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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Fernand Ernest Savoye naît le 12 décembre 1903 à Ozoir-la-Ferrière (Seine-et-Marne), fils d’Arthur Savoye, 35 ans, charretier, et d’Henriette, Bellonie, Renvier, 35 ans, son épouse, domiciliés au 92 rue des Marais à Paris 10e. La naissance a eu lieu chez son grand-père maternel, Édouard Augustin Renvier, 62 ans, commis de culture. Il semble que Fernand Savoye soit fils unique (à vérifier…).

À la mi-septembre 1907, la famille habite au 55 rue Amelot (Paris 11e). Début août 1909, ils sont au 38 boulevard de la République à Noisy-le-Sec (Seine / Seine-Saint-Denis – 93). En janvier 1913, ils sont installés au 4 rue de la Madeleine dans la même commune.

Le 2 août 1914, le père de famille, 46 ans, réserviste au 35e régiment territorial d’infanterie, est rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale. Mais, le 6 février 1915, il est « renvoyé provisoirement dans ses foyers (…), maintenu à la disposition du ministère de la Guerre pendant la durée des hostilités ».

En 1924, Arthur Savoye est inscrit dans les pages “retranchements” de la liste électorale de Romainville [1] (93), comme « cocher » domicilié au 63, rue Jean-Jaurès, avec la mention « interdit » (?) dans la colonne “Observations”.

Au printemps 1926, Fernand Savoye habite chez ses parents au 69, rue Jean-Jaurès à Romainville, probablement dans un pavillon. Son père est toujours charretier et lui-même est électricien.

Le 8 mai 1926 au Pré-Saint-Gervais (93), Fernand Savoye épouse Charlotte Louise Wagner, née le 27 novembre 1904 à Paris 19e. Ils ont une première fille : Jeannine, née le 15 juillet 1929 à Romainville.

En 1931, tous trois habitent avec les parents de Fernand, à Romainville. Son père est alors charretier pour la société Maggi à Paris.

La deuxième fille de Fernand et Henriette, Ginette, naît le 31 mars 1935.

En 1936, le patriarche est camionneur pour la société Maggi et Fernand est employé au Comptoir d’Escompte à Paris.

En juin 1941, le commissaire de police de la circonscription des Lilas l’inscrit sur une liste de suspects à interner en le désignant comme un « élément particulièrement actif de la propagande communiste clandestine ».

Le 26 juin 1941, Fernand Savoye est arrêté à son domicile par deux inspecteur de la préfecture de police. Le préfet de police a signé l’arrêté ordonnant son internement administratif « en application du décret du 18 novembre 1939 ». Mais, en réalité, il est pris dans le cadre d’une vaste opération menée en concertation avec l’occupant. En effet, pendant quelques jours, plusieurs dizaines de militants de Paris et de la “petite couronne” arrêtés dans les mêmes conditions sont aussitôt conduits dans la cour de l’Hôtel (de) Matignon [2], alors désigné comme siège de la Geheime Feldpolizei (GFP), pour y être “mis à la disposition des autorités d’occupation” [3]. Tous sont ensuite regroupés au Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément du Frontstalag 122 ; considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp. Le lendemain, ils sont conduits à la gare du Bourget et un train les transporte à Compiègne (Oise), où ils sont les premiers internés du camp allemand de Royallieu, administré et gardé par la Wehrmacht (Polizeihaftlager – extension du Frontstalag 122) [4]. Fernand Savoye y sera interné plus d’un an.

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Début juillet 1941, Charlotte Savoye écrit au préfet de police : « Mon mari ayant été arrêté par mesure administrative le 26 juin 1941, j’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir me délivrer un certificat mentionnant cette arrestation ; ceci pour me permettre de demander à Monsieur le Maire de Romainville mon admission, ainsi que celle de mes enfants âgées respectivement de12 ans et 6 ans, aux secours alloués aux familles des internés administratifs. » Le 3 août, le chef du 1er bureau de la préfecture de police écrit au commissaire de la circonscription des Lilas pour le prier de « vouloir bien faire informer la pétitionnaire qu’il n’appartient pas à la préfecture de police de délivrer un certificat de cette nature et que, pour bénéficier de secours, elle devra adresser sa requête à Monsieur le préfet de la Seine (direction des affaires économiques et sociales) ».Le 17 juillet, la 1re section des Renseignements généraux déclarait dans une note : « Le lieu de son internement n’est pas connu » !Entre fin avril et fin juin 1942, Fernand Savoye est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commue de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet, Fernand Savoye est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46098 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Fernand Savoye.

