Droits réservés.

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Élisabeth, Marcelle, Marthe, Le Port nait le 9 avril 1919 à Lorient (Morbihan), fille de Marcel Le Port, 24 ans, achevant alors sa mobilisation comme “affecté spécial” au titre d’ouvrier (ajusteur) aux Établissements maritimes du port de Lorient, et de Marie-Thérèse Gloton, son épouse, 24 ans, domiciliés au 85, rue de Merville. Élisabeth recevra plusieurs surnoms de la part de ses proches, qu’elle-même utilisera pour se désigner : Sab, Sabeth, Zabeth

Plus tard, ses parents s’installent à Saint-Symphorien (Indre-et-Loire – 37), commune limitrophe au nord de Tours, devenue en 1964 un quartier du chef-lieu. Son père est devenu cheminot, ajusteur à la Compagnie du Paris-Orléans. Son frère Jack (couramment surnommé Jacky) y naît le 9 juin 1925. En 1936, ils habitent avenue de la Salle.

Élisabeth Le Port poursuit ses études à l’école primaire supérieure de Tours.

Aimant la musique, elle obtient un prix de conservatoire au piano.

Zab au piano. © Collection Michel Le Port.

Zab au piano.
© Collection Michel Le Port.

Tours. À l’arrière-plan à droite, l’École normale d’institutrices, vue depuis le pont de Saint-Symphorien. Carte postale “voyagée” en 1903, collection Mémoire Vive.

Tours. À l’arrière-plan à droite, l’École normale d’institutrices, vue depuis le pont de Saint-Symphorien.
Carte postale “voyagée” en 1903, collection Mémoire Vive.

En 1936, elle est admise à l’école normale d’institutrices de Tours, « aux Tilleuls », quartier Saint-Symphorien. C’est probablement alors qu’elle rejoint l’Union des étudiants communistes (UEC), un engagement qui effraie ses parents, de tradition catholique.

En juillet 1939, à l’issue de cette formation, ayant obtenu le brevet supérieur, elle émet le vœu d’être affectée à l’école maternelle de Bléré (37). Mais, début octobre, elle est affectée comme institutrice stagiaire à l’école publique de filles de Saint-Christophe-sur-le-Nais (37) – jouxtant l’hôtel de ville (?) -, à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Tours.

Quatre classes sont installées (par deux) dans les ailes sous grenier installées symétriquement au rez-de-chaussée du petit hôtel de ville. Les logements de fonction sont constitués de cuisines en rez-de-chaussée et de chambres aux premiers étages, dont les fenêtres donnent soit sur la cour de récréation soit sur une placette côté village. La jeune collègue d’Élisabeth, Renée Baron, occupe déjà le logement mitoyen depuis 1937 (elles permuteront en 1941, quand celle-ci aura une enfant). Geneviève et Alfred Garnier, couple de direction ayant trois jeunes enfants, habitent le grand logement de fonction situé de l’autre côté de la mairie ; cependant, Alfred Garnier est alors interné en Allemagne comme prisonnier de guerre.

Saint-Christophe-sur-le-Nais, vue aérienne d’après-guerre. Au premier plan, la mairie, encadrée par deux salles de classe. Carte postale coloriée, collection Mémoire Vive.

Saint-Christophe-sur-le-Nais, vue aérienne d’après-guerre.
Au premier plan, la mairie, encadrée par les logements de fonction et les salles de classe.
Carte postale coloriée, collection Mémoire Vive.

Le 18 novembre suivant, Élisabeth Le Port passe avec succès son certificat d’aptitude pédagogique (épreuve pratique 15/20 ; épreuve orale 15/20) devant une commission qui prononce son admission définitive comme institutrice adjointe des cours élémentaires première et deuxième année.

Le 27 novembre 1940, l’inspection académique envoie à Élisabeth Le Port un formulaire sur lequel elle doit répondre à la question de savoir si son père est de nationalité française.

Du 5 au 31 janvier 1942, à Poitiers, la jeune institutrice participe à un stage d’aptitude à l’enseignement sportif. Le 19 avril, elle subit une inspection dans sa classe.

Cette année-là, elle est active dans la résistance au sein du Front national [1].

Au printemps, elle rejoint un groupe de jeunes qui – après avoir reproduit L’Humanité et de La Voix du Peuple clandestines – réalise et diffuse depuis mars un journal clandestin spécifique, La Lanterne [2], à destination des milieux patriotiques et intellectuels de Touraine. Réalisé en utilisant de la pâte à polycopier, le journal est imprimé sur deux pages recto-verso et diffusé environ deux fois par mois à 250 exemplaires.

Parmi ses initiateurs se trouvent André Foussier, 22 ans, secrétaire des Étudiants communistes d’Indre-et-Loire avant guerre, et Roger Convard. Ce dernier, qui en est le principal rédacteur, confie sa copie à André Foussier, qui l’apporte chez Rolande Rouer – depuis peu épouse de Marcel Douzilly – et ses parents, au 28 rue de la Scellerie à Tours, où sont également rassemblées les feuilles de papier. Puis, le journal est emmené ailleurs par André Foussier pour impression, avant de revenir pour sa répartition et sa diffusion, soit de la main à la main avec les personnes de confiance, soit dans les boîtes aux lettres, chacun repartant avec un petit paquet afin de couvrir un secteur défini, tel Max Morin pour Amboise. Plusieurs membres du groupe étant enseignants, les rendez-vous sont fixés les jeudis, jour de semaine où les classes sont alors fermées.

Dans la soirée précédant le 1er mai, trois jeunes communistes – André Anguille (22 ans), Robert Couillaud (28 ans) et Robert Guilbaud (22 ans) – sont arrêtés rue du Rempart ou place Dublineau à Tours par un gardien de la paix qui les a surpris dehors après qu’ils aient collé sur les murs des papillons « À bas Laval – Laval au poteau », des affichettes appelant la population française à chasser l’ennemi, et tracé des slogans à la peinture rouge. Rejoint par le deuxième agent patrouillant dans le secteur, le policier conduit les jeunes gens au commissariat central de Tours. Dans la nuit, ils sont battus dans les bureaux de la Sûreté (dirigées par Maurice). Puis un cadre policier informerait le SD local…

Le lendemain matin ou un peu plus tard, les jeunes gens, menottés, sont remis à un officier allemand. Trois jours après, le 4 mai, Maxime Roger Bourdon, cadre départemental des JC clandestines, est arrêté sur son lieu de travail (chez Rocher Rooy) par des policiers en civil ; dans les locaux de la Sûreté, il est battu et étranglé, pieds et poings liés, jusqu’à en perdre connaissance. Un des trois premiers militants clandestins arrêtés – adhérent depuis seulement quinze jours – “lâche” le nom d’André Foussier. Le jeudi 7 mai, à 5 heures du matin, celui-ci est arrêté par les Allemands (SD ?) au domicile de ses parents, au 6 boulevard Béranger ; au cours de la perquisition, quelques tracts d’avant-guerre seraient trouvés dans un livre de géographie. Torturé, il ne parle pas.

Le 9 mai, certains (tous ?) sont incarcérés au quartier allemand la Maison d’arrêt de Tours, au 28 rue Henri-Martin.

Un jeudi après l’arrestation d’André Foussier – voire avant cet évènement -, Carmen Blanchy, la fiancée de celui-ci, institutrice dans une petite école de deux classes à Chargé, présente au groupe de La Lanterne sa collègue Élisabeth Le Port, insoupçonnable d’activité clandestine en raison de sa proximité avec les milieux chrétiens, de son prix de piano au Conservatoire de Tours, de son intérêt connu pour la nature, et enfin de son isolement dans la petite commune de Saint-Christophe-sur-le-Nais.

Dès lors, Élisabeth Le Port imprime discrètement La Lanterne dans l’école où elle loge et travaille. Certains jeudis, jour de relâche, sous prétexte d’amener du beurre en ville depuis la campagne, elle vient chercher la copie du journal rue de la Scellerie à Tours, puis y ramène les exemplaires imprimés. Parfois, elle demande à sa collègue Renée Baron d’en stocker des exemplaires dans son propre petit logement de service. Sa famille  ignore tout de cet engagement.

Le jeudi 14 mai, André Anguille, Robert Couillaud, Robert Guilbaud, Maxime Roger Bourdon et André Foussier [3], sont condamnés à mort par le tribunal militaire de la Kommandantur (FK 588), et fusillés deux jours plus tard au camp du Ruchard à Avons-les-Roches (37), avec trois otages venant d’autres départements : Robert André, Marcel Mallet et Marcel Martel.

Le jeudi 18 juin dans la matinée, sa classe étant vide, Élisabeth Le Port prépare l’épreuve du brevet avec une troisième collègue, Odette Basset. C’est alors que des agents du Sipo-SD (Gestapo) viennent perquisitionner son logement de fonction, puis l’arrêter : elle a été dénoncée par une jeune fille auquel elle donne des cours particulier d’anglais.

Saint-Christophe-sur-le-Nais. L’hôtel de ville-école vu depuis l’esplanade. Les deux fenêtres de la classe de CE1 et CE2 d’alors, ainsi que celle de la cuisine d’Élisabeth Le Port, sont visibles à gauche au rez-de-Chaussée. Carte postale des années 1940-1950 (?), collection Mémoire Vive.

Saint-Christophe-sur-le-Nais. L’hôtel de ville-école vu depuis l’esplanade.
Les deux fenêtres de la classe de CE1 et CE2 d’alors, ainsi que celle de la cuisine d’Élisabeth Le Port, sont visibles à gauche au rez-de-Chaussée.
Carte postale des années 1940-1950 (?), collection Mémoire Vive.

Selon Charlotte Delbo : « Les médecins avaient recommandé la campagne à une jeune fille de seize ans nommée Nicole que ses parents ont envoyée en Touraine. En retard dans ses études, cette Nicole avait demandé à Élisabeth de lui donner des leçons particulières. Élisabeth l’installait dans son propre bureau, et l’y laissait faire des devoirs. Élisabeth aurait dû être plus prudente et ne pas garder dans ses tiroirs des stencils qu’elle tapait pour tirer des tracts ; Nicole l’a dénoncée. Après l’arrestation d’Élisabeth, Nicole est partie travailler en Allemagne comme volontaire et elle s’est fait rapatrier en 1945 sous le nom d’Élisabeth Le Port. » [4] Le terme “stencil”  fait supposer que l’école aurait disposé d’une machine à polycopier, pourtant aucun document ou témoignage n’évoque un tel équipement. La perquisition opérée dans le logement de fonction d’Élisabeth Le Port n’amène la découverte d’aucun document lié à l’organisation. Plus tard, dans un courrier clandestin adressé à ses parents et intitulé Histoire de mon enlèvement (voir sources : Une institutrice dans la tourmente, Élisabeth Le port 1919-1943), celle-ci fera le récit détaillé de cette arrestation.

Sa collègue Renée Baron, revenue du coiffeur où elle était allée avec sa fille, apprend les évènements et s’empresse de faire disparaître dans le foyer de sa cuisinière les tracts qu’elle gardait en attente de leur diffusion.

À Tours, l’appartement de la famille d’Élisabeth est également perquisitionné de fond en comble tout au long de l’après-midi. Les agents (du SD ?) qui opèrent ne découvrent pas certains documents (de nature inconnue) dissimulés derrière le miroir surmontant un cheminée et que ses parents brûleront peu après.

Le jour même, Élisabeth Le Port est conduite au secteur allemand de la maison d’arrêt de Tours.

