Photographiée au service de l’identité judiciaire,
le jour de son arrestation, le 17 février 1942.
© Archives de la Préfecture de Police (APP). Paris.

Madeleine Guitton naît le 16 octobre 1914 à Longeron (Maine-et-Loire), deuxième d’une famille de cinq enfants. Le père est artisan mécanicien, la mère s’occupe du ménage. Après le certificat d’études primaires, Madeleine travaille comme ouvrière fileuse.

À dix-huit ans, elle quitte Montgeron pour Paris.

Madeleine épouse Jean Laffitte, né le 24 mars 1910 à Agnac (Lot-et-Garonne), permanent du parti communiste à partir de 1937 après avoir été ouvrier pâtissier. Le couple s’installe à Montreuil-sous-Bois en 1937, peut-être au 11, sentiers de Buttes (l’adresse de Madeleine au moment de son arrestation).

Pendant un temps, elle est téléphoniste à L’Humanité (à vérifier…).

Prisonnier de guerre, évadé en décembre 1940, Jean Laffitte reprend contact avec la direction clandestine du Parti communiste et devient, jusqu’au mois de février 1941, le responsable politique du triangle de l’interrégion parisienne (neuf régions réparties sur les trois départements de la Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne). Dans la même période, Madeleine Laffitte entre dans l’action clandestine.

En 1942, sous le nom de Michèle, elle est agent de liaison de Félix Cadras, secrétaire national à l’organisation du PC.

Après qu’André Pican ait été reconnu et suivi, elle est repérée lors des filatures engagées par la brigade spéciale 1 et désignée sous le nom de « femme Pyrénées », du nom de la station de métro où les policiers l’ont vue la première fois. Les enquêteurs constatent qu’elle est « une liaison directe » de « Balard », Félix Cadras [1], et la considèrent comme « une militante active et très importante de l’organisation clandestine ».

« …le jeudi 5 février 1942, vers 15h45 à la Porte de Vincennes », Madeleine Laffitte rencontre Marie-Claude Vaillant-Couturier (« femme Vincennes »), à laquelle elle remet différents paquets tirés de son cabas. Un quart d’heure plus tard, celle-ci transmet ces paquets à un homme qui l’accoste sur le boulevard Davout. Puis les deux femmes se retrouvent et entrent au café Le Négus, cours de Vincennes, sous le pont du chemin de fer. En sortant, elle se séparent avant de se retrouver une dernière fois sur le quai du métro, direction Neuilly…

L’arrestation dans le cadre de l’affaire Pican-Cadras

Le 17 février 1942, Madeleine Laffitte est arrêtée au domicile de Félix Cadras – alias Georges Dauvergne -, 119 boulevard Davout, à Paris, alors qu’elle y apporte du courrier relatif à la propagande clandestine.

Cadras a été arrêté la veille et les policiers des brigades spéciales guettent les personnes qui viennent à son appartement. Le dirigeant clandestin ne parlera pas sous la torture, mais les documents retrouvés chez lui lanceront les inspecteurs des brigades spéciales sur de nouvelles pistes.

Comme les autres personnes interpellées dans la même “affaire”, Madeleine Laffitte est interrogée dans les bureaux de la BS, au deuxième étage de la préfecture de police avant d’être conduite au dépôt de la Conciergerie.

Le 23 mars, Madeleine Laffitte est transférée à la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e (au secret, division allemande ?).

Le 24 août, avec tous les hommes et femmes pris dans la même affaire, elle est transférée au Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122.

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).

Elle y est enregistrée sous le matricule n° 667.

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Photographiée au fort de Romainville (HaftLager 122).

Le 22 janvier 1943, Madeleine Laffitte est est parmi les cent premières femmes otages qui sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).

Le lendemain, elles sont rejointes par un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la Maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

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Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [2] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Auschwitz

Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Madeleine Laffitte y est enregistrée sous le matricule 31666. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes d’anthropométrie de la police allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Madeleine Laffitte a été retrouvée).

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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Madeleine Laffitte fait partie des “31000” assignée au Block de quarantaine.

À partir de juillet 1943, elle écrit à la maison (une lettre par mois) et sa mère lui envoie des colis.

À l’automne, elle est atteinte par la dysenterie. Pendant des semaines, ses camarades la cachent pour éviter qu’on la renvoie au Revier de Birkenau (pas de malades en quarantaine). Fernande Laurent la soigne, ce qui consiste surtout à recueillir discrètement les selles diarrhéiques dans une boîte de conserve pour que la chef de Block ne se doute de rien.

Mais Madeleine est découverte et envoyée au Revier, où elle succombe à la fin novembre 1943, selon le témoignage des rescapées.

Sa famille comprend qu’elle est morte quand un colis est renvoyé marqué d’un tampon “Retour à l’envoyeur”.

Elle a été homologuée sergent dans la Résistance intérieure française (RIF).

La famille

Jean Laffitte remplace Félix Cadras comme secrétaire à l’organisation pour la zone occupée après l’arrestation de celui-ci. Arrêté le 14 mai 1942 à son domicile clandestin de Saint-Mandé, il est déporté en mars 1943 au KL Mauthausen où il rencontre des survivantes du convoi qui lui apprennent la mort de sa femme. Il est libéré au Kommando d’Ebensee le 6 mai 1945. En 1946, il épouse en seconde noce Georgette Cadras, sœur de Félix Cadras.

Une sœur de Madeleine Laffitte, qui avait pris la relève de Madeleine dans le groupe de Jean Laffitte, a été arrêtée en même temps que ce dernier : elle a été internée dans différents camps en France jusqu’à la libération.

Un frère, requis pour le STO (service du travail obligatoire), est mort en Allemagne.

Un cousin, Albert Piffeteau, arrêté en juin 1944, est déporté en camp le 6 mai 1945.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 162.
- Dominique Durand, Marie-Claude Vaillant-Couturier (biographie), Balland, Paris novembre 2012, pages 162, 165.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, 20-08-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Félix Cadras : Né le 4 mars 1906 à Calais (Pas-de-Calais), secrétaire de la Région Nord du PC, secrétaire fédéral du Pas-de-Calais (1936-1939). À partir du début 1942, désigné comme secrétaire à l’organisation, en rapport étroit avec Jacques Duclos et Benoît Frachon, il est chargé d’une tâche essentielle, la liaison entre les différentes unités de l’appareil du Parti (inter-régions, régions) en mettant sur pied des groupes d’imprimeries, des dépôts de matériel, des chaînes de diffusion. Après son arrestation, il résiste aux tortures infligées par la police française et la Gestapo, ne livrant aucune information. Le 30 mai 1943, il est fusillé avec d’autres résistants au Fort du Mont-Valérien, commune de Suresnes (Hauts-de-Seine).

[2] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.