Il meurt à Auschwitz le 1er novembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Son père, Arthur Savoye, décède à Romainville le 14 avril 1945, avant le retour des déportés.Le nom de Fernand Savoye est inscrit sur une des plaques commémoratives (« mort dans la résistance ») apposées dans le hall de la mairie de Romainville.En octobre 1950, Charlotte Savoye dépose un dossier de demande pension à la direction interdépartementale des anciens combattants et victimes de la guerre de Paris.Le 10 août 1951, le ministère des anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG) délivre un acte de disparition.

Au printemps 1952, habitant alors au 79 rue de la Fraternité à Romainville, Charlotte Savoye demande la reconnaissance du titre d’appartenance à la Résistance intérieure française (R.I.F.) de son mari.

Le 32 juillet suivant, l’acte de décès de celui-ci est transcrit sur les registres de l’état civil de la mairie de Romainville.

Début 1954, Charlotte Savoye dépose au ministère des ACVG un dossier de demande d’attribution du titre de déporté résistant à son mari.

Charlotte Savoye décède à Bagnolet (93) le 21 juin 1990.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Fernand Savoye (J.O. du 14-07-1998).

Notes :

[1] Romainville : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’hôtel Matignon, 57 rue de Varenne (Paris 7e) : le 8 septembre 1940, les Renseignements généraux de la préfecture de police constatent la réquisition de l’hôtel pour le bureau de cantonnement des hommes de la police militaire secrète : Geheime Feldpolizei – Dienstelle – Männer-Unterkunft (source : Cécile Desprairies, Paris dans la Collaboration, éditions du Seuil, mars 2009, page 268).

[3] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht, réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich” et qui ouvre en tant que camp de police. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[4] Les arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, trois témoignages :
Jean Lyraud (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Le 26 juin, à 5 heures du matin, il est réveillé par des policiers français : « Veuillez nous suivre au poste avec une couverture et deux jours de vivres. » Un autobus le prend bientôt avec trois autres personnes arrêtées. Le véhicule fait le tour des commissariats de Montreuil et du 11e arrondissement. Après un crochet à l’hôtel Matignon où les “internés administratifs” sont livrés à l’armée d’occupation, c’est le transport jusqu’au Fort de Romainville où ils passent la nuit dans les casemates transformées en cachots. « Le lendemain 27 juin dans l’après-midi, nous embarquons en gare du Bourget dans des wagons spéciaux pour Compiègne. Nos gardes ont le revolver au poing et le fusil chargé, prêts à faire feu. Dans la soirée nous arrivons au camp. Quelques jours après, d’autres contingents de la région parisienne nous rejoignent. »
Henri Pasdeloup (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943), cheminot de Saint-Mihiel (Meuse), est arrêté le 23 juin 1941 par la Gestapo qui le conduit à la prison de la ville. Le 27 juin, avec d’autres détenus emmenés à bord de deux cars Citroën, il arrive devant le camp de Royallieu vers 16 h 30 : « À l’arrivée face au camp, nos gardiens nous font descendre. Alignement sur la route, comptages et recomptages. En rangs par trois nous passons les barbelés… À 19 heures, environ 400 prisonniers en provenance de la région parisienne entrent en chantant L’Internationale… Le lendemain 28 juin, réveil à 7 heures : contrôle d’identité, toise, matricule. J’ai le numéro 556. Pour notre groupe de la Meuse, cela va de 542 à 564. Ceux de la région parisienne, bien qu’arrivés après nous, sont immatriculés avant… »
Henri Rollin : « Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention “communiste”, soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 386 et 420.
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi, Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur les arrestations du 26 juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94) : carton “Association nationale des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397) ; dossier individuel des R.G. (1 W 719-26558) ; dossier individuel au cabinet du préfet (77 W 1690-89812).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1069 (38495/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 93-Romainville, relevé de Christiane Level-Debray (06-2004).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 2-06-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.