- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Émile, Charles, Bouchacourt naît le 22 décembre 1910 à Paris 3e.
Au moment de son arrestation, il est domicilié au 19, avenue Jean-Jaurès à Suresnes [1] (Hauts-de-Seine – 92).
Marié à Paulette, ils ont deux enfants, une fille et un garçon (Serge).
Émile Bouchacourt est outilleur P3 (raboteur-outilleur) aux établissements Lavalette-Bosch, au 138, avenue Michelet, à Saint-Ouen [1] (93).
Adhérent au Secours populaire, il est militant CGT et membre du PCF. En 1937, il est « membre de la cellule Morane B. », selon la police (R.G.).
Le 2 ou 5 octobre 1940, Émile Bouchacourt est arrêté à son travail à Saint-Ouen, par des policiers français, à la suite d’une distribution de tracts sur le marché de Suresnes le 25 août 1940. Il est d’abord conduit au commissariat de Puteaux avec ses camarades René Jodon et Raoul Platiau (déportés avec lui, morts à Auschwitz), et Paul Comprie (ou Couprie [2]).
Après un passage par le dépôt de la préfecture de police de Paris, Émile Bouchacourt est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
- Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)
Le 14 janvier 1941, la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine condamne à six mois de prison les quatre camarades qui font appel de la sentence. À l’expiration de sa peine, Émile Bouchacourt n’est pas libéré : le 27 février, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif.
Le 27 février suivant, il fait partie d’un groupe de 48 internés administratifs – dont Guy Môquet, Maurice Ténine et seize futurs “45000” – transférés à la Maison centrale de Clairvaux (Aube – 10) où ils en rejoignent d’autres : 187 détenus politiques s’y trouvent alors rassemblés.
Le 6 avril, avec Jodon, Couprie et Platiau, Émile Bouchacourt est un des cinq internés de Clairvaux ramenés à Paris et conduits à la Santé, en préalable à leur passage devant la Cour d’appel. Le 29 avril, celle-ci confirme la peine des quatre coaccusés. Il est prévu qu’Émile Bouchacourt soit ramené à Clairvaux, mais le quartier de la centrale utilisé comme centre d’internement étant « complet » il reste interné à la Santé.
En septembre 1941, il fait partie d’un groupe d’internés de la Santé transférés au “centre d’internement administratif” (CIA) de Gaillon (Eure – 27), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle.
Selon une note de la police (RG ?) datée du 18 février 1942, il figure avec Jodon et Platiau sur une liste de 43 « militants particulièrement convaincus, susceptibles de jouer un rôle important dans l’éventualité d’un mouvement insurrectionnel et pour lesquels le Parti semble décidé à tout mettre en œuvre afin de faciliter leur évasion », et qui sont pour la plupart internés au camp de Gaillon.
Le 4 mai 1942, Émile Bouchacourt est dans un groupe de détenus transférés au camp français de Voves (Eure – 28). Enregistré sous le matricule 271, il n’y reste que deux semaines.
Le 20 mai, il fait partie des 28 internés que viennent chercher des gendarmes français. Pensant qu’on les emmène pour être fusillés, les partants chantent La Marseillaise. En fait, remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci, ils sont conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises : « coups de crosses, coups de pieds et j’en passe, pour nous faire monter en wagons à bestiaux. Nous sommes au moins à 60 ou 70 hommes par wagon. » Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
- Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée. Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Émile Bouchacourt est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45277 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied à Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Émile Bouchacourt est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.
- Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.
On l’affecte successivement aux Blocks 16a, 5, 5a et 6. Il travaille aux Kommandos “maçonnerie” et “garage”.
Le 4 juillet 1943, comme les autres “politiques” français (essentiellement des “45000” rescapés), Émile Bouchacourt reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.
À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) et mis en “quarantaine” au premier étage du Block 11. Ceux-ci sont exemptés de travail et d’appel extérieur, mais témoins des exécutions massives de résistants, d’otages et de détenus dans la cour mitoyenne.
- Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient
les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues –
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage
de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
Le 12 décembre 1943, suite à la visite d’inspection du nouveau chef de camp, le SS-ObersturmbannführerArthur Liebehenschel qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de “récupérer”, ils sont renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine. Émile Bouchacourt retourne auKommando “garage”.
A la fin de l’été 1944, il est parmi les trente-six “45000” qui restent à Auschwitz, alors que les autres sont transférés vers d’autres camps.
En janvier 1945, lors de l’évacuation générale d’Auschwitz et de ses Kommandos, Émile Bouchacourt est parmi les vingt “45000” incorporés dans les colonnes de détenus évacuées – “marche de la mort” d’une semaine – vers le KL Mauthausen (matr. 119 582).
- Mauthausen. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.
Avec Clément Pellerin, de Suresnes, Émile Bouchacourt est affecté successivement dans les Kommandosde Gusen-I et Gusen-II. Transféré de nouveau à Mauthausen, il est admis au Revier.
Le 5 mai 1945, le camp est libéré par les soldats de la 3e armée américaine. Mais, très éprouvé, Émile Bouchacourt ne sera rapatrié que le 17 juillet, après un long séjour à l’hôpital de Mainau à Constance.
Homologué comme “déporté politique”, il devient secrétaire de la section FNDIRP de Suresnes (il est alors domicilié au 5, avenue Léon-Bourgeois), et le porte-drapeau départemental de l’Association en 1967.
En novembre 1995, puis en décembre 1997, un nommé Émile Bouchacourt, de Suresnes, verse en souscription 2000 F au journal L’Humanité (17/11/1995 et 22/12/1997).
Émile Bouchacourt décède en septembre 2004, au centre hospitalier F.-H. Manhès de Fleury-Mérogis (91).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 383 et 398.
Cl. Cardon-Hamet, notice rédigée pour Mémoire Vive, citant : Émile Bouchacourt (14 avril 1978) – questionnaire biographique de Roger Arnould, pour la FNDIRP, en 1987.
Archives départementale de Paris, archives judiciaires, registre du greffe du tribunal correctionnel de la Seine, 14 janvier-12 février 1941.
Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” : BA 2373 et 2374 (camps d’internement…) ; BA 2397 (liste des internés communistes, 1939-1941).
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
Témoignage de Dominique Ghelfi (daté 1946), Contre l’oubli, brochure éditée par la mairie de Villejuif en février 1996, page 61. D. Ghelfi, n’ayant pas été sélectionné pour le convoi du 6 juillet, a assisté au départ de ses camarades. Lui-même a été déporté à Buchenwald en janvier 1944 (rescapé).
Dans le DBOF-Maitron, un parent ?
BOUCHACOURT. Membre du comité de la section communiste d’Argenteuil (Seine-et-Oise), Bouchacourt était délégué du personnel, responsable syndical et politique de l’entreprise La Lorrainevers 1938-1939. Il fut envoyé en Afrique du Nord, à Ouargla en mars 1940. De retour à la fin de l’année 1940, il fit un bref séjour à Lyon puis reprit ses activités communistes dans les comités populaires d’Argenteuil, Colombes, Nanterre. Il assurait les liaisons, comme cycliste, sur onze secteurs lorsqu’il fut arrêté en 1941. Source : Arch. André Marty, E VIII.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 25-01-2012)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Suresnes et Saint-Ouen : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Paul Couprie semble être le seul à avoir été ramené à Clairvaux à la suite du procès en appel. Le 26 septembre 1941, il est parmi la centaine d’internés de Clairvaux transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne – 86). Il ne semble pas être parmi les détenus transférés à Compiègne le 22 mai 1942… Il ne semble pas avoir été déporté (ne figure pas dans Livre-Mémorial de la FMD).