- Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.
Jean, Maurice, François, Toussaint naît le 10 décembre 1922 à Soissons (Aisne – 02), fils de Maurice Toussaint et de Marie-Louise Pata, son épouse. Il a (au moins) un frère plus jeune, Marceau.
Il fait partie de la promotion 1936-1939 des apprentis cheminots du centre de formation de Tergnier, en même temps que Charles Lépine. À Auschwitz, il se déclarera chaudronnier (Kesselschmied).
Au moment de son arrestation, il est domicilié chez sa mère (?), au 73, rue Anatole France à Vouël [1] (02). Il vit en concubinage (?) avec Fortuna Bao ; ils ont deux enfants.
Jean Toussaint est cheminot. Après l’interdiction du Parti communiste, à une date et dans des circonstances restant à préciser, il est licencié par la direction de la SNCF.
Il est manœuvre (dans quelle entreprise ?).
En septembre 1940, au retour de l’exode, trois militants de Tergnier – Paul Caille, Marcel Gouillard et Anselme Arsa – créent un “triangle” de direction pour réorganiser le PCF clandestin. En décembre, Anselme Arsa et Fernand Bouyssou recrutent Roger Debarre – qui n’est pas communiste – afin que celui-ci constitue des groupes de jeunes à Quessy-centre et, plus largement, dans le secteur de Tergnier.
À une date inconnue, Charles Lépine rejoint un de ces groupe de jeunes, placé sous les ordres de Fernand Bouyssou.
Peu avant le 1er mai 1942, le groupe ternois, alors dirigé par Anselme Arsa, décide d’organiser une journée d’action en pavoisant les rues avec des oriflammes accrochés dans les lignes téléphoniques.
Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, la brigade de gendarmerie est « alertée sur une distribution de tracts ». Une patrouille surprend Jean Toussaint et Charles Lépine, « porteurs de banderoles rouges ornées de la faucille et du marteau [ainsi que] de pots de peinture rouge. Les gendarmes récupèrent des tracts sur la voie publique et sept banderoles à Quessy et Fargniers. Une perquisition à lieu chez Toussaint… »
Cette nuit-là ou le lendemain, Fernand Bouyssou et Roger Debarre sont également arrêtés.
Ainsi qu’en rend compte le commissaire de la ville, l’effort de propagande n’est pas resté sans effet : « Soirée animations inaccoutumées à Tergnier : vers 18 heures, de nombreuses personnes sont passées devant la mairie […] répondant ainsi à l’initiative de la radio anglaise et de tracts : 800 personnes en une heure de temps. Une délégation d’employés SNCF est reçue en mairie. À 18h30, un rassemblement d’une trentaine d’hommes est dispersé place de la mairie »
Le 2 mai, Jean Toussaint est écroué avec ses camarades à la Maison d’arrêt de Laon (02). Le 6 mai, la Cour spéciale d’Amiens prononce un jugement condamnant Fernand Bouyssou à trois ans d’emprisonnement et à 1200 francs d’amende, et Jean Toussaint, Roger Debarre et Charles Lépine chacun à un an d’emprisonnement et à 1200 francs d’amende.
Remis aux autorités d’occupation à leur demande, Jean Toussaint est transféré au quartier allemand de la prison le 21 mai, comme Charles Lépine, puis aussitôt interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre le 6 mai et la fin juin 1942, Jean Toussaint est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
- Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Jean Toussaint est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46265 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée). Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Jean Toussaint est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.
- Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.
Au début d’octobre 1942, Roger Debarre, malade, est admis à l’infirmerie du camp, au Block 21. Ayant appris que d’autres Français s’y trouvent, il parcourt les chambrées jusqu’à retrouver son compagnon d’arrestation, Jean Toussaint. « Travaillant dans un très mauvais Kommando (canalisation), un drain lui tomba sur la jambe et la lui cassa en plusieurs endroits. Laissé sur le chantier jusqu’à la rentrée duKommando dans le camp, il fut ensuite transporté à l’infirmerie où il resta encore quelque jours sans soins ; là, sa jambe empira et commença à pourrir ; c’est dans cet état que je le trouvais. Par la suite, son état empira encore et un jour, après une révision pour les chambres à gaz [2], je le vis partir en camion, en chemise, pour Birkenau. Ce départ équivalait à la mort. (…) Les derniers mots que j’ai pu entendre de mon camarade (…) sont : “Vive la France, au revoir les copains et courage.” (…) Je jure sur l’honneur que tous les faits, ici écrits, sont la parfaite vérité. ».
Jean Toussaint meurt à Auschwitz le 30 octobre 1942, d’après les registres du camp. Il n’a pas encore vingt ans. L’acte de décès indique pour cause mensongère de sa mort une « faiblesse cardiaque et circulatoire » (Hertz und Kreislaufschwäche).
Après la guerre, le Conseil municipal de Vouël donne le nom de Jean Toussaint – associé à celui de son frère Marceau – à la rue où ils habitaient. Il s’agit très probablement de Marceau, Michel, Toussaint, né le 27 juin 1926 à Guisny Cité (…ou Guise ?) (02), engagé après la libération jusqu’à la victoire, intégré comme soldat au 24e Bataillon de Marche de la première division française libre, mort pour la France le 11 janvier 1945 lors de la bataille d’Obenheim (Bas-Rhin) au cours de laquelle cette unité est anéantie en défendant Strasbourg d’une contre-offensive allemande.
Leurs deux noms sont inscrits sur le monument aux morts de Vouël : « A nos enfants morts pour la France 1914-1918 1939-1945 ».
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Jean Toussaint (J.O. du 3-01-2001).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 140, 360 et 421 ; citant notamment le témoignage de R. Debarre écrit à Quessy le 4 février 1946.
Gérard Parramon, site Les apprentis du rail…
Alain Nice, La guerre des partisans, Histoire des Francs-tireurs partisans français, Histoire de la Résistance ouvrière et populaire du département de l’Aisne, édition à compte d’auteur, janvier 2012, pages 18-19, 25, 48. (commande à adresser à Alain NICE – 9 rue de la Tour du Pin – 02250 BOSMONT-SERRE).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1253.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès du camp (n° 38147/1942).
Site Mémorial GenWeb, Vouël-02, relevé de Didier Mahu et Stéphane Protois (09-2007).
Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Jean Toussaint, cote 21 P 544 868, recherches de Ginette Petiot (message 01-2014).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 3-03-2014)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Vouël : depuis le 1er janvier 1974, cette commune est intégrée à celle de Tergnier.
[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.