Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Georges Teulon naît le 28 février 1911 à Paris 12e, chez ses parents, Auguste Teulon, 24 ans, découpeur, et Jeanne Jouanne, 20 ans, couturière, son épouse, domiciliés au 66, avenue Daumesnil à Paris 12e.

En 1917, la famille emménage quelques pas de porte plus loin, au 93, avenue Daumesnil.

Au moment de son arrestation, Georges Teulon habite toujours avec ses parents. Il est célibataire.

En 1930, livreur aux Grands Magasins du Louvre, il en est licencié après quelques mois pour détérioration de marchandises avant leur livraison.

Le 25 octobre 1933, il entre comme ouvrier mouleur aux Établissements Kalker, Manufacture générale de caoutchouc et d’ébonite [1], sis 52, rue des Bruyères et 8, rue de Paris aux Lilas. Militant syndical CGT, il est élu délégué suppléant du personnel ouvrier de son entreprise en 1937.

Le 2 septembre 1939, Georges Teulon est mobilisé. Le 26 décembre, il est classé dans l’ “affectation spéciale” au sein de son usine, considérée comme produisant pour la Défense nationale. Lors de la réouverture des ateliers après l’exode, considéré comme un bon élément et un ouvrier sérieux, Georges Teulon est l’un des premiers ouvriers convoqués pour reprendre le travail.

Pourtant, en août 1941, la direction constaterait que son équipe de travail a un rendement inférieur aux autres, lui imputant ce freinage dans la production, ainsi que le bris d’outils et de moules, bien qu’« aucun fait positif » ne puisse être relevé contre lui. Le 23 août, M. Schmitt, directeur de l’entreprise se rend au commissariat de police de la circonscription des Lilas pour demander l’internement de son employé. Le commissaire signale alors celui-ci comme « susceptible d’avoir été » membre du Parti communiste et d’avoir encore la confiance des ex-leaders de ce parti. Dès lors, Georges Teulon est « considéré comme suspect au point de vue national ».

Le 10 octobre 1941, il est arrêté à son domicile par deux policiers en civil ; l’appartement n’est pas perquisitionné. Le jour même, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939 (probablement à l’origine de cette interpellation). Il est conduit au dépôt de la préfecture de police (sous le Palais de Justice, île de la Cité), en attendant son transfert dans un camp.

Le 10 novembre, Georges Teulon fait partie des 58 militants communistes transférés du Dépôt au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne) ; il est assigné à la baraque n° 11.

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue. Au fond - de l’autre côté de la voie ferrée -, le village. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”, vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne), Fonds Amicale Voves-Rouillé-

La position de la direction de son entreprise évolue à son égard, sans doute en raison d’une forme de remord : elle lui fait parvenir des subsides à plusieurs reprises et lui envoie des étrennes à la fin de l’année 1941, se déclarant prêt à le reprendre s’il bénéficie d’une mesure de libération.

Le 27 février 1942, Georges Teulon écrit au préfet de la Seine afin de solliciter sa libération, la justifiant ainsi : « Je n’ai jamais eu aucune activité politique, n’ayant jamais appartenu ni au Parti communiste, ni au Parti socialiste. […] mon attitude auprès de mes employeurs fut toujours […] de conciliation, voulant éviter tout conflit […] Depuis la Révolution Nationale, je fus toujours un chaud défenseur de l’Ordre Nouveau et de la politique du Maréchal, que je considère comme la seule pouvant assurer l’avenir de la France ». Sa lettre est transmise à la préfecture de police le 7 mars.

Le 4 mai, le cabinet de police répond à la délégation du ministère de l’Intérieur dans les territoires occupés : « J’estime inopportune dans les circonstances actuelles la libération de ce militant qui peut être considéré comme suspect au point de vue national. »

Le 22 mai 1942, Georges Teulon fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; matricule 5959.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Georges Teulon est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46134 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Le même jour, Bussière, préfet de police, écrit au commandant allemand du département de la Seine, état-major d’administration : « Je soumets à votre appréciation le cas du nommé Teulon Georges […] D’une nouvelle enquête effectuée par mes services, il ressort que l’intéressé a surtout déployé une activité syndicaliste. Représenté comme ayant été sympathisant communiste, aucun fait positif n’a toutefois pu être relevé à son encontre. […] Dans ces conditions, je vous serais obligé de vouloir bien envisager la mise en liberté de l’intéressé et me tenir informé de votre décision. » Le 15 juillet, le commandant de la police de sûreté et du SD (Befehlshaber der Sicherheitspolizei und des SD) lui répondra : « La libération de Teulon ne peut avoir lieu pour le moment. »

À Auschwitz, après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Georges Teulon se déclare alors sans religion (« Glaubenslos »). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Georges Teulon.

Il meurt à Auschwitz le 5 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; moins d’un mois après l’arrivée de son convoi.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 2-09-2000) ; avec une date de principe (« le 11 juillet 1942 à Auschwitz (Pologne) et non le 6 juillet 1942 à Compiègne (Oise) »).

Notes :

[1] Les établissements Kalker ont été créés en 1896 par Édouard Kalker, aux Lilas.

Sources :

- Son nom (orthographié « FOULON ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 372 et 421.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central).
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : état civil du 12e arrondissement, registre des naissances, année 1911 (12N 245), acte n° 753 (vue 7/21).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 337-24569).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 173.
- Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1244 (18433/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 9-01-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.