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Gabrielle Éthis. Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Gabrielle Papillon naît le 16 janvier 1896. Elle a – au moins – un frère, Fernand Papillon, né le 13 septembre 1891 à Paris 20e.

À une date restant à préciser, elle épouse Marcel Ethis, né le 23 novembre 1894 à Montreuil-sous-Bois [1] (Seine-Saint-Denis), artisan fondeur [2] à Romainville [1] – commune voisine -, qu’elle aide dans sa petite entreprise. Ils sont domiciliés au 33, rue de la Fraternité à Romainville, l’atelier de Marcel étant attenant à leur pavillon.

Avant la guerre, ils sont sympathisants du parti communiste ; Marcel est adhérent aux Amis de l’Union soviétique. Selon Charlotte Delbo et Monique Houssin, ils hébergent des communistes allemands ayant fui l’Allemagne (Keitz, Mathias ?) suite à l’avènement de Hitler.

Le 12 mai 1935, le frère de Gabrielle, Fernand Papillon, est élu conseiller municipal communiste de Romainville (Seine) sur la liste conduite par Pierre Kérautret.

Suite à la guerre civile espagnole, les Éthis – qui n’ont pas d’enfant – adoptent une petite orpheline espagnole, Espérance Perez.

Henriette Papillon, la nièce de Gabrielle (fille de son frère Fernand), née le 5 mars 1920, s’est mariée avec un Monsieur Pizzoli. Le 29 mai 1939, ils ont une fille.

Après la déclaration de guerre, le mari d’Henriette est mobilisé. En juin 1940, il est fait prisonnier et envoyé en Allemagne.

Selon Monique Houssin, en 1941, sous l’occupation, les Éthis hébergent une imprimerie clandestine dans le sous-sol de leur pavillon (activité non mentionnée dans le Maitron ; à vérifier !).

Ente temps, devenue cartonnière (manutentionnaire chez Uclaf), engage une liaison avec un garagiste du voisinage (domicilié avenue Galliéni), Alphonse Baconier, homme marié, âgé d’une quarantaine d’années. Selon Charlotte Delbo, quand Henriette veut rompre, celui-ci, furieux, menace de la tuer. Apeurée, elle va porter plainte. Le commissaire de Romainville écoute la plaignante et, comme on lui a signalé que ce garagiste fait du marché noir, il ouvre une enquête ; peut-être pour le faire tenir tranquille.

Dans la nuit du 21 au 22 juin 1942, Louis Thorez et Henri Le Gall s’évadent du camp d’internement allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) parmi un groupe de 19 détenus. Louis Thorez se présente chez Alphonse Baconier, son beau-frère, en lui demandant de les accueillir pour quelques jours. Se disant dans l’impossibilité de les héberger, Alphonse Baconier sollicite Henriette Pizzoli sans dévoiler l’identité des deux fugitifs, qu’il présente comme des amis voulaient échapper au Service du travail obligatoire. Henriette demande à ses oncle et tante, les Éthis, de l’aider en pourvoyant chez eux à leur repas du midi. Marcel et Gabrielle acceptent pour lui rendre service, sachant qu’Alphonse Baconier continue à l’importuner et à la menacer physiquement.

Le 6 juillet, une lettre anonyme de dénonciation parvient à la police.

Le vendredi 10 juillet vers 13 h 30, quatre inspecteurs de la BS1 se présentent au 33, rue de la Fraternité. Dès qu’ils sonnent à la porte, les occupants comprennent à qui qui ils ont affaire. Louis Thorez et Henri Le Gall sautent du premier étage dans le jardin situé derrière la maison. Mais les policiers savent qu’ils sont là. La porte est forcée et les deux hommes sont maîtrisés après une brève poursuite.

Marcel et Gabrielle Éthis, Henriette Pizzoli sont également arrêtés ; seul un neveu du couple, présent lors des arrestations, est laissé libre.

