- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Fernand, Joseph, Salmon naît le 16 juin 1897 à Genneton (Deux-Sèvres – 79), fils d’André Salmon, 31 ans, tailleur, décédé chez lui vingt jours avant la naissance de son fils, et de Constance Guillemin, son épouse, 25 ans. L’enfant est présenté à la mairie par son grand-père, François Salmon, 65 ans, et le frère de la jeune veuve, Joseph Guillemain, 23 ans, cultivateur, signe comme témoin.
Pendant un temps, Fernand Salmon travaille comme charron.
Début août 1914, la Première guerre mondiale est déclenchée. Le 9 janvier 1916, Fernand Salmon est mobilisé comme soldat de 2e classe au 20e régiment d’artillerie afin d’accomplir son service militaire. Le 7 juillet suivant, il passe au 109e régiment d’artillerie lourde. Le 7 mai 1917, à Épernay, il est blessé à la main droite par un éclat de bombe. Évacué pour être soigné, il ne rejoint le dépôt que le 2 mai 1918. Le 16 juillet 1918, il passe au 21e R.A. Bien que passé théoriquement dans la réserve de l’armée active le 7 janvier 1919, il est maintenu sous les drapeaux. Le 30 mai, il passe au 38e R.A. Le 10 juin, il entre à l’hôpital d’Avignon (Vaucluse), puis réintègre le dépôt le 18 juillet. Mis en congé illimité de démobilisation le 27 septembre 1919, il se retire à Genneton, titulaire d’un certificat de bonne conduite. Il adhérera à l’Association républicaine des Anciens combattants (ARAC), recevant la carte de Combattant le 11 mars 1930.
Le 19 décembre 1920, Fernand Salmon est embauché par les Chemins de fer de l’État, réseau de l’Ouest (avant la création de la SNCF…). Le 5 octobre 1921, l’armée le classe « affecté spécial » dans cette compagnie en qualité d’homme d’équipe à Thouars (79). Il habite alors avenue de la gare, dans cette ville.
Le 16 septembre 1921, à Thouars, il épouse Marie Revault, née le 11 novembre 1899 à Saint-Maurice-la-Fougereuse (79). Ils auront trois enfants, qui seront âgés respectivement de 19, 15 et 9 ans en décembre 1940. En février 1927, la famille habite au 63, rue de la Porte-aux-Prévôts, à Thouars.
En mars 1930, ils demeurent à Courtalay et, en août, à Saint-Pellerin, villages voisins au sud de l’Eure-et-Loir.
À partir de 1932, la famille emménage dans un groupe d’habitations à bon marché (HBM) qui vient d’être construit pour la Société immobilière des chemins de fer de l’État au 5, rue Henri-Martin à Asnières [1] (Hauts-de-Seine – 92). Fernand Salmon y demeurera jusqu’au moment de son arrestation.
Il est alors agent technique principal SNCF au dépôt des Batignolles (Paris 17e), région Nord, service du camionnage-Ouest, au 163 bis avenue de Clichy. Fernand Salmon est adhérent au Syndicat CGTU de la Fédération des Chemins de Fer, délégué syndical de son service.
- Paris. Le dépôt SNCF des Batignolles (réseau Ouest) en 1965.
Une loco 040 TA en manœuvre. Photo Siegenthaler.
Collection Mémoire Vive.
Il est membre du Parti communiste. La police a consigné ses nombreux engagements militants : appartenance à la cellule Batignolles-camionnage, à la cellule du quartier Flachat à Asnières à partir de 1935, à la section d’Asnières du Secours rouge international (futur Secours populaire) ainsi qu’au Comité départemental d’Eure-et-Loir (section de Courtalain), membre du groupe d’Asnières des Amis de L’Humanité et du Travailleur et de L’Union nationale des Comités de défense de L’Humanité (CDH), « parrain du 10e bataillon des Brigades internationales lors de la guerre d’Espagne ».
« Au début des hostilités » (septembre 1939), il est classé dans l’affectation spéciale au titre de la SNCF.
Sous l’occupation, la police française le considère comme un « agitateur révolutionnaire (ayant) une part importante dans l’activité clandestine de l’ex-Parti communiste ».
Le 4 janvier 1940, à l’issue d’une réunion syndicale organisée au 100, rue Cardinet, à Paris 17e, il a une vive altercation avec un individu qui ne partage pas ses idées, au point que la police municipale intervient.
Fin janvier, un note parvient à la police indiquant qu’« une information de source paraissant bonne fait connaître que le nommé Salmon […] aurait, dans un portemonnaie, une estampille représentant la faucille et le marteau, insigne du parti dissous ».
Fin décembre, des voisins de son immeuble font connaître à la police qu’ils ont trouvé dans l’escalier des tracts clandestins datés d’août à décembre 1940 et ses cartes de membre de différentes cellules ou groupement auxquels il a appartenu avant le décret de dissolution du 26 septembre 1939, dont des cartes syndicale des chemins de fer pour les années 1924, 1928, 1931, 1932, et des cartes de l’association républicaines des anciens combattants (ARAC) pour les années 1937 et 1939.
Fernand Salmon est soupçonné de n’avoir pas été étranger à une diffusion de centaines de tracts ayant eu lieu quelques semaines auparavant dans son dépôt de camionnage, bien que la perquisition effectuée à son domicile par le commissariat d’Asnières le 11 décembre n’ait donné aucun résultat.
Le 15 janvier, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant une série d’internements administratifs en application du décret du 18 novembre 1939, parmi lesquels celui de Fernand Salmon.
