Jean, Émile, Bach naît le 21 juillet 1916 à Savigny-sur-Orge [1] (Seine-et-Oise / Essonne – 93), fils de Charles Bach et d’Agnès Guyard. Il a cinq sœurs et frères, dont un mort à 25 ans, des suites de son service militaire [?].

Au moment de son arrestation, Jean Bach est domicilié chez ses parents au 40, rue Gounod à Savigny-sur-Orge. Il est célibataire.

Il est monteur en chauffage central, métier probablement à l’origine d’un « signe particulier » : une cicatrice de brûlure au coude gauche.

Il n’est membre d’aucun parti.

Il est mobilisé après la déclaration de guerre, mais n’étant pas fait prisonnier, il rentre chez lui après la débâcle.

Sous l’occupation, il travaille chez son cousin, Albert Bach, né le 12 février 1900 à Paris et domicilié au 30, rue Victor-Hugo à Savigny, marié avec deux enfants, employé du chemin de fer. Militant communiste chevronné, responsable de cellule ayant été à Moscou, celui-ci avait-il alors été révoqué pour son engagement politique ?

Il semble qu’un soir Jean Bach ramène quelques tracts au domicile familial et qu’il en donne au moins un exemplaire à son père, que celui-ci apporte le lendemain dans un bistrot qu’il fréquente. Le marchand de vin les dénonce, lui et son fils. Un commissaire de police perquisitionne leur domicile et trouve les autres tracts rangés dans un tiroir ; L’Humanité numéro spécial « Un an après » et n° 75.

Le 24 septembre 1940, Jean et Albert Bach sont arrêtés pour distribution et détention de tracts communistes.

Après avoir été jugés et condamnés par le tribunal militaire allemand de Versailles, ils sont écroués à la Maison d’arrêt de Pontoise, où ils purgent une peine de quatre mois d’emprisonnement. Ils doivent être libérés le 3 février 1941.

Mais, le 4 février, inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (interdiction du Parti communiste et de sa propagande), ils sont écroués sous mandat de dépôt à la Maison d’arrêt de Corbeil (93). De son côté, le 14 février, le préfet de Seine-et-Oise signe « à leur encontre un arrêté de résidence obligatoire »… dans leur commune de Savigny-sur-Orge.

Corbeil. À gauche, la maison d’arrêt, à droite, le Palais de Justice. Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive

Corbeil. À gauche, la maison d’arrêt, à droite, le Palais de Justice.
Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive

Le 31 mars, les cousins Bach comparaissent devant le tribunal correctionnel de Corbeil qui les condamne chacun à quatre mois d’emprisonnement pour le même motif.

Le 4 mai, à l’expiration de cette seconde peine, les deux hommes ne sont toujours pas libérés : deux jours auparavant, le préfet de Seine-et-Oise a ordonné au secrétaire de la police de Versailles de les conduire au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), un camp créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement. Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement.
Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.

Le 19 mai, la mère de Jean Bach écrit au préfet de Seine-et-Oise pour expliquer l’affaire de son fils et solliciter sa libération.

Le 29 juillet, Jean Bach est transféré à l’hôpital de Magny-en-Vexin, « pour une maladie au sang » (pyodermite généralisée ; un autre document indique « une gale particulièrement évoluée… ») après s’être engagé à ne pas quitter l’établissement. Le 15 août, sa mère lui rend visite.

Le 17 août, il est ramené au camp d’Aincourt, suite à l’évasion du jeune Jacques Pain de l’hôpital de la prison de Mantes, survenue le jour-même.

Le lendemain, Jean Bach écrit lui-même au préfet de Seine-et-Oise pour solliciter sa libération, en expliquant notamment qu’il est soutien de famille pour ses parents très âgés (73 et 69 ans en février 1942).

Le 6 septembre 1941, Jean et Albert Bach sont parmi les détenus d’Aincourt transférés au camp français (Centre d’internement administratif) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

La mère de Jean Bach lui rend visite à Rouillé. Il a perdu treize kilos depuis leur entrevue précédente et « a des boutons sur tout le corps ».

Le 8 mars 1942, le commissaire de police de Savigny-sur-Orge répond à une demande d’enquête : « Il semble qu’en raison du peu de ressources de ses parents, une mesure de bienveillance pourrait être prise à l’égard du jeune Bach Jean ».

Le 18 mars 1942, Jean Bach est parmi les treize “jeunes” communistes « extraits par les autorités allemandes et transférés, pour des raisons qui n’ont pas été indiquées » au camp de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; tous sont de futurs “45000”, sauf André Giraudon, de Bourges, fusillé au Mont-Valérien le 9 mai 1942.

Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central dont l’ombre se profile sur le sol. Le renfoncement à droite dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Un angle du camp de Royallieu vu depuis le mirador central dont l’ombre se profile sur le sol.
Le renfoncement à droite dans la palissade correspond à l’entrée du Frontstalag 122.

Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Bach est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Jean Bach est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46217 (ce matricule sera tatoué sur son bras gauche quelques mois plus tard ; aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jean Bach est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « ARBEIT MACHT FREI » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

À une date restant à préciser, il y est admis au bâtiment de chirurgie (Block 21) de l’hôpital des détenus.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur des femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur
des femmes détenues – et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel – qui découvre leur présence -, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Jean Bach est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 28 août 1944, il est dans le petit groupe de trente-et-un détenus dont vingt-neuf “45000” transférés à Flossenburg (Haut-Palatinat bavarois, proche de la frontière tchèque), un Kommando de Buchenwald, et enregistrés dans ce camp le 31 août.

Le 11 octobre 1944, il est transféré (seul “45000”) à Legenfeld – autre Kommando de Buchenwald (entreprise LENG).

Là, Jean Bach disparaît : on ignore la date et les circonstances de sa mort. L’état civil français a fixé celle-ci au 1er juin 1944 (à Auschwitz !).

(Jean Bach est le seul “45000” de Savigny-sur-Orge)

Albert Bach a été libéré du camp de Rouillé le 25 juin 1943.

Notes :

[1] Savigny-sur-Orge : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 346 et 349, 380 et 394.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris) ; cartons  “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt (1W76), dossier individuel (1W97) ; police de Seine-et-Oise, rapports journaliers (300w20).
- Liste des 88 internés d’Aincourt (domiciliés dans l’ancien département de Seine-et-Oise) remis les 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation, et liste Internés de Seine-et-Oise à la suite d’une mesure prise par le préfet de ce département, ayant quitté le centre d’Aincourt, documents communiqués par Fernand Devaux (03 et 11-2007).
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 5-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.