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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Eugène, Théodore, Joseph, CHARLES naît le 9 octobre 1913 à Nantes (Loire-Atlantique [1] – 44).

Dans cette ville, il habite successivement au 58, rue Joseph-Blanchard (en 1925), au 9, avenue des Châtaigniers.

En 1925, il est manœuvre maçon.

À une date restant à préciser, il se marie avec Jeanne Le Floch, née en 1914 à Beuzec-Cap-Sizun, mécanicienne chez Kervadec.

Lui-même travaille comme forgeron (frappeur) aux Chantiers de Bretagne depuis 1934.

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Nantes. Un chantier naval sur la Loire dans l’entre deux guerres.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Eugène Charles est domicilié au 16, avenue Sainte-Anne à Nantes (une source indique 21, rue du général-Travot : peut-être le domicile de son épouse après son arrestation).

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Nantes. L’avenue et l’église Sainte-Anne dans les années 1900.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Eugène Charles est syndiqué à la CGT. « J’aurais pu être délégué syndical, mais j’ai refusé : je ne savais pas m’exprimer, je ne me jugeais pas assez instruit. Je préférais m’investir dans l’action : j’étais au premier rang dans les grèves, le collage d’affiches, la distribution de tracts, etc. »

Il est néanmoins secrétaire de la cellule du Parti communiste du quartier Sainte-Anne à Nantes.

À la déclaration de guerre, il est “affecté spécial” aux Chantiers de Bretagne.

Aussitôt les Chantiers occupés par les Allemands, Eugène Charles et ses camarades communistes mettent en place une organisation clandestine. Leur mission : effectuer des sabotages sur les presses et des outillages, ralentir le travail et distribuer des tracts contre l’occupant et le régime de Vichy qui pratique la collaboration.

Le 23 juin 1941, Eugène Charles est arrêté à son domicile par des Feldgendarmes [2]. Il figure en onzième place sur une liste de trente « Funktionaere » (“permanents” ou “cadres”) communistes établie par la police allemande. Avec une vingtaine d’hommes arrêtés dans l’agglomération de Nantes, il est conduit au « camp du Champ de Mars » [3].

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Nantes. La salle des fêtes du Champ de Mars.
Est-ce l’endroit où ont été rassemblés les militants
arrêtés en juillet 1942 ?
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Eugène Charles est interrogé par un officier qui parle parfaitement le français et qui lui fait la liste détaillée de ses activités militantes d’avant-guerre, démontrant que les Allemands tenaient ces renseignements des autorités françaises.

Le 12 juillet, Eugène Charles est parmi les vingt-quatre communistes (dont les dix futurs “45000” de Loire-Atlantique) transférés, avec sept Russes (juifs), au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Eugène Charles est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Eugène Charles est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45354 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. Selon son propre témoignage, Eugène Charles est pris dans un Kommando affecté au creusement de gigantesques tranchées qui serviront de fosses communes pour ensevelir les personnes gazées (avant la construction des grands Krematorium).

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Eugène Charles est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

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Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Là, Eugène Charles est affecté au Kommando de la Forge, ce qui correspond à sa qualification. Il est avec Marceau Lannoy, lui-même ajusteur mais qui s’est déclaré forgeron après avoir appris la dureté des hivers de Haute-Silésie. Eugène Charles est appelé à se déplacer pour tout ce qui nécessite des travaux de forge à l’intérieur du camp. Il est même parfois escorté à l’extérieur pour y ferrer des chevaux (ceux des SS ? s’interroge-t-il). Enfin, on lui demande même d’effectuer de petits travaux dans les maisons des gardiens et des officiers, en échange de nourriture (qu’il partage quelquefois) et d’eau (très rationnée).

Doué en dessin, Eugène Charles est remarqué par un gardien alors qu’il fait le portrait d’un autre détenu. Selon le même principe de rétribution en nature, il dessine pour des gardiens, voire des officiers, à partir de photographies de leurs épouses ou fiancées. Ayant besoin d’un frappeur, il propose à une autre détenu – peut-être Victor Louarn, croisé à Birkenau – de bénéficier de son statut privilégié. Mais celui-ci refuse, disant que ce n’est pas son métier.

