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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Eugène, Jean, Pascal, Louis, Charil naît le soir du 13 avril 1899 à La Roë (Mayenne), chez ses parents, Eugène Charil, 28 ans, journalier (domestique cultivateur), et Angèle, née Lebreton, 25 ans, son épouse, journalière. Son père sera décédé au moment de son arrestation.

Pendant un temps, il habite chez ses parents, domiciliés au 35, rue de la Mairie-École à Angers (Maine-et-Loire).

Arrivé très jeune à Paris, il travaille régulièrement comme typographe à l’imprimerie Paris-Sport, sise au 18, rue du Croissant, équipe du journal L’Heure. À partir du 15 mai 1916, il loge en hôtel au 15, rue du Faubourg-Saint-Martin.

Le 19 mars 1918, à 0 h 40, il se présente au poste de police du 9, rue Thorel pour protester contre l’arrestation d’un nommé Moquet. Apparemment en état d’ivresse, il est trouvé porteur de trois listes erronées des points de chute du raid allemand du 11 mars et d’une épreuve d’article du journal L’Action Française relatif au dit raid. Il déclare tenir les listes d’un camarade d’atelier, mais l’enquête de police établit qu’il les a composées et tirées lui-même. Il est conduit au dépôt de la préfecture de police et mis à la disposition du Parquet de la Seine pour infraction à la loi du 5 août 1914. Le lendemain, le juge d’instruction le remet en liberté. Un ordonnance de non-lieu est prononcée le 15 avril.Le conseil de révision d’Angers retarde son incorporation au service militaire pour « ostéïte en évolution en septembre 1918 et faiblesse ». Le 8 octobre 1920, Eugène Charil rejoint le 106e régiment d’infanterie comme soldat de 2e classe. Mais, deux semaines plus tard, le 22 octobre, la commission de réforme de Châlons-sur-Marne le réforme temporairement pour « cicatrices adhérentes de la cuiller gauche, suite d’ostéïte, limitation des mouvements de flexion du genou, gêne de la marche ». Le 25 novembre 1921, la 5e commission de réforme de la Seine renouvelle cette réforme pour « à l’extrémité inférieure de la cuisse gauche petite cicatrice de strajet [?] fistuleux, face interne au même niveau petite cicatrice souple ».Début 1921, Eugène Charil demeure au 48, rue Volta à Paris 3e, dans un hôtel dont la gérante, veuve, serait sa maîtresse, selon la police.

Le soir du dimanche 13 mars 1921, à l’issue d’une campagne électorale, Eugène Charil est appréhendé alors qu’il manifeste avec d’autres électeurs devant les bureaux du journal L’Humanité, au 142, rue Montmartre, en chantant L’Internationale. Quand la police municipale intervient pour disperser les manifestants, il est arrêté avec un autre homme pour « outrage par parole à agents de la force publique ». Cependant, tous deux présentent spontanément leurs excuses et sont laissés en liberté provisoire. Deux jours plus tard, le 15 mars, le Comité d’action contre la guerre organise un grand meeting dans la grande salle de la mairie de Saint-Denis, que la police place sous haute surveillance.

En juin 1931, Eugène Charil habite au 31, avenue Laplace, à Arcueil (Seine / Val-de-Marne). En novembre 1932, il demeure au 180, boulevard de la Villette, à Paris 19e. En 1933, il loge au 47, rue Rochechouart. En juin 1937, il est au 20, rue Cadet, à Paris 9e.

En mars 1933, Eugène Charil dépose une demande d’autorisation de publier un bimensuel ayant pour titre Lotte Sindical (Lutte syndicale) et imprimé chez Gay, son employeur, au 200, quai de Jemmapes. Quelques mois plus tard, le journal sera tiré à l’Imprimerie Centrale, au 19, rue du Croissant. Cette année-là, il est également gérant du bulletin Ricossa Antifascista.

En mai 1935, il dépose une demande pour publier le mensuel Asmodée, imprimé chez Zeluck, au 4, rue Saulnier, où il travaille alors.

Il se déclarera hostile au Parti communiste et la la CGTU. Il est membre de la Chambre syndicale typographique parisienne, sise 94, boulevard Auguste-Blanqui.

En janvier 1940 et jusqu’au moment de son arrestation, Eugène Charil est domicilié dans un appartement au premier étage d’un immeuble au 52, rue de la Tour d’Auvergne, à Paris 9e.

Après la déclaration de guerre, début septembre 1939, l’imprimerie qui l’emploie comme typo-linotypiste ferme ses portes. En novembre, il travaille un peu à l’imprimerie London, sise au 13, rue de La Grange-Batelière.

Le 2 janvier 1940, il est rappelé à l’activité militaire et rejoint le dépôt d’infanterie n° 91.

Le 16 mai 1940 à Paris 9e, Eugène Charil – « actuellement aux armées » – se marie avec Eugénie Denise Desmet, née le 24 mai 1899 à Hellemes-Lille (Nord), caissière, qui vit déjà avec lui. Ils auront un enfant.

