Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943, selon les trois vues anthropométriques de la police allemande. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943,
selon les trois vues anthropométriques de la police allemande.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Alphonsine, Alexandrine, Guiard naît le 17 avril 1899 à Paris 13e, chez ses parents, Louis Guiard, 32 ans, et Eugénie Noël, son épouse, 30 ans, tous deux journaliers, domiciliés au 165 rue du Château-des-Rentiers. Début mars 1908, ils habitent au 165 avenue d’Italie (Paris 13e).

Au cours de la Première Guerre mondiale, son père serait mobilisé à la 6e compagnie du 1er régiment du Génie, sur la “place de Paris”.

Lors de son mariage, celui-ci est décédé, et Alphonsine vit avec sa mère et ses frères et sœurs au 6 rue Élisée Reclus au Kremlin-Bicêtre [1] (Seine / Val-de-Marne)

Le 13 mars 1920, à la mairie de cette commune, âgée de 20 ans, elle se marie avec Louis Seibert, 21 ans, “journalier” (successivement confiseur, mégissier, matelassier), domicilié au 20 rue de Paris à Gentilly. Ayant été “ajourné” du service militaire pour « faiblesse », il part accomplir celui-ci du 1er octobre 1920 ou 1er octobre 1921. Ils auront un fils en 1931.

Alphonsine Seibert entre comme aide-soignante à l’hospice de Bicêtre.

Le Kremlin-Bicêtre, entrée principale de l’hospice peu après la guerre. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le Kremlin-Bicêtre, entrée principale de l’hospice peu après la guerre. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

À partir de mars 1927, elle y est infirmière au service Chirurgie.

À la mi-novembre 1935, elle habite au 7 rue Auguste Blanqui à Paris 13e.

Sous l’Occupation, les militants du Parti communiste de l’hospice et du secteur peinent à reprendre une activité, notamment en raison de la répression qui frappe certains d’entre eux.

Après sa démobilisation en août 1940, l’ancien militant du PC, Georges B. retrouve son emploi de jardinier à l’hospice de Bicêtre.

Lucien Français [2], militant communiste et élu municipal de Vitry-sur-Seine, surveillant à l’Assistance publique avant-guerre, chef de la cellule de Bicêtre, sollicite Georges B. pour reprendre de l’activité au sein de l’organisation. Mais celui-ci décline alors sa proposition.

Puis Gilbert Crépin, employé de l’hospice et secrétaire adjoint de la cellule d’entreprise avant l’interdiction du PCF, fixe au même B. un rendez-vous au fort de Bicêtre, où celui-ci retrouve Corentin Celton, Émile Degobertière, ex-élu municipal de Gentilly, employé de l’établissement, René D., Lefevre [?] et deux employés travaillant à la blanchisserie ; lors de cette rencontre est envisagé le recrutement de militants et la création de nouvelles cellules. Mais B. refuse de nouveau de s’engager, au motif véridique qu’il entame une nouvelle relation amoureuse.

Gilbert Crépin est arrêté 23 décembre 1940. Jugé quatre jours plus tard, il est condamné à six mois de prison pour détention de tracts. [3]

Dans cette période, Corentin Celton [4] – avant-guerre préposé de l’Assistance publique de Paris et secrétaire général de la Fédération CGTU (puis CGT réunifiée) des Services publics, suspendu de son emploi par le directeur général de l’Assistance publique et passé dans la clandestinité au printemps 1941 – est chargé d’organiser les Comités populaires des services publics, forme clandestine du syndicalisme, tout en assurant la liaison entre le syndicat légal de la Santé et les syndicalistes hospitaliers résistants.

À la mi-1941, Alphonsine Seibert emménage au 27 avenue de Fontainebleau (plus tard avenue Paul-Vaillant-Couturier) au Kremlin-Bicêtre, se rapprochant de l’hospice.

Émile Degobertière est arrêté le 26 juin 1941 ; il sera déporté un an plus tard dans le convoi des “45000”.

