt-treize otages.

Le 10 août 1942, Jeanne Guyot est transférée parmi vingt futures “31000” au fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), où elle est enregistrée sous le matricule n° 610.

Le bâtiment A, vue vers l’intérieur du fort, du côté des cours de promenade clôturées. Photo Mémoire Vive.

Le bâtiment A, vue vers l’intérieur du fort, du côté des cours de promenade clôturées.
Photo Mémoire Vive.

Le 11 août, après avoir été rassemblés pendant la nuit précédente au fort de Romainville, 88 hommes sont conduits au fort du Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour y être fusillés dès l’aube ; parmi eux, des membres du réseau des imprimeurs, Arthur Tintelin, Louis Guyot, Henri Daubeuf, Pierre Galesloot, Pierre Hardenberg, Eugène Houdart, Gustave Pitiot, Henri Maillard, et d’autres maris de futures “31000”, Marcel Éthis, Alphonse L’Huillier… Les corps sont incinérés et les urnes funéraires dispersées dans différents cimetières.

Le 22 janvier 1943, Jeanne Guyot fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne ; leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1 ). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

TransportAquarelle
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Jane Guyot y est enregistrée sous le matricule 31631. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation de Jeanne Guyot a été retrouvée).

Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia de Birkenau ; perspective entre les châlits. La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues. Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir. Photo © Mémoire Vive.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia de Birkenau ; perspective entre les châlits.
La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir.
Photo © Mémoire Vive.

Jane Guyot meurt à Birkenau le 15 mars 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; l’état civil français a retenu la date du 25 avril 1943. Aucune rescapée n’a pu donner d’indication sur sa mort (elle était amie avec Marguerite Houdart, morte elle aussi).

À la Libération (été/automne 1944), sa sœur témoigne contre des agents des Brigades spéciales.

La mère de Jeanne Guyot, qui a élevé les enfants, n’a appris la mort de sa fille qu’au retour des rescapées.

Les noms de Jeanne et Louis Guyot ont été ajoutés sur le monument aux morts d’Argenteuil, dans le cimetière communal, celui de Louis étant par ailleurs inscrit sur le Monument à la mémoire des otages fusillés au Mont-Valérien entre 1941 et 1944, une cloche en bronze créée par Pascal Convert et déposée en 2003 devant la chapelle du Mont-Valérien.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 137 et 138.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : divers documents (221 W 3), dossier 9, “Affaire Ambroise Tintelin” (29 pages), page 7, n° 11, Guyot Louis ; Dossier “Tintelin Arthur Henri”, filatures (GB 50).
- Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, pages  74 à 79, fiche allemande et française de Louis Guyot, page 142.
- Le Maitron, dictionnaire biographique, dictionnaire du mouvement social : notice de Jeanne Guyot par Marie-Cécile Bouju, version mise en ligne le 3 janvier 2017, dernière modification le 18 décembre 2020, https://maitron.fr/spip.php?article186813.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 20-07-2024)

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