À Saint-Christophe, à 17 heures, les Allemands arrêtent aussi Maurice Rivière, 23 ans. Ils se présentent également chez Renaud Verrier, qui a fait des remarques désobligeantes à Nicole concernant ses relations ostensibles avec des officiers de l’armée d’occupation. Mais l’homme est absent : ils reviennent l’appréhender à 22 heures (il sera incarcéré à Tours jusqu’au 15 décembre suivant ; Élisabeth apprendra sa libération).

Le lendemain matin, l’institutrice est photographiée et ses empreintes digitales sont relevées.

Elle parvient à faire sortir certains courriers de la prison grâce à la complicité d’une gardienne, Madame Michelet, qui sera déportée (?).

Dès le mardi 23 juin, elle écrit à ses parents une longue lettre qu’ils ne reçoivent que quatre jours plus tard.

Son père lui répond aussitôt : « […] Jeudi, nous avons eu beaucoup de visites : Mademoiselle Bouyer, ton professeur de l’École Normale […]. Samedi soir, lors de son arrivée à Tours, Robert [Orillard ?], ayant appris par sa maman ton arrestation, a juste pris le temps de manger et est venu aux nouvelles. Il est revenu ce soir et a apporté des livres pour toi ; nous te les ferons parvenir mardi. D’ici là, peut-être aurons-nous l’autorisation de te voir, si l’autorisation que nous avons demandée par Maître de La Chapelle [avocat] est accordée.
Aussitôt réception de ta lettre, j’ai écrit à Madame Garnier pour la rassurer sur ton sort et lui envoyer, ainsi qu’à Madame Baron, tous tes remerciements.
Nous avons reçu aussi une lettre de Mademoiselle Nicole, qui nous a dit être rentrée depuis le 22, mais ne nous dit rien autre chose, que l’espoir de te voir revenir au plus tôt.
[s’agissant de la famille de Lorient…] tous sont retournés de ce qui arrive, et il y a de quoi, car, jamais de mémoire, un Le Port n’a franchit le seuil d’une prison. Pour toi, ma petite chérie, il n’y a aucun déshonneur, et nous espérons que tu sortiras bientôt la tête haute, et que tes juges reconnaîtront la calomnie où la vengeance dont tu es victime. […] Jacky a été cet après-midi porter ta lettre à Mademoiselle Dedenis, ainsi qu’à Madame Orillard et Robert […]. À propos, faut-il que je me mette à la recherche d’un livre d’allemand ? Car, à Saint-Christophe, ton logement est fermé à clé. Madame Garnier a fait fermer les volets de ta chambre par le garde-champêtre : elle craignait que le soleil abîme tes tentures. […] Tiens-nous au courant du jugement que tu dois subir, et dis-nous de quoi on t’accuse, car nous sommes dans le néant pour la cause et l’accusation dont tu fais l’objet ; nous pensons à une dénonciation anonyme… »

Le 2 juillet, son autre collègue, Renée Pech, lui envoie une courte lettre de sympathie : « J’ai beaucoup de vos petites élèves ; elles pensent bien à vous et sont bien mignonnes. »

Le dimanche 5 juillet, son père lui écrit : « […] Maman et Jacky ont été hier au siège de la Gestapo pour demander tes clés, afin de t’envoyer du linge et tes livres d’allemand. Mais le chef n’était pas là et il faudra y retourner demain ou mardi. Maman va aller à Saint-Christophe pour te chercher du bon lait. En même temps, elle va cueillir des fèves et des haricots s’ils sont rendus. Elle tâchera de voir Mademoiselle Nicole qui, d’après Madame Garnier, serait en liberté provisoire (?) Moi, mon petit, j’en pense autrement, ainsi que tous les gens de Saint-Christophe, et je serais tenté de croire que tout le mal qui t’arrive vient d’elle ; c’est la presse de tout le pays. […] »

Le 6 juillet, dans une lettre à ses parents, Élisabeth Le Port déclare ne pas avoir encore été interrogée.

Le 15 juillet, son père écrit : « … le moral n’est guère fameux quand nous pensons qu’hier Maman t’avais préparé un bon panier avec de bonnes petites gâteries et qu’à la prison on n’a rien voulu accepter. Et cela jusqu’à quand, nous ne savons encore pourquoi cette mesure rigoureuse envers les prisonniers ; qu’a-t-il bien pu se passer ? […] Tu me dis que ce n’est pas la peine de prendre un avocat, n’ayant rien  à te reprocher qui puisse nécessiter [un tel] recours. […] mais, à la demande qu’il a faite pour te voir, il n’y a pas de réponse, et puis rien, aucun dossier sur ton cas, ce qui lui fait penser que le cas n’est pas grave. […] J’ai été lundi m’occuper aux bureaux de la police allemande pour essayer d’avoir les clés de ton logement afin de t’avoir du linge de rechange et des livres. Madame Garnier a dû faire une démarche auprès du maire pour avoir aussi les clés afin de donner de l’air : sur la palier à Madame Baron, c’était une infection : des légumes, fruits, laitages, etc., qui doivent pourrir. »

Sur un billet clandestin, Élisabeth note les interrogatoires qu’elle subit le 17 juillet, de 9 h 20 à 13 h, puis de 23 h 15 à 1 h du matin, et encore six jours plus tard, 23 juillet, de 0 h à 1 h 15, et de 15 h 20 à 16 h. Les Allemands viennent la réveiller à coups de bottes, comme elle en témoignera plus tard auprès d’Héléna Fournier, déportée avec elle. Lors de ces séances, elle est violemment frappée : « Si tu savais comme ils m’ont battue, à Tours, à la prison, pour que je dénonce les autres. Ils promettaient de me libérer si je parlais. Je ne regrette rien… ».

De Tours, à une date restant à préciser (après le 17 juillet ?), elle envoie à ses parents une longue lettre, sans doute sortie clandestinement : « Je pense beaucoup à vous, qui déménagez peut-être par un si triste temps ! Ici, nous n’avons pas nos chaussures aux promenades : voici encore deux jours que nous ne sortons pas ; heureusement étant toujours seule dans la cellule, j’ai de la place pour me dégourdir ; d’autre part, je ne manque pas d’air : ma fenêtre est toujours ouverte nuit et jour, et je n’ai jamais froid. Vous allez rire : depuis ce matin j’ai 3 paillasses, 1 lit et 9 couvertures ! Au cas où il arriverait de nouvelles pensionnaires. J’en ai profité pour installer un confortable fauteuil d’angle (avec 2 paillasses), ce qui donne à ma cellule une vague allure de salon, il manque un paravent pour masquer un certain petit coin ! Les surveillantes ne sont pas des amours, bien sûr, mais malgré une certaine brusquerie elles ne sont pas détestables. D’ailleurs j’ai horreur de me faire disputer et je fais ce qu’il faut pour qu’on me laisse tranquille. Mes journées se passent en tricot et lecture ; les livres du dehors ne sont pas autorisés, on m’a fait renvoyer même mon livre d’allemand ; après parlementations, j’ai réussi à garder celui d’italien et Aristophane jusqu’à la semaine prochaine. Si vous avez acheté Marc-Aurèle, envoyez-le toujours, il passera peut-être, car les livres de la prison sont en général sans intérêt. Merci Maman chérie pour mon corsage vert ; il était donc chez vous ? Vous trouverez dans le panier toute la correspondance que j’ai reçue ici, et parmi, un morceau d’enveloppe contenant des timbres ; c’est par erreur qu’ils sont repartis à la maison ; voudrez-vous me les retourner, dans un papier bien évidemment, avec le prochain colis.
[Réagissant certainement à des informations transmises par ses parents, elle écrit :] Décidément, les façons de Nicole sont bien énigmatiques ! Si vous la voyez de nouveau, vous pouvez lui demander de vous rapporter sa conversation avec le chef de la Gestapo dans ma propre chambre, le jour de mon arrestation ! J’aurais voulu être petite souris pour savoir ce qui s’y est dit.
“Lui”, pour Nicole, est certainement son ami allemand, M. Vöbel.
Pour le chef de la gestapo m’interrogeant, “lui” = le coupable, la mystérieuse personne dont je ne veux pas dire le nom, “on” ; j’ai toujours parlé de façon impersonnelle, si bien que la police ne sait pas encore si c’est un homme ou une femme qu’il faut rechercher. Oh ! Je vous assure que je mesure chaque parole, et que ces interrogatoires demandent un bel effort de volonté, d’attention et de maîtrise de soi. J’ignorais… [suite au verso] »

Le 29 juillet, le préfet d’Indre-et-Loire écrit à l’inspecteur d’Académie à Tours : « Par votre rapport mensuel [reçu quatre jours plus tôt] vous m’avez signalé l’arrestation d’une jeune institutrice Mademoiselle Le Port, arrestation dont vous n’avez pu connaître le motif. Je vous informe que cette institutrice imprimait […] une feuille à tendance communiste et gaulliste […]. Les autorités allemandes ont pris l’affaire en main et j’ignore le lieu où Mademoiselle Le Port est actuellement détenue. »

La veille, 28 juillet, le cabinet du préfet a transmis au chef du service des Renseignements généraux un exemplaire de La Lanterne « déposé récemment dans une boîte aux lettres de la ville de Tours », en l’accompagnant d’une note : « La personne qui imprimait la première édition ayant été arrêtée, il y aurait lieu de rechercher d’où provient le nouveau tract. » Probablement s’agit-il d’un exemplaire diffusé avant l’arrestation d’Élisabeth Le Port.

En effet, en 2008, Marcel Douzilly témoignera : « Pour le groupe, pour l’ensemble, pour le journal lui-même, c’était la fin. Parce que André Foussier arrêté, Roger Convard parti, Élisabeth arrêtée, nous n’avions plus aucune relation avec qui que ce soit. » Il ajoutera : « Il n’y a pas eu d’autre arrestation derrière. Ce qui veut dire que l’un et l’autre n’ont pas lâché un seul nom sous les tabassages et la torture : on doit à André Foussier et Élisabeth Le Port le fait de pouvoir vous parler aujourd’hui. »

Le 3 septembre 1942, son père écrit à Élisabeth au nom de la famille : « … Déjà 2 mois 1/2 de séparation, ma chérie, et rien qui puisse nous mettre au courant de l’inculpation qui pèse sur toi. À toutes les questions que j’ai demandées à la police allemande, il m’a été répondu que l’on ne pouvait rien me dire. L’on m’a dit aussi que ton cas n’était pas grave ; alors pourquoi donc, ma chérie, te garde-t-on en prison à te faire souffrir moralement ? Et, tu as beau dire que tu te portes bien, nous ne serons rassurés que le jour où il nous sera permis de te voir. À cette demande, il m’a été répondu que je te verrai après jugement. Mais quand, ce jugement ? Je crois que tous ceux qui ont été arrêtés et dont nous avons été informés ont été jugés dans les huit jours suivant leur arrestation ; c’est donc que l’on ne sait pas de quoi t’inculper que l’on te garde si longtemps en prison. Car il ne se peut pas qu’une enquête si sérieuse soit-elle puisse durer 2 mois 1/2. »

Le 20 septembre, Élisabeth Le Port écrit à ses parents : « Voilà deux mois exactement que l’on ne m’a pas interrogée ; je ne sais ce que cela veut dire ; ou plutôt, je ne cherche même pas à le savoir ; cela m’est indifférent. Je constate seulement la bizarrerie du procédé, sans plus. » Dans ce courrier, elle évoque le prochain déménagement de sa famille au 4 impasse des Docks à Tours, dans le quartier de La Fuye.

