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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Andrée Tamisé naît le 28 février 1922. Son père est bottier à Caudéran, dans la proche banlieue de Bordeaux (Gironde – 33). Sa mère meurt alors qu’elle-même est seulement âgée de sept mois. C’est sa grande sœur, Gilberte, ayant à peine plus de dix ans (née le 3 février 1912) qui va s’en occuper et devenir sa petite mère. Gilberte quitte l’école Jules-Ferry de Cauderan pour rester auprès de sa sœur et s’occuper du ménage, mais reçoit des leçons chez elle jusqu’au brevet élémentaire. Puis elle apprend la sténodactylographie parce que son père veut qu’elle ait un métier, mais elle ne prendra jamais d’emploi.

Andrée fréquente l’école Paul-Lapie, à Caudéran, jusqu’au brevet élémentaire ; quand la guerre éclate, elle n’a pas encore fait choix d’une carrière.

Mais elle fait choix d’un idéal, le même que sa sœur et son père, communistes.

En 1940, celui-ci est arrêté puis interné au camp français de Beau-Désert à Mérignac, dans la banlieue ouest de Bordeaux.

Dès que la résistance prend corps, les deux sœurs ont une ronéo chez elles, tapent et tirent des tracts, les portent dans tout le département. Andrée anime un groupe d’étudiants bordelais et de jeunes des Auberges de jeunesse (sur une vingtaine de ces jeunes gens et jeunes filles, deux seulement se sont retrouvés après la guerre). Gilberte fait la liaison entre Bordeaux, Bayonne et Tarbes pour un groupe de Francs-tireurs et partisans (FTP).

Alertées par des arrestations opérées parmi leurs camarades étudiants quelques jours plus tôt, elles devraient fuir. Mais leur père est dans un camp d’internement. Peuvent-elles laisser un prisonnier qui a besoin de vivres, de soutien ? Peuvent-elles abandonner leur père, qui pourrait subir des représailles ?

Le 3 avril 1942, Gilberte et Andrée sont arrêtées chez elles, par la brigade anticommuniste du commissaire spécial Poinsot, de la préfecture de Bordeaux. Elles sont emprisonnées au fort du Hâ.

Le 16 octobre 1942, les sœurs Tamisé sont en tête de liste parmi les 70 hommes et femmes – dont 33 futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93) et annexe du Frontstalag 122 de Compiègne. Andrée Tamisé y est enregistrée sous le matricule n° 935 et Gilberte sous le n° 936. Pendant trois semaines, les nouveaux arrivants sont isolés, sans avoir le droit d’écrire, puis ils rejoignent les autres internés (hommes et femmes étant séparés mais trouvant le moyen de communiquer).

Le 22 janvier 1943, Andrée et Gilberte font partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise. Andrée Tamisé y est enregistrée sous le matricule 31714, Gilberte sous le matricule 31715. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (les photos d’immatriculation d’Andrée et Gilberte Tamisé ont été retrouvées).

Gilberte Tamisé…

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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Déjà affaiblie par la dysenterie, Andrée contracte une congestion pulmonaire. Pourtant elle veut tenir, ne pas quitter sa sœur, ne pas aller au Revier [2], l’« hôpital » du camp. Au bras de Gilberte, elle se traîne vers les Kommandos des marais, vers les briques, vers le sable. Respirant de plus en plus difficilement, elle dit un jour à sa sœur : « Je ne peux plus te suivre ». Après l’appel, elle veut se mettre dans la colonne de celles qui entrent au Revier. Des Polizeis considèrent qu’il y a déjà trop de malades : elles la refoulent et la renvoient vers son Block en la rouant de coups. Les Kommandos de travail sont déjà partis, Andrée essaie de se cacher dans le Block, d’y attendre le retour de Gilberte. Une stubova la découvre, la traîne dehors et la bat.

Le soir, Gilberte trouve sa sœur sale, couverte de boue, bleue de coups, épuisée. Andrée meurt dans la nuit, près de sa sœur qui, en sortant pour l’appel (le réveil étant fixé à trois heures, c’est la nuit noire), la porte dehors et la dépose – tendrement – le long du mur du Block, dans la boue.

Andrée Tamisé meurt à Birkenau le 8 mars 1943.

En mai 1943, la mairie de Caudéran reçoit d’Auschwitz un avis de décès qu’elle communique au père, toujours interné à Mérignac.

À Birkenau, Gilberte Tamisé tient, malgré la mort de sa sœur qui a laisse égarée, absente d’elle-même. Ses camarades ne la quittent pas un instant. En juillet 1943, la résistance la fait entrer au Kommando de Raïsko, où les chances de survie sont plus grandes. Le 7 janvier 1944, Gilberte Tamisé a fait partie d’un petit groupe de détenues de Raïsko désigné par le commandant d’Auschwitz pour être transféré au KL Ravensbrück. De ce camp, elle est envoyée le 9 août 1944 au Kommando de Beendort avec Simone Alizon, Christiane Charua (dite Cécile), Jeanne Serre (dite Carmen) et sa sœur, Lucienne Thévenin. Le 2 mai 1945, elle est libérée avec elles, après un voyage de douze jours en train au cours duquel mille déportés trouvent la mort : fusillade, soif, faim, fatigue, étouffement dans des couvertures par les kapos qui se font de la place dans les wagons. Le 23 juin 1945, Gilberte est rapatriée en France depuis la Suède.

Officier de la Légion d’honneur, titulaire de la Médaille militaire, Marie-Gilberte Tamisé décède le 17 mars 2009 à Pessac (33) à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans ; elle est inhumée au cimetière de La Chartreuse de Bordeaux.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 275-277
- Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et page 114.
- Liste des photos d’Auschwitz identifiées, Après Auschwitz, bulletin de l’Amicale, n°17 septembre-octobre 1947, page 3.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1236 (14104/1943).

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 14-04-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Les Lilas. Jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.