Lors des interrogatoires, Henriette Pizzoli reconnait l’écriture du dénonciateur sur l’enveloppe qui lui est présentée : c’est celle de son ancien ami éconduit, Alphonse Baconier. Celui-ci est également arrêté, probablement comme complice ayant accueilli en premier les évadés puis organisé leur hébergement. La jalousie n’était pas son seul mobile, car il déclare aux policiers, lors de son interrogatoire (procès-verbal) : « J’ai toujours été foncièrement anticommuniste. […] J’étais bien décidé par pure conviction personnelle à ne pas laisser échapper Thorez et son camarade. J’avais même l’intention de ne pas les perdre de vue et de connaître éventuellement leurs liaisons. » Il a décidé de dénoncer les deux hommes après avoir apprit qu’ils s’apprêtaient à changer de “planque”.

Une fois achevée sa propre enquête, la police française livre toutes les personnes arrêtées aux autorités allemandes.

Le 22 juillet, Henriette Pizzoli est conduite – seule – au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht ; elle y est enregistrée sous le matricule n° 533. Sa tante, Gabrielle Éthis, y est transférée le 7 août (matricule n° 555). Elles sont les deux premières futures “31000” à y être enregistrées.

Le 11 août 1942, Marcel Ethis, Louis Thorez, Henri Le Gall et Alphonse Baconnier sont fusillés au fort du Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine) parmi quatre-vingt-huit otages. Le corps de Marcel Ethis est incinéré au Père Lachaise, et ses cendres inhumées au cimetière de Bagneux le 29 août (ré-inhumées dans le carré militaire du cimetière de Romainville après la guerre).

Le 21 janvier 1943, Gabrielle Éthis et Henriette Pizzoli font partie des cent premières femmes otages internées au Fort de Romainville qui sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

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Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [3] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été extraites de wagons et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Premières enregistrées au fort de Romainville, Gabrielle Éthis et Henriette Pizzoli sont les deux premières femmes du convoi enregistrées à Auschwitz, l’une sous le matricule 31625, l’autre sous le 31626. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart portant un couvre-chef (foulard), de face et de profil.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive).

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Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Gabrielle Ethis meurt tout au début (l’état civil français a enregistré son décès au 1er mars). Les rescapées ne l’ont jamais entendu faire un reproche à sa nièce.

Atteinte du typhus, Henriette Pizzoli est admise au Revier. C’est là qu’elle meurt, le 16 mai 1943 selon l’acte de décès du camp.

Sa fille est élevée par ses parents, Fernand et Henriette Papillon.

Le 11 novembre 1948, en présence de la population et du Conseil municipal de Romainville, est dévoilée une plaque commémorative apposée dans la mairie en hommage aux cent cinq victimes romainvilloises de la guerre 1939-1944, sur laquelle sont inscrits les noms de Marcel et Gabrielle Ethis, Henriette Pizzoli.

À une date restant à préciser, le Conseil municipal de Romainville donne le nom de Marcel Éthis à une rue de la commune.

À une date restant à préciser, une plaque commémorative portant les noms de cinq résistants, parmi lesquels Marcel et Gabrielle Éthis, est apposée rue Voltaire à Romainville.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 110-111.
- Monique Houssin, pour l’Association des Amis du musée de la Résistance nationale de Seine-Saint-Denis, Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis, Un nom, une rue, une histoire, Les Éditions de l’Atelier 2004. Pages 171 et 172.
- François Tanniou, association Mémoire et création numérique, site Les plaques commémoratives, sources de mémoire.
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
- Claude Pennetier, notice de Fernand Papillon, et Daniel Grason, notices de Marcel Éthis et d’Alphonse Baconnier, site du Maitron en ligne, dictionnaire biographique de mouvement ouvrier.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 15-10-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Montreuil-sous-Bois, Romainville et Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Marcel Ethis, fondeur : on lui doit l’effigie en bronze de Henri Barbusse accolée à la stèle du boulevard qui porte ce nom.

[3] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.