À l’aube du 6 novembre 1942, Élisabeth Le Port est parmi les dix-sept prisonnières extraites de leurs cellules pour monter dans deux cars stationnant devant la prison. Dans l’un d’eux se trouve déjà Marcelle Laurillou, restée détenue depuis deux mois à l’école prison Michelet.

Les véhicules s’arrêtent rue de Nantes et les dix-huit détenues sont menées dans la gare de Tours par une porte annexe, échappant ainsi aux regards de la population. Sur le quai, des soldats allemands montent la garde devant le wagon à compartiments où elles doivent prendre place.

Tours, la gare de la ligne Paris-Orléans (P.O.) dans les années 1920. La porte de service par laquelle les Tourangelles ont été conduites vers un train se trouve au fond de la rue de Nantes, à droite. Carte postale colorisée, collection Mémoire Vive.

Tours, la gare de la ligne Paris-Orléans (P.O.) dans les années 1920.
La porte de service par laquelle les Tourangelles ont été conduites vers un train se trouve au fond de la rue de Nantes, à droite.
Carte postale colorisée, collection Mémoire Vive.

À midi, leur train s’arrête à la gare d’Austerlitz, à Paris. On les fait entrer dans une petite salle d’attente équipée de bancs, où des bénévoles de la Croix-Rouge distribuent à chacune un bol de bouillon “Kub” et une tranche de pain noir. Un agent de police française est là pour les accompagner aux toilettes.

Après une attente de plusieurs heures, les prisonnières – toujours encadrées par des soldats – doivent monter dans deux autobus de la STCRP (future RATP).

Dans la soirée, elles arrivent dans la brume au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis [3]), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

À la Kommandantur du camp, derrière le portail d’entrée, Élisabeth Le Port est enregistrée sous le matricule 1176. Puis les Tourangelles sont conduites en contrebas du fort. Les gardiens leur annoncent qu’il est trop tard pour les installer dans le bâtiment de caserne : elles seront enfermées dans une casemate pour la nuit. Il est également trop tard pour leur donner à manger : à cette heure, il n’y a plus rien aux cuisines. Mais d’autres prisonnières ayant appris leur arrivée obtiennent l’autorisation de leur apporter des biscuits extraits de leurs propres colis et de la tisane chaude, qui leur procurent surtout un réconfort moral. Dans ce local souterrain humide et glacé, elles ne parviennent pas à dormir.

Le lendemain, elles sont conduites au premier (?) étage du bâtiment. En traversant la première chambrée, déjà surpeuplée, une jeune femme questionne chacune des arrivantes : « Pourquoi as-tu été arrêtée ? » Elle invite à intégrer ce groupe déjà constitué celles qui se déclarent comme communistes : Élisabeth Le Port, Fabienne Landy et Yvette Marival. Les autres Tourangelles rejoignent la chambrée du fond.

Le bâtiment A de la caserne du fort, avec sa façade tournée vers l’extérieur, par-dessus le rempart. Les escaliers et chambrées des femmes internées étaient à l’extrémité de cette perspective. Photo Mémoire Vive.

Le bâtiment A de la caserne du fort, avec sa façade tournée vers l’extérieur, par-dessus le rempart.
Les escaliers et chambrées des femmes internées étaient à l’extrémité de cette perspective.
Photo Mémoire Vive.

Le 9 novembre, sur un papier à lettre fourni par l’administration militaire du camp (Kriegsgefangenenpost) et soumis à la censure (Geprüft), Élisabeth peut écrire à ses parents :
« Romainville Les Lilas le 9 nov 42. Bien chers Parents et Jacky, Par cette lettre, je suis heureuse de mettre fin à vos tourments quand vous avez appris mon départ de Tours. J’avais un peu le cœur serré de quitter la Touraine en pensant à vos inquiétudes, car, pour moi, rien ne me fait peur. Mais, mes parents chéris, rassurez-vous sur mon sort ; nous avons ici un accueil très chaleureux : les camarades détenus ont pris sur leurs si maigres parts pour nous donner un peu à manger, car nous étions parties de la prison sans nourriture. L’atmosphère ici est très agréable grâce au merveilleux moral des prisonnières, à la bonne camaraderie ; dans la chambre nous sommes 46, quelle amélioration, avec le régime cellulaire de la Centrale de Tours : plus de barreaux ; ici le ciel, les arbres, une vue splendide sur Paris, de charmantes camarades, 2 h 20 de sortie chaque jour ! Alors, défense de vous tourmenter. Nous pouvons recevoir des colis ; voudrez-vous, SVP, m’envoyer : 2 chemisiers, 1 soutien gorge, la jupe grise, 1 bouteille Thermos ; par un colis retour, je vous enverrai le paletot de laine de Mme Marc ; j’espère que vous êtes en possession de tout ce que j’ai laissé à Tours : duvet, gamelles. Il ne nous sera peut-être pas permis d’écrire souvent, alors n’attendez pas trop impatiemment le courrier ; tout va bien ; les journées passent agréables : je suis des cours d’allemand et d’anglais, organisés par des camarades, il n’y a donc pas place pour l’ennui ; vous avez été sans doute terriblement inquiets de mon départ, et inutilement puisque tout est pour le mieux ; donc mes Parents chéris, plus de soucis maintenant. Donnez-moi de vos nouvelles, et conservez bon moral. A notre famille, nos amis, bons baisers ; pour vous 3, les plus affectueux.
Sabeth »

Le bâtiment A, vue vers l’intérieur du fort, du côté des cours de promenade clôturées. Photo Mémoire Vive.

Le bâtiment A, vue vers l’intérieur du fort, du côté des cours de promenade clôturées.
Photo Mémoire Vive.

Le 18 novembre, elle peut écrire (officiellement) :
« Maman, Papa, Jacky chéris. J’ai bien reçu lundi le colis que vous m’avez envoyé ; merci beaucoup, il m’a fait bien plaisir et fut salué d’exclamations par les camarades dont beaucoup, depuis des mois attendent. Maintenant, elles commencent à recevoir des colis, et sont folles de joie. Pour moi, mes chers Parents, je trouve bien suffisante l’alimentation du camp ; la ration n’est pas abondante mais très bonne ; et nous améliorons l’ordinaire en préparant, avec tous les colis mis en collectivité, de bonnes soupes, des Viandox. Depuis lundi, nous sommes chauffées : sommes-nous donc à plaindre ? […] Hier, immense joie encore : on m’a remis la carte de Papa ; comme vous êtes bons d’être venus jusqu’à Paris m’apporter vêtements et gâteries ; 1000 baisers pour vous remercier ; mais ne vous dérangez pas souvent. […] J’étudie, je tricote et les journées passent vite en compagnie de charmantes camarades. Toujours bonne santé et excellent moral. Je souhaite de tout cœur qu’il en soit de même pour vous. Donnez-moi de vos nouvelles chaque semaine. […]  »

Le 9 décembre, sur une carte postale (Postkarte) de sept lignes fournie par l’administration militaire du camp, elle peut écrire :
« […]  Tout va très bien ici, j’étudie sténo, italien, espagnol et allemand, fais des travaux manuels ; n’ayez aucune inquiétude à mon sujet ; que Petit Père ne se dérange pas chaque lundi. Surtout meilleure santé à vous 3 ; Remerciements, baisers aux amis ; pour vous 1000 tendresses et baisers. »

À une date restant à préciser, elle transmet un long message clandestin, écrit finement sur quatre bandes de tissu dissimulées dans les ourlets du linge renvoyé à ses parents :
[1re bande] « Mes 3 chéris. J’attends impatiemment des nouvelles de petite Mère. Écrivez-moi vite ; toutes tes lettres me sont remises. Je souhaite beaucoup que cette vilaine jambe ne fasse plus souffrir Maman. Je voudrais être là-bas pour te soigner, ma Petite Moutte chérie, et aider Papa et Jacky ; j’espère qu’il n’y a plus de rhume à la maison. Retrouvez vite votre santé. Pour moi ici tout va bien, ce serait beaucoup mieux encore si j’étais près de vous, surtout en ce moment.
Mais vraiment la vie ici est très supportable ; j’ai la chance d’être dans une salle où règne un merveilleux esprit de camaraderie et de bonne entente : la salle des Communistes, la première où vient de s’instaurer la collectivité complète (poussée loin ! Nous avons une camarade qui se fait un plaisir d’améliorer chaque jour l’ordinaire en préparant une délicieuse soupe maison avec les légumes de nos colis ; et la semaine dernière, par erreur, elle a remplacé le sel par le sulfate de soude ! Résultat : purge collective ! Quel fou rire !) Il y a des heures un peu tristes, celles où nous pensons aux tourments inutiles de nos familles, mais aussi beaucoup d’agréables moments ; aussi ne nous plaignez pas ; vous êtes plus malheureux que nous, au dehors, victimes des restrictions de plus en plus sévères, soucieux d’un avenir tellement problématique. Nous sommes au courant de la situation par les journaux reçus chaque jour clandestinement – “L’Œuvre, Parisien Zeitung” – et nous suivons avec intérêt tous les événements. Aussi nous souhaitons [2e bande] partir plus loin.
Le bruit court d’un prochain départ pour l’Allemagne, hommes et femmes, la moitié du camp (nous sommes en ce moment plus de 400, c’est complet). Si cela arrivait et que je sois du nombre, surtout ne vous tourmentez pas, moins qu’une autre je serais à plaindre, parce que je me fais très bien comprendre ; j’ai parlé avec un des soldats qui nous ont conduites ici, et c’est ainsi qu’en gare de Paris j’ai appris le lieu de notre futur emprisonnement ; rien ne pourrait attaquer mon moral si je sais que vous affrontez la déportation courageusement, j’ai une bonne santé, alors je suis capable de sortir indemne de toute situation. Ceci dit n’y pensez plus, car rien n’est officiel.
Vous aurez la visite de Mademoiselle Renauld, institutrice dont la sœur est ma voisine de lit. Mon petit Papa, quand tu viendras à Romainville, voudras-tu prendre, en même temps que mon colis retour, celui de Germaine Renauld, n° 682. Sa sœur le prendra à la maison. C’est une charge de plus, mais je pense que tu l’accepteras ; c’est un grand service à lui rendre.
Pour mes colis, je n’ai pas trouvé sur la dernière carte que je vous ai envoyée la place de vous remercier, il y a si peu de place : j’ai droit seulement à 2 cartes de 7 lignes par mois ou à 1 lettre. C’est bien peu, heureusement [3e bande] qu’il y a moyen de tricher. Quand j’enverrai du linge, regardez bien dans les coutures, faux ourlets et dans les double-fonds des petits pots de carton. Si vous voulez me faire savoir quelque chose, employez le même moyen, ou enveloppez le mot dans un petit tube de métal glissé dans les légumes d’une gamelle ou d’un peu de beurre.
Pour les colis, ne vous démunissez pas de vos conserves, surtout nous en recevons beaucoup de Paris. Un peu de légumes, comme l’autre jour, si cela ne doit pas trop vous priver, nous fait le plus grand plaisir. De gros baisers pour vous remercier, ainsi qu’à nos amis, mes collègues, ma petite élève dont les attentions me touchent beaucoup.
Voici ce que nous avons à manger chaque jour à 7 h de la tisane, à midi soupe comprenant 1 assiette de bouillon et 1 louche, quelquefois 1 et 1⁄2 ou 2 d’un mélange de légumes, nouilles, quelques miettes de viande ; vers 4 h avec de la tisane, on nous distribue la ration de pain, 1/6 de boule allemande : environ 175 g, avec quelques grammes de margarine en guise de beurre ou une petite cuillerée de confiture. Ici j’ai repris du poids et de bonnes couleurs.
J’étudie beaucoup ; merci pour l’Assimil italien ; mais je n’ai pas eu celui d’espagnol ; j’ai peu de temps pour tricoter, surtout que les camarades me harcèlent pour que je leur brode des gilets, boléros dans te genre du mien. Merci à Pépée pour les laines et cotons envoyés. Petite Mère, voudras-tu m’envoyer des bandes de tissus comme celles-ci en vue du même usage ; 1 soutien-gorge ; 1 crayon d’encre et 1 ordinaire, un peu de savon ; baisers pour te remercier d’avance.
Que devient mon logement ; en avez-vous les clés maintenant ? Je doute que les démarches de l’inspecteur aboutissent à ma libération ; malgré tout, nous nous retrouverons peut-être bientôt. Attendons avec patience et courage.
Nouvelle commission à la famille [4e bande] Landy, 26 rue E. Zola, St Pierre ; les mettre au courant d’un départ possible de Fabienne pour l’Allemagne, mais que personne ne s’alarme. Fabienne demande mouchoirs et linge, elle a reçu 2 colis et 3 lettres de ses parents ; elle fera des colis retour pour son oncle de Paris. Elle va très bien ; demande encore des photos.
Donnez de mes nouvelles à Lorient et mes amis, expliquez qu’il m’est impossible d’écrire puisque je n’ai que 2 petites cartes.
Que sont devenus les 2 jeunes gens de St-Christophe arrêtés en même temps que moi ?
Inutile de m’envoyer en ce moment autre chose que des livres d’étude.
Surtout tranquillisez-vous à mon sujet ; je n’ai qu’une inquiétude : savoir Petite Mère malade, qu’un chagrin : être loin de vous.
Quand Papa vient ici, de la route, il peut m’apercevoir à une fenêtre du 2e étage et même parler ; je guetterai chaque lundi matin pensant qu’il arrive par un train très matinal.
J’ai bien hâte de me retrouver parmi vous, de retrouver un Jacky devenu homme ; une Maman et un Papa en bonne santé, donc Petite Mère, guéris vite. Tous les 3, je vous embrasse 1000 fois bien tendrement en vous recommandant encore d’avoir toujours bon moral, de ne jamais penser à moi avec tristesse ou inquiétude. Nous serons bientôt réunis et la vie sera belle. “Haut les cœurs”, comme disait Mme Michelet ; embrassez-la pour moi ainsi que tous nos amis. Pour vous encore toutes mes plus affectueuses bises. Beaucoup de tendresse de votre grande Sab toujours près de vous par le cœur et l’esprit. »