Lors d’un rendez-vous ultérieur, Corentin Celton “relance” Georges B. pour lui demander de prendre la direction du syndicat légal de l’hospice. Le jardinier se présente au service compétent [sic… ?], mais sa proposition est rejetée par le secrétaire du dit syndicat, en raison de son engagement communiste antérieur. B. tente alors de constituer un syndicat illégal, en “pressentant” des employés qu’il connaissait. Il ne parvient à enrôler que René D., M.b.S., infirmiers, Georges Frémont, Marcel Flosseaux, “garçons de salle” (aides-soignants), et Alphonsine Seibert, qui adhèrent parallèlement au syndicat légal ; René D. puis Flosseaux seraient alors collecteurs des cotisations du “Syndicat des Hospitaliers”, dont le siège est à la Bourse du Travail à Paris.

Interrogé ultérieurement, Georges B. déclarera [5] :
“François” [Sautet, alors responsable de l’O.S. de Villejuif] … « me donna l’ordre de former une cellule dans l’hospice […].
D. était à la tête de la section chirurgicale et, par son intermédiaire, les nommés M.b.S., Frémont et Seibert ont donné leur adhésion.
[Le 15 juillet 1941], j’étais admis pour un traitement à l’hospice, dans la salle où travaillait Frémont ; […] Je connais Seibert depuis mon hospitalisation ; je l’ai vue souvent en compagnie de D., qui me l’avait d’ailleurs présentée.
[…] “François” cherchait, fin novembre [1941], une femme pouvant militer dans le mouvement féminin.
D’accord avec D., j’ai pressenti Seibert, en lui fixant un rendez-vous en dehors de l’hospice afin de pouvoir l’informer tranquillement de son futur rôle dans le Comité. Elle n’est pas venue, et j’ai dit à “François” qu’elle n’offrait pas les garanties suffisantes.
Celui-ci revenait à nouveau à [la] charge, voulant à tout prix nommer une femme ; et D. en a reparlé avec Seibert. Cette fois, la réponse était affirmative, et je l’ai vue avenue de Fontainebleau, l’informant exactement de son rôle dans l’organisation féminine.
“François” m’a mis, commencement mars [1942], en rapport avec la responsable de Bicêtre (”Alice”), que j’ai présentée quelques jours plus tard à Seibert, rue Roger Salengro ; je les ai aussitôt quittées. »

Parallèlement à cette activité politique et syndicale, le Parti communiste clandestin s’efforce de développer dans la Région Paris-Sud la lutte armée contre l’Occupant, parfois avec les mêmes militants, fragilisant ainsi le “cloisonnement” entre activités de propagande et action “militaire”.

Ainsi, Yves Glévarec, militant de Villejuif, commence ce travail d’organisation avec Charles Schmidt, ancien brigadiste, responsable dans ce secteur de l’Organisation spéciale (OS) du PCF clandestin (appelée à intégrer les Francs-tireurs et partisans – F.T.P. quelques mois plus tard).

Au cours du mois de janvier 1942, Yves Glévarec demande à René D., infirmier à l’hospice de Bicêtre, si celui-ci accepterait de rejoindre « l’armée populaire », autrement dit l’O.S. Prenant le pseudonyme de “Bernard”, celui-ci passe sous l’autorité de Schmidt.

Dans la matinée du 22 avril 1942, Charles Schmidt est arrêté alors qu’il vient de tirer des coups de revolver sur un militaire allemand assis au volant d’un camion dans un garage réquisitionné de la STCRP [6] à Malakoff (Seine / Hauts-de-Seine), sans l’atteindre ; une action solitaire menée de sa « propre initiative », sans “couverture”. Deux ouvriers français du garage l’ont poursuivi en camion et – après qu’il ait tiré dans leur direction sans les atteindre – sont parvenu à le maitriser dans une impasse avec l’aide d’un passant. Des gardiens de la paix viennent le chercher pour le conduire au poste de police du 14e arrondissement.
Puis il est pris en charge par la Brigade spéciale n° 2 (B.S.2), « antiterroriste”, des Renseignements généraux de la préfecture de police, qui l’identifie et mène l’enquête en accord avec la Geheime Feldpolizei (GFP), police secrète militaire chargée d’assurer la sécurité des forces armées allemandes.

