- Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.
André, Henri, Léon, Doucet naît le 10 mars 1903 à Hirson (Aisne – 02), chez ses parents, Raoul Doucet, 25 ans, polisseur d’étain, et Léa Lourmier, 20 ans, son épouse, domiciliés rue Saint-Michel. Quand leur fils est arrêté, le père est décédé et la mère est concierge de l’école maternelle Voltaire à Nanterre [1] (Hauts-de-Seine – 92).
De la classe 1923, André Doucet est réformé et n’est pas astreint au service militaire.
Le 31 janvier 1925 à Nanterre, il se marie avec Yvonne Manteau, native également d’Hirson. Ils ont un fils, Raoul, né en 1928 à Nanterre.
Au moment de son arrestation, André Doucet est domicilié au 67, rue Lannes à Nanterre.
Il est métallurgiste (mouleur) ; dans quelle entreprise ?
André Doucet est élu conseiller municipal à Nanterre le 12 mai 1935, sur la liste du Parti communiste emmenée par Pierre Brandy et Raymond Barbet. Au conseil municipal, il est en charge de la jeunesse, en particulier des colonies de vacances de la ville.
- Nanterre. La mairie et son parc dans les années 1920.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
Le 5 octobre 1939, comme pour de nombreuses villes de la “banlieue rouge”, le conseil municipal de Nanterre est “suspendu” par décret du président de la République (sur proposition du ministre de l’Intérieur) et remplacé par une délégation spéciale nommée par le préfet.
Le 29 février 1940, comme beaucoup d’autres élus, André Doucet est déchu de son mandat par le Conseil de préfecture pour appartenance au Parti communiste (dissous et interdit depuis le 26 septembre 1939).
- L’Œuvre, édition du 18 mars 1940.
Archives de la préfecture de police. Paris.
Le 14 septembre 1940, André Doucet est arrêté sur son lieu de travail (à Nanterre ?) ou à son domicile par des inspecteurs du commissariat de police de Puteaux et écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
Le 15 octobre, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif et celui de Georges Musset : ils sont aussitôt conduits au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Val-d’Oise – 95), créé au début du mois dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt afin d’y enfermer des hommes connus de la police pour avoir été militants communistes avant-guerre.
- Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.
En février 1941, alors que les autorités françaises envisagent le transfert de 400 détenus d’Aincourt vers « un camp stationné en Afrique du Nord », le docteur du centre dresse trois listes d’internés inaptes. André Doucet figure sur celle des internés « non susceptibles absolus » comme cardiaque.
Le 25 février, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » d’André Doucet, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné « suit les directives du parti communiste », tout en lui reconnaissant une « tenue correcte, n’a jamais été puni ».
Le 18 mars, sa mère écrit au préfet de Seine-et-Oise pour présenter une requête dont le contenu reste à préciser. Le haut fonctionnaire départemental renvoie la décision au préfet de police de Paris, direction des services des renseignements généraux (la suite donnée est inconnue).
Le 11 février 1942, André Doucet fait partie des 21 militants communistes que les “autorités d’occupations” « extraient » d’Aincourt sans en indiquer les motifs ni la destination au chef de centre. Tous sont conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par laWehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Dans ce camp, on reconnaît la signature d’André Doucet sur le menu d’un repas solidaire des détenus, une initiative du “comité des loisirs” servant de couverture à leur organisation de résistance.
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises.
- Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.
Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, André Doucet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45480, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartisdans les Blocks 19 et 20.
Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire – au cours duquel André Doucet se déclare sans religion (Glaubenslos) -, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – la moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a été affecté André Doucet.
Il meurt à Auschwitz le 30 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp [2].
Il est déclaré “Mort pour la France” et homologué comme “Déporté politique”.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. n° 205 du 3-09-2008) [2]. Son nom est inscrit (sans prénom) parmi les Morts en déportation sur le Monument aux morts de Nanterre, parc des Anciennes Mairies.
Le 26 février 1948, la majorité du Conseil municipal de Nanterre donne son nom à l’ancienne rue d’Argenteuil. Le collège construit plus tard le long de cette voie s’appelle également André Doucet.
Sources :
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, dirigé par Jean Maitron, tome 25, p. 292.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 356, 383 et 402.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Hauts-de-Seine nord (2005), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (acte de décès, liste incomplète par matricules du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) – État civil d’Hirson – Archives municipales de Nanterre – Témoignage d’André Monjauvis (45887), de Paris 13e – B. Lafon et P. Zarka,Recherches sur l’implantation du Parti communiste français à Nanterre, mémoire de maîtrise, Paris I, 1971.
Archives municipales de Nanterre, registres des délibérations du Conseil municipal.
Registre d’état civil d’Hirson (année 1903, acte n° 89), Archives départementales de l’Aisne, site internet, archives en ligne (vue 38).
Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “Occupation allemande” : BA 2397 (liste des internés communistes, 1939-1941).
Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1w74 (révision trimestrielle), 1w76, 1w77, 1w80, 1w109 (dossier individuel).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 235 (25950/1942).
Site Mémorial GenWeb, 92-Nanterre, relevé de Gilles Gauthier (12-2005).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 25-02-2013)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Nanterre : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.
Concernant André Doucet, l’état civil porte précisément la mention « Mort au camp de Compiègne, le 6 juillet 1942 » (date erronée reprise par le dictionnaire Maitron). Récemment modifiée par « le 11 juillet 1942 à Auschwitz », selon une règle de principe ajoutant cinq jours à la date connue de départ du convoi.
Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.