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En juillet 1932… 
Collection Bénédicte Le Mouël-Bakhouche. 
Droits réservés.

Jean, Louis, Le Mouël naît le 7 janvier 1909 à Plouay (Morbihan – 56), fils de Louis Le Mouel, 49 ans, retraité, et de Marie Jaouen, son épouse, 41 ans, ménagère.

Après avoir obtenu son Certificat d’études primaires, le 20 juin 1921, à 12 ans et demi, Jean Louis Le Mouël prolonge sa scolarité d’un an en suivant le Cours complémentaire, puis entre en apprentissage comme charron.

Encore jeune, il arrive dans la capitale où sa spécialité – le travail du bois – lui permet de trouver un emploi aux usines Renault de Boulogne-Billancourt.

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Boulogne-Billancourt. Place Jules-Guesde. 
Carte postale écrite le 16 novembre 1942. Coll. Mémoire Vive.
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Jean Louis Le Mouël est à gauche, portant chapeau. 
Collection Bénédicte Le Mouël-Bakhouche. 
Droits réservés.

Le 11 juillet 1928, à la mairie du 15e arrondissement de Paris, Jean Louis Le Mouël, charron, épouse Marie Le Blevec, née en Bretagne le 13 novembre 1907, cuisinière. À l’époque, la loi les considère encore comme mineurs. Ils auront deux enfants : un fils, Gilbert, né le 29 février 1929 à Paris 15e, et une fille, Gisèle, née le 30 juillet 1931 à Paris 12e.

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Jean-Louis tenant Gisèle dans ses bras, Marie et Gilbert, 
le 10 juillet 1932. Collection Bénédicte Le Mouël-Bakhouche.
Droits réservés.

Pendant un temps, la famille est domiciliée à Fontenay-sous-Bois [1] (Val-de-Marne – 94), d’abord avenue Victor-Hugo, puis au 35, boulevard de Verdun. Le père loue un petit jardin ouvrier à Montreuil, commune voisine, où il emmène ses enfants.

Jean Louis Le Mouël adhère au Parti communiste. Son épouse ne partage pas ses convictions ; ses propres parents non plus.

Militant syndical à la CGT, il est engagé dans les événement du Front populaire, désignant les Croix de Feu comme adversaires.

Dans cette période (mai-juin 1936 et/ou novembre 1938 ?), il participe à l’occupation de son entreprise. Licencié, il est inscrit sur les « listes noires » du patronat. Après une courte période de chômage (?), il suit une formation d’ajusteur de précision. Son nouveau CAP lui permet de “brouiller les pistes” et de se faire oublier : il retrouve du travail chez Morane-Saulnier, constructeur aéronautique à Puteaux.

Après la fin juillet 1937, peut-être pour se rapprocher de son emploi, la famille déménage au 181, rue de Verdun à Suresnes[<1>] (Hauts-de-Seine – 92), dans d’anciennes étables transformés en appartements, bruyants et insalubres.

À la suite de la déclaration de guerre du 3 septembre 1939, Jean Louis Le Mouël est mobilisé comme « affecté spécial » dans son entreprise qui produit pour la Défense nationale.

Sous l’occupation, il change d’employeur : l’usine d’aviation Morane-Saulnier où il travaille est alors étroitement contrôlée par l’armée allemande et la Gestapo [2]. Jean Louis Le Mouël est embauché par l’entreprise Saurer [3] de Suresnes qui fabrique des camions. Mais cette usine produira bientôt elle aussi pour l’occupant et sous son contrôle.

Jean Louis Le Mouël est actif dans la clandestinité : il reçoit ou transmet des paquets à des intermédiaires, il sort le soir pour rentrer à la nuit ; avec une « imprimette » à caractères mobiles, il fabrique des « papillons » qu’il colle à l’extérieur, notamment aux arrêts d’autobus. À plusieurs reprises, et malgré la vive opposition de son épouse, il se fait assister par son fils Gilbert, 12 ans, qui dissimule pinceau et pot de colle sous sa pèlerine.