La perquisition opérée rapidement au domicile de Charles Schmidt permet de trouver des rapports et schémas ayant trait à des attentats, des projets de tracts, des brochures communistes, des codes et – surtout – un document noté en sténographie concernant la constitution de groupes de l’Organisation spéciale de Paris-Sud. Questionné sur ce document, Charles Schmidt répond de manière biaisée et dilatoire. Le “décryptage” des noms prendra du temps…

Yves Glévarec disparaît de son domicile le 3 mai 1942…

Après l’arrestation de Charles Schmidt, le groupe O.S. Paris-Sud poursuit sa structuration. René D. déclarera : « Habituellement, j’étais muni d’un pistolet automatique 6 mm 35 qui se trouve encore à mon domicile, dissimulé dans la cheminée de la chambre à coucher. » « Avec cette arme se trouvent également quatre revolvers ou pistolets qui m’ont été remis au début du mois de mai avec des munitions par une femme dont je ne connais pas le nom, mais qui m’a été présentée par un jardinier de l’hospice de Bicêtre qui s’appelle B. et qui habite Montreuil. » « Je ne sais rien de la femme qui m’a remis les pistolets qui se trouvent à mon domicile. […]. Comme je vous l’ai dit, elle m’a été présentée par mon collègue B. Ce dernier m’avait prévenu qu’une “copine” me donnerait des pistolets. Je me suis rendu le lendemain ou le surlendemain au rendez-vous qui m’a été fixé au coin de la rue de Châteaudun et de la route de Choisy, à Ivry. J’y ai trouvé B. et la femme dont je vous ai parlé, et qui m’a remis un paquet placé dans un cabas à provisions. Je suis rentré chez moi avec ce cabas, et je l’ai reporté quelques instants après à la femme qui m’attendait à cet endroit. Ce paquet contenait trois pistolets automatiques, calibre 7 mm 65, qui, comme je vous l’ai dit, ont été dissimulés par moi dans la cheminée de la chambre à coucher.

Le 23 juin, à partir de la liste sténographiée trouvée chez Schmidt, cinq premiers militants clandestins de Paris-Sud sont appréhendés par des inspecteurs de la B.S.2 ; parmi eux, l’infirmier M.b.S., arrêté vers 8 h 30 sur son lieu de travail à l’hospice du Kremlin-Bicêtre.

Interrogé, celui-ci met en cause un collègue qu’il désigne comme son chef, René D., lui aussi infirmier à l’hospice ; identifié comme “Bernard”, à la tête du “groupe de Bicêtre” sur la liste de Charles Schmidt. Arrêté aussitôt, René D. est ramené dans les locaux de la B.S.2. Interrogé, il lâche rapidement de nombreuses informations sur l’organisation clandestine, mettant en cause plusieurs camarades : M.b.S., mais aussi Paul Renaud, Marcel Flosseaux et Georges B.

Une nouvelle perquisition au domicile de René D. amène la découverte des armes de poing cachées dans la cheminée de sa chambre.

