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…en 1956. D.R.

Daniel Nagliouck naît le 18 octobre 1897 à Kolki, située à 50 km au nord-est de Loutsk, capitale administrative de l’oblast de Volhynie (alors en Ukraine annexée par la Russie), fils de Josef Nagliouck et Gisela Calenda (Fekla Koleda).

En 1916, au cours de la première guerre mondiale, Daniel Nagliouck arrive en France comme adjudant à l’état-major du corps expéditionnaire russe sur le front français.

À la fin du conflit, il décide de ne pas retourner dans son pays, transformé par la révolution soviétique.

En France, il conserve la nationalité russe (mais sera considéré comme “apatride”).

Au moment de son arrestation, Daniel Nagliouck est domicilié au 31, rue du Pré (de la Bataille ?) à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76). Il est célibataire.

Il est alors ajusteur-mécanicien au garage Peugeot de l’avenue du Mont-Riboudet, proche de son domicile.

En juin 1940, il entre en contact avec des membres du Parti communiste clandestin de son secteur.

À partir de mai 1941, sous l’Occupation, il est actif dans la clandestinité au sein du Front national [2], dirigé localement par André Pican : diffusion de la presse clandestine et de tracts anti-allemand, liaisons dans la vallée du Cailly et – à partir de juillet – actions de sabotage sur des véhicules de la Werhmacht en réparation dans le garage où il travaille, réquisitionné par l’armée allemande.

Daniel Nagliouck est également en contact avec des ouvriers du garage Renault de Rouen, qu’il rencontre dans le petit restaurant voisin où ils prennent leur repas, discutant avec eux de l’organisation de sabotages.

Le 15 septembre, un dizaine de camions équipés de moteurs neufs partent du garage Renault en direction de Paris, « chargés de matériel de guerre ». Après 50 km de route, les pistons, chauffés, se bloquent et les moteurs sont « littéralement pulvérisés ». L’enquête menée par l’armée d’occupation auprès des ouvriers du garage Renault révèle des contacts réguliers avec Daniel Nagliouck. Celui-ci est arrêté et conduit au siège de la Gestapo où il est violemment frappé lors de son interrogatoire. La perquisition effectuée pendant ce temps à son domicile ne donnant rien et lui-même ne lâchant aucune information, les Allemands le ramènent à son garage. Il y travaille jusqu’au lendemain, 18 septembre, où ils reviennent pour l’arrêter définitivement. Daniel Nagliouck pourrait avoir été dénoncé pour avoir été précédemment surpris en train de verser de la limaille de fer dans l’huile des moteurs. Un document allemand ultérieur indique seulement : « Arrêté par le SD pour soupçon d’activité communiste ».

Pendant cinq semaines, il est interné au Palais de Justice de Rouen.

Rouen. Le Palais de Justice. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Rouen. Le Palais de Justice. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 30 octobre, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule n° 2093.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 9 février 1942, la Feldkommandantur de Rouen propose qu’il fasse partie d’une liste de fusillés en représailles de l’attentat d’Elbeuf [4].

Sa fiche d’otage, n° 16, annexée à la liste (« Geiselliste ») établie le 25 février, le désigne comme “juif”, mais, selon C.-P. Couture, cette appartenance n’est pas certaine : à l’époque, on désignait parfois des immigrés venus de pays de l’Est comme juifs à leur insu, pour avoir un plus grand choix d’otages. Sur les listes pour la constitution du convoi, il figure comme “politique” et semble avoir traité comme tel dans les camps.

Entre fin avril et fin juin 1942, Daniel Nagliouck est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Daniel Nagliouck est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45918. Ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard. Sa photo n’a pas été retrouvée.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Le 4 juillet 1943, comme les autres “politiques” français (essentiellement des “45000” rescapés), il reçoit l’autorisation d’écrire à sa famille, en allemand et sous la censure et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.

À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) et mis en “quarantaine” au premier étage du Block 11. Ceux-ci sont exemptés de travail et d’appel extérieur, mais témoins des exécutions massives de résistants, d’otages et de détenus dans la cour mitoyenne.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 - où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues - et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”. Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Auschwitz-I. La cour séparant le Block 10 – où se pratiquaient les expérimentations “médicales” sur les femmes détenues -
et le Block 11, à droite, la prison du camp, avec le 1er étage de la “quarantaine”.
Au fond, le mur des fusillés. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 4 novembre, le nom de Daniel Nagliouck est inscrit sur un registre de l’hôpital (Block 21, chirurgie).