Le 25 avril 1941, dans la matinée, Jean Louis Le Mouël est arrêté pour propagande et distribution de tracts, dans la même période que d’autres membres de son groupe. Selon une rumeur non vérifiée, ils auraient été dénoncés par la femme de l’un d’entre eux désireuse de se venger d’un mari volage.

Le jour de son arrestation, Marie, son épouse, évite que leurs enfants soient présents, craignant sans doute qu’ils trahissent involontairement leur père en répondant naïvement à une question des policiers. Elle obtient que sa fille, Gisèle, sorte sous prétexte d’aller chercher du pain, et celle-ci intercepte – au niveau de la rue des Bas-Rogers – son frère qui revient de sa matinée d’école. La perquisition des policiers ne leur permet pas de trouver l’ « imprimette » qui est cachée sous le charbon de la cave, située à l’autre bout de la cour.

Le lendemain, Gilbert se rend au commissariat de Puteaux (92) pour porter un peu de nourriture à son père. Il le découvre souffrant, avec des traces de coups sur le visage.

Le 29 avril, inculpé d’infraction au décret du 26-09-1939, Jean Louis Le Mouël est écroué à la Maisond’arrêt de la Santé (Paris 14e).

Son épouse et son fils peuvent lui rendre visite au parloir. Quand les gardiens leur tournent le dos lors de leurs rondes, et alors que sa mère fait le guet, Gilbert parvient à tendre une baguette de pain à son père à travers les croisillons qui les séparent. Celle-ci contient également de l’argent permettant d’acheter de la nourriture complémentaire à la « cantine » de la prison. L’opération sera réitérée lors d’autres visites.

En juin 1941, Gilbert, qui va à l’école dans le haut de Suresnes, obtient son Certificat d’études.

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Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er. 
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée. 
(montage photographique)

Le 18 août, la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine condamne Jean Louis Le Mouël à 10 mois d’emprisonnement.

Le 23 août, il est transféré à la Maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne – 94), où sa famille vient également le voir, usant des mêmes stratagèmes pour le ravitailler.

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La maison d’arrêt de Fresnes après guerre. 
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Mais une radiographie fait apparaître que Marie a une « tache au poumon ». Elle a contracté la tuberculose et il lui faut aller se faire soigner dans un sanatorium, à Hauteville, dans l’Ain.

L’Assistance Publique prend en charge les enfants et les envoie en « préventorium » [4] : Gilbert à la Queue-en-Brie et Gisèle à Glaye, dans l’Orne. La famille est dispersée.

Jean Louis Le Mouël est libérable le 14 décembre 1941, mais le directeur de la prison de Fresnes rappelle à la direction des Renseignements généraux que « le commandant des forces militaires allemandes en France a ordonné que la libération des Français de sexe masculin arrêtés pour activité communiste ou anarchiste ne pourra être effectuée sans son accord ».

Le 26 mars 1942, le préfet de police de Paris signe un arrêté ordonnant l’internement administratif Jean Le Mouël (à quoi tient ce délai ?). Pendant un temps, celui-ci est détenu au dépôt de la préfecture de police (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité). Il s’y trouve en même temps qu’Yvan Hanlet : la famille de Jean Louis Le Mouël conserve un portrait dessiné à la date du 24 mars – probablement le sien – avec la mention du nom de son camarade.

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Sans qu’il puisse y avoir de certitude absolue, 
il est permis de penser qu’il s’agit d’un portrait 
de Jean Louis Le Mouel par Yvan Hanlet. 
Droits réservés.

Le 16 avril, Jean Louis Le Mouël fait partie d’un groupe de détenus enregistrés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir – 28), où il reçoit le matricule n° 89.

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Entrée du camp de Voves. 
Date inconnue, probablement après mars 1943.