Le 6 juillet, celui-ci est de nouveau interrogé, cette fois-ci par l’officier allemand Dunkelmann, Feldpolizeisekretär de la G.F.P. Il répond : « B. m’a réellement présenté la femme qui m’a remis les armes.
Celle-ci doit connaître l’infirmière Seibert Alphonsine, travaillant à l’hospice de Bicêtre, et qui est en même temps membre du “Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme” ; c’est une organisation illégale, parallèle à l’A.P. Je ne puis vous dire rien de précis sur cette organisation.
Dans le courant du mois d’avril, j’ai vu B., la nommée Seibert et la femme qui m’a donné par la suite des armes, à l’angle de la rue Salengro à Bicêtre. À ce moment, je ne savais encore rien des armes, mais je l’ai bien reconnue.
Selon les déclarations de Seibert, cette femme lui aurait été présentée par B. dans des buts de la “Ligue des femmes”.
Seibert savait bien que j’appartenais à l’A.P. »
[l’“Armée populaire”]

Le lendemain 7 juillet, à la mairie du 14e arrondissement, René D. sera enregistré comme étant décédé à 1 heure au « 42 rue de la Santé », sur déclaration d’un gardien français de la prison. Après-guerre, son épouse témoignera qu’elle a été convoquée à la mairie pour y être informée que son époux « avait été fusillé dans la cour de la prison », ce qui serait une circonstance unique. Charlotte Delbo écrira qu’« il était pendu dans sa cellule ».

Dès le 6 juillet, le commissaire Jean Hénoque, directeur de la B.S.2, a reçu une note du Sonderkommando Fuer Kapitalverbrechen 4 B – (Unité spéciale pour les crimes majeurs, G.F.P.), à l’hôtel Bradford, 10, rue Saint-Philippe du Roule, Paris 8e, l’informant de nouvelles révélations obtenues au cours de l’interrogatoire de René D. : Georges Frémont, garçon de salle au service Chirurgie de l’hospice de Bicêtre, serait également membre de l’“Armée populaire” (A.P. / O.S.) ; Alphonsine Seibert aurait été en relation avec la femme dont D. prétend avoir reçu des armes.
Le commissaire Hénoque charge quatre inspecteurs d’identifier puis d’appréhender ces deux personnes afin de les ramener à son service. Les fouilles et perquisitions opérées alors se révèlent infructueuses. Leurs interrogatoires respectifs ont lieu le lendemain. Alphonsine Seibert répond…

« Sur les faits :

Demande : Des renseignements que nous possédons, il résulte que vous êtes membre du Comité clandestin des Femmes. Vous êtes également en relation avec certains de vos collègues employés comme vous à  l’hospice de Bicêtre et qui militent au sein du Parti communiste clandestin.

Réponse : Je n’ai jamais été membre d’une organisation politique quelconque. Actuellement, je ne milite en faveur d’aucun groupement.

D. : Vous êtes cependant en contact avec les nommés D René et B. qui, tous deux, sont membres de l’organisation clandestine du Parti communiste.

R. : Je connais D. et B., qui sont des camarades de travail. Je n’ignore pas que D. était, pour le moins, un sympathisant communiste, mais je ne sais rien de son activité, ni même s’il en a une.

D. : D. lui-même a cependant indiqué que vous n’ignoriez rien de son activité. Qu’avez-vous à dire ?

R. : Je dois reconnaître, qu’en effet, D. m’a fait connaître qu’il militait toujours pour le compte du Parti communiste ; à différentes reprises, il m’a remis des tracts, et cela pour la dernière fois, il y a un mois environ.

Je reconnais également que j’ai été pressentie par B., qui m’a dit qu’il me mettrait en rapport avec « une de ses camarades », et qu’il me serait possible de m’entendre avec elle pour grouper des femmes, en particulier des femmes de prisonniers avec lesquelles une manifestation aurait été organisée. Il a prétendu que cette manifestation était nécessaire « pour obtenir le retour des prisonniers ». Il m’a indiqué que la femme avec laquelle il devait me mettre en relation était chargée de l’organisation des Comités de femmes communistes.
J’ai accepté la proposition qui m’était faite par B., et il a été convenu que nous nous rencontrerions à l’angle de la rue Roger Salengro et de l’avenue de Fontainebleau à Bicêtre.
Ce rendez-vous a eu lieu il y a un mois et demi, environ à l’endroit indiqué. B. m’a présenté la femme dont il m’avait parlé. Il s’agit d’une femme qui habite rue Roger Salengro à Bicêtre, dans une sorte de pavillon précédé d’un jardinet, et qui se trouve à égale distance entre le passage des Plantes et l’avenue du Cimetière, à droite en allant vers la rue de Châteaudun.

