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À Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Du Cantal à la Région parisienne

Jeanne Borderie naît le 27 mars 1912 au Chambon par Anglars-de-Salers (Cantal), où ses parents exploitent une petite ferme.

À la mort du père, tué au front au début de la guerre de 1914, la mère, sans ressources, quitte la terre et vient travailler dans une usine de la région parisienne ; Jeanne et sa sœur sont mises en pension dans une institution religieuse de Senlis (Oise).

À quatorze ans, Jeanne entre en apprentissage chez Christofle, à Saint-Denis [1] (Seine-Saint-Denis – 93), sa seule place jusqu’en 1939. Elle y devient contrôleuse d’argenterie.

À une date restant à préciser, elle se marie avec Maurice Alexandre, ajusteur-outilleur de précision dans le même établissement.

Ils sont domiciliés à Eaubonne [2] (Val-d’Oise).

La Résistance

En 1942, Maurice Alexandre, dit « Robert », est responsable technique pour l’Ile-de-France des Francs-Tireurs et Partisans. Il met au point des boites de déraillement pour les chemins de fer et invente une valise explosive, il fabrique également des boites incendiaires, etc. Jeanne transporte des armes, de la dynamite, assure la liaison entre lui et les deux autres responsables (le politique, le militaire) de la région Ile-de-France. Ils ont confié leur fils, qui a trois ans et demi, à la sœur de Jeanne.

L’arrestation

Le 15 décembre 1942, Maurice et Jeanne Alexandre arrivent par des chemins différents à la porte des Lilas, à Paris 20e, où ils ont rendez-vous à 11 heures du matin avec Suzanne Lasne, qui doit leur présenter une camarade de la M.O.I. [3] Ils attendent quelques minutes. Suzanne Lasne ne parait pas. Ils sont sur le point de faire retraite quand des policiers, en nombre et en force, les cernent. Suzanne Lasne a été arrêtée la veille…

Les policiers découvrent le domicile clandestin des Alexandre : 400 kilos de dynamite. [4]. Les arrestations ne s’arrêtent pas là : trente-trois combattants tombent en même temps.

De la Préfecture de Police à Compiègne

Jeanne et Maurice Alexandre rejoignent Suzanne Lasne à la préfecture de police. Ils y sont interrogés sans relâche. Jeanne est dans une pièce, Maurice dans une pièce voisine. Des policiers le torturent pendant des heures, plusieurs fois par jour, tandis que d’autres disent à Jeanne : « Vous l’entendez ? C’est votre mari. Vous feriez mieux de parler si vous voulez qu’on arrête. »

Ni l’un ni l’autre ne dit rien ; personne de leur groupe ne parle.

Pendant ces neuf jours à la préfecture, Maurice Alexandre, menottes aux poignets, chaînes aux chevilles, est attaché au mur par une chaîne qui le tient à la ceinture.

Le 24 décembre, ils sont transportés au quartier allemand de la Maison d’arrêt de Fresnes [1] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-II) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Jeanne Alexandre y est enregistrée sous le matricule 31779. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation de Jeanne Alexandre a été retrouvée).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive).

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Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Fin février, épuisée par la dysenterie, Jeanne Alexandre est admise au Revier [5]

Elle meurt à Auschwitz le 8 mars 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp, quatre semaines après l’arrivée à Birkenau. Elle a trente-et-un ans.

La déportation de Maurice Alexandre

Maurice Alexandre reste enchaîné dans une cellule de Fresnes, au secret, jusqu’au départ pour le KL Struthof, en Alsace annexée, le 9 juillet 1943 [6]. Trois mois plus tard, il est transféré au KL Dachau. En juin 1945, il rentre en France, mutilé. Il apprend la mort de sa femme par les rescapées du convoi à la fin de 1945.

Jeanne Alexandre est homologuée adjudant dans la Résistance intérieure française (R.I.F.). Son mari, non sans peine, obtient pour elle une carte de déportée résistante.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 24.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 21 (13816/1943).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 7-02-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Saint-Denis et Fresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Eaubonne : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[3] M.O.I. : main-d’œuvre immigrée, organisation des FTP spécifique aux étrangers, les regroupant par langues dont l’espagnole yidiche).

[4] La dynamite des FTP : volée dans une carrière d’Argentan avec la complicité du gardien et transportée par petites quantités à la fois à Paris.

[1] (Val-de-Marne).

Le 23 janvier 1943, Jeanne en est extraite pour rejoindre au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise) les femmes qui seront déportées le lendemain matin.

Le 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL[[ KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[5] Revier, selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.

[6] De Fresnes au Struthof : ils étaient cent soixante-douze à partir ce jour-là, sept ont survécu