En décembre 1942, elle transmet un long message clandestin écrit finement sur des feuilles de papier toilette, dans lequel elle peut s’exprimer longuement sur ses conditions d’existence : « Mes 3 chéris. J’ai bien reçu les lettres du 10 et 13 décembre et suis bien heureuse que Petite Mère retrouve une santé, je souhaite naturellement l’amélioration continue, surtout à ne faire aucune imprudence afin de te guérir vite et éviter toute rechute. […]

[L’année 19]43 qui est proche nous apportera, je pense, de meilleurs jours.
Fabienne [Landy] a reçu une lettre de son père ; il annonce la visite que papa leur a faite lundi soir : cette nouvelle nous a beaucoup réjouies. Ainsi donc vous êtes rassurés sur notre sort.
Je vais encore vous donner quelques détails sur notre vie de prisonnières.
Nous logeons à 46 dans une salle d’environ 20 m x 6, juste la place pour 23 lits à étage, 3 grandes tables et des bancs ; toute la journée nous restons sur les lits faute d’espace vital. Nos lits ? Un poème ! La 1ère nuit, j’ai couché au rez-de-chaussée et heureusement car n’étant pas habituée au système du “sommier Romainville” : 7 petites planches molles sur un cadre de bois ; je me suis retrouvée le derrière par terre, ayant glissé entre les planches ! Cela arrive à d’autres, en pleine nuit, il y a des descentes sur les camarades du dessous ; depuis un moment déjà j’occupe le 1er étage, laissé de préférence aux jeunes, car il faut faire une gymnastique de singe savant pour grimper dans ces pigeonniers sans échelles. D’ailleurs, on y est bien mieux qu’en bas : plus d’air, plus de lumière, moins de dérangement. Pas de lavabos, corvées d’eau et de vidage des seaux ; il faut faire sa toilette dans une minuscule cuvette, la cuvette “universelle” qui sert en même temps de lessiveuse, de casserole ! Chaque samedi après-midi : douche ! Toute cette étroite vie matérielle ne nous gêne pas beaucoup. Nous faisons contre mauvaise fortune bon cœur. Chaque dimanche, nous trouvons le moyen d’organiser une petite fête en collaboration avec la salle voisine (où est Madame Fournier) chants, danses, pièces et revues entièrement écrites par des camarades ; le tout suivi de bal (pour la circonstance, on entasse les lits dans le même endroit) au son de la musique des brocs et fourchettes.
Tous les soirs, nous discutons de questions politiques ou sociales, ou bien l’une de nous lit à haute voix tandis que les autres s’occupent à un travail manuel ; de temps en temps, comme hier soir, il y a représentation théâtrale des classiques français, précédée d’une conférence littéraire (nous avons eu hier soir, quelques scènes de “Phèdre”, de “Racine” ; c’était très bien réussi et d’une grande beauté). L’ingéniosité des prisonniers est chose merveilleuse et me rappelle celle que nous avions à l’E.N. [École Normale d’institutrices] pour la préparation des fêtes. Nous avons aussi une chorale, dirigée par une jeune institutrice de 25 ans. Beaucoup de ressources dans notre salle : Danielle Casanova, conférencière militante du parti communiste, la femme de Vaillant-Couturier, une journaliste-poétesse, 3 institutrices, des étudiantes, aussi des ouvrières d’usines, des paysannes, toutes sans aucune vulgarité, charmantes camarades qui ont souffert des mois d’internement pour leur idéal. Tout un groupe est avide d’augmenter ses connaissances ; les cours se succèdent : allemand, anglais, français, diction, sténo, conversation anglaise avec une véritable dame d’Outre-manche.
Puis nous travaillons personnellement : espagnol et italien. Et les jours passent bien trop vite à mon gré. Je ne trouve jamais le temps de faire ce que je voudrais. Voyez mes parents chéris, qu’il ne faut pas se plaindre ; et que jamais il ne faut s’inquiéter de l’avenir ; vous avez eu, je suis sûre, beaucoup de chagrin en apprenant mon départ de Tours ; et c’était un changement pour une vie bien meilleure. Chassons donc tout tourment, ayons confiance en l’avenir et surtout en nous-mêmes, car, en dehors de la santé, notre vie est toujours ce que nous la faisons. Pour ma part, je me sens réfractaire au malheur tant que je vous sais en bonne santé avec un bon moral. Je vous en prie, mes Parents Chéris, ne vous ennuyez jamais à cause de moi ; quand j’ai appris la maladie de Petite Mère, je me suis sentie en partie responsable, à cause des tourments que vous avez eus depuis 6 mois.
[…]
Pourtant, grâce à vous mes chers Parents, j’ai acquis une éducation qui me permet de sortir indemne de n’importe quelle situation ; alors n’ayez jamais aucun souci à mon sujet. […] Il y a 1 mois nous pouvions espérer des événements précipités ; mais voilà de nouveau la situation très stationnaire en Afrique du Nord – seul, le front russe marque de réels succès, nous suivons tout avec intérêt et confiance – II y a eu des libérations le mois dernier dans notre chambre ; qui sait ?… les démarches de l’Académie auront peut-être du succès. Je suis bien heureuse si mes mandats vous sont payés. Utilisez cet argent pour mes colis, pour vous-même si vous en avez besoin. Voulez-vous acheter le dictionnaire Larousse en 2 volumes, de préférence à couverture rouge. Je regrette beaucoup de n’être pas près de vous pour les fêtes et de vous offrir seulement en cette occasion tous mes meilleurs baisers.  […] Les bonnes petites galettes m’ont indiqué l’autre jour que Petite Mère allait mieux ; comme j’étais heureuse. Il ne faut pas venir si souvent à Romainville, car je sais que cela cause beaucoup de fatigue à Petit père.
Je demande seulement que vous m’écriviez souvent (inutile d’affranchir). Faites une liste jointe aux colis de ce que vous y mettez, car dans les diverses fouilles il peut s’égarer des choses. Voudrez-vous joindre la prochaine fois quelques aiguilles à coudre, un peu de sel fin dans une enveloppe (c’est pour avoir l’enveloppe au cas où nous partirions afin de vous prévenir ; pas de timbre, j’ai réussi à en camoufler en quittant Tours. […] Nous avons eu quelques jours de froid et de pluie ; la température est redevenue étonnamment douce pour la saison. Enfin tout va très bien. Pour le coton bleu, j’aurai suffisamment pour faire plusieurs brassières ; je peux peut-être en faire 2 et utiliser le reste pour une petite robe ? Que Pépée donne quelques renseignements et me dise ce qu’elle désire. […]  »

Transmis après le 15 décembre, un autre message clandestin est fragmentaire :
« […] Voulez-vous m’envoyer aussi une éponge de toilette ; cela évitera le lavage des gants de toilette, car nous sommes très mal installées pour cela, et nous manquons de savon. C’est Fabienne [Landy] qui fait le lavage de notre linge, tandis que je le repasse ; nous sommes de très bonnes compagnes ; le soir, quand il n’y a pas de causerie ou de lecture collective, nous nous installons sur mon lit et, à tour de rôle, l’une de nous fait la lecture tandis que l’autre tricote. D’ailleurs toutes les camarades sont très gentilles pour moi, jeunes ou vieilles ; l’autre jour, on m’a baptisée de “chouchoute” ; c’est décidément un qualificatif qui me suivra partout. […] Dans mon colis retour, vous trouverez un petit paquet marron contenant 2 bérets marins à transmettre à Mr Herbassier de la part de Lucette. Voilà aussi une grande valise contenant des vêtements ; elle appartient à Régina Breton, une camarade qui nous a quittées dernièrement pour l’hôpital du Val-de-Grâce ; nous avons de ses bonnes nouvelles.

Imprimé au verso d’un formulaire médical militaire, ce menu “résistant” ne manque pas d’ironie. © Patrice Cotensin.

Imprimé au verso d’un formulaire médical militaire,
ce menu “résistant” ne manque pas d’ironie.
© Patrice Cotensin.

Mon petit Papa Mignon, tu voudras bien porter la mallette et son contenu au Café Velpeau, 29 place Velpeau (près de la rue Bellanger). Son mari est aussi arrêté et le café tenu par leurs 2 filles et leur fils [6].

Régina (1939) et Gaston (1936) Breton, participaient au réseau de La Lanterne. Album d’Édith Breton, © Patrice Cotensin.

Régina (1939) et Gaston (1936) Breton, participaient au réseau de La Lanterne.
Album d’Édith Breton, © Patrice Cotensin.

Le café de Gaston et Régina à la fin des années 1930. C’était un point de rendez-vous et de dépôt des réalisateurs de La Lanterne. Tournés vers le photographe, Régina et Kleber. Album d’Édith Breton, © Patrice Cotensin.

Le café de Gaston et Régina à la fin des années 1930.
C’était un point de rendez-vous et de dépôt des réalisateurs de La Lanterne.
Tournés vers le photographe, Régina et Kleber.
Album d’Édith Breton, © Patrice Cotensin.