Je vous ai dit que c’était cette femme qui m’avait chargée de recruter pour former des groupes de militantes. En réalité, j’ai été chargée de ce travail par B. dans le courant de mars dernier. B. m’avait également demandé de faire des collectes en faveur des emprisonnés politiques. J’en ai fait une, dont le montant s’est élevé à une vingtaine de francs ; j’ai remis l’argent à B. C’est à lui que j’aurais dû présenter les femmes que je devais recruter. En réalité, je n’ai pu en décider aucune à faire partie du Comité, bien que j’en ai pressenti plusieurs à l’hospice même.

Comme je l’ai indiqué, B. m’a présenté la femme qui habite rue Roger Salengro et que je désigne sous le nom de “Madame Alice”. À partir du moment où la présentation a eu lieu, c’est à elle que je devais avoir à faire.
Par la suite, j’ai revu cette femme à trois reprises. Je suis allée une fois chez elle ; il me serait possible de reconnaître l’immeuble où elle habite, bien que je n’en connaisse pas le numéro.

S.I.- Je n’ai jamais vu cette femme en compagnie de D.

S.I.- La manifestation que “Madame Alice” et moi devions organiser aurait eu lieu vers le 14 juillet, à un endroit qui restait à déterminer. Des instructions complémentaires devaient nous être données par une jeune femme qui m’avait été présentée par “Madame Alice”, et que j’appelle “la petite blonde” et sur laquelle je ne possède aucune indication.
J’ai vu “la petite blonde” à deux ou trois reprises, mais jamais au domicile de “Madame Alice”. Nous nous sommes rencontrés au cours de rendez-vous auxquels assistait cette dernière.
“La petite blonde” me posait des questions sur mon activité. Au cours de notre dernier rendez-vous, il a surtout été question de la manifestation prévue pour le 14 juillet. Aucune indication ne m’a cependant été donnée quant au lieu de cette manifestation, ni quant au nombre de militants qui y participeraient. Il n’a pas été non plus question de la protection des femmes qui prendraient part à la démonstration.

S.I.- “La petite blonde” qui m’a été présentée par “Madame Alice” semble avoir un rôle plus important que cette dernière dans l’organisation communiste. Je l’ai vue pour la dernière fois vendredi dernier 3 juillet. Mon prochain rendez-vous avec elle était fixé pour ce soir à 19 heures à l’arrêt de l’autobus 125, presque à l’angle de la rue du 14 Juillet et de l’avenue de Fontainebleau à Bicêtre.
Le signalement de cette femme est le suivant : 28 ans environ, taille 1 m 55 à 1 m 58, visage rond et plein, teint pâle, cheveux blond cendré, flous, serrés sur la nuque par une barrette, yeux bleus ; je l’ai toujours vue nue-tête. Elle était vêtue d’une robe d’été de teinte sombre et d’une jaquette en tissu de laine grenat foncé.

S.I.- Je n’ai jamais été en relation avec d’autres personnes que celles dont je vous ai parlé.

S.I.- Parmi les personnes dont vous me représentez les photographies, je reconnais : D., Flosseaux, Renaud, M.b.S., B., Madame Roucayrol. Tous sont des collègues de travail.
Je connais seulement l’activité de D. et de B., et j’ignorais que les autres militaient en faveur du Parti communiste.

S.I.- J’ignore si “Madame Alice” a eu des armes en sa possession ; elle ne m’en a jamais parlé.
En ce qui me concerne, je n’ai jamais possédé de revolver.