Le 6 septembre, Eugène Charil est démobilisé et traverse ensuite une période de chômage, alors qu’il héberge sa mère, veuve, et que son fils de 16 ans vit encore à la maison.

En octobre, au bar Le Rougemont, rue Bergère, fréquenté par les typographes, Eugène Charil fait la connaissance d’un individu dont il ignore le nom et l’adresse et qui le sollicite pour une impression de tracts du Parti communiste clandestin contre rétribution ; sa motivation serait alors exclusivement financière. Eugène Charil rencontre ce commanditaire une dizaine de fois au même endroit. Il reçoit un acompte.

Pour la mise en œuvre de ce projet, il se met en rapport avec Aimé C., 51 ans, imprimeur au 13, rue Paul-Lelong, qui doit fournir le matériel nécessaire (notamment du papier pour 50 000 tracts), et Maurice V., conducteur typographe aux Imprimeries Modernes (Imprimerie syndicale et artisanale), sises au 37, boulevard de Strasbourg (Paris 10e),  lequel doit procéder au tirage.

Dans le courant du mois, il se rend à l’imprimerie London, sise au 13, rue de La Grange-Batelière pour y chercher un certificat de travail. À cette occasion, il rencontre un ancien collègue, Joseph M., Polonais juif (son lien avec cette affaire reste à préciser).

Le samedi 8 vers midi, Eugène Charil reçoit de son commanditaire les textes des deux tracts qui doivent être imprimés ; un à destination des agents et inspecteurs de police, l’autre, très long, étant un appel du Parti communiste clandestin « Aux intellectuels français ». De son côté, Maurice V. demande à l’apprenti de son atelier, Bernard N., 17 ans, s’il accepte de revenir travailler le lendemain « pour son compte ».

Dans la nuit du samedi 8 au dimanche 9 octobre, dans l’imprimerie de C. et avec celui-ci, Eugène Charil compose les formes devant servir à l’impression. Le lendemain, vers 14 h., Maurice V. et l’apprenti vont louer une voiture à bras qu’ils amènent à l’atelier d’Aimé C. afin d’y charger le papier et les galets de plomb (les formes). Ensemble, ils ramènent le tout aux Imprimeries Modernes, à l’insu du patron propriétaire, M. Gay ; le tirage devant être achevé le dimanche et livré le lendemain lundi, après contact avec le commanditaire. L’apprenti ramène la voiture à bras pendant que les ouvriers mettent en place les formes pour l’impression.

Le 9 novembre 1940, vers 16 h 30, trois inspecteurs de la brigade spéciale 1 (anticommuniste) des Renseignements généraux de la préfecture de police font irruption dans l’atelier alors que l’impression vient à peine de commencer. Le soir, les mêmes inspecteurs conduisent Eugène Charil chez lui afin d’y procéder à une perquisition, qui reste sans résultat ; son épouse et son fils sont fouillés.

Le 11 novembre, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant l’internement administratif d’Eugène Charil en application du décret du 18 novembre 1939. Celui-ci semble avoir été conduit le jour précédent au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé au début du mois d’octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.

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Aincourt
Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante

Son épouse parvient à lui rendre deux visites au camp.

Le 17 juin 1941, au moment où les détenus doivent « faire la table » [?], un nommé Charil s’en prend à un interné “gitonniste”, domicilié à Paris 4e, en le bousculant, en le prenant à la gorge et en le menaçant. Il le traite de mouchard et ajoute : « Dans la capitale, je lui ferai son affaire et je le ferai courir comme un lapin ». Ses camarades interviennent et le calment en lui expliquant qu’il a tort.

Le 6 septembre 1941, Eugène Charil est parmi 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci. Il est assigné à la baraque n° 13.

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Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”,
vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne),
Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 124 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, Eugène Charil est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler). Le 4 juillet, Eugène Charil écrit une lettre à son épouse pour l’aviser qu’il va partir en Allemagne.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Eugène Charil est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45353 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Eugène Charil.Il meurt à Auschwitz le 23 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Il est homologué comme “Déporté politique”.

Après-guerre, sa veuve est domiciliée à la cantine du Port-Marou (?), commune de Vaux-sur-Seine (Seine-et-Oise / Yvelines).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 371 et 398.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national des déplacés de la Seconde guerre mondiale) – État civil de la Mairie de la Roë.
- Archives départementales de Mayenne, site internet, archives en ligne : registre de recensement de 1901 à La Roë ; registres matricules du recrutement militaire, année 1919, bureau d’Anger, volume 3, matricule 1108 (vue 138/645).
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : état civil du 9e arrondissement, registre des mariages, année 1940 (9M 353), acte n° 436 (vue 6/14).
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1W76, 1W99 (notice individuelle).- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374), liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; classeur inventaire BS1 ; dossier de la BS1, Affaire Cathala-Charil-Victor-Motyl (27) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 1479-82505).
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1W76, 1W99 (notice individuelle).
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 51.
- Archives départementales de la Vienne ; camp de Rouillé (109W75).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 164 (37148/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 14-09-2018)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.