Kléber, Huguette et Édith Breton. Photo réalisée en studio en 1942 afin d’être envoyée à leurs parents prisonniers. Album d’Édith Breton, © Patrice Cotensin.

Kléber, Huguette et Édith Breton. Photo réalisée en studio en 1942
afin d’être envoyée à leurs parents prisonniers.
Album d’Édith Breton, © Patrice Cotensin.

Autre commission, la dernière ! Faire savoir à la famille Landy que Fabienne a bien reçu ses pantalons, s’en réjouit et remercie, depuis 5 semaines, elle n’a pas reçu de colis de Tours et s’en inquiète. Il faut expédier les colis-gare à Pantin, autrement ils ne nous parviennent pas ; elle demande toujours des photos (les mettre dans le colis) et des nouvelles de Jacques. […] Suis heureuse de la libération de Verrier. […] Qu’est devenu Mr Rivière ? »

Le 9 janvier 1942, dans un autre message clandestin, elle écrit :
« Mes 3 Chéris, vous aurez, je crois, connaissance du petit mot contenu dans le colis de Germaine [Renauld].
De mon côté, je vais essayer de vous donner des détails sur notre vie. Tandis que je vous écris, il se prépare une petite bombance !… Nous fêtons ce soir l’anniversaire de Danielle Casanova [34 ans] en même temps que nous tirons les Rois ; aussi Nayette [Louise Lavigne, née Amand ?], notre admirable cordon bleu, prépare-t-elle un immense gâteau (avec, en guise de fève, un bouton de culotte !) que nous mangerons avec une crème au chocolat, après une bonne soupe et des nouilles. Par là-dessus des chants, de la bonne humeur ; une joyeuse petite soirée en perspective.
Il le faut bien, car quelquefois, nous recevons de bien pénibles nouvelles concernant nos camarades de la salle ; la vie que nous menons nous entraîne à mettre en commun nos peines, comme nos joies ; pensez que plusieurs camarades plus jeunes que moi ont appris cette semaine qu’elles étaient déjà veuves [39 otages ont été exécutés le 21 septembre 1941] ; mardi soir, la douleur est entrée dans notre salle ; mais l’idéal est là qui aide à supporter les plus grandes peines ; nos malheureuses compagnes font preuve d’un courage admirable ; elles ont déjà tant souffert depuis bientôt un an qu’elles sont arrêtées.
Mes parents chéris, si grande que soit notre peine d’être séparés, nous n’avons pas le droit de proférer une plainte quand nous pensons à ce que d’autres peuvent souffrir ; d’ailleurs jamais je ne gémis ; je crois qu’il faut être toujours plus grand que le malheur ; à l’heure actuelle, nous n’avons pas le droit d’être des “femmelettes”. Pour ma part, je ne regrette rien de ce que j’ai supporté jusqu’ici, j’ai pu surmonter de dures épreuves, j’ai triomphé sur moi-même, alors je sortirai d’ici plus forte, mieux armée pour la continuelle lutte qu’est la vie.
Mais ce que je ne voudrais pas, c’est que d’autres, et surtout vous, mes chers Parents, vous connaissiez la souffrance à cause de moi. Ne vous tourmentez pas et ne me plaignez pas, je veux que vous puissiez être fiers de moi, comme nous le sommes de nos camarades courageusement tombés pour que nous soyons libres et heureux plus tard. S’ils ont fait le sacrifice de leur vie, nous pouvons sans murmurer sacrifier quelques mois de notre liberté.
Quand on sait s’occuper, d’ailleurs, la vie même en camp n’est pas si terrible. Pour moi, les jours passent trop vite ; le soir arrive avant que j’ai fait tout ce que je voulais. Aux leçons d’italien, d’espagnol, d’allemand, d’anglais, de sténo, s’ajoute maintenant l’étude de rôles en vue des soirées récréatives ; je suis maintenant acteur dans la troupe de théâtre de Romainville ; nous préparons actuellement Les Précieuses Ridicules de Molière et Bajazet de Racine. Tout ceci fait oublier bien des choses, ne serait-ce que les soupes maigres ! Aujourd’hui [9 janvier 1942], je vous envoie 1 lettre officielle sur laquelle on nous oblige de spécifier : seulement 2 lettres et 2 colis par mois. Pour ces derniers, c’est bien suffisant que mon petit Papa fasse un si pénible voyage 2 fois par mois (même quand je pense à toute la fatigue que cela représente, 1 fois suffirait.) surtout que tu es tellement chargé !
Mon pauvre Papa. C’est très bien de rendre service et je reconnais bien là ton bon cœur ; mais il faut t’expliquer quelque chose. Pour Lucette Herbassier, c’est très bien ; c’est une bonne compagne de ma salle.
Mais Madame [X] et l’infirmière (de la salle voisine), malgré les tentatives de leurs compagnes, s’opposent au régime de la collectivité ; elles reçoivent de gros colis et veulent les garder pour des bons prétextes “qu’elles n’ont pas à nourrir les autres” !
C’est un égoïsme qui ne mérite vraiment pas qu’on se donne de la peine. Madame [Y] a d’ailleurs pris l’initiative de se faire apporter les colis par toi sans que je lui propose ; si tu savais comme elle a peur de tout, et de manquer de nourriture en particulier ; pour une infirmière, quelle trouillarde ! Quant à Madame [X] , elle reçoit régulièrement un beau colis chaque lundi. Te voilà prévenu mon Papa, maintenant tu feras comme tu voudras.
Je vous remercie beaucoup pour tout ce que vous m’envoyez ; de gros baisers à vous et nos amis qui êtes si bons pour moi. Le thé nous a fait bien plaisir, le gâteau aux pommes était délicieux : merci ma petite maman chérie. Mais ne chargez pas les mallettes au point de casser les courroies !… J’attends les livres avec impatience, car les lectures de choix sont rares ici.
Je parle beaucoup de moi, mais je pense bien à vous ; j’ai reçu avec plaisir les lettres de Papa me donnant de vos meilleures nouvelles ; j’étais heureuse du petit mot de mon frérot ; Sur la prochaine lettre, Maman chérie, il faut écrire aussi quelque chose, j’y compte ! et je t’embrasse d’avance pour n’être pas déçue. Vous pouvez essayer de m’envoyer plus de 2 lettres ; jusqu’ici on m’a remis tout le courrier. J’ai eu de bonnes nouvelles de Lorient, la semaine dernière par Tonton Charles, Marraine et Marthe ; de bonnes lettres gentilles et affectueuses auxquelles je regrette de ne pouvoir répondre ; remerciez-les tous et embrassez-les beaucoup. J’aimerais beaucoup écrire à Marraine, surtout pour discuter avec elle de la question “la femme au foyer ; tout en l’approuvant en partie, je trouve que le rôle de la femme limité aux questions ménagères et familiales, est une conception trop étroite de la vie, on doit pouvoir y ajouter autre chose. Mais j’espère que bientôt nous pourrons discuter librement de tout cela. […] Quant à Robert !... [Orillard ?] il y a de quoi tomber sur le derrière !… Donnez-moi des explications : quand a-t-il été arrêté ? Où ? Était-il en prison à Tours ?… Comme ses parents ont dû se tourmenter, et me maudire !… Et Robert, que pense-t-il de cette histoire ?… Lui, si curieux sur l’agencement d’une cellule, a pu se rendre compte de la vie qu’on y mène. J’aimerais bien connaître ses impressions ; mais j’eusse aimé qu’il ne goûte pas à la vie de château et se fie aux miennes. Heureusement qu’on l’a relâché après une courte détention : car on a vu des innocents gardés pendant des mois, et même sort aurait pu lui être donné. Enfin tout ceci n’est pas drôle, cela me vaudra peut-être d’avoir les oreilles tirées en sortant !!… Je voudrais bien que ce soit demain !…
Ici, nous avons eu une vague de froid entre Noël et le 1er janvier, et j’étais bien aise de m’enfiler dans mon duvet, car nous n’avons que 2 malheureuses petites couvertures de coton, pas chaudes du tout ; et le dortoir étant trop petit pour 46, nous devons toujours avoir 2 fenêtres ouvertes la nuit pour éviter l’asphyxie ; aussi il ferait bien de faire chaud ! Nous avons trouvé le système de coucher par 2 dans un seul lit, je faisais donc tandem avec Fabienne, mais depuis que j’ai le duvet nous avons repris nos lits respectifs. Si vous voulez, joignez au prochain colis l’autre sac qui lui évitera… » Dans sa lettre “officielle” datée du même jour, elle écrit : « […] J’ai bien reçu le colis apporté par Mr Herbassier ; baisers et remerciements à vous, mes Chers parents, et à nos amis qui ont contribué à le confectionner ; ce jour-là, je n’avais pas préparé de colis retour, car je pensais ne rien recevoir ; joignez SVP la liste des objets au colis même, pour faciliter la vérification à l’arrivée, car les lettres jointes aux colis nous sont remises plusieurs jours plus tard. »

Au cours du mois de janvier, un photographe civil des Lilas est amené dans le périmètre de promenade pour y réaliser des portraits d’identité des détenu·e·s devant un drap blanc tendu sur les barbelés, chacun·e étant identifié·e par une réglette indiquant son matricule (la photo d’Élisabeth Le Port reste à trouver…).

À la veille du transfert à Compiègne, elle écrit une autre lettre clandestine : [Suzy est citée dans “histoire de mon enlèvement”]
« Romainville, le 21 janvier. Ma chère petite Suzette. Figure-toi nous voici à la veille du départ. Pour où, nous ne savons. Nous sommes averties que nous partons demain matin à 7 heures pourrons emporter que le minimum. J’ai fait un petit paquet et j’ai distribué le reste aux camarades qui restent. J’ai pris sur moi le plus de vêtements possible : les vêtements chauds, le minimum de linge de rechange dans mon sac imperméable (mon sac de vélo) savon, brosse à dents et je prendrai aussi ma couverture de laine, et me voici prête.
Et maintenant je t’écris, je veux d’abord te raconter les 2 semaines écoulées depuis ma dernière lettre que je t’ai adressée. Rien de nouveau. Nous avons reçu d’abord l’autorisation d’écrire et de recevoir des colis. Tu as dû recevoir ma lettre du 13, je crois. Puis ces jours-ci, nous étions plus libres, c’est-à-dire que la porte de notre chambre n’était plus fermée et que nous pouvions aussi visiter les camarades des autres chambres non isolées et descendre prendre l’air dans la cour quand nous le souhaitions ! Nous avions organisé des cours. Je faisais le cours de français 1ère année, de la bio et je suivais le cours d’allemand et le cours d’anglais. J’avais reçu les livres et j’ai très bien travaillé toute la semaine.
Je laisse mes livres à Zabeth qui reste. Dimanche dernier, nous avons eu une petite fête: une séance de guignol (la Farce de Maître Pathelin) à l’issue de laquelle nous avons vendu aux enchères de très jolies poupées que des camarades avaient confectionnées. La vente […/…] était au profit de deux camarades enceintes qui vont partir au Val-de-Grâce. Le mari de l’une d’elles est fusillé, l’autre est emprisonné, on ne sait où. La vente parmi toutes les chambres a rapporté plus de 4000 (hommes et femmes). Pour notre dernière soirée, nous avons le droit de veiller, et notre bonne Nayette nous fait, devinez un peu ? de bonnes crêpes que nous dégustons toutes chaudes. Ma Zette chérie, j’ai bien reçu la semaine dernière ton colis-gare. Figure-toi, il était encore parfumé à la confiture (il ne faut pas envoyer de la confiture si liquide). Enfin pas grand malheur.
Nous partons 100 femmes du camp, parmi lesquelles dans notre chambrée toutes celles de “notre affaire »”, qui nous sommes toujours suivies depuis le Dépôt, la Santé, ici. Parmi nous : Danielle Casanova, Marie-Claude Vaillant-Couturier et toutes celles dont les maris ont été fusillés : Maï Politzer, Hélène Langevin (Solomon), Germaine Pican (une institutrice de Seine-Inférieure), Marie-Jeanne Bauer, Charlotte Dudach. Je ne peux te nommer les 10 autres. Ma petite Zette chérie, ne sois pas triste. Peut-être je pourrai te donner bientôt des nouvelles. Vers quelle destinée allons-nous ? Nous ne pouvons savoir. Dans tous les cas, confiance, je te l’ai dit, cette année sera la plus belle. Je t’embrasse, ma Zette, très très fort. J’embrasse aussi très fort Papa et mon Mony et aussi Maman. Je vous envoie tout mon cœur et ma pensée. Pour toi, mon Suzon, j’espère que cette année t’apportera enfin le bonheur que je voudrais pour toi. Mais n’oublie pas de toutes façons et toujours : la vie est belle. »

