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Photo anthropométrique prise le 7 mars 1942
par le service de l’identité judiciaire.
© Archives de la Préfecture de Police (APP), Paris.

Henriette Caillot vient au monde le 22 octobre 1906, à Vitry-sur-Seine [1], dans une famille nombreuse. Ses parents sont maraîchers.

Henriette épouse Léon Mauvais, né le 31 janvier 1902 à Varennes-en-Argonne (Meuse), veuf en 1924 d’un premier mariage. Tourneur à la Compagnie parisienne de distribution d’électricité, c’est un militant syndical et politique aguerri (révoqué de la CPDE en 1928 et réintégré en 1937). En mai 1935, il est élu conseiller municipal communiste du quartier Plaisance dans le 14e arrondissement de Paris, secrétaire du groupe communiste.

Mobilisé, Léon Mauvais rejoint son régiment, le 415e pionniers, qui est dirigé sur l’Alsace. Henriette, quitte Paris avec leurs deux filles pour Plurien, près de Fréhel (Côtes-d’Armor).

Léon Mauvais est déchu de son mandat en janvier 1940. Après la débâcle de mai-juin 1940, il est démobilisé à Oradour-sur-Vayres (Haute-Vienne) et retrouva sa famille, repliée dans le Puy-de-Dôme.

Tous remontent ensuite à Paris.

La Résistance

Début octobre (le 6 ou le 8 ?), Léon Mauvais est arrêté avec d’autres communistes. Interné en différents lieux, il est finalement dirigé sur la centrale de Fontevrault (Maine-et-Loire) avec une centaine d’autres militants, dont Fernand Grenier. Début 1941, ils sont transférés à Clairvaux (Aube), puis au camp de Choisel à Châteaubriant (Loire-Atlantique).

Le 19 juin 1941, Léon Mauvais réussit à s’évader de ce camp avec Fernand Grenier, Eugène Hénaff et Henri Raynaud.

Le Parti communiste le désigne comme un des responsables politiques de la zone sud où il arrive fin juillet-début août.

Henriette veut l’y retrouver et se fait prendre à la ligne de démarcation. Elle est écrouée un mois de prison à Nevers (Nièvre) sous un faux nom (elle avait ses papiers véritables dans son corset…). Sa peine purgée, elle regagne Paris.

Elle sert alors d’agent de liaison à son mari dans la région parisienne, confiant ses deux filles à des amis.

L’arrestation

Le 3 mars 1942, elle est arrêtée dans le quartier de Charonne (Paris 20e) où elle allait voir ses enfants.

Détenue et interrogée aux renseignements généraux jusqu’au 10 mars, elle est ensuite conduite au dépôt de la préfecture de police (la Conciergerie, sous le Palais de Justice, dans l’île de la Cité).

Le 23 mars, elle est conduite à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), isolée « au secret ».

Le 24 août 1942, Henriette Mauvais fait partie des détenues – dont trente-quatre seront déportées avec elle – transférées au camp allemand du fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis), gardé par la Wehrmacht. Elle y est enregistrée sous le matricule n° 675.

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Le 22 janvier 1943, elle est parmi les cent premières femmes otages qui sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.

Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Henriette Mauvais y est enregistrée sous le matricule 31674. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Henriette Mauvais a été retrouvée, puis identifiée par des rescapées à l’été 1947).

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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943,
selon les trois vues anthropométriques de la police allemande.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” [2] du 10 février (une sélection punitive).

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Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le 24 février, Henriette Mauvais entre au Revier [3] comme nettoyeuse. Elle y attrape le typhus, s’en remet, puis manque mourir d’un empoisonnement dont elle ne saura jamais la cause.

Le 3 août 1943, la “quarantaine” la sauve, elle aussi.

Ravensbrück et Mauthausen

Le 2 août 1944, Henriette Mauvais fait partie des trente-cinq “31000” transférées au KL Ravensbrück où elles arrivent le 4, la plupart étant enregistrée comme détenues “NN” (pas de travail hors du camp, pas de transfert dans un Kommando).

Le 2 mars 1945, Henriette Mauvais est parmi les trente-trois “31000” transférées au KL Mauthausen où elle arrivent le 5 mars après un voyage très pénible.

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Mauthausen. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

En les transportant de nuit, on conduit la plupart d’entre-elles à la gare de triage d’Amstetten pour boucher les trous d’obus et déblayer les voies quotidiennement bombardées par l’aviation américaine (trois “31000” seront tuées sous les bombes).

Le 22 avril 1945, Henriette Mauvais fait partie des trente “31000” prises en charge par la Croix-Rouge internationale et acheminées en camion à Saint-Gall en Suisse. De là, elles gagnent Paris par le train où elles arrivent le 30 avril, veille du 1er mai 1945, pour le défilé. C’est le groupe le plus important de “31000” libérées ensemble, c’est le “parcours” le plus partagé.

Henriette Mauvais décède le 13 janvier 1970 d’une embolie cérébrale.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 194.
- Michel Dreyfus, René Gaudy, notices biographiques sur le site du Maitron en ligne, Dictionnaire biographique de mouvement ouvrier.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 26-05-2012)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Vitry-sur-Seine et Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] La « course » par Charlotte Delbo : Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.

 

Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. «  En arrivant à la porte, il faudra courir.  » L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, II fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté. Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.

 

Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire. La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)

[3] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.