En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis. Eugène Charles fait écrire son courrier par un détenu parlant allemand. Son épouse, qui reçoit celui-ci, obtient de le faire traduire à la préfecture.

À la mi-août 1943, Eugène Charles est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

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Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient
les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues –
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage
de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Le 3 août 1944, Eugène Charles est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.

Le 7 septembre 1944, il est dans le petit groupe de trente “45000” transférés – dans un wagon de voyageurs ! – au KL [4] Gross-Rosen, dans la région de Wroclaw, où il lui-même est enregistré sous le matricule 40985. Il y contracte un érésipèle dont il guérit grâce aux soins d’un médecin polonais qui travaille comme détenu à l’infirmerie du camp.

Le 10 février 1945, Eugène Charles est parmi les dix-huit “45000” transférés à Hersbrück, Kommando du KL Flossenbürg (matricule 84391).

Le 8 avril, avec les mêmes camarades, il se trouve dans une colonne de détenus évacués à marche forcée et qui arrive au KL Dachau le 24 avril. Le camp est libéré le 29 avril par l’avance de l’armée américaine.

Eugène Charles est rapatrié via l’Hôtel Lutétia à Paris où il perçoit un costume civil qu’il enfile aussitôt.

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L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

À la différence d’autres rescapés qui ne quittent pas leur tenue rayée, Eugène Charles veut rompre et laisser derrière lui la « vie de bagnard » qu’il vient de traverser. Il fait savoir à son épouse qu’il est vivant et qu’il arrivera à la maison selon le rythme des transports.

Nantes, le 19 mai 1945 : « Et le jour arriva ! Une voiture s’arrêta devant chez nous, de l’autre côté de la rue. Deux hommes descendirent, puis un troisième. Celui-ci était d’une maigreur extrême et il éprouvait une certaine difficulté à marcher, les deux autres le soutenant. Ils traversèrent la rue : je me demandais ce que ces trois inconnus venaient faire chez moi. J’ouvris la porte et c’est seulement à son regard que je reconnu mon mari. Quand il était parti, c’était un costaud, il pesait 80 kilos. À son retour, il n’en faisait plus que 39 ! »

Sur les dix “45000” de Loire-Atlantique, Eugène Charles est l’un des deux rescapés, avec Gustave Raballand, de Rezé.

Il reprend sa place aux Chantiers de Bretagne jusqu’en 1963, mais à la suite d’une grave opération – liée aux séquelles de sa déportation – il doit renoncer à travailler.

Il reçoit la carte de “Déporté Résistant” le 9 janvier 1956, et plusieurs décorations : la Médaille militaire, la Croix des Volontaires de la Résistance, la Légion d’Honneur (chevalier, puis officier).

Eugène Charles décède le 14 décembre 1996.

Notes :

[1] Loire-Atlantique : département dénommé “Loire-Inférieure” jusqu’en mars 1957.

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

[3] Le « camp du Champ de Mars » : s’agit-il de la salle des fêtes, également dénommée « Palais du Champ de Mars » ? (à vérifier…)

[4] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 358, 365 et 398.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : lettres d’Emmanuel Michel (45878) au Patriote Résistant (1972) – Correspondance (1979-1980) – Questionnaire biographique rempli le 21 octobre 1987 – Cassette enregistrée à Rambouillet lors d’une rencontre entre les rescapés du convoi : Robert Gaillard y décrit les souffrances de son camarade et parle de lui avec admiration.
- Témoignage d’Eugène Charles, recueilli vers 1995 par Jean et Marcelle Le Meur.
- Archives municipales de Nantes, site internet : listes électorales 1934-1945 (Cebron-Corm, v. 27), recensement 1936, canton 6, p. 434 (v. 225).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 15-02-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.