Lecture faite, persiste et signe » [le commissaire de police]

Le 9 juillet, “Madame Alice” et son compagnon, Marcel Hardouin (désigné comme étant d’ores et déjà son mari) [7] quittent leur domicile du 9 bis impasse du Cimetière Parisien au Kremlin-Bicêtre, pour ne plus y reparaître. Le commissaire Hénoque n’enverra deux inspecteurs à cette adresse que deux jours plus tard, puis les recherches se poursuivront « en observation dans le service des garnis », sans succès…

Le 10 juillet, Alphonsine Seibert est « mise à la disposition des autorités allemandes » et transférée à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), probablement au secret. Elle y rejoint Denise Roucayrol, arrêtée pour avoir donné un revolver à René D.

Le 5 août, trois résistants communistes lancent deux grenades sur des soldats de la Lutwaffe qui s’entraînent au stade Jean-Bouin à Paris 16e, faisant au final trois morts et quarante-deux blessés. Depuis Berlin, Adolf Hitler exige une riposte exemplaire.

Le 10 août 1942, Alphonsine Seibert et Denise Roucayrol font partie du groupe de 21 résistantes communistes de la Seine et de province – dont dix-neuf seront déportées avec elles – transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, gardé par la Wehrmacht. Alphonsine Seibert y est enregistrée sous le matricule n° 633.

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador. © Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Le même jour, 10 août, le général SS Karl Oberg, qui vient d’être nommé à la tête de la répression en France occupée, décide de fusiller quatre-vingt-treize otages « en représailles à l’attentat du stade Jean-Bouin à Paris et de divers attentats qui provoquèrent 31 morts allemands dans le même mois ». Rassemblés en provenance de plusieurs lieux de détention, les hommes désignés sont enfermés dans une des casemates du fort de Romainville.

Le lendemain matin 11 août, ils sont conduits au fort du Mont-Valérien pour y être exécutés. Parmi eux, plusieurs membres du groupe de Bicêtre – Georges B., Georges Frémond, M.b.S., Paul Renaud -, Georges Schmidt, ainsi que de nombreux époux ou compagnons de futures “31000”, pris dans d’autres “affaires”. Le jour même, le journal collaborationniste Le Matin annonce dans un « Avis » que « pour répondre à chaque attentat […] 93 otages terroristes qui ont été convaincus d’avoir commis des actes de terrorisme ou d’en avoir été complices » ont été fusillés. En fait, cinq des otages désignés n’ayant pas été conduits à temps à Romainville ont échappé à cette exécution.

Le rapport justifiant l’exécution d’un des condamnés, Jean-Baptiste Douvrin, de Montrouge, précise que son nom a été identifié par la police française sur la liste saisie chez Schmidt (il fut parmi les premiers arrêtés, le 23 juin) et qu’il a été considéré comme « rallié à l’OS en avril 1942 par le responsable du recrutement Clévarec et présenté au dirigeant régional Schmidt. Il refusa bien d’entrer à l’O.S., mais s’est rendu coupable de complicité avec l’ennemi, car, connaissant l’existence de l’organisation et ses objectifs, il n’en a pas fait rapport ». Ainsi, il ne suffisait pas de refuser un engagement dans la résistance : il fallait dénoncer.

Le 22 janvier 1943, Alphonsine Seibert et Denise Roucayrol font partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camion à la gare de marchandises de Compiègne, sur la commune de Margny, et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

TransportAquarelle

Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [8] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Alphonsine Seibert y est enregistrée sous le matricule 31647. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, les “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart d’entre elles sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Alphonsine Seibert a été retrouvée puis identifiée).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits. La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues. Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir. Photo © Mémoire Vive.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia ; perspective entre les châlits.
La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir.
Photo © Mémoire Vive.

Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Aucune des survivantes interrogées par Charlotte Delbo ne s’est souvenu d’Alphonsine Seibert, ne pouvant ainsi fournir le moindre témoignage sur la date ni sur les conditions de sa disparition.

Le registre des naissances du 11e arrondissement indique pour date de décès le 25 mars 1943 (inscrite le 24 juillet 1948).