Elle parvient également a envoyer un petit billet :
« Mes Parents chéris. Surtout ne vous inquiétez pas ; je pars destination inconnue ; mais avec beaucoup d’autres détenues ; la vie dans un camp sera moins dure qu’ici.
J’essaierai de vous faire parvenir des nouvelles. Pas de tourments inutiles, je vous prie. Je laisse ici des gamelles, du linge marqué à mon nom. Petit mère chérie, viens le réclamer, STP.
Je ne suis pas étonnée de ce qui arrive et, comme le reste, je vous promets de le supporter courageusement. Ma pensée sera toujours avec vous et m’aidera à passer bien des épreuves. Je pars en vous demandant seulement de ne pas vous tourmenter. Bonne santé et bon courage, mes 3 chéris. Au revoir, à bientôt peut-être. Toujours tendrement à vous, je vous embrasse 1000 fois affectueusement. »

Selon le registre du camp de Romainville, le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en cars au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, Élisabeth Le Port fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris).

Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies. Sur un morceau de papier, Élisabeth Le Port écrit : « Aujourd’hui 24 Janvier 43, 250 femmes et 2000 hommes, patriotes français, prisonniers politiques internés aux camps de Compiègne et Romainville sont déportés vers l’Allemagne. Ils partent en chantant La Marseillaise, confiants dans la victoire prochaine des “Alliés” et la libération de notre pays. Français, unissez-vous pour la libération de la France ! Prévenir : Mme Le Port, 3 impasse des Docks, Tours (I.-et-L.) Remerciement si vous pouvez faire parvenir ». Elle laisse tomber ce message en gare de Châlons-sur-Marne (Marne ; aujourd’hui Châlons-en-Champagne), où le train s’est arrêté pour un relais de machine. Lors de cette pause technique, hommes et femmes entonnent La Marseillaise depuis les wagons. Après le départ du convoi, le billet d’Élisabeth Le Port est recueilli par Paul Mouton [8], un sous-chef de gare, qui l’enverra à ses destinataires, mentionnant au passage d’autres messages à faire parvenir à Saint-Pierre-des-Corps. Dans son propre courrier signé d’un pseudonyme, lui-même écrit : « Un jeune homme a été surpris à en ramasser ; il a payé son geste de sa liberté. Nous pensons qu’il sera libéré sous peu : le crime qu’il a commis (car nos “doryphores” considèrent ce geste comme un crime) n’est pas bien grand. » Il ajoute : « Les 2 trains de déportés sont dirigés vers Orianenburg », ce qui pourrait signifier une perception distinguant le convoi d’hommes de celui des femmes…

TransportAquarelle

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.

Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Parvenues à une baraque d’accueil, une première moitié des déportées est emmenée vers la “désinfection” et l’enregistrement ; en l’occurrence essentiellement les occupantes de la chambrée “communiste” de Romainville, probablement en fonction de leur numéro d’enregistrement dans ce camp. L’autre groupe, incluant les Tourangelles, parmi lesquelles Élisabeth Le Port, passe la nuit à attendre, assis sur les valises, adossé aux planches de la paroi.

Le lendemain, dans la matinée, ce deuxième groupe reçoit la visite de Mala Zimetbaum, dite « Mala la Belge », détenue arrivée en septembre 1942 (matricule n° 19880) devenue interprète et coursière (Läuferin). Après s’être présentée, celle-ci leur conseille, entre autres : « Surtout n’allez jamais au Revier (hôpital [9]), c’est là le danger. Je vous conseille de tenir jusqu’à l’extrême limite de vos forces. (…) Perdez-vous dans la masse, passez le plus possible inaperçues. »

Élisabeth Le Port est peut-être enregistrée sous le matricule 31786, selon la correspondance établie avec le registre d’écrou de Romainville. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, les (dorénavant) “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart d’entre elles sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie allemande : vues de trois-quarts (coiffée d’un foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Élisabeth Le Port n’a pas été retrouvée).

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943, le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant
l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943,
le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits. © Mémoire Vive.

Le Block 26, en brique, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits.
© Mémoire Vive.

Héléna Fournier se remémorera « Nous n’étions qu’au début de mars quand Élisabeth Le Port s’est trouvée épuisée : elle ne pouvait plus marcher, suivre la cadence du Kommando. Il le fallait ou c’était la morsure du chien. Élisabeth était très courageuse, redressait la tête en passant devant les SS alignées à l’entrée du camp. Mais ses forces s’amenuisèrent rapidement. Elle avait beaucoup toussé à Romainville. Léa [Kérisit, de Tours, infirmière] lui faisait des cataplasmes et des ventouses. Elle n’en pouvait plus, pourtant elle disait “Je ne tousse plus ” ; c’était vrai. Nous la soutenions pour qu’elle rentre le soir, et la suppliions de tenir, tenir encore aujourd’hui, si la guerre finissait demain ! Elle ne voulait plus rien manger, que du pain grillé : à la dérobée, nous lui en passions dans le feu du SS, lorsqu’il s’en écartait. Elle réclamait de l’eau chaude pour boire, encore plus difficile à réaliser. Nous faisions le guet pour contenter Élisabeth que nous croyions sauver. La chance nous servait pendant une semaine, nous allions tailler des petits arbustes dans des serres sur des établis. Élisabeth dormait dessous toute la journée : bien rangées les unes près des autres, nous la cachions. Un soir, elle avait oublié de mettre ses sabots sous sa tête, ils lui ont été volés. Pieds nus, elle voulait aller à l’appel. Et nous pensions pour elle au fumier, notre fournisseur. Quelle chance de lui en rapporter une paire, vidée de son contenu après grattage. Élisabeth ne savait que dire pour remercier. Elle dit : “Sans toi, je n’ai plus personne. Comme je suis perdue, je ne peux plus intéresser : on me laisse !” Ce matin-là, Élisabeth me dit : “[…] Si j’avais maman, un bol de lait et mon lit, je serais sauvée.” [Elle] s’était fait inscrire la veille pour le Revier  [9]. L’appel était terminé, nous nous sommes dit au revoir. Les Kommandos étaient en formation, je la quittais, je me retournais pour lui faire au revoir. Elle ne bougeait pas, ne pouvait plus avancer : elle attendait que quelqu’un l’emmène au Revier. Le soir, l’appel terminé, j’allais vers les Reviers pour essayer de voir quelques Françaises y travaillant. J’eus la chance d’en voir une. Lui parlant d’Élisabeth, elle me dit : “Ils l’ont tuée ce matin.” Elle avait 22 ans… »

Le 16 avril 1943, Paul Mouton, le sous-chef de gare de Châlons-sur-Saône, écrivant sous son vrai nom, prévient les parents d’Élisabeth Le Port qu’il envisage de leur rendre visite deux ou trois semaines plus tard à Tours. Deux jours après, le père de celle-ci lui répond : « […] Je ne crois pas me tromper en pensant que, comme moi vous appartenez à la grande famille des cheminots, et j’admire le dévouement que vous nous avez apporté en en nous faisant parvenir le petit mot de notre chère petite […]. Notre fille, depuis son départ, ne nous a pas donné de ses nouvelles, aussi trouvons-nous le temps long. Il nous reste malgré tout un espoir, car certaines familles viennent de recevoir une carte. Ces cartes son datées du 14 février. Seulement, elles viennent toutes de déportés masculins : aucune femme n’a encore écrit. Sans doute auront-elles le droit de la faire. Peut-être aussi sont-elles internées plus loin ; c’est ce que nous voudrions savoir. »

Le 8 mai suivant, Marcel Le Port écrit de nouveau à Paul Mouton : « J’ai un peu tardé à faire réponse à votre lettre, pensant toujours pouvoir vous donner des nouvelles de notre chère petite. Hélas, à ce jour, rien de nouveau, nous ne savons rien d’elle, les démarches faites près de La Croix-Rouge et aux Quakers n’ayant donné aucun résultat. Malgré cela, nous ne perdons pas courage et attendons chaque jour l’arrivée du facteur, avec l’espoir qu’un jour ou l’autre nous aurons satisfaction. D’après votre lettre, je vois que – trop souvent – vous avez sous les yeux le triste spectacle des passages de déportés… »

Fin mai, les parents d’Élisabeth Le Port sont convoqués à la Kommandantur de Tours où on leur remet un avis de décès officiel en allemand (Sterbeurkunde) provenant d’Auschwitz et daté du 14 mai 1943 (un des rares document de ce type parvenu en France).

Le 28 mai, la directrice de l’école communale de Saint-Christophe écrit à l’inspecteur de l’Enseignement primaire à Tours : « Je suis peinée d’avoir à vous apprendre la triste nouvelle annoncée ce matin par une lettre de Monsieur Le Port. Mademoiselle Le Port est décédée le 14 mars 1943 à 8 heures du matin à l’hôpital de Auschwitz (Haute-Silésie) des suites d’une pleurésie. »

Le 9 juin, Robert Orillard écrit une lettre de condoléances à ses parents : « Je m’étais tout d’abord proposé de venir vous apporter de vive voix le témoignage de mon affliction profonde, de deuil que, spontanément, mon esprit a ressenti ; mais, le moment arrivé, un doute m’est venu. J’ai crains que ma présence à vos côtés n’avive inutilement des souvenirs… Mais je ne pouvais me taire, je ne pouvais vous laisser supposer que cette nouvelle m’avait laissé insensible et froid. C’est pourquoi je me suis décidé à vous écrire pour vous dire que : comme tous ceux qui ont connu Zabetz, j’avais pour elle une estime profonde et admirais ses qualités de cœur et d’esprit. “Zabetz était le type parfait de la jeune fille française” ; ce fut ma réponse à un acolyte de ses bourreaux qui m’interrogeait sur elle. Soyez certains, mes chers amis, Zabetz ne peut pas être oubliée. Son souvenir restera vivace au fond de nous tous. Son nom appartiendra un jour à l’Histoire, comme ces grandes figures, ces martyrs, qui se sont illustrés à des époques identiques. »

Cependant, la mère d’Élisabeth semble ne pas se résoudre à cette disparition. Le 5 janvier 1944, elle envoie simultanément au maréchal Pétain et à Pierre Laval, président du Conseil, une lettre rédigée en termes identiques, affirmant qu’elle n’a reçu aucune nouvelle de sa fille depuis la déportation : « J’ai confiance en vous et en votre bon cœur pour me rendre et sauver mon enfant », « … que vous ferez tout le nécessaire… ». Le 19 février suivant, le secrétariat particulier du chef du gouvernement transmet sa requête à la Délégation Générale du gouvernement français dans les territoires occupés (ambassade de Brinon) [10]. Le 29 mars, le préfet d’Indre-et-Loire répond à la Délégation Générale qu’Élisabeth Le Port, arrêtée pour « menées gaullistes » et transférée en Allemagne, y est décédée le 14 mars 1943,

Le matin du dimanche 17 juin 1945, la municipalité de Saint-Christophe-sur-le-Nais organise une manifestation du souvenir afin de rendre hommage à la mémoire d’Élisabeth Le Port, en présence des parents de celle-ci. La Nouvelle République, qui a annoncé la cérémonie la veille, en rendra compte le lendemain. Interviennent successivement, Georges Girard, maire de la commune, Paul Racault, au nom du mouvement Libération-Nord et comme représentant du député-maire de Tours, Jean Meunier, empêché, l’inspecteur d’Académie, puis Héléna Fournier, sa plus proche compagne de déportation, rapatriée depuis six semaines, et enfin le préfet d’Indre-et-Loire. À cette occasion, celui-ci dévoile une plaque de marbre apposée sur un mur de la classe où elle a enseigné (mentionnant de manière inexacte une exécution par fusillade…).