Le 17 janvier, Fernand Salmon fait partie des 24 militants communistes conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

Aincourt. Le sanatorium de la Bucaille. Au premier plan, le pavillon qui fut transformé en camp d’internement.
Carte postale oblitérée en 1958. Coll. Mémoire Vive.
Il travaille avec Hurel [corvée ?].
Le 24 juin 1941, Fernand Salmon fait partie des 31 « meneurs indésirables » écroués à la Maison d’arrêt de Rambouillet (Seine-et-Oise / Yvelines), 5 rue Pasteur, à la suite d’ « actes d’indiscipline » collectifs. Ils y conservent le statut d’internés administratifs. Dans une cellule de trois, Fernand Salmon se trouve avec René Guiboiseau et Alexandre Hurel.
Dès 25 juin, depuis cette prison et conjointement avec Maurice Bertouille, il écrit à deux amis restés à Aincourt : Depaepe et Prugnot. La lettre, postée le 27, est interceptée à l’arrivée par le service de censure du camp. Fernand Salmon fait le récit de leur arrivée, précisant : « …ici, nous sommes traités en hommes et non en inférieurs ; nous ne sommes pas mélangés parmi les voleurs ou les maquereaux, nous sortons à part. Ce matin, nous avons commencé la culture physique et, ce soir, nous commençons l’école ». Il demande qu’on lui envoie quelques affaires restées là-bas, dont les morceaux de bois préparés « pour faire des ronds » (de serviette). Il conclue en transmettant « de la part des 31 estivants, bien des choses à tous les camarades ».
Le 30 juin, tous les transférés signent une pétition adressée au préfet de Seine-et-Oise pour solliciter : « un lieu de séjour correspondant à [leur] état d’internés politiques » ou, sinon, de meilleurs conditions de détention.
Le 27 septembre 1941, Fernand Salmon est parmi les 23 militants communistes de la Seine transférés au “centre d’internement administratif” (CIA) de Gaillon (Eure), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la vallée de la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle, puis en caserne ; il est assigné au bâtiment F (aile Est du pavillon Colbert [2]), 3e étage, chambre 9, lit 84.
- Le château de Gaillon. Les internés sont assignés
au pavillon Colbert, le haut bâtiment transversal
de l’arrière plan (qui a perdu sa toiture après la guerre).
Carte postale envoyée en 1955. Collection Mémoire Vive.
Le 5 mars 1942, il est fait partie d’un groupe de 16 internés administratifs de Gaillon (dont 9 futurs “45000”) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits en autocar au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 -Polizeihaftlager) ; il y est enregistré sous le matricule 3692.

Le camp vu depuis le mirador central.
Les “politiques français” étaient dans le secteur constitué par la ligne de bâtiments de gauche (“camp communiste”)
Photo Hutin, Compiègne, carte postale. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Entre fin avril et fin juin 1942, Fernand Salmon est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Fernand Salmon est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46093 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.
- Portail du sous-camp de Birkenau, secteur B-Ia, semblable
à celui du secteur B-Ib par lequel sont passés tous les “45000”.
Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – il est dans la moitié des membres du convoi qui reste dans ce camp en construction choisi pour mettre en œuvre la “solution finale” (contexte plus meurtrier). Selon le témoignage d’un rescapé recueilli par sa veuve, c’est là qu’il aurait été victime du typhus.
Le 11 novembre 1942, il est présent à l’infirmerie (Revier) où son nom est inscrit sur un registre.
On ignore la date exacte de sa mort ; vers la mi-décembre selon le même témoin [3].
Déclaré “Mort pour la France” (6-07-46), il est homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 18-04-1998).
En juin 1954, sa veuve habite au 11 bis, rue du Châlet, à Asnières (à vérifier…).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 380 et 420.
Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, liste page 529.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Archives municipales d’Asnières – Archives familiales et lettre de son fils Gilbert (16/12/1993) – Certificat d’appartenance à la Résistance intérieure au titre du Front national de lutte pour l’indépendance de la France.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen ; dossier de Fernand Salmon (21 P 535.121), recherches de Ginette Petiot (message 10-2012).
Archives départementales des Deux-Sèvres (AD 79), site du conseil général, archives en ligne ; état civil de Genneton, registres des naissances 1897-1902 (cote 2 MI 1448), année 1897, acte n° 7 (vue 3/38) ; registre des décès de l’année 1897, acte n°4 (même cote, vue 2-31) ; registre matricule du recrutement militaire, bureau de Niort, classe 1917 (n° de 2001 à 2252), matricule 2095 (vue 136/362).
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux ; centre de séjour surveillé d’Aincourt (cotes 1w71, 1w74, 1w76).
Archives départementales de l’Eure, Évreux ; archives du camp de Gaillon (cotes 89W4, 89W11 et 89W14), recherches de Ginette Petiot (message 08-2012).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), APPo, site du Pré-Saint-Gervais ; cartons “occupation allemande” : camps d’internement… (BA 2374) ; fonctionnaires communistes internés (BA 2114) ; (liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossiers individuels du cabinet du préfet (1w1488), dossier de Fernand Salmon (83107).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 4-06-2016)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Asnières : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Château de Gaillon. Le pavillon Colbert, sur la terrasse du jardin haut, a été dessiné par Jules-Hardoin Mansard vers 1700 pour l’archevêque Jacques-Nicolas Colbert, second fils du ministre de Louis XIV.
[3] La date de décès inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir lesdocuments administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.
S’agissant de Fernand Salmon, l’acte de décès (20-04-1946) indique le 15 décembre 1942.
Leur publication à l’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.