Esprit, Henri, Jourdain naît le 23 octobre 1913 à Concarneau (Finistère – 29), fils de Joseph Louis Jourdain, 22 ans, “boitier”, et de Victoria Charlotte Le Dars, 22 ans, son épouse. Esprit semble être le seul garçon de la famille : avant lui sont nées Victorine en 1904, Marie en 1905, Louise en 1907, Jeanne en 1909, et Marguerite en 1910, toutes à Concarneau.

Concarneau. Carte postale “voyagée” en 1961, collection mémoire Vive.

Concarneau. Carte postale “voyagée” en 1961, collection mémoire Vive.

En 1921, la famille habite au 11, rue Malakoff à Concarneau ; son père est alors “boitier”, sans emploi.

En 1931 et jusqu’au moment de son arrestation, Esprit Jourdain habite seul chez ses parents, rue Malakoff : il est célibataire.

Il est manœuvre sertisseur à l’usine de conserves Provost-Barbe.

Concarneau. Sertissage des boîtes de thon à l’usine Provost-Barbe. Carte postale oblitérée en 1938. Coll. Mémoire Vive.

Concarneau. Sertissage des boîtes de thon à l’usine Provost-Barbe.
Carte postale oblitérée en 1938. Coll. Mémoire Vive.

Il adhère aux Jeunesses communistes en 1936 ou en 1937, puis rejoint le PCF en septembre ou octobre 1939.

Il prend part à la restructuration de ce dernier et fait partie du premier groupe armé de l’O.S. (organisation spéciale).

Le 11 juin 1941, Esprit Jourdain est arrêté pour diffusion de tracts et propagande communiste, puis déferré le lendemain devant le parquet de Quimper avec Victor Louarn, de Concarneau, et deux autres suspects. Condamné à six mois d’emprisonnement, il est écroué à Quimper. Les autorités d’occupation exigent de prendre connaissance de son dossier…

Le 30 avril 1942, remis aux autorités d’occupation à leur demande, Esprit Jourdain est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; peut-être est-il enregistré sous le matricule n° 6556.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

 TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Esprit Jourdain est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45694 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par tous les “45000” à Birkenau – Esprit Jourdain est dans la moitié du convoi qui reste dans ce camp en construction choisi pour mettre en œuvre la “Solution finale” (contexte plus meurtrier).

Le 8 janvier 1942, dans la chambre (Stube) n°3 du Revier [1] de Birkenau (Block n° 8 du secteur BIb), où il se trouve avec Joseph Matis, de Meurthe-et-Moselle, Esprit Jourdain reçoit 15 grains de Bolus Alba.

Esprit Jourdain meurt d’épuisement à Birkenau en février 1943, selon Victor Louarn, de Concarneau, qui a pu le voir à la veille de sa mort, grâce à André Seigneur, alors lui-même infirmier au Revier. Son nom ne figure pas dans les registres de décès du camp d’Auschwitz, mais ceux qui ont été retrouvés sont incomplets et comportent une lacune entre le 8 et le 16 février 1943 : Esprit Jourdain est probablement décédé entre ces deux dates.

Il est déclaré “Mort pour la France”.

Après la Libération, un certaine demoiselle Paulette Jourdain, domiciliée au 29, rue Berthollet à Paris 5e, semble s’inquiéter de son sort…

Son nom est inscrit sur le Monument aux morts de Concarneau, dans le cimetière communal.

À une date restant à préciser, le Conseil municipal donne son nom à une rue de la ville.

Notes :

[1] Revier  : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 364 et 408.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : Témoignage de Victor Louarn (45805), de Concarneau – Archives municipales de Concarneau – Brochure “ Concarneau sous l’occupation”, 1985.
- Archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau (APMAB), Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copies des pages 86 et 87 d’un registre de délivrance de médicaments aux détenus du Revier de Birkenau.
- Site Mémorial GenWeb, 29 – Finistère, Concarneau, relevé d’Alain Guivarc’h (01-2003).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 15-04-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.