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La plaque est accompagnée
du portrait de la jeune institutrice…

Le jeudi 9 août suivant, Hélène Solomon, rescapée, écrit à Marie-Thérèse Le Port : « J’ai fait partie, en effet, du même convoi que votre fille en janvier 1943. J’avais déjà fait sa connaissance à Romainville, où je peux vous assurer qu’elle n’avait que des amies. Lorsque nous sommes arrivées à Auschwitz, ou plus exactement au camp de femmes qui lui était annexé, Birkenau, le hasard a voulu que nous fassions partie du même groupe et que nous couchions dans la même case. Que puis-je vous dire de notre vie ? Vous avez déjà dû en lire la description dans les journaux. Elle a toujours gardé un courage et une bonne humeur admirable, mais les conditions de notre vie étaient trop dures pour être supportables. Ce n’est qu’au bout de six mois – alors que les trois quart de nos camarades étaient déjà mortes – que les conditions se sont un peu améliorées. Pourquoi quelques-unes ont-elles résisté ? C’est une question de hasard. Malheureusement, le froid, la soif, la fatigue excessive ont eu raison de la plus grande partie, les épidémies ont fait le reste, et les meilleures n’en sont pas revenues. »

Le 2 décembre 1945, Jean Guillon, alors député de l’Indre-et-Loire à l‘Assemblée générale constituante, signe une attestation rédigée sur un feuillet portant un cachet de Front National d‘Indre-et-Loire : « Je soussigné […] certifie que Monsieur Maurice Rivière, mécanicien à Saint-Christophe, a fait partie en 1942 d’un groupe du Front National dirigé par Mademoiselle Le Port. Cette dernière travaillait dans la Résistance sous ma direction. »

Le 29 novembre 1946, Georges Bideau, président du Gouvernement provisoire de la République, sur proposition du ministère de l’Éducation nationale, signe un décret décernant la Médaille de la Résistance française à Élisabeth Le Port à titre posthume.

Le 24 juin 1948, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) dresse l’acte de décès officiel d’Élisabeth Le Port « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour », en reprenant la date portée sur l’acte de décès émis à Auschwitz.

Le 26 décembre 1950, Marcel Le Port – en qualité d’ascendant – complète et signe un formulaire du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre (ACVG) pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à sa fille à titre posthume. À la rubrique V, « Renseignements relatifs à l’arrestation et l’exécution, l’internement ou la déportation », et dans la sous-rubrique « Arrestation », à l’alinéa « Peine prononcée ? », Marcel Le Port inscrit « Condamnée à mort », puis, comme motif de cette “condamnation” : « Rédaction et tirage du journal “La Lanterne” ». À la rubrique VI, « Renseignements relatifs à l’acte qualifié de résistance à l’ennemi qui a été la cause déterminante de l’exécution de l’internement ou de la déportation », Marcel Le Port précise « - Rédaction, impression, transport et distribution du journal clandestin “La Lanterne” […] - Rapports avec l’Angleterre [?], qui a, par radio, annoncé sa mort (commentaires de Messieurs [Maurice] Schumann et [Fernand] Grenier [représentant du PCF clandestin]) en juin 1943 sur l’antenne de Radio-Londres ».

Le 11 avril 1951, la Commission départementale des internés et déportés de la résistance (DIR), émet un avis favorable.  Le 12 octobre suivant, la commission nationale DIR émet un avis réservé, puis un avis favorable trois semaines plus tard, suivie par le ministère des ACVG qui prononce l’attribution du titre de déporté·e résistant·e le 23 novembre suivant et envoie la carte DR n° 2009.07061 à Marcel Le Port.

À une date restant à préciser, le conseil municipal de Saint-Christophe décide de donner le nom d’Élisabeth Le Port à une rue du village.

À une date restant à préciser est installée dans le côté square de la place Velpeau à Tours une stèle dédiée aux « Habitants du quartier La Fuye-Velpeau disparus durant la Seconde Guerre Mondiale 1939-1945 », fusillés et déporté·e·s, parmi lesquels Élisabeth Le Port, Gaston et Régina Breton…

Place Velpeau à Tours. © Mémoire Vive 2022.

Place Velpeau à Tours.
© Mémoire Vive 2022.

Notes :

[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

[2] La Lanterne. En mars 1942 paraît le premier numéro de cet « Organe du comité tourangeau des intellectuels patriotes », édité par ceux-ci, « qui sont résolus à mener jusqu’au bout la lutte contre l’envahisseur allemand. Tous unis, notre résistance précipitera la chute de l’hitlérisme. Pour la Libération, en avant ! » En exergue : « La haine d’un peuple opprimé contre ses oppresseurs est (juste ?) et sa vengeance est légitime. » « Reproduction autorisée »

Premier article, au recto : « Nos buts. Depuis déjà 18 mois, les envahisseurs se conduisent en maîtres absolus. Ils pillent littéralement notre pays. Chaque jour, nous voyons les restrictions s’aggraver et la France devenir une colonie d’exploitation du grand Reich allemand. C’en est assez ! Nous applaudissons tous à la victorieuse campagne d’hiver de l’armée soviétique et nous admirons l’héroïsme des glorieux combattants de l’Armée rouge. Nous souhaitons tous la victoire des trois grandes démocraties alliées. Mais cela n’est pas suffisant. Il faut aider efficacement à la réalisation de cette victoire. Et c’est pourquoi, avec l’aide de notre journal, nous sommes résolus à agir par tous les moyens : pour la défense de la civilisation française ; pour empêcher que les ressources de notre pays servent à la machine de guerre allemande ; pour organiser la résistance des paysans à la livraison des récoltes agricoles. (suite p. 2 col. 2).

Deuxième article, au recto : « Les assassins. Après Nantes, Bordeaux, Paris, c’était à Tours d’avoir ses martyrs. Herr Kloss avait décidé que le 15 février vingt otages seraient fusillés. Pourquoi ? Parce qu’un membre de l’armée allemande a été tué dans des conditions d’ailleurs suspectes mais que Kloss ne veut pas éclaircir. N’a-t-il pas refusé la présence d’un médecin français à l’autopsie ? En tous cas, vingt innocents devaient payer. L’émule tourangeau du général d’assassins Von Stüpnagel, dont le nom restera gravé au cœur de tous les Français, ordonne donc des arrestations massives : plusieurs dizaines de Juifs et de non juifs. (suite p. 2 col. 1). » Le verso de ce feuillet est à trouver…