Le 10 mai 1942, il fait partie des 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par laWehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

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La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers 
bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, 
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. 
À l’arrière plan, sur l’autre rive de l’Oise, 
l’usine qui fut la cible de plusieurs bombardements 
avec “dégâts collatéraux” sur le camp. 
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, Jean-Louis Le Mouël est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises.

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Les deux wagons à bestiaux 
du Mémorial de Margny-les-Compiègne, 
installés sur une voie de la gare de marchandise 
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Son épouse sera avisée de son transfert vers un autre camp par la carte-formulaire envoyée à certaines famille par l’administration militaire du camp le 16 juillet. Elle en informera ses enfants.

Le 8 juillet, Jean-Louis Le Mouël est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45781, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

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Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. 
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différentsKommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté Jean-Louis Le Mouël.

Il meurt le 27 octobre 1942, d’après les registres du camp [5].

Après la libération, quand les premiers prisonniers de guerre, requis du S.T.O. et déportés reviennent par la Gare de l’Est, Marie Le Mouël s’y rend plusieurs fois à la recherche de son mari.

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La gare de l’Est à Paris, point d’arrivée de nombreux rapatriés 
d’Allemagne, dont des déportés rescapés. 
Des familles y ont guetté en vain le retour de leur proche. 
Carte postale d’après guerre. Collection Mémoire Vive.

Elle multiplie les démarches administratives pour connaître son sort, jusqu’à ce que l’administration lui notifie officiellement, par présomption, sa disparition. Il semble qu’elle puisse ensuite en obtenir confirmation par le témoignage d’un rescapé, coiffeur de métier et habitant Saint-Cloud, qui l’aurait connu.

Entre temps, l’Assistance Publique a placé les deux enfants ensemble dans des familles à Salies-de-Béarn (Pyrénées-Atlantiques).

Jean Louis Le Mouël est homogué au titre de la Résistance Intérieure Française pour son appartenance au Front national, avec le grade fictif de sergent (6-07-1949). Le titre de Déporté Résistant lui est refusé et son épouse n’obtient pour lui que la carte de Déporté politique.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 17-08-1994).

Marie Le Mouël, son épouse, décède en 1998, n’ayant jamais « refait sa vie ».

Dans les années 1990, son fils Gilbert entre en contact avec l‘amicale d’Auschwitz et André Montagne par l’intermédiaire de sa propre fille, Bénédicte.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 384 et 410. 
- Gilbert Le Mouël, Informations complémentaires concernant mon père…, quatre pages dactylographiées, Yerres, 13 mars 1993 ; document transmis par…. 
- Bénédicte Le Mouël-Bakhouche, petite-fille de Jean-Louis Le Mouël (fille de Gilbert), nombreuses corrections, photographies et documents (messages 03-2012). 
- Archives Départementales du Val-de-Marne, Maison d’arrêt de Fresnes, dossier des détenus “libérés” du 1er au 19-12-1941, cote 511w27. 
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94), carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes (7413). 
- Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir. 
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 834 (37766/1942), « Mouel Le ».

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 31-03-2012)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Fontenay-sous-Bois et Suresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert effectif en janvier 1968).

[2] Morane-Saulnier. L’entreprise fabriqua des avions pour l’occupant, dont le Fieseler Fi 156.

[3] Saurer, entreprise suisse fondée en 1863 et produisant des camions au début du 20e sicle. En 1910, sa filiale française, Automobiles Industriels Saurer, rachète l’usine de Darracq-Serpollet à Suresnes, 67 avenue de Verdun. En crise dans les années 1950, l’entreprise sera rachetée par Unic, autre fabricant de camions.

[4] Un préventorium était un établissement pour des patients supposés infectés par la tuberculose, mais n’ayant pas encore la forme active de la maladie. Nombreux au début du 20e siècle, ils étaient conçus pour isoler ces patients aussi bien des individus non-infectés que des malades présentant des symptômes visibles ; la tuberculose est une maladie très contagieuse. (source : Wikipedia

[5] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France :

Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Jean-Louis Le Mouël, c’est le 31 décembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.