Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Jean, Robert, Gabriel, Ernest, Raynaud naît le 12 août 1906 à Saintes (Charente-Inférieure / Charente-Maritime [1]), chez ses parents Jean Théodore Raynaud, 44 ans, mécanicien pour la Compagnie de chemin de fer de l’État, et Gabrielle Chagneaud, 32 ans, son épouse, domiciliés au 69 rue Saint-Pallais. À sa naissance, Jean a deux frères, Alexandre, né en 1895, Charles, né en 1897, et une sœur, Laure, née en 1898, tous les trois à Saintes.

Leurs parents décèdent prématurément…

Le 21 juin 1927, à Saintes, Jean Raynaud, âgé de 20 ans, alors ajusteur, épouse Marthe Andrée Thenaud, née le 11 décembre 1905 à Saintes. Ils ont deux enfants : Michelle, Raymonde, née le 22 novembre 1927 à Saintes, et Claude, né en 1929 à Nantes.

En 1931 et jusqu’au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 9 de la 34e rue dans la cité Halvêque à Nantes (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique [2]), cité ouvrière constituée de petites maisons en bois (type Bessonneau) édifiée après 1920 pour les ouvriers de la Société des Batignolles de Construction (construction et réparation de locomotives), à Saint-Joseph-de-Portricq.

Un bâtiment de l’usine des Batignolles, spécialisée dans  la construction de locomotives « à grande puissance ».  Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Un bâtiment de l’usine des Batignolles, spécialisée dans la construction de locomotives « à grande puissance ».
Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Jean Raynaud y travaille comme contrôleur d’usine, puis comme ajusteur.

Le 4 juillet 1941, après une première vague d’arrestations opérée le 23 juin [3] dans l’agglomération de Nantes par la police militaire allemande (GFP), le commissaire central de Nantes donne à celle-ci (qui l’a demandée) une liste de neuf « ex-militants communistes » où figure le nom de Jean Raynaud avec ceux d’Alphonse Filloleau et André Lermite.

Le 9 juillet, Jean Raynaud est arrêté et « conduit aussitôt au camp du Champ de Mars » [4], avec quatre autres « militants communistes » dont A. Filloleau et A. Lermite.

Nantes. La salle des fêtes du Champ de Mars. Est-ce l’endroit où ont été rassemblés les militants arrêtés en juillet 1942 ? Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Nantes. La salle des fêtes du Champ de Mars.
Est-ce l’endroit où ont été rassemblés les militants arrêtés en juillet 1942 ?
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Au cours du même mois, Jean Raynaud fait partie d’un groupe d’internés transférés au camp français de Choisel à Châteaubriant (44). (possible vu la proximité, mais à confirmer).

Remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Raynaud est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Raynaud est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 46037, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Jean Raynaud.

Il meurt à Auschwitz le 25 août 1942,  selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [5].

Sur les dix “45000” de Loire-Atlantique, il n’y eut que deux rescapés : Eugène Charles, de Nantes, et Gustave Raballand, de Rezé.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Jean Raynaud (J.O. du 8-03-1997).

Notes :

[1] Charente-Maritime : département dénommé “Charente-Inférieure” jusqu’en septembre 1941.

[2] Loire-Atlantique : département dénommé “Loire-Inférieure” jusqu’en mars 1957.

[3] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[4] Le « camp du Champ de Mars » : s’agit-il de la salle des fêtes, également dénommée « Palais du Champ de Mars » ? (à vérifier…)

[5] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans lesannées qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Jean Raynaud, c’est 15 novembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 365 et 418.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : témoignage d’Eugène Charles (45354), de Nantes – Liste de l’Abwehr à la Kommandantur de Nantes datée du 19 mars 1942 et portant l’indication « Gaullistes et communistes de Nantes » : Jean Raynaud y figure avec le numéro 1250 – Archives allemandes concernant le camp de Châteaubriant.
- Archives municipales de Nantes, site internet : listes électorales 1934-1945 (Olives-Rivi, p. 284), recensement de 1936, canton 2, p 1048 (2 v. 243).
- Le  Collectif Batignolles de la Fédération des Amis de l’Erdre.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 988 (24908/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 27-06-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.