Le 9 mars, un exemplaire en est adressé à l’archiviste départemental, accompagné d’un message écrit en lettres bâton (une calligraphie peu identifiable) : « Cher Monsieur. C’est avec un grand plaisir que nous vous faisons part de la naissance de notre “Lanterne”. Nous nous excusons de n’avoir qu’un numéro un peu affaibli au point de vue impression. Nous espérons que vous serez mieux servi la prochaine fois. Vos archives, pensons-nous, seront plus sûres que les nôtres. Elles ont l’énorme avantage d’être légales. Aussi, nous espérons retrouver la collection complète le jour heureux de la libération. Toute notre reconnaissance. La Lanterne ». Le courrier est aussitôt transmis au préfet, qui écrit au commissaire spécial de Police de Tours : « Je vous demande de vouloir bien procéder à une enquête sur cette affaire qui, en raison du texte de ce tract, paraît se rattacher à la propagande clandestine effectuée par certains membres de l’Enseignement. »
Dans les archives départementales d’Indre-et-Loire est conservé un autre exemplaire du journal clandestin, portant le n° 12, mais sans mention de date :
« La Lanterne, organe des jeunes étudiants patriotes tourangeaux »
« L’année 1942 doit être l’année de la victoire sur le nazisme
Tous au travail ! Pour chasser l’envahisseur boche, le maître exécré qui asservit toute culture !
Vive le 14 juillet ! Vive la France ! Vive le Liberté ! »
« Les nazis ont imposé aux Juifs à partir de l’âge de 6 ans le port de l’étoile jaune. Une telle mesure venait après les atrocités que subissent les Juifs au camp de Drancy a révolté la conscience française. À Paris, les protestations des étudiants ont été telles que le docteur Friedrich a cru devoir tancer et menacer les Français par deux fois à Radio-Paris-Nazi. Les nazis ne connaissent pas le peuple français. Ils ne connaissent que leurs Bonnard, Claude et Châteaubriant. Ils ignorent que tout peuple a l’instinct profond de la fraternité humaine et qu’il prend immédiatement parti pour les persécutés. Ils doivent savoir que la France est toujours la France des droits de l’homme, qu’elle est toujours le pays qui a proclamé pour la 1re fois l’égalité légale de tous les hommes. C’est pourquoi le peuple français n’a pas mis en quarantaine les porteurs de l’étoile jaune. Il n’a pas emboité le pas aux persécuteurs. Les enfants des écoles de Touraine ont joué comme par le passé avec leurs petits camarades juifs et, dans les rues de Tours, les Juifs n’ont entendu aucune parole de haine, au contraire.
Les valets français (!) de Hitler, fidèles à leur but d’abaissement national, ont voulu justifier une telle mesure et “La Gerbe” a publié une brochure spéciale on l’on a torturé des textes pour mettre au compte de l’Église et de nos plus grands écrivains des propos qui justifieraient (!) les persécutions antijuives. La malhonnêteté intellectuelle de ces valets mérite d’être dénoncée.
L’église dans le passé a fait peser sur les Juifs une persécution contre laquelle se sont élevés les Montaigne, les Montesquieu, les Voltaire ! Mais la mise en cause ne s’est jamais placée sur le terrain racial. Un Juif converti au catholicisme avait tous les droits d’un catholique d’origine. L’église moderne ne persécute plus les juifs sur le terrain religieux, condamne vigoureusement par la voix de ses papes les “prétentions absurdes du racisme”, comme disait le cardinal Verdier.
Les grands écrivains ne peuvent pas être enrégimentés par La Gerbe dans la meute des chiens nazis. Elle ose appeler à la rescousse Voltaire, Châteaubriant, Michelet, Renan, Zola, c’est un comble.
Voltaire a voté pendant toute sa vie contre le fanatisme, et il écrivait, dans son Traité de la Tolérance (chapitre XXII) : “Je vous dis qu’il faut regarder tous les hommes comme nos frères – Quoi ! Mon frère le Turc, mon frère le Chinois ? Le Juif, le Siamois ? – Oui, sans doute ; ne sommes-nous pas tous enfants du même père et créateur, du même Dieu !”
Zola a combattu magnifiquement contre les persécutions subies par Dreyfus et contre l’antisémitisme. Le Zola de J’Accuse n’est pas avec les tortionnaires des descendants de Dreyfus.
L’action de ces grands penseurs, le sens profond de leur œuvre est une gifle sur les faces de traitres de La Gerbe.
L’antisémitisme, c’est une sale besogne de division du peuple français. C’est aussi une entreprise pour détourner la colère des vrais responsables de sa misère et de sa servitude. Le responsable, ce n’est pas le Juif. Le responsable, c’est Hitler et ses valets. Il appartient aux intellectuels tourangeaux de dénoncer les méfaits de l’antisémitisme, la malhonnêteté intellectuelle de ses tenants, et d’œuvrer de toutes leurs forces au renforcement de l’unité française contre Hitler, son Laval et son Pétain. »
« CATHOLIQUES !
Si le Christ revenait sur terre, les nazis l’affubleraient de l’étoile jaune et l’enverraient dans un camp de concentration.
Dressons-nous contre les nouveaux barbares.
Chassons les boches. »
…/… (au verso)
« DEUX SAVANTS
L’un s’appelait Hollweck. Il était d’origine alsacienne. Il avait mis sa science au service de la France. Ses derniers travaux portaient sur la mise au point d’une mitrailleuse ultra-rapide. Cet hiver. Cet hiver, il a été arrêté par les nazis. Ils n’ont rendu à ses proches qu’un cadavre atrocement brûlé aux pieds et aux mains. Ils l’avaient torturé à mort pour qu’il leur livre le secret de son invention. Hollweck n’a pas voulu que sa découverte serve à prolonger la servitude et le martyre de la France en donnant aux Boches de nouveaux moyens de lutte. Hollweck est mort en pur héros pour que le France vive.
L’autre s’appelle Georges Claude. Il parraine des œuvres nazies en France. Il fait des conférences – comme à Tours – où il vante les excellentes dispositions de son maître Hitler pour notre pays. Il va plus loin, il livre aux bourreaux de la France les résultats de ses travaux sur l’air liquide. Il leur donne ainsi de nouveaux moyens pour asservir notre patrie. Georges Claude a prostitué la science. Il n’est qu’un valet des Boches. Que lui importe que la France meure. »
« CHARADE : Ne prenez pas mon premier pour la réalité. Mon second domine. La Lanterne de plus en plus sera mon troisième. Mon 4e est une origine dont nul ne se vante. Mon tout est fort à la mode. »
« LIBERTÉ, LIBERTÉ CHÉRIE
Défense de parler, défense d’écrire, mieux encore, défense de penser !
C’est impossible, direz-vous ! Mais non, la liberté de penser s’en va aussi : inconsciemment, vous vous laisser pénétrer, envoûter […] affiches, journaux, TSF vous abrutissent. Partout, vous vous heurtez aux contradictions, aux injustices. Le ravitaillement absorbe vos loisirs. Mille soucis vous attendent, avez-vous le temps de penser ? Non, et c’est ce qu’il faut. Vous n’avez qu’à obéir, c’est bien bien plus simple, quand Laval vous dit “votre devoir est d’aller travailler en Allemagne”. Eh bien, ne réfléchissez pas, on a pensé pour vous, allez-y. Quand Pétain vous dit “L’avenir de la France est lié à celui de l’Allemagne. Le nazisme est le régime idéal.” Croyez-le et n’allez pas comparer avec [des] soi-disant meilleurs régimes. Penser est inutile […], dangereux. Plus d’opinion, plus de cas de conscience. Suivez vos chefs ! Hurlez, levez le bras, garde à vous et Heil Pétain ! »
« NOUVEAU PETIT LAROUSSE
Il me souvient d’un devoir de français auquel on donnait autrefois “la révision des valeurs”. Il serait à faire aujourd’hui sous forme de petit dictionnaire qui renseignerait les naïfs qui n’y croient pas encore, ainsi :
- Liberté individuelle : illusion à la merci d’une lettre anonyme, d’un bavardage, ou d’un vague soupçon, rarement d’une preuve.
- Bon français : celui qui aura contribué à l’annexion de la France par l’Allemagne.
- Prison : établissement à l’usage des Juifs, des communistes ou des supposés tels (les voleurs peuvent courir). Moralité : faites du marché noir, volez, tuez, mais ne critiquez pas votre gouvernement.
- Justice, en 3 temps : arrestation, interrogatoire (avec chantage et coups), exécution (la famille est parfois avisée par la suite). »
» ET UN PEU DE DISTRACTION ! [une grille de mots croisés]
H[orizontal]
1. Le traitre n° 1
2. Rivière montagnarde
3. Attestations.
4. Animaux peu sympathiques.
5. L’époque où nous sommes.
6. Ce qui n’est pas parti.
V[ertical]
1. Action autrefois méprisée, aujourd’hui encouragée.
2. Du continent jaune.
3. Que l’on retourne pour s’a[…].
4. Grands parleurs.
5. Article. Onomatopée. »
« NE JETEZ PAS LA LANTERNE. FAITES-LA CIRCULER PARMI VOS AMIS
Mais que […] »

[3] Marcel Foussier, sans avoir partagé les idées de son fils unique André, il envisage d’assassiner le chef de la sûreté de Tours, qu’il considère comme responsable de la mort de celui-ci. Il est dissuadé d’agir par son épouse, Gabrielle, née Berthet. Mais celle-ci, désespérée, se suicide le 21 août. Lui-même se donne la mort le jour de ses obsèques, le 25 août.

[4] Trajet la dénonciatrice. Selon Charlotte Delbo, « Après l’arrestation d’Élisabeth, Nicole est partie travailler en Allemagne comme volontaire et elle s’est fait rapatrier en 1945 sous le nom d’Élisabeth Le Port. » Le 20 septembre 1945, Nicole est condamnée à 20 ans de travaux forcés par la Cour de Justice d’Indre-et-Loire.

[5] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[6] Régina Breton, née le 4 octobre 1897 à Obterre (Indre), un temps hospitalisée à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce (Paris 5e), alors réquisitionné par l’armée d’occupation, sera déportée dans le convoi de 143 femmes parti du fort de Romainville le 29 août 1943 et arrivé cinq jours plus tard au KL Ravensbrück, où elle sera enregistrée sous le matricule n° 22470. Elle succombera au camp le 12 mars 1945. Gaston Ernest Breton, né le 16 mars 1889 à Charnizay (37), sera fusillé le 21 septembre 1942, à 9 h 40, au Mont-Valérien, parmi 46 otages détenus au fort de Romainville, en représailles de différents attentats réalisés contre l’occupant depuis la précédente exécution massive du 11 août précédent. Situé à l’angle de la rue de la Fuye, face au n° 136, le café des Breton a été détruit (dans les années 1970 ?) pour faire place à une agence du Crédit Agricole.

[7] Maurice Rivière, de Saint-Christophe-sur-le-Nais, déporté le 24 janvier 1943 au KL Sachsenhausen, est rapatrié le 11 juin 1945. Ci-dessous, une partie de son témoignage : « Je fis partie du premier convoi de déportés vers l’Allemagne le 24 janvier 1943. La veille au soir nous sommes montés dans les wagons en gare de Compiègne pour y passer la nuit entassés sans pouvoir bouger, les portes scellées. Les femmes ont été amenées le lendemain matin pour le départ et le grand voyage commença. Le peu de nourriture qui avait été distribué au départ, a été vite englouti, moi, comme certains ayant moins de chance, je n’ai rien eu… Cependant, en route, nous avons eu droit à une betterave à vaches… Seulement pour ceux qui comme moi, n’avaient eu aucune nourriture au départ… Ce voyage a été extrêmement pénible… quelques-uns ont voulu s’évader par le plancher de leur wagon… les Allemands s’en sont aperçus. Ils les ont tous abattus… Les premiers morts que je voyais, tués froidement. Il y en aura combien d’autres… Certains ont essayé d’envoyer des messages à leur famille en les lançant sur les quais, faisant confiance au hasard et aux cheminots pour la transmission… Arrivés en Allemagne, nous avons été dirigés vers le camp de Sachsenhausen et les femmes à Auschwitz… Là c’était encore plus terrible, Élisabeth Le Port y est morte. »

[8] Paul Mouton, résistant (“André”), est membre actif de deux réseaux. Il sera arrêté le 2 août 1944 par la Sipo-SD (Gestapo) suite à l’arrestation d’un agent de liaison porteur d’un plan de la gare de triage. Déporté deux semaines plus tard au KL Natzweiler, en Alsace, puis au KL Dachau, il y succombera le 2 mars 1945 (Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 1077-1078).

[9] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.

[10] Fernand (de) Brinon : ancien journaliste et “ultra” de la collaboration, celui-ci avait été nommé Délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités militaires allemandes d’occupation.
Quand des requêtes étaient formulées par les familles des détenus auprès de l’administration française, la Délégation générale les transmettait à la Commission d’armistice (bipartite), après enquête de la police ou de la gendarmerie pour s’assurer des conditions d’arrestation et de l’honorabilité du détenu. Une lettre était ensuite adressée aux familles sous couvert de l’organisme qui en avait fait la demande : elle leur annonçait que l’intervention avait été faite et leur faisait part de la réponse fournie par les autorités allemandes.
Ainsi, un très grand nombre de fiches de la Délégation générale portent le nom de “31000” ; surtout après le départ du convoi, le 24 janvier 1943, et l’absence de nouvelles due au statut “NN”.
La plupart de ces fiches se trouvent dans les dossiers d’état civil individuel des déportés conservés au Bureau des Archives du monde combattant (anciennement Archives du secrétariat d’État des Anciens Combattants) à Caen.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 177-178.
- Une institutrice dans la tourmente, Élisabeth Le port 1919-1943, par Michel et Janick Le Port, et collectif, recueil de documents en fac-similé, transcriptions et témoignages, 99 pages, autoédition, imprimé à Saint-Pierre-des-Corps.
- La Lanterne, film documentaire de Dominique Maugars (interviews de témoins), production Sans Canal Fixe, Tours, 2009, 34 min.
- Dominique Maugars, correspondance à propos de La Lanterne.
- Patrice Cotensin, petit-fils de Gaston et Régina Breton (fils de leur fille Édith Cotensin) : message de rectification (09-2022).
- Monique Royer, blog de Saint-Christophe-sur-le-Nais : Hommage à Élisabeth Le Port avec “Histoire et Patrimoine” ; transmission de copie de documents (lettres conservées par Michel Le Port, neveu d’Élisabeth) intégrés dans une exposition présentée lors de la soirée d’hommage qui s’est tenue le 23 octobre 2010 dans le foyer rural de Saint-Christophe-sur-le-Nais ; article du 30 avril 2008).
- Archives départementales d’Indre-et-Loire, Tours : académie, dossiers d’enseignants (1435 W 39) ; Parti communiste clandestin, tracts, La Lanterne (1877 W 3).
- Le cahier de Mémoires d’Héléna Fournier, transcrit en 2021 par sa petite-fille, Carole Toulousy-Michel.
- Maël Gallou, message (17 février 2009).
- Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, pages 174 à 187, fiche allemande d’Ernest Gaston Breton, page 200.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 11-11-2022)

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