Les parents n’apprennent sa mort qu’en 1945.

Charlotte Delbo écrira : « elle fait partie du même groupe F.T.P. que Denise Roucayrol (dépôt d’armes dans les combles de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre) ».

Sur le monument aux morts de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, un “45000” (1ère colonne) et deux “31000” (3e colonne). Photo Mémoire Vive, 2004.

Sur le monument aux morts de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, un “45000” (1ère colonne) et deux “31000” (3e colonne).
Photo Mémoire Vive, 2004.

Notes :

[1] Le Kremlin-Bicêtre et Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Lucien Français est arrêté le 26 octobre 1940 et interné au Centre de séjour surveillé d’Aincourt (Seine-et-Oise), au camp français de Rouillé (Vienne), puis au camp allemand de Compiègne (Oise).

[3] Gilbert Crépin : après avoir effectué sa peine à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines), il n’est pas libéré mais ramené au Dépôt le 7 mai 1941. Le 12 juin, il est interné au camp français de Châteaubriant, transféré au “centre de séjour surveillé” (CCS) de Voves (Eure-et-Loir) le 7 mai 1942. Le 12 octobre 1943, il est remis aux autorités d’occupation à leur demande et conduit au camp allemand du Fort de Romainville. Le 26 octobre, il est déporté dans un convoi NN (“Nuit et brouillard”) à destination de Sarrebruck-Neue Bremm. Le 14 novembre, il est transféré au KL Mauthausen. Le 10 juin 1944, il est transféré au Kommando d’Ebensee, où il succombe le 20 mars 1945. [message de Louis Poulhès, 11/04/2024]

[4] Corentin Celton est arrêté par la police en mars ou en avril 1942. Il sera fusillé au Mont-Valérien le 29 décembre 1943.

[6] Georges B. “cède” : le 12 juillet 1942, l’officier Dunkelmann de la GFP, Feldpolizeisekretär (FPS), interroge « de nouveau » le jardinier de Bicêtre. Confronté à sa mise en cause par plusieurs camarades, celui-ci abandonne son silence : « Je reconnais l’inexactitude de mes précédentes déclarations. Pour ne pas mettre d’autres camarades en cause, j’avais observé jusqu’ici cette réticence. Mais, informé de leurs déclarations, je suis prêt à dire toute la vérité. »

[7] La STCRP : Société des transports en commun de la Région parisienne, ayant obtenu la régie des transports de voyageurs en surface dans l’ancien département de la Seine de 1921 à 1941, pour le compte de cette collectivité ; réseaux de tramways (jusqu’en 1928) et d’autobus.

[8] “Madame Alice” est identifiée par la B.S.2 « comme suit : Hardouin, née Serein Alice Félicité, le 8 mai 1905 à Paris 14e. Elle exerce la profession de mécanicienne ». Le registre des naissances de Paris 14e orthographie « Sevin Alice » et indique en mentions marginales un mariage en 1928, puis une séparation, et enfin un divorce en 1954 avec… Louis Antoine Zehner. Le même rapport attribue comme mari à “Madame Alice” : Marcel Henri Hardouin, né le 11 février 1905 à Paris 15e ; sur le registre des naissances de Paris 15e, aucune mention marginale n’indique de mariage. Sur le registre de recensement de 1946, on les retrouve habitant ensemble au 9 bis impasse du Cimetière Parisien au Kremlin-Bicêtre.

[9] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 265.
- Archives de Paris, archives numérisées en ligne : registre des naissances du 13e arrondissement pour l’année 1899 (V4E 9554), acte n° 870 du 18 avril.
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier d’affaires de la BS 2 (G B 17) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 755-29356) ; dossier individuel aux Renseignements généraux (77 W 369-160871).
- Liste des photos d’Auschwitz « identifiées de camarades non rentrées », Après Auschwitz, bulletin de l’Amicale, n°17 septembre-octobre 1947, page 3.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 13-04-2024)

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