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de “récupérer”, les “politiques” français sont renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Courant avril 1944, Daniel Nagliouck est conduit à pied à Birkenau, avec Francis Joly, Marceau Lannoy, Albert Rossé et Gustave Rémy (un “123000”). Ils sont assignés au Block 10 du sous-camp des hommes (BIId) et doivent travailler au Kommando 301 B Zerlegebetrieb, composé d’environ mille hommes – dont beaucoup de prisonniers russes – chargé de démonter et récupérer les matériaux d’avions militaires abattus, allemands ou alliés, pour l’entreprise LwB.Rorück. L’aire de démontage est située au sud de Birkenau, de part et d’autre d’une voie annexe de la ligne de chemin de fer permettant d’acheminer les carcasses d’avions dans un sens et les pièces démontées dans l’autre. Ils sont surveillés par deux capitaines et des sous-officiers de la Luftwaffe. Comme cet atelier est classé dans les Kommandos de force, ils reçoivent également une ration supplémentaire de nourriture.

Le 3 août 1944, Daniel Nagliouck est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.

Le 29 août 1944, il est parmi les trente “45000” [5] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “proeminenten” polonais) transférés au KL [6] Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin.

Le 20 avril, Daniel Nagliouck est pris dans les colonnes de détenus évacués du camp et conduits à marche forcée sur les routes. Le 2 mai, sa colonne est libérée près de Schwering par l’avancée de l’armée américaine.

Pendant un temps, il est hospitalisé à Haguenau (Bas-Rhin).

Le 9 juin 1945, Daniel Nagliouck est rapatrié, passant par le Centre parisien de l’hôtel Lutetia.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation. Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945. Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

L’hôtel Lutetia, à Paris 6e. Siège de l’Abwehr (service de renseignements de l’état-major allemand) sous l’occupation.
Centre d’accueil des déportés au printemps-été 1945.
Carte postale, années 1940-1950. Collection Mémoire Vive.

Il se rend ensuite au 1, rue des Boucheries-Saint-Ouen, à Rouen (qui l’héberge ?).

Le 14 juin 1950, le ministère de la Défense nationale lui délivre un certificat d’appartenance à la Résistance intérieure française (RIF) au titre du Front national, avec le grade fictif de soldat ; homologation confirmée par un arrêté ministériel du 24 septembre 1951.

Le 10 mai 1951, Daniel Nagliouck remplit un formulaire de demande d’attribution du titre de Déporté Résistant. En juin 1951, le préfet de Seine-Inférieure émet un avis favorable à sa demande au nom de la Commission départementale d’attribution. Mais la Commission nationale émet un avis réservé en mai 1955, puis un avis défavorable en mars 1956. En avril, le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre ne lui délivre donc que le titre de Déporté politique (carte n° 1103.20590). Le 23 juillet suivant, Daniel Nagliouck écrit au ministre pour protester contre ce refus qu’il estime infondé et demander un réexamen de ses droits par voie de recours gracieux, ajoutant une nouvelle attestation concernant les conditions de son arrestation. Sa démarche est appuyée par André Marie, ancien Président du Conseil et député de Seine-Maritime. La décision est renvoyée au Tribunal administratif de Rouen, alors seul compétent pour statuer (l’a-t-il fait ?). Daniel Nagliock obtient encore une attestation circonstanciée de Germaine Pican, datée du 12 avril 1957. Le 29 mai 1958, la décision de refus est rapportée et Daniel Nagliouck se voit accorder le titre de Déporté Résistant (carte n° 1003.15304).

En novembre 1955, il vit en ménage avec Madeleine L. Il est alors ajusteur-mécanicien à la Compagnie française des métaux.

Daniel Nagliouck décède le 4 octobre 1963.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

[4] L’attentat d’Elbeuf : en janvier 1942, une sentinelle allemande est abattue à Elbeuf ; neuf otages seront fusillés le 14 février :

AVIS

Le 21 janvier dernier, à Elbeuf, des coups de feu étaient tirés sur une sentinelle de l’armée allemande qui fut grièvement blessée. À la suite de cet attentat, j’ai ordonné l’exécution des personnes qui ont commis des actes criminels contre l’armée allemande.

Der Chef des Militaerverw. Bezirkes A

(avis paru dans Le Journal de Rouen du 16 février 1942)

[5] Les trente d’Auschwitz vers Sachso (ordre des matricules, noms de G à P) : Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).

[6] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 66, 377 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et les “31000” de Seine-Maritime, réalisée à Rouen en 2000, citant : Claude-Paul Couture, chercheur, courrier 30/4/1992 -Documents allemands, Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Paris – Fiche d’otage du 25 février 1942 – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Gustave Rémy, ouvrier aux établissements Kiener à Éloyes (Vosges), en zone interdite, envoyé à Terniz (Autriche) en novembre 1942 au titre du STO, arrêté par la Gestapo après avoir envoyé à son frère prisonnier de guerre une lettre exprimant son dégoût de travailler pour le Reich, enregistré à Auschwitz à la fin mai 1942 (matricule “123000”), passé par la “quarantaine” du Block 11 ; récit dactylographié envoyé à Renée Joly en septembre 1992.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (message 24-03-2010).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Daniel Nagliouck (21 P 603 861), recherches de Ginette Petiot (message 01-2014).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 24-08-2023

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.